Michel Cénac. Logorrhée néologique chez une malade atteinte de délire hallucinatoire chronique à manifestations polymorphes. Transformation de la personnalité. État maniaque. Conservation de l’orientation. Extrait du « Bulletin de la Société clinique de médecine mentale », (Paris), tome onzième, 1923, pp. 68-74.

Michel Cénac. Logorrhée néologique chez une malade atteinte de délire hallucinatoire chronique à manifestations polymorphes. Transformation de la personnalité. État maniaque. Conservation de l’orientation. Extrait du « Bulletin de la Société clinique de médecine mentale », (Paris), tome onzième, 1923, pp. 68-74.

 

Michel Cénac (1891-1965). Médecin, psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris. Il fût l’élève de Trénel et Henri Claude. D’abord proche de Jacques Lacan avec qui il collaborera dans quelques articles, il s’y oppose catégoriquement lors de l’élection la la présidence de la SPP en 1953, soutenu par Marie Bonaparte dont il était un proche.
Nous avons retenu quelques publications :
— De certains langages crées par les aliénistes : contribution à l’ étude des glossolalies. Thèse de médecine de Paris. Paris : Jouve éditeur, 1925. 128 p. [en ligne sur notre site]
— Conception psychanalytique des névroses. in Journal médical français, vol. 22, n° 4 (1933)
— Ce que tout médecin doit savoir de la psychanalyse (1934).
— L’hystérie en 1935. Article parut dans la revue « L’Evolution psychiatrique », (Paris), fascicule IV, 1935, pp. 25-32. [en ligne sur notre site]
— Mécanismes des inhibitions de la puissance sexuelle chez l’homme. Evolution Psychiatrique, n° 3 (1936)
— La conception psychanalytique de la névrose obsessionnelle. in Schemas, vol. 1, n° 5 (1938)
— Avec Jacques Lacan. Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie. 1950.
— Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie. Extrait de la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), tome XV, n°1, janvier-février 1951, pp. 7-29. [en ligne sur notre site]
— Le Témoignage et sa valeur au point de vue. Cahors : Impr. Coueslant , 1951

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

Logorrhée néologique chez une malade atteinte de délire hallucinatoire chronique à manifestations polymorphes. Transformation de la personnalité. État maniaque. Conservation de l’orientation, par M. Cénac (Service du Dr TRÉNEL). (Présentation de malade).

Ern. C. âgée de 48 ans, entre pour la première fois à Villejuif, le 6 juillet 1911 ; venant de l’hôpital Lariboisière avec le certificat suivant :
« Atteinte de troubles mentaux (phobies), hallucinations, idées de persécution ». Dr BRAULT.

4 juillet 1911. — Admission à Ste-Anne. Elle est reconnue être atteinte de dégénérescence mentale avec émotivité morbide ; dépression mélancolique, frayeurs subites, craintes d’être assassinée, cauchemars, insomnies. MAGNAN.

1ère entrée à Villejuif 6 juillet 1911. — Dégénérescence mentale avec préoccupations hypocondriaques ; pleurs, crainte d’avoir été contaminée par son mari. Le père se serait suicidé. Dr COLIN.

19 juillet 1911. — Quinzaine. Paraît convalescente d’un état de confusion. Présente encore de la difficulté à suivre des idées. Tremblement des doigts et des lèvres, soupçon d’alcoolisme. DR TOULOUSE.

Sort considérée comme guérie.

2e entrée. — Elle revient à Villejuif, placée volontairement le 13 mars 1918.

Elle présente alors une agitation intermittente, du désordre des gestes et des actes, des troubles de la sensibilité générale, des idées de persécution, des voisins la harcèlent, lui font mal, veulent l’empoisonner.

15 mars 1918. — État de dépression psychique, grande fatigablité. Attention difficile. Ne pouvait supporter le bruit qu’on faisait autour d’elle. Ne pouvait plus travailler. Conscience de son état. Dr TOULOUSE.

20 mars 1918. — État de dépression. Idées de persécution avec troubles de la sensibilité générale. Des voisins agissent à l’intérieur de son corps. Dr TOULOUSE.

Renseignements du mari. — Elle a été placée une première fois en 1911, à la suite d’une peur elle a fait une fugue. Elle est allée trouver le commissaire, voulait se jeter dans le canal.

Son mari l’a reprise en août 1911. Elle semblait guérie, s’occupait de son ménage. Elle est retombée malade en mars 1918. Cela [p. 69] l’a pris tout d’un coup, elle était très agitée, cassait tout dans la maison. Elle aurait eu alors des hallucinations terrifiantes.

A. H. — Le père de la malade s’est pendu. Elle a un frère et une sœur bien portants et ne présentant pas de troubles mentaux.

Elle a eu en 1913 une fille morte à 3 mois, de broncho-pneumonie. A eu une phlébite à la suite de son accouchement. Pas de fausses couches. Hernie crurale gauche. Elle reçoit bien son mari en visite ;mais se montre souvent incohérente.

15 mars 1918. — A son entrée dans le service, elle dit se sentir fatiguée à la suite d’émotions. Depuis le début de la guerre, sent quelque chose qui l’empêche de travailler et d’agir ; se sent déprimée, ne présente pas d’idées de persécution, paraît seulement anxieuse. Reconnaît cependant qu’une de ses voisines au-dessus d’elle, faisait du bruit intentionnellement. Elle se montre calme, mange bien, s’occupe à la couture.

Elle avait cependant des périodes d’agitation et de dépression plus ou moins longues ; malgré cela, on l’occupait au ménage n’ayant jamais eu de réactions violentes. Pendant plusieurs mois, son travail a été assez suivi, mais peu à peu elle s’est agitée, s’est mise à taper sur les murs et les lits avec ses chaussures et ses pieds. Elle agissait ainsi,, disait-elle, pour éviter que l’on fasse du mal à ses enfants, qu’elle entendait crier à l’étage au-dessous.

A cette époque, sa principale occupation consistait à écrire sans fin sur des cahiers. Elle faisait la distribution de ses millions aux personnes de son entourage qu’elle préférait. Leur disait qu’elles n’auraient qu’à se présenter à une banque, pour toucher leur part.

De jour en jour son agitation augmente. Elle cesse de s’occuper, cassé et détruit tout autour d’elle. On lui retire ses chaussures dont elle se sert pour tout cogner. On est obligé de la surveiller de très près, car, à plusieurs reprises, elle a essayé d’avaler de la cire et de la potasse.

Elle refuse de mettre ses chaussures, car, dit-elle, elles l’empoisonnent, elles sont imbibées de cuivre et cela la fait cracher.

Après quelques temps, on a essayé de la faire travailler de nouveau dans le quartier, on a été obligé d’y renoncer, car elle continue de boire de la potasse dès qu’elle n’est plus surveillée. L’agitation augmente, elle est alitée dans le dortoir, où elle reste six mois. Pendant cette période, remplit des cahiers entiers. Elle continue à se plaindre que l’on détruit ses enfants.

On commence alors, à noter une aggravation certaine de ses actes et de ses attitudes, elle met des rubans un peu partout sur ses vêtements, ramasse des chiffons pour faire des sacs ; a une tenue désordonnée. Elle bouche les cuvettes avec du savon minéral pour empêcher le cuivre de monter, se bouche également le nez et les oreilles, déclame fréquemment. Elle ne travaille plus, s’isole et pousse des cris perçants. Elle a, fait le veau car, dit-elle, on l’a changé en veau.

Nous voyons Mme C…, en mai 1922. C’est une femme de petite taille, qui nous frappe immédiatement par son attitude et par certaines bizarreries de son costume.

Sa tenue est plus désordonnée que négligée, elle porte généralement un ruban autour du front, des chiffons multicolores sont posés çà et là sur son costume, nous disant, quand on l’interroge, que c’est « l’aristème de la République et la sacristie du St-Sacrement ». [p. 70] Elle a du coton dans les oreilles. Son attitude est très variable. Quand on parvient à fixer son attention, elle répond correctement aux questions qu’on lui pose ; elle est plutôt ironique, accompagne souvent, ses réponses d’éclats de rire. Elle frappe par instants le sol du pied, puis se met brusquement à danser. Il y a quelques mois, elle ne dormait qu’agenouillée, avec une couverture sur sa tête.

Elle a des hallucinations auditives. Ce sont des hommes, ils lui parlent de loin et lui disent : « Vieille salope, tu manges le pain de tes fils ».

Hall. de l’odorat (?) probables mais non certaines. Elle reconnaît également la voix de ses enfants qui l’appellent : « petite mère ». Cela vient d’en bas ; la malade semble avoir aussi des hallucinations psychomotrices. Elle reconnaît qu’il faut qu’elle parle, qu’elle chante tout le temps. Elle manifeste des troubles de la sensibilité générale en leur donnant une dénomination néologique. On la rend sourde, on lui retire le tampon de l’entente, le « Clavoissy » de l’entente complète et de la vue entière.

Elle n’a pas de coffre, pas de tronc. « On l’endort avec du sodium pour qu’elle dorme mieux ». Elle ne veut pas coucher dans son lit, c’est dangereux « on met des guides de tous les côtés ».

Elle a un nez-chien, son corps, est dépiauté « pur par pur » pour faire des hommes et des femmes.

Elle exprime des idées délirantes de persécution et d’énormité.

« J’ai eu 3 maris, nous dit-elle ; j’ai des trillions ; de billions d’enfants entre autres une portée de 400. L’aîné s’appelle « Hurteran », je n’ai pas de filles, c’est tous des gâs, on me les a mis en jupon, mais c’est tous des gâs. »

Ses enfants sont en bas « dans les fonds ». On leur fait supporter des vices, monstrueux.

« Ils ont le toupet de prendre mes enfants, de les cuire en pain et de me les donner à manger. »

On peut noter chez elle des troubles de la personnalité qu’elle exprime en vous disant : « J’ai été un mâle de « skoben », mâle de grand phénomène, mâle de grande durée ».

Peut-être une ébauche d’idées d’éternité quand elle nous dit :

« Je suis le commencement du monde. J’ai vécu des siècles. »

Les idées délirantes que nous venons d’énoncer, Mme C…, les exprime dans un langage qui nous frappe, elle crée, comme les persécutés en général, des mots nouveaux pour les exprimer.

Mais si Mme C…, converse à peu près normalement quand on parvient à fixer son attention. (ce qui est parfois difficile), livrée à elle-même ou à ses hallucinations, elle emploie un langage totalement incohérent, entièrement néologique, constitué par une série de radicaux ou de syllabes dénués de tout sens, semble-t-il, et que des linguistes n’hésiteraient pas à qualifier de phonèmes. (1), c’est-à-dire mots n’ayant pas de sens et réduits à leur simple valeur phonétique, reliés entre eux par des lois d’associations inférieures, telles que l’assonance. [p. 71]

Voici des exemples de ses discours : « Je suis le devoir du tri-Mystère, tri-mystère du Finistère, des Trébendions et des trédious, des trébendious. Le gim de l’air de lerme — le giderme, le citerme, le cimeterme — de l’arterme le gim de l’air de l’airme le citerme le cin de terme de la’ terme en terme le gim de l’air en trême — M. Stroben a une congestion interne, congestion étranglée, congestion jaune et toi tu les as en jaune — et gim. Et tous en jaune et en terne. De la terne de la tiendam — ça fait 24 ans que je le connais en terme — le gim de l’air de la dantani, le cim de l’air de grand terme en terme de la citadelle en citadelle — en strum de l’ombre de mon corps. Les petits comme les grands, il n’y en a pas un qui coupe. Et laissez remuer le remue-ménage — de leur dom — du trebendom — le ribom de libom todam. Le jemar du debendom. Et je suis raclée, raclée, raclée. Sorti de mon corps c’est fini. »

On voit qu’elle est sujette alors à de véritables stéréotypies de langage, semble prise par l’automatisme articulaire d’une syllabe ou d’un groupe de syllabes, qu’elle répète à l’infini jusqu’au moment où on arrive à l’arrêter par une question précise. Elle reconnaît elle-même l’étrangeté de ses discours. Elle qualifie son langage de « langue des assassins, des apaches ». C’est le « stromben » ou encore lasauce des diables. « Je ne peux dire 3 paroles comme je disais auparavant. Je n’ai pas de voix, je n’ai que mon genre, je parle avec l’entan des pieds. Je dis une parole, je reste là pour dire l’autre, elle est avalée avec la précédente. »

Malgré la richesse de ses hallucinations, la variété de ses troubles de la sensibilité générale et de ses idées délirantes, en dépit de son langage riche en néologismes ou totalement incohérent, nous trouvons chez notre malade une orientation et une lucidité parfaite :

Elle nous dit en effet être née le 26 novembre 1873, à Pantin, rue de Montreuil. Elle habitait rue des Sept-Arpents, près de la barrière de Pantin.

Elle fixe très exactement la date et la durée de ses internements, est capable de donner la date exacte du commencement de la guerre, de l’armistice. Sa mémoire ne semble pas notablement touchée.

Elle sait qu’elle est à Villejuif, connaît les infirmières, les malades par leurs noms.

Tous ces renseignements fournis par la malade sont exacts mais obtenus d’elle seule en fixant fortement son attention, tâche quelquefois assez difficile en raison des troubles considérables de cette faculté chez Mme Ch… Il n’est pas rare que la question posée reste sans réponse, non qu’elle n’ait été comprise, mais plutôt non perçue ; il suffit alors de répéter avec fermeté la question pour obtenir une réponse adaptée et des plus satisfaisantes.

Mme Ch.,.., est capable de résoudre devant vous des opérations simples de calcul et fournit tous les détails demandés sur la profession qu’elle exerçait avant de venir à l’asile.

Nous lui demandons le sens de divers termes professionnels. Carton pâte : cela sert à faire la boîte ordinaire, la boîte à chaussures.

Carton paille : cela sert à faire la boîte à perles.

Carton blanchi : cela sert’ à faire la boîte à savon. [p. 72]

Carton Jacquard : cela sert à faire la boîte à parfumerie.

Trous de repère : cela sert à faire les fonds de boites.

Cartonnage à la Bradel : fabrication des boîtes à foulards, et aux mouchoirs, c’est un cartonnage carré avec de la dentelle sur fil.

En résumé, Mme Ch. présente un délire hallucinatoire avec hallucinations de l’ouïe, de l’odorat, troubles de la sensibilité générale. Idées délirantes de persécution et de grandeur et ébauche d’éternité. Troubles de la personnalité : C’est là un type qu’il n’est pas rare de rencontrer dans nos asiles. Mais l’intérêt de cette observation nous a semblé d’une part résider dans la constatation chez notre malade d’une orientation, d’une mémoire, d’une lucidité parfaites dénotant l’absence d’affaiblissement intellectuel ou tout au plus un très léger degré de cet affaiblissement, d’autre part, les troubles considérables de ses attitudes et de son langage (mimique, langage verbal, écrits).

Ces troubles consistent essentiellement :

1° en la création de néologismes (le stromben).

2 ° en mots détournés de leur sens ou vides de signification (mystère du Finistère).

3° stéréotypies syllabiques (de ter en ter, de semaine en semaine).

Comment expliquer le mécanisme et l’origine de ces troubles ? Ses néologismes faisant allusion au mode de ses persécutions ou aux troubles de cœnesthésie rentrent trop dans le cadre bien connu des néologismes actifs des persécutés pour que nous nous y arrêtions plus longuement.

Autrement intéressants nous ont paru ses néologismes passifs et ses stéréotypies.

Il semble, quand on observe notre malade, qu’elle soit l’objet d’un automatisme dans lequel sa conscience rentre pour une très faible part (peut-être en raison de la richesse de ses hallucinations auditives).

Son langage livré à lui-même, où les mots dépassent souvent sa pensée, au début de ses réponses, pour s’en éloigner de plus en plus et perdre, nous semble-t-il, leur élément idéo-affectif, dans la suite de son discours, n’est plus constitué, comme nous le disions, que par des phonèmes ou mots dont la coque seule persiste, le contenu ayant été perdu et dont l’ensemble constitue ce que Forel appelait la salade de mots.

Elle rentre dans un des cas pour lesquels s’appliqueraient dans la nomenclature allemande la dénomination de démence paranoïde et pour lesquels dans la nomenclature française il n’existe aucun terme pour exprimer cet ensemble symptomatique.

LA MALADE. entre en saluant, elle répond d’abord avec précision aux questions que lui pose M. Cénac, puis devient néologique [p. 73] et se met à chanter, d’une voix forte, un refrain rythmé et assonance, mais incompréhensible.

Notes

(1) Nous employons ici le terme de « phonème », dans le sens que lui accordent les linguistes, et non point dans le sens psychiatrique ou il a une toute autre signification.

Discussion
M. TRÉNEL. — La malade présentée par M. Cénac est un type clinique connu : après une première crise mentale sur laquelle les renseignements détaillés nous manquent et dont elle aurait guéri, elle eut une rechute dont nous ne connaissons que les signes principaux et d’une façon un peu succincte. L’état actuel constitue un syndrome où prédominent un élément maniaque, un trouble considérable du langage qui est totalement néologique et un délire hallucinatoire polymorphe. La question que nous nous sommes posée et que nous posons à la Société, c’est de savoir comment nous devons catégoriser et dénommer cette malade. Il ne nous apparaît pas que nous possédions dans la nomenclature française de terme défini qui lui soit applicable, quand, dans la nomenclature allemande, on n’hésiterait pas à y accoler le terme de démence paranoïde, discutable pourtant. C’est l’un des exemples de cette insuffisance de notre langue psychiatrique dont M. Chaslin a jadis si justement écrit qu’elle est « une langue mal faite ». Nous sommes entièrement de son avis à ce sujet, mais en pensant qu’elle est surtout pauvre et que l’introduction de dénominations nouvelles y est désirable.

M. CHASLIN. — Cette intéressante observation me rappelle un malade de Bicêtre que j’avais rangé dans la forme pseudomaniaque de la démence précoce avec idées délirantes diverses mais assez pauvres. Est-il bien nécessaire de ranger dans une catégorie nosologique des affections dont nous ne connaissons ni l’étiologie, ni la pathogénie ; nous savons trop peu de choses sur les troubles mentaux pour les classer rigoureusement ; il nous suffit jusqu’à présent de pouvoir les comparer entre eux, et de rapprocher les cas qui se ressemblent. Il est certain cependant qu’un langage psychiatrique précis, serait très utile ; il faut pour cela qu’il corresponde à des faits nettement déterminés. Or, nous ne voyons encore que des apparences. Ainsi, quand je succédai à M. Deny, à la Salpêtrière, je trouvai une malade étiquetée maniaque ; je la considérai comme une persécutée ; l’évolution me donna raison, car l’excitation disparut finalement.

M. TOULOUSE. — La question de terminologie posée par M. Trénel et à laquelle M. Chaslin n’accorde qu’une minime importance me paraît facile à résoudre si l’on accepte le terme générique que l’on employait couramment dans les classifications françaises. En présence de cette malade, Baillarger aurait certainement parlé de démence vésanique. Il faudrait pourtant s’entendre d’abord sur le sens du premier terme. En pareil cas, y-a-t-il vraiment démence ? Quand on interroge longuement [p. 74] ces malades on obtient nombre de réponses qui révèlent un trouble plus qu’un déficit et l’on n’ose pas affirmer une irréversibilité absolue. Fait-on varier les épreuves, on s’aperçoit que les résultats varient considérablement et l’on est parfois étonné de voir apparaître une intelligence à peu près entière. Il y aurait intérêt à séparer la démence vésanique de la démence précoce. On peut concevoir cette dernière comme une maladie plus limitée dont le caractère essentiel est l’agénésie : ces individus naissent avec un système nerveux et probablement un système endocrinien mal organisé. La démence vésanique, au contraire, serait un affaiblissement secondaire, succédant à des psychoses aiguës.

M. TRÉNEL. — Je suis entièrement d’accord avec M. Toulouse sur la nécessité de conserver la dénomination de démence vésanique. On confond, sans aucun doute, dans la démence précoce et paranoïde des faits où, après des maladies mentales aiguës et subaiguës les plus diverses, s’établit une démence secondaire. J’ai depuis longtemps défendu cette opinion. Mais j’hésiterais dans le cas présent à accepter cette dénomination en raison de, la conservation de l’intelligence, masquée sous un délire très actif et par une logorrhée intense et une logorrhée néologique.

M. COLIN. — Pour apprécier exactement le trouble mental de cette malade, il faudrait en connaître l’évolution ; or, nous ne connaissons à peu près rien de son passé. C’est certainement une hallucinée ; c’est probablement une démence vésanique, mais quand l’anamnèse manque on ne saurait se prononcer à bon escient.

M. DABOUT. — Laissez-moi souligner, à propos de cette malade, l’importance des questions de terminologie surtout en médecine légale. Comment s’entendre dans la pratique si l’on ne possède pas une définition très précise du mot démence ?

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