Michéa. De la sorcellerie et de la possession démoniaque dans leurs rapports avec le progrès de la physiologie pathologique. Extrait de la « Revue contemporaine », (Paris), onzième année, 2e série, tome vingt-cinquième, LXe de la collection, 1862, pp. 526-566.

Michéa. De la sorcellerie et de la possession démoniaque dans leurs rapports avec le progrès de la physiologie pathologique. Extrait de la « Revue contemporaine », (Paris), onzième année, 2e série, tome vingt-cinquième, LXe de la collection, 1862, pp. 526-566.

 

Claude-François Michéa (1815-1882). Médecin aliéniste, d’abord interne, puis directeur durant de longues années de à la maison de santé Marcel-Sainte-Colombe, drue Picpus, à Paris. Un des fondateur de la Société médico-psychologique et un des plus actifs collaborateurs des Annales média-psychologiques.
Il fut un des premiers aliénistes à traiter de la question de la folie et de la responsabilité des aliénés devant les tribunaux. Outre les quelques publications citées ci-dessous on lui doit de nombreux travaux sur l’histoire de la médecine en général. Quelques publications :
Des hallucinations. Thèse présentée et soutenue à la Faculté de médecine de Paris, le 15 juin 1837, pour obtenir le grade de docteur en médecine., , 21 p. [en ligne sur notre site]
— Paracelse, sa vie et ses doctrines », Gaz. Méd. de Paris.,‎ , p. 289-298 ; 305-311.

— Traité pratique, dogmatique et critique de l’hypochondrie. Paris, Labé, 1845. 1 vol.
— Du siège, de la nature intime, des symptômes et du diagnostic de l’hypochondrie. Extrait des Mémoires de l’Académie Royale de Médecine, X, 1843. Paris, J.-B. Baillière, 1843. 1 vol. in-4°, pp.573-654.
— Du délire des sensations. Paris, Labé, 1846. 1 vol.
— Recherches sur l’état de la médecine chez les anciens Indoux. Extrait du Journal « L’Union Mécicale », Septembre 1847. Et tiré-à-part : Paris, impr. de F. Malteste et Cie, 1847. 1 vol. in-8°, 23 p. [en ligne sur notre site]
— Cas de sadisme. Paris, L’Union médicale, 1849.
— Recherches expérimentales sur l’emploi comparé des principaux agents de la médication stupéfiante dans le traitement de l’aliénation mentale. Paris, E. Thunot et Cie, 1852.
— Des hallucinations dans la magie. Extrait de la « Revue Contemporaine », (Paris), huitième année, 2e série, tome septième, XLIIe de la collection, 1859, pp. 501-537. [en ligne sur notre site]
— Démonomanie. Extrait de « Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique, sous la direction du Dr Jaccoud », (Paris), tome onzième, DÉLIG — DYSE, 1860, pp.122-130. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoute par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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DE LA SORCELLERIE
ET
DE LA POSSESSION DEMONIAQUE
DANS LEURS RAPPO’RTS
AVEC LE PROGRÈS DE LA PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE

I. De la Magie et de l’Astrologie, par M. Alfred MAURY, membre de l’Institut. — II. Du Sommeil et des Rêves, par le même. — III. Physiologie de la pensée, par M. LÉLUT, membre de l’Institut. — IV. Histoire du merveilleux , par M. Louis FIGUIER. — V. La Psychologie morbide dans ses rapports avec la Philosophie de l’histoire, par M. le docteur MOREAU (de Tours). — VI. De la Sorcellerie à Valenciennes, par M. Th. LOUISE. — VII. Des Altérations de la sensibilité, par M. le docteur MARCÉ. —· Vlll. Traité de l’hystérie, par M. le docteur BRIQUET.

Naguère encore, tout était chaos dans l’idée qu’on se formait de la magie. D’où venait cet art prétendu surnaturel ? en quoi consistait sa véritable essence ? comment s’était-il transmis de l’antiquité au moyen âge, et de celui-ci à la renaissance ? quels rapports avait-il avec les religions, les systèmes de philosophie, l’état des sciences, le génie des institutions politiques et sociales ? Sur tout cela on ne savait rien, ou du moins fort peu de chose, principalement chez nous, malgré les recherches de M. Garinet et celles de M. Eusèbe Salverte, dont l’érudition n’était pas, du reste, au niveau de la tâche qu’ils avaient entreprise. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui, grâce aux efforts de plusieurs savants français, à la tête desquels se place un [p. 527] membre de l’Institut, M. Alfred Maury, dont les solides et vastes connaissances en linguistique, en histoire, en géographie, en archéologie, en psychologie maladive, ont le rare avantage de se trouver alliées à toutes les qualités d’exposition que l’Allemagne nous envie.

Les anciens étaient peut-être aussi habiles que les modernes dans l’observation pure et simple des phénomènes de la nature, mais ils ignoraient l’art plus difficile de les interroger. Réduits à l’étude presque toute passive des objets qui composent les trois règnes, et à peu près complètement étrangers à l’emploi des méthodes expérimentales, ils ne savaient ni créer des circonstances capables de modifier les faits qu’ils avaient sous les yeux, ni inventer des instruments susceptibles d’en opérer la transformation. De là l’état d’infériorité de leurs sciences positives; car si, grâce aux célèbres collections de végétaux et d’animaux commencées à Alexandrie sous Ptolémée Soter, la botanique et la zoologie avaient rapidement progressé en Égypte, et si l’anatomie humaine, tout à fait inconnue avant Ptolémée Philadelphe et Ptolémée Evergète, y avait grandi plus promptement encore, le même élan ne s’était pas communiqué aux autres branches des sciences physiques et naturelles. La physique proprement dite n’y était presque pas sortie de la période d’enfance où elle se trouvait en Grèce; une grande obscurité régnait sur les faibles notions qu’on avait en chimie, cette science à laquelle les Alexandrins donnaient le nom d’art sacré , et des ténèbres plus profondes encore enveloppaient les linéaments de la physiologie pathologique, cet ordre spécial de connaissances qui formait la base de l’une des branches les plus importantes de l’art complexe appelé magie. Du reste, de même que l’art sacré, la magie était transmise oralement, sous le sceau du secret, et elle constituait une sorte de monopole entre les mains d’un petit nombre d’initiés, dont la plupart appartenaient à la classe sacerdotale.

Les magiciens se proposaient divers buts en se livrant aux opérations mystérieuses de leur art. Tantôt ils le pratiquaient en vue du bien, et tantôt, au contraire, ils s’en servaient au profit du mal. Quand, au lieu de se borner à en faire un support de la religion, un instrument de la politique ou un auxiliaire de la médecine, les initiés l’employaient pour accomplir un acte de convoitise ou pour donner satisfaction à un sentiment de vengeance, la magie prenait déjà les noms de fascination, de sorcellerie, de maléficie. Or, en passant du monde antique dans le monde chrétien, ses destinées changèrent. Étroitement mêlé aux origines du paganisme et exercé d’abord par les prêtres dans l’intérieur des temples, cet art occulte, un moment discrédité en Grèce et à Rome, s’était ranimé en Égypte , au souffle des doctrines religieuses de l’Orient, dont [p. 528] Alexandrie était en quelque sorte le lieu de rendez-vous et le foyer d’alliance. Il rentrait alors à Ilots pressés dans le sein de la mythologie. Son retour ardent vers la religion pouvait être considéré d’ailleurs comme une manœuvre politique. A la veille d’expirer, le paganisme tentait, à l’exemple des agonisants, un suprême effort pour se rattacher à l’existence. Voulant à toute force ranimer la foi des néophytes dans ses dogmes surannés, il invoquait comme dernière planche de salut l’art de frapper fortement l’esprit ou les sens, et cette tentative désespérée, œuvre des derniers représentants du néo-platonisme, parvint en effet à retarder un peu sa fin. Du mélange des pratiques mystérieuses de la magie avec les cérémonies officielles du polythéisme était née, dans la philosophie alexandrine, la classe particulière de prétendus phénomènes surnaturels qui passait pour donner à l’homme la puissance d’entrer en communication directe avec les dieux. Mais après la chute du paganisme, la distinction importante établie par les néo-platoniciens entre les merveilles de la théurgie et les prodiges de la magie infernale ou goëtie s’effaça peu à peu, et, à partir du moyen âge, le mot magie signifia exclusivement l’art de produire des effets extraordinaires par l’entremise d’un pacte conclu avec le diable. Cet art, qui avait contracté pendant tant de siècles une alliance si étroite avec les rites du vieux culte, ne pouvait guère ne pas en conserver des traces chez les modernes. Malgré la rigueur de ses lois contre la résistance des débris du polythéisme, l’Église ne parvint jamais à en triompher d’une manière complète. L’aruspicine et plusieurs autres rites païens s’accomplissaient encore longtemps après le renversement des idoles et la démolition des temples. Or, au moyen âge et à la renaissance, la magie donnait asile, selon M. Alfred Maury, à tous ces restes du culte antique ; elle renfermait, en les déguisant, une foule de coutumes impures ou de pratiques barbares, qu’on croyait définitivement abolies. Non-seulement elle servait de refuge aux immolations d’animaux, comme cela fut constaté dans le procès de la maréchale d’Ancre (1) ; mais elle perpétuait encore l’horrible tradition des sacrifices .humains,

Van der Maele.

Ce n’étaient donc pas exclusivement les vestiges du culte païen que le christianisme voulait atteindre en poursuivant la magie ; il avait encore d’autres motifs, des raisons plus graves pour la persécuter. Du reste, quoique toujours suspecte, en raison de son origine infernale, la magie n’était pas nécessairement et constamment incriminée par [p. 529] l’Église. Si les théologiens se montraient impitoyables envers celle qu’on employait dans un but anti-social, s’ils jugeaient dignes du supplice des flammes les hommes qui pratiquaient la sorcellerie ou la maléficie, ils toléraient parfois la magie dont les opérations n’avaient d’autre mobile que la simple curiosité ou d’autre intérêt que celui d’une vaine gloire. Quant à la possession démoniaque, où l’homme était censé non plus le complice empressé de Satan, mais son instrument involontaire ; non pas son esclave docile, mais sa victime indignée ; elle échappait par cela même à la poursuite des tribunaux ; et, au lieu de subir, comme les condamnés pour crime de sorcellerie le supplice du bûcher, les possédés étaient remis entre les mains d’une classe particulière d’ecclésiastiques qui cherchaient à expulser le malin esprit par des cérémonies religieuses, d’où le nom cl’ exorcistes sous lequel on désignait ces prêtres.

Les documents authentiques et complets publiés jusqu’à ce jour sur les procès de sorcellerie sont en assez petit nombre. Presque tous les matériaux concernant cette portion si curieuse de l’histoire de la justice criminelle se trouvent encore ensevelis dans la poussière des parchemins. Quelques tentatives d’exhumation en quelque sorte viennent cependant d’être faites. Un lettré de Valenciennes, M. Louise, a découvert en 1857, dans les registres criminels déposés aux archives de cette ville, les procès-verbaux de plusieurs jugements de ce genre dont le Hainaut fut le théâtre au XVI et au XVIIe siècles. Sauf deux pièces publiées textuellement et en entier, l’auteur n’a malheureusement donné que de simples extraits de ces procès-verbaux. Toutefois, il déploie beaucoup de sagacité dans l’interprétation des faits intéressants qu’il raconte ; et, malgré ses lacunes et ses imperfections au point de vue physiologique, le livre de M. Louise ne peut manquer d’être profitable aux futurs historiens de la sorcellerie.

Assurément, et c’est là peut-être l’excuse de l’atrocité des châtiments que les tribunaux infligeaient aux sorciers, les accusations de maléfices avaient parfois pour objet des crimes dont la réalité révoltait la conscience du peuple par la lâcheté des moyens, ou épouvantait son imagination par l’horreur des mobiles. L’art odieux des Circé et des Locuste se trouvait en effet au fond de plusieurs sortilèges, et les poisons usités dans ces sortes de maléfices étaient alors d’autant plus faciles à dérober aux investigations de la science, que celle-ci, encore au berceau, ne pouvait ni en saisir les traces, ni en découvrir le mode d’introduction. L’arsenic, le réalgar, l’orpiment devaient très vraisemblablement faire partie de ces poudres mystérieuses que de grands criminels répandaient parfois [p. 530] dans les draps du lit des personnes dont ils voulaient se défaire (2), car le célèbre édit de 1682, qui assimile certains maléfices à de véritables empoisonnements, rappelle les médecins, les apothicaires, les chirurgiens, les droguistes, les teinturiers, etc., à l’observation des règlements concernant la vente, l’usage et l’emploi de ces poisons minéraux. Les poudres magiques renfermaient parfois aussi des agents toxiques empruntés au règne végétal. Celle qu’une sorcière du pays de Luxembourg, Louise Maréchale, jugée à Valenciennes en 1607, répandit sur des pommes cuites mangées par Jean de Hennin, contenait le poison dont Santeuil fut victime, l’herbe qui devait changer bientôt les habitudes et les mœurs de la vieille Europe, la plante que Jean Nicot présenta à Catherine de Médicis, le tabac, en un mot, encore très peu connu, et qu’on nommait alors nicotiane ou herbe de la reine. Outre les sorciers empoisonneurs, et indépendamment de ceux qui vendaient des breuvages pour provoquer l’avortement, il y avait aussi des sorciers assassins, soit que ceux-ci cherchassent une horrible volupté dans l’agonie de leurs victimes, comme le maréchal Gilles de Retz, brûlé à Nantes en 1440, soit qu’ils fissent couler le sang humain dans un simple but de sécurité superstitieuse, comme ceux qui égorgèrent l’enfant dont Catherine de Médicis portait, dit-on, la peau sur son estomac pour conjurer les complots tramés coutre sa personne, soit enfin qu’ils se livrassent au meurtre par amour des repas de chair humaine, comme Gilles Garnier et Jacques Rollet, brûlés vifs, en qualité de loups-garous, l’un à Dôle en 1573, et l’autre à Paris en 1578. Mais pour un sorcier contre lequel les charges étaient sérieuses et les preuves suffisantes, combien de malheureux arrêtés et punis au sujet de crimes entièrement chimériques (3) ! L’on frémit à la seule pensée qu’en France, au commencement du siècle dernier ; des magistrats pouvaient encore condamner à mort un homme accusé d’avoir nui aux récoltes en produisant des orages; prévenu d’avoir frappé de paralysie un ennemi en souillant sur ses membres ; soupçonné d’avoir rendu un jeune époux impuissant au moyen d’une parole ou à l’aide d’un regard; inculpé d’avoir attenté aux jours d’une personne absente en plongeant un poignard dans son effigie en cire ou en piquant cette effigie avec des aiguilles.

Malgré r abrogation de la loi odieuse en vertu de laquelle, dans certains pays, à Venise par exemple, on confisquait les biens des sorciers au profit des inquisiteurs et des juges, les peines infligées aux noueurs d’aiguillettes, aux envoûteurs, aux loups-garous, etc., avaient le sort de toutes les persécutions. Dispersées aux vents, les cendres de ces victimes de l’ignorance et de la superstition devenaient, comme autrefois le sang des martyrs, une source intarissable de plus nombreux prosélytes. Les tribunaux hésitaient d’ailleurs d’autant moins à reconnaître la culpabilité des personnes accusées de sortilèges que celles-ci en faisaient souvent l’aveu sans y être forcées par les douleurs de la torture.

Jusqu’au commencement du XVIe siècle, personne n’osa combattre ouvertement les terribles préjugés de la maléficie, ce prétendu crime de lèse-divinité dont la simple présomption suffisait pour faire arrêter un homme, et contre lequel tout recours à la clé)mence des princes se trouvait formellement interdit. Les premiers savants qui eurent le courage de se constituer les défenseurs des sorciers en cherchant à faire comprendre que le culte du démon était presque toujours le symptôme d’une maladie mentale et que la société se montrait barbare en décrétant le su pp lice d’une infinité de visionnaires ; ces premiers savants furent des médecins, Ponzinibius, Lemnius Levinius, surtout un médecin du duc de Clèves, qui dédia son ouvrage à l’empereur Maximilien , Jean Wier, disciple de Corneille Agrippa. Mais toute la science de ces hommes de progrès devait alors venir échouer contre la vieille doctrine de l’Intervention des mauvais esprits dans la production des phénomènes de la nature. Cette doctrine était encore trop prépondérante pour que les assertions des auteurs dont je viens de parler dussent échapper au sort de presque toutes les idées nouvelles. La démonologie, qui comptait au nombre de ses personnifications les plus célèbres Jean Bodin, Nicolas Remy, Henri Boguet parmi les légistes ou les magistrats; Fernel et Ambroise Paré parmi les hommes voués à l’art de guérir ; la démonologie ne pouvait guère rester muette devant les hardiesses du livre de Jean Wier. Aussi déchaîna-t-elle sur-le-champ contre lui ses plus fougueux partisans. Le protestantisme, novateur sur tant de points, se montrait ‘d’ailleurs plus qu’indiffèrent au succès de la cause soutenue par le médecin du duc de Clèves. Luther ne dissimulait pas ses sentiments d’horreur à r égard des sorciers, dont lui aussi il réclamait la mort dans le triple intérêt de la religion, de la morale et de la sécurité publique. Nul théologien ne se montra même plus violent contre la doctrine du naturalisme en médecine, car un jour, à Dessau, il conseilla, dit-on, d’étouffer comme possédé du diable un enfant atteint d’une simple [p. 532] maladie nerveuse de l’estomac. Au surplus, en supprimant le culte des saints, la Réf orme avait singulièrement augmenté le nombre des prétendus démoniaques, qui, parmi les nations restées fidèles au catholicisme, trouvaient au moins parfois leur guérison dans le traitement par les pèlerinages. Mais le XVIIe siècle approchait, et, en créant la saine philosophie, en séparant surtout celle-ci du domaine de la théologie, François Bacon allait porter le dernier coup aux superstitions dont le règne avait été si funeste.

L’immortel décret rendu par Louis XIV en 1682 fut une conséquence de ce mouvement philosophique. S’il ne fermait pas sur-le-champ dans toute la France l’ère des assassinats juridiques, dont la maréchale d’Ancre et Urbain Grandier avaient été les plus célèbres victimes au commencement du XVIIe siècle ; s’il ne put même pas, dans la première moitié du siècle suivant, modérer les rigueurs du parlement de Bordeaux (4) et celles du parlement d’Aix (5), il adoucissait du moins beaucoup, au nord de notre pays, la barbarie de la législation concernant les sortilèges, en attendant que les derniers vestiges vinssent eux-mêmes à disparaître définitivement avec la torture, abolie sous Louis XVI.

Malgré l’état d’indépendance où elle se trouvait vis-à-vis de l’Église, dont elle avait commencé à secouer le joug en France dès le XIIe siècle, la pathologie mit toutefois beaucoup plus de temps que le droit criminel à se dégager entièrement des chaînes de la démonologie. Vivement attaqué à Paris, vers le milieu du siècle dernier, par Philippe Becquet, à l’occasion des prétendus miracles opérés au cimetière de l’église de Saint-Médard, le surnaturalisme en médecine était défendu avec non moins d’ardeur à cette époque, dans la même ville, par deux médecins également célèbres, Jacques-Bénigne Winslow et Nicolas Andry. En Allemagne, du reste, la pathologie démoniaque régna plus longtemps encore, puisque son dernier partisan fut Heinroth, qui vivait au commencement de ce siècle. Mais une fois la doctrine de l’intervention du diable définitivement expulsée du droit criminel et de la pathologie, il devait arriver pour les phénomènes servant à caractériser la sorcellerie et la possession, ce qui arrive en beaucoup d’autres choses : après avoir été trop crédule, on devint trop sceptique. Or, comme l’état dans lequel se trouvait alors la physiologie ne permettait pas d’expliquer naturellement tous ces phénomènes, on se tira d’embarras d’une manière assez expéditive : on invoqua l’hypothèse de la simulation. [p. 533]

Dépassant de beaucoup dans cette réaction les idées de Philippe Becquet qui, lui du moins, ne mettait pas en doute la réalité de l’hystérie chez les fanatiques du cimetière de Saint-Médard, plusieurs médecins, et notamment un illustre professeur de l’école de Montpellier, Boissier de Sauvages, affirmèrent que tout était feinte dans les convulsions des partisans du diacre Pâris, comme tout avait été supercherie dans les attaques nerveuses des ursulines de Loudun et des protestants des Cévennes. C’est contre la prédominance de ce scepticisme trop absolu que, il y a quinze ans, quelques médecins essayèrent de réagir; mais à cette époque, l’étude des maladies du système nerveux n’avait pas à sa disposition toutes les ressources qu’elle possède aujourd’hui : on négligeait bien des faits remis depuis peu en lumière, et on en ignorait d’autres aujourd’hui très précieux au point de vue des inductions qu’on en peut tirer dans l’intérêt de l’ histoire de la démonologie.

I

La réalisation successive de l’ entreprise commencée à travers tant de périls au XVIe siècle par Ponzinibius et par Jean Wier pouvait se poursuivre au XlXe avec toute l’indépendance d’esprit qui préside aux travaux de la science à notre époque. Le progrès de la pathologie nerveuse, invoqué d’abord par M. Lélut comme un moyen de déchiffrer l’énigme du Démon de Socrate et d’éclaircir le mystère de l’Amulette de Pascal, servit ensuite de flambeau à M. Calmeil pour dissiper les ténèbres répandues sur l’histoire de la sorcellerie et de la possession démoniaque durant les trois derniers siècles. Les annales de la démonologie ne peuvent plus être en effet séparées aujourd’hui du domaine de la médecine mentale, tant les analogies qui existent entre ces deux ordres de connaissances sont nombreuses et tant elles se multiplient chaque jour davantage, grâce aux progrès accomplis depuis quelques années dans cette dernière branche de la pathologie. Une grande partie de l’art magique, sa portion la plus délicate et la plus difficile à comprendre reposait sur des éléments à peu près identiques à ceux qui constituent aujourd’hui l’essence du magnétisme animal : elle avait la psychologie pour base, elle était, comme disait François Bacon, un appendice de celle-ci, une sorte de métaphysique empirique. Car, s’il faut en croire Paracelse, l’imagination, l’envie, la haine, la vengeance, étaient les principes de la maléficie, et, dans le sortilège de l’envoûtement, ces facultés de l’âme, fortement fixées par le pouvoir de la volonté sur [p. 534] l’image en cire de la personne à laquelle on désirait du mal, suffisaient seules, soit à tuer cette personne, soit à provoquer chez elle diverses maladies. Qu’y avait-il de vrai au fond de la doctrine superstitieuse des sortilèges transmis par des moyens tout métaphysiques ? ou plutôt quelle était la valeur de ces moyens dans le domaine de la magie ? jusqu’à quel point un homme pouvait-il agir sur le corps ou sur l’esprit d’un autre homme par la seule force de son imagination, quand celle-ci possédait une fixité ou revêtait une ardeur semblables à l’ardeur ou à la fixité dont l’ âme jouit dans l’essor de la foi ? Telle était la question soulevée par l’auteur du Novum organum, au milieu de son livre du De augmentis scientiarum, à propos de l’alliance du physique et du moral, question à laquelle nous allons essayer de répondre.

Le tissu nerveux sert, pour ainsi dire, de trait d’union entre les deux substances dont notre espèce se compose. C’est par l’entremise de ce puissant système anatomique que la psychologie donne en quelque sorte la main à la physiologie pour constituer la science de l’homme. En fournissant le premier une démonstration péremptoire à la doctrine déjà soutenue par Pythagore, Hippocrate et Platon, que le cerveau, et non pas le système nerveux tout entier, était le siège de l’âme raisonnable, Galien, dans l’antiquité, faisait faire un pas immense à la physiologie de la pensée, pour parler comme M. Lélut. Chez les modernes, cette science en faisait un autre non moins considérable lorsque, en dépit du vain échafaudage de ses localisations particulières, Gall rattachait également au cerveau les conditions matérielles des facultés affectives, que Cabanis et Bichat reléguaient encore dans le domaine du système nerveux ganglionnaire. Mais la certitude acquise aujourd’hui que l’encéphale, considéré en masse, renferme les instruments immédiats de tout phénomène sensitif, affectif ou intellectuel, doit-elle suffire à l’ambition de la science, ou bien, plus confiante dans ses destinées et portant plus haut son idéal, la physiologie psychologique peut-elle espérer découvrir un jour la fonction spéciale dévolue à chacune des pièces de l’admirable machine vivante qu’on appelle le cerveau ? M. Lélut n’hésite pas à se prononcer formellement sur ce point, et il professe encore à cet égard la même, doctrine qu’il soutenait déjà il y a vingt-cinq ans. Dans la moins ténébreuse des branches de la physiologie psychologique, dans la physiologie des sensations externes, la destruction complète de la partie du cerveau qui reçoit les nerfs de la sensibilité spéciale nous révèle sans doute le siège immédiat de celle-ci par le fait même de son abolition ; mais cette connaissance est purement empirique, car il n’existe aucune corrélation directe et nécessaire entre la forme, la texture intime, la composition [p. 535] chimique des points du cerveau d’où naissent les nerfs optique, acoustique, olfactif, par exemple, et l’acte psychique en vertu duquel la lumière, les sons, les odeurs deviennent perceptibles. Or, si ni la physique ni la chimie n’ont encore pu soulever aucun coin du voile qui nous dérobe le mécanisme cérébral d’une sensation, combien, à plus forte raison, doit nous paraître impénétrable celui qui préside à la formation d’un instinct, à la production d’un sentiment, à la genèse d’une idée pure ? Aussi, non-seulement M. Lélut confesse avec tous les savants de notre époque que la physiologie ignore complétement la mécanique des actes de la pensée ; mais, au risque de déplaire aux partisans de la doctrine du progrès indéfini, il proclame encore qu’elle l’ignorera toujours. Quel que soit le sort réservé à l’étude de ces hautes et difficiles questions, qu’il faille douter de l’avenir de la physiologie psychologique, comme le fait. M. Lélut, ou espérer pour elle de plus brillantes destinées, il est certain que, en anthropologie, il existe entre l’ âme et le corps une relation étroite, une alliance primordiale, dont la. mort seule peut amener la dissolution. Qu’une partie du moral dépende immédiatement de l’organisation, qu’elle soit le physique retourné, sa doublure, pour ainsi dire, comme le croient beaucoup de physiologistes, ou que, suivant l’ opinion de Stahl, la totalité de ce même moral appartienne au domaine un et indivisible de l’âme pensante, il n’en est pas moins positif que l’esprit et la matière s’influencent réciproquement, que l’organisation agit sans cesse sur les facultés intellectuelles et affectives, comme celles-ci exercent à leur tour un empire continuel sur tous les organes et sur toutes les fonctions de l’économie vivante. Cabanis, qui a si bien étudié l’action du physique sur le moral, qui a poursuivi clans ses origines les plus obscures, décrit dans ses modes les plus variés, fixé dans ses nuances les plus fugitives l’influence des tempéraments, des âges, des sexes, du climat, du régime, des maladies sur la formation des idées et le caractère des sentiments, Cabanis n’a pas démontré d’une façon assez péremptoire l’influence contraire, r empire tout aussi réel que le moral exerce sur le physique. Or, deux éléments concourent à former le moral de l’homme, l’élément affectif et l’élément intellectuel, le sentiment et l’idée, l’émotion et la connaissance, principes tellement distincts, malgré 1eur étroite association, qu’ils peuvent parfois s’isoler complètement l’un de l’autre. Que les facultés affectives aient un siège identique à celui des facultés intellectuelles, comme on l’admet généralement depuis Gall, ou qu’elles résident dans des organes différents ; qu’elles émanent des hémisphères cérébraux ou qu’elles surgissent des profondeurs du système nerveux ganglionnaire, comme le croyaient Cabanis et Bichat, ces facultés passives n’en exercent pas moins un [p. 536] empire considérable non-seulement sur le domaine de l’intelligence, mais encore sur tous les organes et sur toutes les fonctions de l’économie. Des diverses passions du cœur humain, la peur est sans contredit la plus propre à troubler les fonctions de l’organisme. Elle est une des causes déterminantes les mieux démontrées de l’épilepsie, dans le chiffre desquelles elle entre pour plus d’un quart, suivant Leuret : pour un peu moins d’un tiers, selon MM. Bouchet et Cazauvielh; pour environ moitié, d’après Maisonneuve, M. Beau et M. Delasiauve : pour les deux tiers, s’il faut en croire Georget et Joseph Frank.

La peur qui a les maladies ou la mort pour objet contribue surtout à modifier le physique. Les épidémies, la peste (6), le choléra (7), par exemple, sévissent principalement sur les gens qui les redoutent outre mesure ; et les personnes trop préoccupées du soin de leur santé ou qui tiennent trop à leur existence, les gens qu’on appelle vulgairement hypocondriaques ou malades imaginaires ne tardent pas à éprouver réellement la plupart des maladies dont ils se croient faussement atteints (8). De plus, dans le somnambulisme artificiel, il suffit parfois que le magnétiseur suggère au patient l’idée d’un mal quelconque, la crainte d’une paralysie par exemple pour que cette affection se produise réellement. Dans des expériences de ce genre, [p. 537] auxquelles assista M. Alfred Maury, un sujet devint inapte à lever les bras, uniquement parce que le magnétiseur lui avait affirmé que ces membres n’étaient plus susceptibles de se mouvoir. Selon le témoignage du même érudit, un autre sujet auquel un autre magnétiseur avait inspiré la pensée qu’il ne pourrait franchir une ligne tracée à la craie sur un plancher, essaya vainement de dépasser cette limite, absolument comme s’il se fût agi de triompher d’un obstacle insurmontable. Il paraîtrait aussi qu’une sorte de mutisme se produirait parfois chez les hypnotisés auxquels on assure qu’ils ne peuvent plus parler. Enfin, dans certains cas d’hypochondrie, on voit réellement s’accomplir la prédiction des personnes qui, sous l’influence d’une crainte toute chimérique, s’imaginent qu’elles doivent mourir à une époque déterminée (9). [p. 538]

Parvenue à l’âge d’expérience, toute personne née sensible s’afflige du spectacle des embûches et des injustices de ce monde, et si rien ne vient contrebalancer chez elle la douleur que lui inspire ce triste tableau, si l’esprit s’arrête trop longtemps à la pensée du mal qui se fait ici-bas, si l’âme n’est pas assez fortement trempée pour dédaigner les traits que lance la haine ou pour demeurer indifférente au fiel distillé par l’envie, la prudence se développe outre mesure, la réserve dégénère en soupçons, la peur d’ ennemis imaginaires se substitue graduellement à la crainte d’ ennemis réels. L’homme se trouve alors dominé par le genre d’aberration dont le Tasse et Jean-Jacques Rousseau sont les personnifications les plus célèbres : il devient la proie de l’espèce particulière de folie mélancolique qu’un professeur agrégé de la faculté de médecine de Paris, M. le docteur Lasègue, a désignée sous l’expression très juste de délire de persécution. Or, ce dernier genre d’aliénation mentale peut coïncider avec celui qui a pour caractère la crainte chimérique des maladies. Certains hypocondriaques considèrent en effet leurs souffrances imaginaires comme un produit de la volonté des hommes, comme un fruit de leur haine, comme un résultat de leur vengeance. De là les plaintes injustes que portent sans cesse ces malades et souvent les calomnies odieuses qu’ils inventent contre des étrangers, contre leurs médecins, contre leurs amis, contre les membres les plus proches ou les plus chers de leur famille,

Ce qu’on observe aujourd’hui chez les hypocondriaques, chez les somnambules magnétiques et chez les hypnotisés avait lieu très vraisemblablement jadis chez les personnes qui passaient pour être devenues paralytiques, muettes, bègues, boiteuses, impuissantes, folles, etc., sous l’influence d’un sortilège. Un organe troublé dans son exercice par un degré extrême d’attention appelée sans cesse sur lui, une maladie d’abord toute chimérique, mais réalisée ensuite par l’idée fixe d’en être atteint, voilà quel était en définitive le secret d’une foule de prétendus maléfices. Chez les maléficiés, la peur et l’imagination faisaient alors toute la force des auteurs de sortilèges, comme ces deux f acuités de r âme constituent aujourd’hui, chez les somnambules magnétiques, toute la puissance des magnétiseurs. En supprimant les vieilles entités démonologiques au profit du domaine de la psychologie, en considérant la magie comme une dépendance de l’étude des facultés de l’âme, en croyant que les paroles mystérieuses, les gesticulations bizarres, les figures cabalistiques devaient toute leur efficacité à l’imagination du patient, [p. 539] activée par ces pratiques superstitieuses, François Bacon avait donc admirablement pressenti le secret de la maléficie. La doctrine en vertu de laquelle on admettait que les magiciens pouvaient nuire à autrui par des opérations toutes mentales était une déduction fausse du principe vrai de l’influence du moral de l’homme sur son propre physique, comme en alchimie la croyance à la possibilité de faire de l’or était une conséquence forcée du principe de la transformation apparente des métaux. Dans les plaintes des maléficiés, on surprenait du reste et l’accent de conviction profonde et l’esprit de fermeté inébranlable que les médecins observent tous les jours au milieu des accusations portées par certains aliénés mélancoliques. La nature des prétendus moyens employés pour compromettre la santé ou pour attenter à la vie constitue toute la différence qui existe entre les maléficiés d’autrefois et certains fous d’aujourd’hui. Si les maléficiés redoutaient jadis la magie comme instrument de la méchanceté humaine, les malades en proie au délire de persécution craignent maintenant le pouvoir de la science : ces derniers attribuent à la physique, à la chimie, au magnétisme animal toutes les actions que les premiers rapportaient à l’influence des sortilèges. Comme aujourd’hui les aliénés en butte au délire de persécution, les maléficiés accusaient surtout les personnes qui avaient joui du plus haut degré de leur confiance ou celles qui leur étaient unies par les liens les plus étroits du sang. Louis Gaufridi et Urbain Grandier furent dénoncés par des possédées qui avaient été leurs pénitentes ; et l’ ouvrage de Nicolas Remy, comme les procès-verbaux des jugements dont on doit la publication à M. Louise, prouvent qu’il était fort commun de voir des pères ou des mères accusés par leurs propres enfants. Suivant ce dernier auteur, en t662, un habitant de Valenciennes, nommé Philippe Polus, banni à perpétuité de cette ville et de ses environs, avait eu la douleur de s’entendre condamner sur la déposition de sa propre fille.

Si l’intention de faire le mal n’était que trop certaine chez beaucoup de magiciens, et si les tribunaux usaient d’un droit incontestable en punissant les hommes qui abusaient du pouvoir de leur science sur l’esprit des personnes ignorantes et craintives, l’évidence des preuves était la grande difficulté de la recherche des crimes de sorcellerie. Dans certains maléfices, dans celui de l’envoûtement, par exemple, les figures de cire transpercées d’un poignard ou piquées avec des aiguilles pouvaient à la rigueur servir de pièces de conviction, mais- celles-ci manquaient dans tous les autres genres de sortilèges. Comment, par exemple, pouvait-on établir la culpabilité d’un magicien prévenu d’avoir noué l’aiguillette sous l’influence d’un regard ou accusé d’avoir frappé quelqu’un de paralysie au moyen [p. 540] d’une parole ? Aussi, en ne protégeant pas assez l’innocence contre la perversité, en accordant trop de facilité à la haine pour perdre un ennemi ou trop de latitude à l’envie pour se débarrasser d’un rival, la loi qui incriminait les sorciers était un remède social pire que la sorcellerie elle-même. En établissant de la confusion entre des délits réels et des faits chimériques imaginés de bonne foi par des esprits malades, cette loi était aussi un mal plus grand peut-être que celui qu’elle cherchait à détruire. Or, si l’étude des maladies mentales établit d’une manière irréfragable la triste vérité que jadis certains aliénés faisaient souvent emprisonner des innocents sous l’inculpation du crime de sortilèges, cette même étude nous révèle d’une façon non moins indubitable une autre vérité plus triste encore, celle que les condamnés en matière de maléfices étaient, dans un grand nombre de cas, des malades et non des criminels. Leur prétendue culpabilité se reconnaissait en effet au moyen de la plupart des phénomènes qui passent aujourd’hui pour les caractères de la folie considérée en général et plus particulièrement pour ceux de la folie mélancolique.

II

En pathologie humaine, la grande loi de transmission héréditaire concerne tout aussi bien et embrasse encore mieux peut-être les dérangements de l’esprit que les altérations des organes. On peut devenir fou uniquement pour avoir eu un père, une mère, un frère, une sœur, un oncle, une tante frappés d’aliénation mentale. Tantôt la transmission de la folie est peu accusée chez les descendants, incomplète, constituée par de simples excentricités d’action ou de pures bizarreries de caractère; tantôt, au contraire, le délire passe des parents à leur progéniture en revêtant la même forme, en suivant la même marche, en succédant aux mêmes causes, en se manifestant aux mêmes époques de la vie. La folie se communiquerait par voie d’hérédité dans le cinquième des cas, d’après M. Morel ; dans le quart, selon M. Guislain ; dans un peu plus de la moitié, suivant Esquirol ; dans les neuf dixièmes, s’il faut en croire M. Burrows. De plus, les deux sexes ne transmettent pas d’une façon égale le déplorable héritage des dérangements de l’esprit. L’influence de la mère l’emporterait sur celle du père, suivant le témoignage de M. Baillarger, dont l’opinion, basée sur le dépouillement d’un nombre considérable de faits, se trouve d’accord à cet égard avec celle que professe M. John Webster chez nos voisins. Enfin, au rapport d’un [p. 541] autre aliéniste fort distingué, M. le docteur Renaudin, la folie mélancolique serait plus souvent héréditaire que toutes les autres formes du délire.

Or, en matière de sorcellerie, la parenté directe on collatérale jouait un grand rôle. Elle passait aux yeux de magistrats pour une preuve fort grave de la réalité du crime de maléfices, et cette circonstance devenait un signe décisif quand, parmi les ascendants du prévenu, c’était la mère qu’on avait condamnée comme sorcière. Trois démonolâtres qui, en Franche-Comté, à la fin du XVIe siècle, succombèrent au milieu des flammes, étaient, suivant Henri Boguet, de la même famille et portaient le même nom. Dans le Hainaut, en 1672, une sorcière, appelée Antoinette Millecamp, fut condamnée à la peine du bannissement perpétuel bien qu’on n’eût pu produire contre cette femme aucune charge, excepté celle d’avoir eu deux sœurs brûlées pour crime de maléfices, l’une à Avesnes et l’autre à Valenciennes. Enfin, deux autres femmes brûlées dans la seconde moitié du XVIe siècle, Marguerite Couvain, en !573, dans le Hainaut, et Jeanne Harvilliers, en 1578, dans le Soissonnais, étaient filles de mères ayant péri au milieu des flammes, en qualité de sorcières. Afin d’empêcher la sorcellerie de se transmettre des parents à la progéniture, plusieurs magistrats avaient beau faire fouetter par le bourreau les jeunes enfants en présence du bûcher qui consumait le corps de leur mère ou celui de leur père, cet horrible procédé n’avait alors pas plus de succès que n’en ont aujourd’hui les systèmes d’éducation tendant à soustraire certains enfants d’aliénés au funeste héritage de la folie.

Les diverses expressions de la physionomie humaine traduisent mieux les passions à l’état de folie qu’elles ne les révèlent à l’état de raison. L’aliéné sait peu dissimuler les émotions qui agitent son âme, et les maladies de l’esprit exagèrent souvent les objets du monde moral, comme le télescope et le microscope grossissent les objets du monde physique. Presque tous les genres de folie se reflètent avec plus ou moins d’exactitude dans les mouvements du visage ; l’œil en est surtout le miroir le plus fidèle. Chez les aliénés qui sont en proie à un délire turbulent et général, cet organe est vif, étincelant, mobile à l’extrême ; il roule dans l’orbite avec une rapidité qui égale souvent celle avec laquelle s’opère l’association des idées chez ces malades, Dans le délire des théomanes, l’œil est ouvert, saillant, sans cesse dirigé en haut, comme s’il voulait s’élever vers le ciel. Enfin, chez les fous que la tristesse et la terreur dominent, les yeux semblent, au contraire, comme abandonnés aux lois de la gravitation, ils se portent languissamment vers le sol, et par leur constante [p. 542] immobilité dans cette direction, ils expriment la trop grande fixité des sentiments dont l’âme de ces malheureux est oppressée.

Or, l’abaissement du regard passait pour une preuve du crime de sortilège. En Franche-Comté, l’an 1598, dans le procès de Françoise Secrétain, accusée d’avoir paralysé les membres d’une jeune fille en lui faisant avaler cinq démons au moyen d’une croûte de pain, Henri Boguet condamnait la prévenue au supplice du feu, en invoquant surtout contre elle sa persistance à ne pas vouloir regarder ses juges en face et son obstination à fixer ses yeux vers le sol.

En dépit de l’intensité des souffrances morales qu’ils endurent, la plupart des aliénés mélancoliques ont l’ œil entièrement sec, et chez ceux qui s’accusent de crimes imaginaires, la conscience de leur impuissance à pleurer contribue beaucoup à fortifier leur doute dans la miséricorde de Dieu ou la clémence des hommes. Le tarissement des larmes, ce caractère extérieur si tranché de la douleur profondément sentie, jouait aussi un rôle en démonologie. Selon Bodin, les inquisiteurs le regardaient comme un fait très grave à la charge des sorciers. Chez Françoise Secrétain, l’impuissance à répandre des larmes fut un des signes qui décidèrent Henri Boguet à condamner cette femme au supplice des flammes. Dans le Hainaut, ce même phénomène conduisit également au bûcher une malheureuse dont M. Louise a publié le procès en entier, Arnoulette Defrasnes, surnommée la reine des sorcières, accusée, entre autres maléfices, d’avoir détruit des récoltes en produisant de la grêle.

Les tentatives de suicide sont un symptôme majeur et très fréquent des maladies mentales, La mort volontaire a lieu surtout dans les espèces de folie dont la tension permanente des muscles du visage, la lenteur des mouvements, le refus de parler, la sécheresse et la couleur particulière et comme plombée de la peau, composent les principaux caractères extérieurs. Beaucoup d’aliénés mélancoliques, principalement ceux qui se croient abandonnés de Dieu et condamnés aux supplices de l’ enter, essayent d’en finir avec l’existence pour échapper aux angoisses dont leur âme est torturée. Le suicide était encore fort commun chez les accusés du crime de sortilèges. Au rapport de l’inquisiteur Spranger, les démonolâtres de la haute Allemagne cherchaient souvent dans la mort un remède à leurs tourments, et il était très ordinaire de les voir arriver aux audiences le visage et le corps tout couverts des blessures qu’ils s’étaient faites dans cette intention. D’après le témoignage de Nicolas Remy, qui, en sa qualité de procureur criminel aux États de Lorraine, avait eu occasion de juger près de neuf cents sorciers dans l’intervalle de [p. 543] quinze années, les tentatives de suicide étaient très fréquentes chez ces malheureux, qui essayaient à tout-moment de se pendre, de se percer avec des instruments tranchants, de se précipiter au fond des puits, de se jeter dans des rivières, sans parler de ceux qui, n’ayant pas le courage d’attenter eux-mêmes à leurs jours, suppliaient les juges d’accélérer le moment du supplice. Le suicide était un acte si commun chez les condamnés pour cause de sorcellerie, que le magistrat dont il s’agit en avait constaté lui-même quinze cas dans le cours d’une seule année (10). Il en était à peu près de même chez les possédés du démon, A Loudun, la supérieure des Ursulines, Mme de Belsiel, allait s’étrangler volontairement en présence de Laubardemont, au moyen d’une corde attachée à un arbre, sans l’intervention des autres religieuses ; et, dans la possession des filles du monastère de Sainte-Elisabeth, à Louviers, la sœur du Saint-Sacrement s’échappa des mains de ses gardiennes pour courir se précipiter dans un puits .

Le lendemain de leur séquestration dans un établissement consacré au traitement de la folie, beaucoup d’aliénés semblent revenir tout à coup à la raison, tant est profonde la douleur qu’ils éprouvent de se voir privés de leur liberté, tant est cuisant le chagrin qu’ils ressentent de se trouver isolés de leurs parents et de leurs amis ; mais les jours suivants, quand le premier effet de cette forte commotion morale s’est évanoui, le délire ne tarde pas à reparaître. Entre cette guérison momentanée de la folie dans ces circonstances, et ce qu’on observait chez les sorciers à l’instant de leur arrestation, l’analogie est frappante, car, suivant Bodin, ces prévenus rétractaient ordinairement les réponses qu’ils avaient faites dans leurs premiers interrogatoires. Aussi ce démonologue regardait-il la confession immédiate de l’accusé comme une autre preuve de la réalité du crime de maléfices.

Mais tous ces signes, auxquels j’aurais pu ajouter le blasphème et le marmottement dont parle surtout Henri Boguet, et qui sont aussi des phénomènes que la médecine mentale a depuis longtemps convertis en symptômes de la mélancolie religieuse, tous ces signes, dis-je, n’étaient pas les seuls dont l’existence servait à justifier la condamnation des sorciers. Il y en avait encore d’autres, non moins décisifs, que naguère même la science ne savait comment interpréter. De ce nombre était la prétendue marque imprimée par Satan sur le corps de tous ses adorateurs. Cette marque, dont la forme avait, suivant certains démonologues, de l’analogie [p. 544] avec la figure d’un hibou, celle d’un lièvre ou d’un crapaud, était cherchée soigneusement à l’ œil nu ou à la loupe sur toutes les parties du corps, mais plus particulièrement à la tête, au visage, à la racine des ongles et aux parties sexuelles. D’après les documents publiés par M. Louise, elle existait au front, entre les deux yeux, chez Marie Desvignes, jugée à Valenciennes en 1590. Elle se trouvait à la jambe droite sur Charles Hiolle, d’Onnaing, brûlé en 1609. On la rencontra au bras droit sur Thonette Zégren, brûlée en 1611. On la découvrit sous l’oreille gauche chez Collette Hault-cœur, brûlée en 161 5. Enfin, elle siégeait à la main droite chez Marie Carlier, de Préseau, exécutée secrètement en 1643.

Une verrue, une ancienne cicatrice, un tache quelconque à la peau, voilà, aux yeux de M. Calmeil, ce que les inquisiteurs et les magistrats prenaient pour la marque du diable. Si l’on en juge par les morsures, les égratignures et les écorchures que se font journellement, dans les asiles d’aliénés, les malades en proie à la mélancolie, cette hypothèse aurait beaucoup de vraisemblance. Toutefois, elle n’explique pas la totalité du phénomène; elle ne donne pas la raison de son élément le plus essentiel, l’insensibilité de la peau et des chairs à la douleur, ce phénomène singulier qui, dans la magie antique, constituait un des principaux caractères de l’extase alexandrine (11).

Selon beaucoup de démonologues, et pour Jean Bodin en particulier, la marque du diable n’avait presque aucune signification sans l’existence de l’insensibilité à la douleur, ou plutôt elle se réduisait à ce dernier signe, qu’on se bornait le plus ordinairement à constater au moyen de l’épreuve de la piqûre. Dans ce but, en présence du magistrat chargé de l’instruction, un chirurgien enfonçait des aiguilles longues et très fines sur toutes les parties du corps du prévenu, dépouillé de ses vêtements, et les yeux préalablement bandés. D’habitude, la piqûre était très-profonde : les aiguilles pénétraient souvent jusqu’aux os, et quelquefois on y adjoignait l’épreuve du poinçon ardent. Dans certains pays, dans le Hainaut, par exemple, ce n’était pas un chirurgien qui soumettait l’accusé à l’épreuve de la piqûre, comme Manouri l‘avait pratiquée à Loudun sur Urbain Grandier, c’était le bourreau lui-même. Constatée de la sorte, l’insensibilité à la douleur était presque constante chez [p. 545] les prévenus du crime de maléfices. On la trouva, s’il faut en croire le père Michaëlis, chez Louis Gaufridi, soumis à r épreuve de l’aiguille, en présence de deux juges nommés par le parlement d’Aix, Thoron et Garandier. D’après Je témoignage de Chenu, bailli d’un village du Berry, sur quinze accusés elle existait chez onze, et, de son côté, Nicolas Rémy l’avait rencontrée chez douze sorcières. Enfin, Pierre Delancre et le président d’Espagnet la découvrirent sur le corps de la plus grande partie des sorciers, au nombre d’environ cinq cents, dont ils instruisirent le procès devant le parlement de Bordeaux, en 1609.

L’insensibilité de la peau et des chairs à la douleur intervenait aussi parmi les signes de la possession démoniaque. Il en fut beaucoup question en France dans les deux derniers siècles. L’accusatrice de Louis Gaufridi, Madeleine de la Palud, qui prétendait avoir été ensorcelée par ce malheureux ecclésiastique, affirmait n’éprouver aucune souffrance quand on piquait divers points de son corps avec des aiguilles. A Loudun, au couvent des Ursulines, l’un des exorcistes, le père Élysée, soulevait la peau du bras de la sœur Claire de Sazilly, parente du cardinal de Richelieu, et il la transperçait avec une épingle sans que la possédée parût sentir la plus légère douleur. En 1661, chez les religieuses d’un couvent d’ Auxonne, la sœur Lazare d’Auvay, dite de la Résurrection, qui affirmait également n’éprouver aucune souffrance quand on lui enfonçait des épingles au bout des doigts, prenait avec ceux-ci des charbons enflammés qu’elle gardait fort longtemps entre ses mains, comme s’il se fût agi de corps tout à fait inoffensifs. Une autre de ces religieuses, la sœur de la Purification, qui engageait les assistants à employer contre elle le fer et le feu dont elle se disait à l’abri, se laissait aussi implanter des aiguilles dans la peau des bras, sans manifester aucun signe de souffrance (12).

L’insensibilité à la douleur était parfois si grande chez les prévenus du crime de sorcellerie, que toutes les horreurs de la torture ne pouvaient parvenir à leur arracher aucun aveu, circonstance qui embarrassait beaucoup les juges, car le patient, qui persistait dans ses dénégations, était d’habitude proclamé innocent, et par conséquent rendu à la liberté, sauf à rester estropié toute sa vie quand il ne finissait pas par succomber à la dislocation de ses membres. Appliquée trois fois à la question de l’estrapade extraordinaire, une sorcière du Hainaut, Jeanne Cuvelier, qui était accusée par son propre fils, en 1590, d’avoir noué l’aiguillette, resta suspendue en l’air, pendant trois quarts d’heure, les mains attachées à une [p. 546] poulie fixée au plafond, sans qu’on pût la contraindre à se déclarer coupable. Dans le même pays, en 1644, Antoinette Bailleul ne voulut également rien confesser, malgré l’épreuve non moins terrible du chevalet. Selon le témoignage de l’inquisiteur Spranger, moins un prévenu se montrait sensible aux douleurs de la torture, plus on avait de peine à en arracher des aveux, d’où le prétendu sort du silence, en vertu duquel les démonologues expliquaient l’obstination des sorciers dans le refus de répondre aux interrogatoires que leur faisaient subir les juges.

III

Au XVIe siècle, les adversaires du surnaturalisme attribuaient le mutisme volontaire des sorciers à l’insensibilité produite par les breuvages ou les onctions que les adorateurs du diable employaient dans le but de se rendre aux assemblées du sabbat. Ces breuvages et ces onctions, dont l’influence sur les facultés intellectuelles et sensoriales fut surtout révélée par Jean-Baptiste Porta, intervenaient réellement, du reste, dans l’art connu dès le moyen âge de sauver magiquement les criminels. A l’exemple des chirurgiens qui administraient ouvertement ces drogues aux personnes chez lesquelles ils se disposaient à pratiquer une grande opération, certains coupables, dans le double but de tromper la justice et de se soustraire aux douleurs de la torture, s’en servaient secrètement pour eux-mêmes avant qu’on les soumît aux cruautés de ces épreuves. En 1588, dans le bailliage de Beaujolais, un assassin, nommé Grand François, qui avait eu recours à un procédé de ce genre, s’était vu arracher, au milieu de la question, les gros orteils, sans manifester aucun signe de souffrance, et ce prévenu eût sans doute échappé aux justes poursuites des tribunaux si son stratagème pour braver les douleurs de la torture n’eût pas été découvert (13) ; mais les démonologues ne voulaient pas entendre parler de cette explication. Jean Bodin, en particulier, la repoussait avec toute l’ardeur de sa croyance, en alléguant que l’insensibilité due à l’action des breuvages ou des onctions était accompagnée constamment d’un sommeil profond, tandis que cette même insensibilité s’observait souvent chez des sorciers qui conservaient la plénitude de l’état de veille pendant toute la durée des épreuves de la torture. Appliqué à la question [p. 547] comme auteur de la mort d’un des enfants de Frédégonde, Mummol, officier attaché à la cour de Chilpéric, s’obstinait à ne vouloir rien révéler, si ce n’est d’avoir souvent charmé des onguents et ensorcelé  des breuvages, dans l’intention de gagner la faveur du roi ou de s’attirer la confiance de la reine. Retiré de la torture, ce prévenu avait si bien la conscience de toutes les épreuves auxquelles on venait de le soumettre, qu’il pria un soldat d’aller dire de sa part à Chilpéric qu’elles ne lui avaient causé aucune douleur, dernière circonstance qui, selon Grégoire de Tours, fit naître dans l’esprit du roi la conviction que Mummol était réellement l’auteur du prétendu sortilège. En 1.647, à Rouen, dans le procès de Thomas Boullé, accusé, entre autres maléfices, d’avoir noué l’aiguillette et rendu une femme furieuse en crachant sur elle, toutes les horreurs de la question ne purent non plus parvenir à arracher aucun aveu de la bouche de ce malheureux prêtre, chez lequel on avait trouvé, du reste, de l’insensibilité à l’endroit de la prétendue marque du diable. Le procureur de la maison des religieuses de Louviers avait même déposé, s’il faut en croire le capucin Boisroger, que Thomas Boullé s’était vanté, dans un festin, de pouvoir affronter la douleur produite par l’action des charbons ardents, bravade qu’il avait en effet réalisée au grand étonnement des spectateurs (14). Aussi , convaincus par une expérience presque journalière que chez les prévenus en matière de sortilèges, les épreuves de la question n’agissaient pas comme sur les autres criminels, plusieurs magistrats avaient-ils fini par y renoncer. Boguet conseillait lui-même, à cause de cela, l’abandon de ce terrible moyen dl’instruction, auquel il demandait qu’on substituât l’épreuve d’un sévère emprisonnement.

En pathologie démoniaque, tout le monde n’admettait pas le symptôme de l’insensibilité à la douleur avec le même degré de confiance. Sous ce rapport, les médecins de Paris étaient peut-être moins sceptiques que ceux de Montpellier. Consultés par quelques membres instruits du clergé sur les signes de la prétendue possession qui éclata à Nîmes peu de temps après celle des religieuses de Loudun, les professeurs de l’université de Montpellier, sans rejeter d’une manière absolue r existence des maladies surnaturelles, furent unanimes à mettre en doute la réalité de leurs signes, au milieu desquels se trouvait l’insensibilité à la douleur. Pour expliquer [p. 548]  ce dernier phénomène, qui était porté au point que les soi-disant possédées pouvaient être piquées à la peau sans se plaindre, sans remuer et même sans changer de couleur, ils invoquèrent l’empire de la force d’âme dont les anciens avaient laissé tant d’exemples, depuis le courage héroïque des jeunes païens qui se faisaient fustiger devant l’autel de Diane sans froncer le sourcil, jusqu’à la puissance de volonté du Lacédémonien se laissant ronger le foie d’une façon impassible par un renard qu’il avait caché sous sa robe. Pourquoi, lors du naufrage de la pathologie démoniaque, les médecins nièrent-ils le fait de l’insensibilité à la douleur, si positivement affirmé par les exorcistes ? Leur ancienne rivalité avec ceux-ci, qui s’étaient arrogé, durant tant de siècles, le monopole du traitement des maladies nerveuses, les rendait-elle injustes envers ce symptôme, systématiquement hostiles à son étude, ou bien, dégagés de tout esprit de corporation, mais trop prompts à conclure, se montraient-ils sceptiques, parce que l’état où se trouvait alors la physiologie ne leur permettait pas de comprendre le phénomène ? Ce qu’il y a de certain, c’est que, malgré l’importance dont elle avait joui en démonologie, et en dépit du retentissement qu’elle avait eu à Paris dans les prétendus miracles accomplis au cimetière de Saint-Médard, l’insensibilité à la douleur, dont un célèbre chirurgien de l’Hôtel-Dieu, Morand, avait observé de si remarquables exemples chez les fanatiques qui se rendaient au tombeau du diacre Pâris (15), disparut presque entièrement du domaine de la pathologie.

Si l’indifférence des sorciers au milieu des épreuves de la torture n’avait pas constamment sa raison dans le narcotisme, la conviction profonde des démonolâtres d’ avoir pris part aux assemblées nocturnes du sabbat, ne pouvait pas non plus s’expliquer toujours par cette cause. Suivant Delancre, les nombreux sorciers du pays de Labourd qu’on gardait soigneusement à vue au fond de leurs cachots, persistaient dans leur démonolâtrie, malgré l’absence de tout breuvage ou de tout onguent. Sous ce rapport, l’opinion de Jean Wier et de Porta prêtait donc le flanc à la critique, et c’était précisément parce que certains démonolâtres se montraient réfractaires à la douleur sans l’intervention d’aucun agent matériel que les [p. 549] démonologues. croyaient devoir attribuer cette insensibilité à une cause étrangère aux lois de la nature. Au commencement de ce siècle, Barthez cherchait à déchiffrer l’énigme du phénomène dont il s’agit au moyen d’une hypothèse plus spécieuse que toutes celles des autres partisans du naturalisme. Pour cet illustre physiologiste, le sommeil profond dans lequel tombaient beaucoup de sorciers pendant ou après les épreuves de la torture, tenait à un état d’épuisement des forces sensitives produit par l’excès de la douleur physique, et cette hypothèse est aussi celle que M. Calmeil adoptait il y a quinze ans pour donner la raison du même phénomène, mais, toute séduisante qu’elle soit au premier abord, cette explication ne suffit pas à résoudre certains côtés du problème. L’insensibilité plus ou moins complète à la douleur existait chez quelques sorciers bien avant les épreuves de la question. Selon Bodin, le président de la Tourette vit en Dauphiné une femme qui était dans ce cas. L’indifférence avec laquelle cette personne supportait parfois la douleur provenant soit des coups de verge que lui donnait son maître afin de la réveiller, soit des brûlures qu’il lui pratiquait dans le même but sur les parties les plus sensibles du corps, fut précisément la cause qui fit suspecter cette malheureuse du crime de sortilèges. L’hypothèse qu’invoque M. Louis Figuier relativement à l’interprétation des mêmes phénomènes chez les possédées de Loudun, chez les protestants des Cévennes et chez les convulsionnaires du cimetière de Saint-Médard, le somnambulisme, est bien préférable. Non-seulement certains sorciers s’endormaient au milieu des épreuves de la torture, mais il y en avait encore d’autres, au rapport de l’inquisiteur Barthelemy de Lépine, qui, avant d’être soumis à ces épreuves, se trouvaient saisis d’un tel état d’assoupissement, qu’ils tombaient soit dans leur-lit, soit dans quelque coin de leur maison, comme frappés du sommeil de la mort. Cette sorte de léthargie était si peu. du reste un effet des souffrances de la question, qu’elle survenait, selon le témoignage des théologiens, dans la possession démoniaque, pendant le cours des exorcismes.

En 1661, chez les possédées du couvent d’ Auxonne, la sœur de la Purification tombait d’elle- même dans des accès qui duraient cinq quarts d’heure et plus, pendant lesquels elle demeurait sans mouvement, sans parole, sans connaissance, les bras croisés sur la poitrine, les yeux tantôt fermés, tantôt ouverts, mais toujours fixes et sans clignottement des paupières (16). L’on comprend en effet fort bien aujourd’hui comment, dans l’opération qui consistait à expulser le diable du corps, les prêtres pouvaient provoquer à leur insu le [p. 550] somnambulisme et même l’hypnotisme, car, on ne procédait pas seulement à cette opération en récitant des prières, les exorcistes pratiquaient encore l’apposition des mains, et ils tenaient même devant les yeux du possédé des symboles religieux formés de métaux très brillants, des crucifix et des ostensoirs.

Bien que, comme le fait observer fort judicieusement M. Lélut, l’oubli au réveil ne soit pas un symptôme constant du somnambulisme, et quoique ce phénomène, dont M. Alfred Maury donne une explication très ingénieuse, soit assez difficile à concevoir relativement à des rêves où la concentration intellectuelle est si vive et l’absorption de la pensée si profonde, il est néanmoins indubitable que, dans l’immense majorité des cas, les somnambules n’ont aucun souvenir de ce qu’ils ont dit ou fait au milieu de leurs accès. L’hypothèse du somnambulisme est donc assez difficile à concilier soit avec le récit pittoresque et animé que les démonolâtres faisaient, en plein état de veille, des scènes scandaleuses ou abominables du sabbat, soit avec le souvenir si net et si précis des épreuves barbares qu’ils subissaient en présence des magistrats chargés d’instruire leur procès. Ces deux dernières circonstances se conçoivent bien mieux avec l’hypothèse de l’extase. Dans cet état nerveux, le trouble psycho-sensoriel est en effet moins grand que dans le somnambulisme ou dans la catalepsie ; il n’implique pas une interruption aussi entière des rapports avec les objets du monde extérieur. De là, sans doute, le souvenir que l’extatique conserve presque toujours de r objet de ses visions. Or, comme les personnes en butte aux phénomènes de l’extase, certains sorciers gardaient la conscience de toutes les épreuves qu’on leur avait fait subir au milieu de leur état d’assoupissement. En recouvrant l’usage de ses sens, la sorcière dauphinoise dont parle Bodin n’oubliait pas que son maître l’avait frappée à coups de verge et avait mis le feu à certaines parties de son corps, car elle lui en fit des reproches au moment où elle commença à ressentir la douleur à laquelle, en dormant, elle paraissait si réfractaire. Toutefois, l’hypothèse de l’extase, capable d’expliquer parfaitement l’insensibilité qu’on observait chez les sorciers soumis aux horreurs de l’estrapade ou du chevalet, cette hypothèse, dis-je, n’est plus suffisante pour faire comprendre l’insensibilité des prétendus stigmates du diable, constatée par l’épreuve de la piqûre. En cherchant-bien, les partisans du naturalisme auraient cependant pu trouver des arguments susceptibles d’ébranler fortement sur ce point la doctrine de ·leurs adversaires.

Une maladie terrible, presque inconnue en Italie avant le retour à Rome des soldats de Pompée, mais qui s’était surtout introduite d’Orient en Occident au moyen-âge, à l’époque des croisades, la [p. 541] lèpre débutait jadis, comme elle débute encore aujourd’hui dans les régions équatoriales, par la formation de taches livides et complètement insensibles à la douleur, répandues çà et là sur divers points de la peau. Au XVIe siècle, la lèpre s’était sans doute déjà beaucoup affaiblie en Europe ; ses formes les plus graves en avaient à peu près complètement disparu, car il restait fort peu des établissements sans nombre que le moyen âge consacrait, sous le nom de maladreries, au traitement et à la séquestration des personnes qui en étaient victimes ; mais cette affection sévissait encore assez souvent parmi les classes populaires, et les procédés dont se servaient alors les médecins pour en établir l’existence ne différaient en rien d’une des épreuves auxquelles les magistrats soumettaient les sorciers afin de constater la marque du diable, l’épreuve de la piqûre. Le chirurgien de Charles IX, Ambroise Paré, parle en effet d’un lépreux qu’il reconnut pour tel en le voyant se montrer insensible à la douleur produite par une grosse épingle enfoncée très profondément dans son talon (17), et le médecin de Catherine de Médicis, Jean-Baptiste Fernel, mentionne aussi, de son côté, l’épreuve de la piqûre comme lui ayant servi à reconnaître la lèpre chez un homme de cinquante ans qui portait des taches noires à la peau (18). Les marques du diable, assimilées indistinctement par M. Calmeil à toutes les taches de la peau, n’ étaient-elles pas plutôt celles de la lèpre expirante ? L’affirmative semblerait d’abord d’autant plus légitime que cette maladie pouvait rester longtemps stationnaire, et que souvent les taches insensibles à la douleur, qui en étaient le symptôme caractéristique, augmentaient à peine d’une ligne clans l’intervalle d’une année. Malgré le jour qu’elle semble projeter sur le mystère de l’insensibilité à la piqûre dans l’histoire des procès de sorcellerie, l’hypothèse dont il s’agit cesse toutefois d’être admissible dans l’interprétation du même phénomène chez les possédés du démon, où l’insensibilité partielle à la douleur passait généralement pour exister sans la marque du diable.

Une dernière preuve de la réalité du prétendu pacte conclu par les sorciers avec le démon, un signe non moins infaillible, aux yeux des. magistrats, que l’insensibilité à la douleur, et qui n’avait pas comme celui-ci l’inconvénient de pouvoir être simulé, c’était l’absence d’effusion du sang par les piqûres faites aux stigmates. Dès le commencement de ce siècle, la critique essayait déjà de ramener ce phénomène sous les lois de la saine physiologie. Les fonctions du système circulatoire sont en effet chez l’homme modifiées d’une manière [p. 552] puissante par les passions. La crainte affaiblit surtout la force impulsive du cœur, elle ralentit considérablement la marche du sang dans les petits comme dans les grands vaisseaux. D’après l’expérience journalière des chirurgiens, le fluide sanguin sort difficilement et en petite quantité chez toutes les personnes pusillanimes auxquelles on vient de pratiquer une saignée. A Rome, où la section des veines dans le bain chaud jouait en justice criminelle le rôle de la ciguë à Athènes, ce fait était d’observation vulgaire chez un grand nombre de condamnés à mort. Le supplice d’Octavie, fille de Claude et première femme de Néron, en est l’exemple le plus célèbre (19). Chez les prévenus du crime de maléfices, le défaut d’effusion du sang par les piqûres faites aux stigmates du diable tenait-il, comme le croit M. Lordat, à la terreur que devaient éprouver ces malheureux en apercevant les appareils de la torture auxquels on allait les soumettre ou en songeant à r horreur du châtiment que leur condamnation pouvait entraîner ?

Mais une objection sérieuse s’élevait contre la vraisemblance de cette hypothèse. Car comment supposer en effet l’effroi de la torture ou celui de la peine capitale chez des prévenus qui venaient si souvent si dénoncer eux-mêmes à la justice criminelle, qui restaient généralement insensibles aux douleurs physiques les plus prolongées et les plus intenses et qui, au milieu de leurs cachots, cherchaient presque tous dans le suicide un terme à leurs souffrances morales ? Le ralentissement que la peur est capable d’imprimer à la circulation capillaire ne s’accordait pas d’ailleurs avec une particularité très importante du phénomène : il n’expliquait pas pourquoi l’effusion du sang, nulle aux piqûres faites à l’endroit de la marque, s’opérait au contraire sans aucune difficulté par celles qui étaient pratiquées sur d’autres parties du corps, comme chez Arnoulette Defrasnes, par exemple, où toutes les piqûres saignaient hormis celles que le bourreau faisait au-dessous de l’ œil droit.

Dans ce problème démonologique, comme dans celui de l’ insensibilité des stigmates, il y avait donc des éléments devant lesquels, naguère encore, malgré tous ses progrès, la physiologie était obligée d’avouer son impuissance.

IV

Il y a quinze ans, la sensibilité de douleur continuait à être [p. 553] confondue avec la sensibilité tactile par presque tous les physiologistes. En dépit des expériences de Wilson qui, dans le siècle dernier, avait observé qu’en administrant de fortes doses d’opium à certains animaux, ceux-ci entraient en convulsions au plus léger contact, quand, au contraire, ils restaient immobiles si on blessait leurs pattes avec un instrument tranchant ; malgré, dis-je, les inductions qu’on pouvait légitimement tirer de ces curieuses expériences, on persistait généralement à ne vouloir établir aucune distinction fondamentale parmi les diverses sensations dont la peau est le siège. Mais en 1847, l’importation en Europe du procédé de Jackson opéra sous ce rapport toute une révolution. Grâce aux inhalations d’éther ou de chloroforme employées par les chirurgiens chez les malades auxquels ils se proposaient de pratiquer une opération, on apprit en effet que l’homme peut perdre le sentiment de la douleur tout en conservant l’intégrité de ses impressions tactiles. Après avoir ainsi décomposé un ordre de fonctions sensorielles considéré jusqu’alors comme simple ou irréductible, les physiologistes ne pouvaient plus ne pas conclure qu’il existe, sinon deux centres de sensibilité, comme le prétendait M. Malgaigne, du moins deux ordres de nerfs cutanés : les uns qui président exclusivement aux sensations douloureuses et les autres qui se bornent à conduire au cerveau les impressions de contact. Ce progrès accompli dans la physiologie des sensations devait naturellement appeler l’attention des médecins sur la paralysie spontanée du sentiment de la douleur. Si, avant la découverte américaine, tous les médecins d’aliénés n’ignoraient pas que certains fous semblent ne plus être susceptibles de percevoir la douleur produite par des blessures ou des brûlures profondes, et si d’une autre part, en chirurgie, depuis Dupuytren, on savait que, dans le délire nerveux des blessés et des amputés, ceux-ci pouvaient tantôt enlever leurs appareils de pansement ou marcher avec des jambes fracturées sans paraître souffrir, tantôt introduire les mains dans des plaies du ventre et en arracher l’intestin avec l’indifférence la plus complète, tous ces faits pathologiques, en raison même de l’impuissance où se trouvait alors la physiologie d’isoler la sensibilité de douleur de la sensibilité tactile, passaient généralement inaperçus. Une fois cet isolement produit, la réaction inévitable en pathologie ne se fit pas longtemps attendre.

Les paralysies de la sensibilité générale que, dans le siècle dernier, Sauvages excluait du nombre des symptômes de l’hystérie et qu’il osait à peine mentionner parmi les caractères de la folie mélancolique, ces paralysies, dis-je, dont plus tard les médecins d’aliénés avaient même fini par ne plus parler du tout, devinrent aussitôt r objet d’une étude aussi scrupuleuse qu’ attentive. Avant que M. Beau [p. 554]  eût démontré que la paralysie spontanée du sentiment de douleur, l’analgésie, comme on la nomme aujourd’hui, pouvait exister sans la paralysie spontanée du tact, c’est-à-dire sans l’anesthésie proprement dite, l’année même de l’importation de la découverte américaine, un médecin de l’hospice de Bicêtre, M. Moreau (de Tours), signalait l’existence de ce symptôme dans la folie suicide. Suivant cet auteur, la paralysie du sentiment de douleur était si prononcée chez un aliéné qui venait de chercher à se donner la mort en s’ ouvrant avec une lancette les vaisseaux du bras gauche, que ce malade attribuait son insensibilité à l’influence d’un flacon d’éther caché dans sa chambre.

En 1851, un autre aliéniste distingué, M. le docteur Morel, rapportait aussi des exemples remarquables d’indifférence à la douleur chez les monomaniaques. Il citait notamment le cas d’un jeune insensé qui, au milieu d’un accès d’exaltation religieuse, ne percevait nullement la souffrance d’une brûlure qu’il s’était faite en plongeant son bras dans une chaudière d’eau bouillante. L’auteur de cette étude a pu observer également la fréquence de l’analgésie dans ces mêmes espèces d’aliénation mentale, et il a cru devoir en tirer l’induction que ce phénomène est souvent la cause du calme imperturbable avec lequel certains fous attentent à leurs jours, qu’il explique la persévérance dont beaucoup de ces malheureux font preuve dans leur funeste idée d’en finir avec la vie, qu’il fait comprendre la barbarie ou le raffinement des moyens employés parfois pour accomplir leurs résolutions désespérées (20). Selon le témoignage d’un médecin de l’hospice de Maréville, M. Auzouy, la majorité des personnes atteintes de folie mélancolique perçoivent peu ou ne perçoivent plus du tout la douleur produite à la peau par l’action de la pile électrique. Il en serait de nième, selon un autre médecin du même hospice, M. Renauldin, chez les idiots comme chez les personnes affectées de crétinisme ; enfin, d’après les expériences d’un agrégé à la faculté de médecine de Paris, M. le docteur Marcé, l’analgésie serait encore un symptôme assez commun dans l’espèce de maladie mentale connue sous le nom de démence paralytique.

Mais de toutes les affections du système nerveux, l’hystérie est celle où la paralysie du sentiment de douleur passe aujourd’hui pour se manifester avec Je plus d’évidence. Observée d’abord par M. Gendrin, qui la regarde comme un symptôme presque constant de cette maladie ; étudiée ensuite par M. Beau, qui en détermina mieux la nature et qui prouva qu’elle y existe le plus souvent tout à fait isolée [p. 555] de la paralysie des impressions tactiles, elle est devenue de la part d’un médecin de l’hôpital de la Charité, M. le docteur Briquet, l’objet de recherches plus concluantes encore. D’après ce dernier auteur, sur quatre cents femmes atteintes d’hystérie, deux cent quarante-deux, c’est-à-dire soixante pour cent, offrent des traces évidentes et constantes de paralysie du sentiment de douleur avant, pendant et après leurs crises convulsives. On peut, chez ces femmes, enfoncer brusquement une épingle et la faire pénétrer profondément dans les chairs sans provoquer la moindre souffrance. Ce genre de paralysie envahit la totalité du corps ou frappe seulement une ou plusieurs de ses parties, un bras, une jambe, une main, un pied, un œil, un point quelconque du dos ou du ventre. Elle peut se limiter à l’enveloppe extérieure ou s’étendre à toute l’épaisseur d’un membre, aux muscles, aux os, etc. La peau est la partie du corps où on la rencontre le plus fréquemment. Selon M. Briquet, l’analgésie cutanée existait à un degré quelconque chez toutes les hystériques où il trouva de l’insensibilité à la douleur. A l’enveloppe extérieure, l’analgésie est très souvent partielle, limitée parfois à une étendue de quelques centimètres carrés. Il en est ainsi chez les trois cinquièmes des hystériques. La paralysie du sentiment qui frappe seulement une des moitiés du corps est déjà un peu moins commune : elle existe chez les deux cinquièmes des malades ; et quant à celle qui s’étend à toute l’enveloppe extérieure, elle est plus rare encore.

Générale ou limitée, prof onde ou superficielle, la paralysie du sentiment de douleur a chez les hystériques une durée très variable. Tantôt elle se manifeste sans interruption pendant des mois ou des années, et elle ne cesse qu’avec la maladie elle-même ; tantôt, au contraire, elle est mobile et fugitive : elle se montre immédiatement après une attaque convulsive, elle se prolonge pendant quelques heures, et elle disparaît d’elle-même pour revenir après une autre crise. Enfin, dans toutes les parties de la peau frappées d’analgésie, la température s’abaisse d’un à deux degrés ; les malades y sentent du froid et la circulation capillaire s’y ralentit.

L’analgésie qui, dans l’aliénation mentale comme chez les hystériques, frappe parfois tous les organes et les atteint dans leurs parties les plus profondes, explique beaucoup mieux que l’hypothèse invoquée d’abord par Barthez et plus tard par M. Calmeil pourquoi tant de prévenus du crime de maléfices supportaient les douleurs de la torture avec une si complète indifférence, de même que l’apparition plus fréquente de ce symptôme sur des points très limités du corps donne la solution complète du problème longtemps si obscur de l’insensibilité des prétendus stigmates du diable. La mobilité parfois si grande de l’analgésie et sa durée souvent si passagère chez les [p. 556] hystériques et chez les aliénés mélancoliques servent aussi à faire comprendre les résultats contradictoires des expertises en matière de sorcellerie, d’où les recours en appel, ce dernier espoir des malheureux qu’on sacrifiait sur l’autel de l’ignorance superstitieuse. En 1589, quatorze sorciers, qui sollicitaient devant le parlement de Paris, alors réfugié à Tours, la cassation de leur sentence de mort, en se fondant sur la disparition des marques insensibles du diable, furent ainsi arrachés au supplice des flammes, grâce aux résultats négatifs d’une nouvelle expertise instituée par une commission de savants, au nombre desquels se trouvaient Pigray, chirurgien de Henri III, Leroi, Falaiseau et Renard, médecins de ce même monarque (21). D’une autre part, le ralentissement de la circulation capillaire dans les organes frappés d’analgésie explique on ne peut mieux le défaut d’effusion du sang par les piqûres faites à ces marques. Enfin, la découverte de l’insensibilité spontanée à la douleur chez les hystériques vient, dans l’histoire de la possession démoniaque., donner le dernier mot d’une foule de questions qui divisaient parfois les théologiens eux-mêmes. Parmi les célèbres controverses à propos de Marthe Brossier, que, sous le règne de Henri IV, les pères capucins de Paris regardaient comme possédée, et que l’évêque d’Angers, de concert avec l’official d’Orléans, accusait d’imposture, parmi ces fameuses controverses, dis-je, l’analgésie des femmes hystériques infirme l’exactitude des assertions émises par la majorité des médecins experts : elle justifie l’opinion de Duret qui, précisément parce que Marthe Brossier se montrait insensible à la piqûre d’une épingle enfoncée dans la main, assurait, contrairement à l’avis de Marescot, de Riolan et d’ Au tain, que la fraude n’était pour rien dans les convulsions de cette femme.

V

La magie et la possession démoniaque passaient pour donner naissance à plusieurs des prétendues facultés divinatoires que les partisans du merveilleux regardent aujourd’hui comme inhérentes à l’état de somnambulisme magnétique, la seconde vue et la transmission de pensée, par exemple. D’après Bodin, au XVIe siècle, un célèbre magicien, appelé Lascot, soutenait déjà pouvoir désigner, sans le secours des yeux, le point dans un jeu de cartes, et Bodin vit lui-même à Blois, en 1577, réussir cette expérience faite par un autre [p. 557] magicien, nommé Lecomte, qui tournait complètement le dos au jeu. Simulait-on alors le prétendu phénomène de seconde vue, comme on le simule aujourd’hui sur les places publiques au moyen du procédé dont M. Gandon a révélé le mécanisme à la fois si ingénieux et si simple ? Ce qu’il y a de positif, c’est que l’opération magique échouait parfois, comme Bodin en cite un exemple, quand on s’avisait d’intervertir l’ordre dans lequel Lascot exigeait qu’on répondît à ses questions. La soi-disant transmission de pensée s’observait surtout dans la possession démoniaque : les théologiens admettaient que les possédés pouvaient pénétrer directement dans l’esprit de leurs exorcistes et obéit· au commandement intérieur de ceux-ci, absolument comme les partisans du mesmérisme affirment que les somnambules artificiels peuvent communiquer avec leurs magnétiseurs sans l’intermédiaire du langage ou de la mimique. Dans la possession des ursulines de Loudun, la sœur Claire de Sazilly, passait pour avoir exécuté ainsi très fidèlement un ordre secret que le père Tranquille lui avait donné, de concert avec le frère de Louis XIII, Gaston d’Orléans, présent à l’exorcisme, l’ordre d’aller baiser la main du père Élisée (22). Dans une autre épreuve, faite sur la même religieuse, le 20 juin 1633, par un prêtre de Saint-Jacques de Thouars, cet ecclésiastique ayant prié, également tout bas, l’exorciste, qui était le père de Morans, de commander mentalement à la possédée de lui apporter cinq feuilles de rosier, la sœur Claire de Sazilly exécuta à peu près complètement cet ordre, non sans quelque résistance toutefois, et bien qu’il fallût la menacer de la peine de la malédiction pour la contraindre à obéir. Mais, en dépit de l’affirmation des partisans du merveilleux contemporain, pour les esprits rigoureux et sincères, rien n’est plus équivoque que la transmission tacite de la pensée chez les somnambules artificiels. Dans les expériences auxquelles il assista lui-même, comme dans toutes celles dont les résultats lui furent communiqués par des personnes éclairées et dignes de foi, M. Alfred Maury n’a jamais pu recueillir un seul fait de nature à démontrer sans réplique la réalité d’un dialogue tout mental établi entre le magnétiseur et le magnétisé. D’ailleurs pourquoi demander à une hypothèse contraire aux lois de la saine physiologie l’explication d’un phénomène que M. Alfred Maury et M. Louis Figuier rendent aujourd’hui si facile à comprendre par l’exaltation maladive du sens de l’ouïe ? Dans cette affection singulière, que les médecins appellent hypercousie, [p. 558] les bruits ordinaires sont en effet considérablement exagérés, et les malades perçoivent très facilement les sons les plus faibles ou les plus lointains. Suivant M. Alfred Maury, une personne, observée par un médecin de Dresde, percevait à la distance de deux mètres et demi le bruit du mouvement d’une montre, et un autre malade, mentionné par un médecin anglais, entendait des paroles prononcées à un éloignement bien plus considérable, celui d’un demi-mille. C’est surtout chez les hystériques que l’ouïe s’exalte de la sorte.

Avant ou après leurs attaques convulsives, plusieurs de ces femmes ont l’oreille si délicate, qu’elles entendent frémir les plus légers mouvements de l’air au milieu des arbres, qu’elles comprennent parfaitement ce qui se dit à voix basse dans une chambre voisine, qu’elles peuvent percevoir le tic-tac d’une montre placée à la distance de sept à huit mètres. Un fait non moins certain, c’est que, chez les hystériques, ce phénomène peut sembler parfois un don divinatoire, et que ces malades se prêtent assez volontiers à ce genre de mystification . Au rapport d’un professeur de la Faculté de médecine de Paris, M. le docteur Monneret, une femme, à la suite d’une violente attaque de convulsions, annonça que son mari, dont elle était éloignée depuis longtemps, venait lui rendre visite, et ce dernier ne tarda pas en effet à se présenter devant elle, au grand étonnement de l’assistance. Interrogée sur cette prétendue faculté divinatoire, la malade avoua qu’elle avait l’ouïe très fine et qu’elle avait reconnu le pas de son mari franchissant le seuil d’une porte cochère assez éloignée de la chambre où elle se trouvait (23).

L’exaltation passagère du sens de l’ouïe, qui se manifeste d’une façon spontanée chez les hystériques, paraît aussi susceptible d’être provoquée au moyen de l’hypnotisme, Suivant M. Azam, une personne, endormie par la méthode de Braid, entendait toute une conversation qui avait lieu à un étage supérieur.

  1. Alfred Maury cherche à expliquer d’une autre manière la soi-disant transmission de pensée chez les somnambules magnétiques, et pour cela il invoque la faculté qu’auraient ceux-ci, d’après M. le docteur Baillarger, non-seulement de deviner, par le simple mouvement des lèvres, le sens des paroles qu’on articule à voix basse, mais

[p. 559] encore de pouvoir saisir la pensée du magnétiseur au moyen du jeu entièrement muet de ces organes. En faveur de cette seconde théorie, M. Alfred Maury invoque en outre l’étroite corrélation qui existe entre le talent du mime et celui du physionomiste, puisque, s’il faut s’en rapporter au témoignage des voyageurs, la faculté de lire la pensée dans les mouvements du visage et l’art de contrefaire la voix, le geste, l’attitude, le regard de quelqu’un, s’unissent à un très haut degré chez les hordes barbares de l’Amérique du Nord comme chez les grossiers habitants des îles des mers du Sud. Enfin, cette même association s’observerait parfois aussi chez l’homme civilisé. Suivant Colley Cibber, au commencement du dernier siècle, un comédien anglais nommé Estcourt en était un exemple très surprenant.

L’hypothèse de l’exaltation du sens de l’ouïe suffirait déjà à elle seule, dans l’histoire de la possession des religieuses de Loudun, pour donner la clef de la transmission de pensée chez la sœur Claire de Sazilly. Mais, quand à ce mode d’explication, qu’adopte exclusivement M. Louis Figuier, vient s’ajouter la théorie émise pour la première fois par M. Alfred Maury dans l’interprétation du même phénomène chez les somnambules magnétiques, il ne reste plus rien de merveilleux dans la soi-disant obéissance des possédées du démon au commandement tout mental de leurs exorcistes.

Les femmes dont il s’agit excellaient, du reste, à imiter le cri de certains animaux. Les religieuses du couvent de sainte Brigitte, à Lille, bêlaient comme des brebis ; les possédées de Loudun miaulaient comme des chattes ; celles de la commune d’Amou, près de Dax, aboyaient comme des chiens. La faculté d’imitation, si bien étudiée en pathologie par M. le docteur Jolly, et admise surtout par M. Briquet comme un symptôme de l’hystérie, accroît beaucoup la vraisemblance de l’hypothèse proposée par M. Alfred Maury. Il suffit, selon M. Briquet, que l’hystérique aperçoive un geste qui la frappe pour qu’elle l’imite involontairement, soit au milieu de ses attaques, soit dans leur intervalle. Cet auteur assure avoir observé une jeune fille qui, pendant ses crises, répétait, de façon à s’y méprendre, les aboiements de plusieurs petits chiens qu’elle avait vus dans une maison où elle était restée seulement quelques jours. D’après M. Briquet, le sommeil sinon le somnambulisme surviendrait au surplus très facilement dans l’hystérie. Chez trois femmes dont parle ce médecin, il se manifestait au bout d’une demi-minute. L’une d’elles s’endormait d’une manière si prompte, qu’un jour, à la visite de l’hôpital, assise sur son séant dans son lit, où elle écoutait les paroles qu’on lui adressait, elle tomba tout à coup sur le dos en ronflant de toutes ses forces au bout de quelques secondes. Aussi, de la facilité avec laquelle on s’endort dans [p. 560] l’hystérie, quelques médecins, et notamment M. le docteur Gendrin, ont-ils cru devoir conclure que presque toutes les somnambules dites magnétiques sont des femmes atteintes de cette maladie convulsive.

Le développement subit d’une grande force musculaire, l’agilité et la souplesse des membres, l’intuition des langues, l’action de s’ élever et de rester suspendu en l’air pendant un temps plus ou moins considérable, étaient aussi des phénomènes d’une grande importance en démonologie. A l’exception du dernier, qui passait plus particulièrement pour un signe de sorcellerie, tous les autres se trouvaient compris au nombre des caractères au moyen desquels on reconnaissait les personnes involontairement soumises à la tyrannie de Satan. Dans la possession des religieuses d’Auxonne, la sœur Denise, toute jeune et infirme qu’elle était, renversait de son piédestal, sans aucune difficulté et avec deux doigts seulement, un bénitier en marbre blanc, si lourd que deux personnes très vigoureuses auraient eu de la peine à le soulever. Toutes les possédées de Loudun, s’il faut en croire un de leurs exorcistes, le père Surin, arquaient leur corps en arrière jusqu’au point de faire descendre la tête au niveau des talons, et elles marchaient fort longtemps dans cette posture avec une vitesse surprenante. Une de ces religieuses, la sœur Claire de Sazilly, pouvait élever son pied gauche jusqu’à la hauteur du visage, et leur supérieure, Mme de Belsiel, opérait des écarts de jambes si prodigieux qu’elle parvenait ainsi à faire toucher la terre à la partie du corps que les anatomistes appellent le périnée. Les courbures du corps en arc furent également constatées dans la possession des religieuses de Louviers. La sœur saint Laurent et la sœur du Sauveur se faisaient principalement remarquer, au rapport du capucin Boisroger, par la facilité avec laquelle, dans ces courbures en arrière, le sommet de la tête allait rejoindre la plante des pieds. Les possédées d’ Auxonne marchaient aussi, dans cette dernière posture, sans le secours de leurs mains, et il était très ordinaire (le les voir, étant à genoux, se renverser de façon à pouvoir baiser la terre.

Dans l’hypothèse de la simulation, la seule qui fût invoquée par les antipossessionnistes, à moins d’admettre la circonstance absurde que les monastères de femmes étaient jadis autant d’écoles où l’on enseignait en secret l’art des jongleurs et des saltimbanques, l’on avait de la difficulté à comprendre où et comment des personnes, pour la plupart d’un haut rang social et vouées dès leur jeunesse aux austérités de la vie claustrale, pouvaient avoir acquis la force de l’athlète, l’agilité du bateleur, les facultés du mime. Le progrès accompli en pathologie depuis plus d’un demi-siècle ne permet plus d’attribuer à l’imposture tous ces phénomènes extraordinaires qu’on retrouve aujourd’hui presque trait pour trait, parmi les [p. 561] symptômes de plusieurs maladies du système nerveux. Dans l’ hystérie, en particulier, rien n’est plus connu que le surcroît des forces musculaires, auquel deux illustres médecins allemands, Wedel, à la fin du XVIIe siècle (24), et Frédéric Hoffmann, au milieu du XVIIIe (25), attachaient une si grande valeur comme symptôme de l’intervention du diable dans la cause des maladies. Deux, trois, quatre personnes vigoureusement constituées peuvent à peine maîtriser les mouvements désordonnés de certaines femmes hystériques ordinairement sans énergie, ou tout au moins d’une force médiocre avant ou après leurs crises, et la vigueur physique déployée par ces convulsionnaires est quelquefois si prodigieuse, qu’elle en fait pour ainsi dire des athlètes, car elle leur permet de briser les corps les plus durs, les tiges d’un lit de fer, par exemple, comme M. Briquet en cite un exemple. Pour être moins fréquentes peut-être que le phénomène dont il s’agit, l’agilité, la prestesse et l’ étendue extraordinaires des mouvements sont des symptômes non moins indubitables de l’hystérie. Un certain nombre de femmes en proie à cette affection convulsive, tantôt courbent en effet leur corps en avant ou l’ arquent en arrière, tantôt marchent la tête en bas et les pieds en haut, tantôt dansent sur leurs genoux ou battent du tambour avec leurs coudes, tantôt enfin grimpent sur un arbre ou franchissent des murailles avec une souplesse, une rapidité, une aisance, une hardiesse inconcevables.

Dès le XVIe siècle, les partisans du naturalisme avaient pressenti la véritable origine du prétendu don des langues, car, d’après Bodin, un jeune bachelier en médecine fut hué et sifflé pour avoir osé soutenir à Paris, devant une docte assemblée, contrairement à l’opinion de Fernel, que ce phénomène démoniaque était l’effet d’une maladie cérébrale. Il est maintenant établi pour tous les médecins que la surexcitation spontanée de la mémoire est un des caractères les plus constants d’une forme de la folie, à laquelle on donne le nom d’excitation maniaque. Parmi les accès de ce genre d’aliénation mentale, l’on voit en effet surgir brusquement dans l’esprit une foule de souvenirs plus ou moins cohérents, dont les traces semblaient depuis longtemps effacées de la conscience, et que celle-ci reconnait parfois difficilement comme lui ayant appartenu. Certains malades déclament assez bien et sans aucun effort des fragments de prose ou des morceaux de poésie rimée qu’ils n’avaient lus ou entendus débiter qu’une seule fois, et il en est d’autres qui, connaissant à peine les premiers éléments de l’anglais, de l’allemand ou de l’italien, s’expriment [p. 562] tout à coup dans ces langues avec une grande pureté et quelquefois avec beaucoup d’élégance. Ce qui a lieu presque constamment dans l’excitation maniaque peut s’observer aussi chez les hystériques. Suivant le docteur Pomme, une jeune demoiselle qui, au milieu de ses crises convulsives, faisait d’assez bons vers et les débitait avec beaucoup de chaleur, perdait son talent de versification à la fin de chaque accès pour le recouvrer parmi les attaques ultérieures. Dans le symptôme en question se trouve tout le secret du prétendu don des langues chez les démoniaques : le ravivement subit de certains mots hébreux, grecs ou latins, appris par hasard, et dont le souvenir semblait complètement évanoui, en imposait aux exorcistes comme une acquisition tout intuitive de ces langues mortes.

La pathologie est également en mesure de se prononcer sur le soi-disant pouvoir de s’élever volontairement du sol et de se maintenir suspendu en l’air, phénomène démonologique qui, en 1501, fit brûler une jeune villageoise dont parle Bodin, et qui, en 1647, fut un des sortilèges reprochés au prêtre Thomas Boullé, accusé d’avoir voulu transporter dans l’air un habitant de Louviers. Dans quelques maladies nerveuses, de même que dans l’empoisonnement par certains narcotiques, l’homme ne jouit p1us de la faculté d’apprécier à sa juste valeur le degré de résistance des objets. Il perd surtout la conscience du poids d’une partie ou de la totalité de son propre corps. Sauvages a mentionné le cas d’une femme qui, à la suite d’un empoisonnement par la jusquiame, sentait sa tête se détacher du tronc, et son corps comme suspendu en l’air ; et, suivant Cabanis , il est des vaporeux qui se croient si légers qu’ils craignent d’être emportés par le moindre vent. L’illusion en vertu de laquelle on s’Imagine ainsi quitter le sol pour planer dans l’espace est un problème de physiologie pathologique dont la solution fut longtemps introuvable. Dérivait-elle d’une perturbation de la sensibilité tactile, comme le croyait Sauvages, ou avait-elle son point de départ dans le cerveau lui-même, au sein duquel, depuis Spurzheim, les partisans de la phrénologie admettent une région affectée à la perception de la pesanteur ? Il était réservé à la science contemporaine de projeter la plus vive lumière sur cette question.

VI

On savait en physiologie animale, depuis les célèbres expériences [p. 563] de Haller, que les muscles jouissent d’une sensibilité exquise sous l’influence des excitants externes, et que, après la peau, ce sont les organes où il est le plus facile de provoquer de ]a douleur, tandis que les os, les tendons et les membranes offrent au contraire des signes de sensibilité très équivoque. Mais, avant Charles Bell, personne n’avait songé à établir dans le tissu musculaire le siège d’un sens particulier. Ce fut d’abord dans son Essai sur la main, antérieur à sa grande découverte des fonctions des nerfs spinaux , et ensuite dans un mémoire lu en 1826 devant la société philomathique de Londres, que l’illustre physiologiste anglais signala parmi les muscles le sens dont il s’agit, sens qu’il appela musculaire. Selon lui, chaque fibre d’un muscle reçoit, indépendamment de son filet nerveux moteur et de son filet nerveux sensitif, un troisième filet nerveux exclusivement destiné à fournir à l’homme le sentiment plus ou moins net de l’état et du degré d’action de cette fibre, et c’est par ce troisième ordre de nerfs musculaires que le cerveau acquiert et la notion du poids et celle de la lassitude. D’après Charles Bell, c’est aussi le sens placé dans les muscles qui préside à la coordination des mouvements volontaires ; c’est exclusivement par son entremise que nous nous tenons en équilibre dans la station, que nous combinons avec tant de précision et si peu d’ effort l’action de nos divers muscles dans la marche, le saut, la course ; c’est par lui que nous sommes avertis, quand nous fermons les yeux, du mouvement de nos membres et de sa direction; enfin, c’est grâce à ce sens que l’aveugle peut éviter les obstacles et prévenir les chutes. Mais ici, comme pour les fonctions attribuées aux racines des nerfs vertébraux, Charles Bell n’appuyait pas sa doctrine sur des preuves assez convaincantes. Gerdy qui en 1846, cherchait à la propager chez nous, ne réussit pas davantage à en fournir une démonstration décisive. Cette doctrine avait d’ailleurs contre elle l’autorité des anatomistes qui, avant les travaux de M. Longet, et en dépit du fait des vives douleurs causées par l’inflammation et les blessures des muscles, persistaient encore à contester dans ces organes l’existence des filets nerveux sensitifs. Il ne reste plus rien à désirer aujourd’hui dans la démonstration du nouveau sens admis par l’illustre physiologiste anglais, et c’est la paralysie de la sensibilité des muscles, autrement l’anesthésie musculaire qui fournit la preuve la plus convaincante de la réalité de cette découverte. Non-seulement, en effet, chez beaucoup d’hystériques, l’on peut, selon M. Briquet, presser fortement les muscles, les irriter avec une aiguille, les soumettre au passage d’un courant galvanique sans provoquer la plus légère douleur, bien que ces organes continuent à se contracter et au commandement de la volonté et sous l’influence des stimulants externes ; mais les [p. 564] malades ont encore cela d’étrange, quand on leur a préalablement bandé les yeux, qu’ils ne se tiennent plus d’aplomb sur leurs jambes, qu’ils marchent en chancelant, qu’ils fléchissent le bras en voulant l’étendre ou qu’ils ouvrent la main en essayant de la fermer; en un mot, qu’ils ne savent plus modérer, régulariser, préciser les contractions musculaires, ou qu’ils exécutent des mouvements opposés à ceux que leur volonté ordonne. Quand l’anesthésie musculaire est plus avancée, les hystériques, toujours d’après M. Briquet, ne savent plus établir nettement la différence qui existe entre un corps lourd et un corps léger, ou plutôt tous les objets pesants qu’ils ont à la main leur semblent avoir la légèreté d’un fétu. Enfin quand l’anesthésie musculaire est complète, cette sensation de légèreté des corps lourds disparait elle-même : les malades ne perçoivent plus la pesanteur de leur propre corps, qui leur semble supprimée, et ils perdent jusqu’à la conscience de l’ effort musculaire, car ils peuvent fort bien remuer, ensemble ou isolément, les doigts de la main, par exemple, sans se douter le moins du monde, lorsque le sens de la vue n’intervient pas, de l’exécution de ces mouvements.

Chez les hystériques, l’anesthésie peut affecter tous les muscles de la vie de relation, mais elle se manifeste de préférence parmi ceux des extrémités. M. Briquet l’a observée dans les quatre membres chez cinq malades, dans toute la moitié gauche du corps chez quarante-deux, dans toute la moitié droite chez treize, dans les membres inférieurs des deux côtés chez dix sujets, dans le membre inférieur gauche chez sept, dans le membre inférieur droit chez trois, dans le membre supérieur gauche chez trois, dans le membre supérieur droit chez deux. Que les nerfs par lesquels s’effectue dans les muscles la sensation d’absence ou de diminution de la pesanteur du corps soient identiques aux nerfs qui président à la paralysie de douleur ou qu’ils en soient différents, comme le pensait Charles Bell, toujours est-il que la perte de la sensibilité des muscles est la cause de tous les symptômes en question. Elle démontre indirectement dans ces organes, outre l’existence de la sensibilité générale, celle d’un mode tout particulier de sentir, qui non-seulement constitue un des principes de la coordination des mouvements volontaires, mais qui suggère encore à l’esprit des données exactes sur les divers degrés de pesanteur et de résistance du corps, et fournit la source de la conscience de l’effort musculaire lui-même.

L’illusion en vertu de laquelle certains sorciers s’imaginaient ou étaient réputés pouvoir s’élever dans l’air et se mou voir au sein du vide, s’explique donc fort bien aujourd’hui en pathologie par la sensation d’absence ou de diminution de la pesanteur du corps, sensation [p. 565]toute négative, qui, dans l’hystérie, s’explique à son tour par la paralysie de la sensibilité musculaire. Mais peut-on aussi bien concevoir la véritable raison physiologique des cabrioles, des sauts de carpe, des courbures du corps, des postures extraordinaires chez les prétendues victimes de la tyrannie du diable ? Si l’anesthésie du sens musculaire fait très clairement comprendre pourquoi tant de femmes hystériques, auxquelles on bande les yeux ou qui se trouvent dans les ténèbres, perdent la faculté de coordonner leurs mouvements ; si ce trouble de la sensibilité explique pourquoi ces personnes deviennent gauches, maladroites de leurs mains, pourquoi elles hésitent et chancellent en marchant, pourquoi , dans certains cas, elles n’ont plus la conscience de l’effort musculaire lui-même ; si, disons-nous, la paralysie du sens découvert par Charles Bell explique tous ces phénomènes, on doit en conclure que l’exaltation ou l’hyperesthésie du même sens peut donner la raison des tours de force et des scènes de batelage chez les hystériques. M. Briquet en place donc à tort la source dans une perturbation des facultés intellectuelles, et plus particulièrement dans le pouvoir d’une imagination déréglée. Chez les hypnotisés, le sens musculaire acquiert, selon M. Azam, une finesse si prodigieuse, que les sujets peuvent soit marcher avec la plus grande précision dans l’obscurité la plus profonde, soit enfiler une aiguille les yeux bandés, soit écrire assez correctement bien qu’on interpose un gros livre entre le papier et leur visage (26). L’exaltation de la sensibilité des muscles est du reste, dans l’hystérie, de l’aveu de M. Briquet lui-même, un symptôme aussi commun et plus fréquent peut-être que son abolition : sur quatre cent trente femmes en proie aux attaques de cette maladie convulsive, il s’en trouve assez peu, une vingtaine environ, qui soient complétement exemptes de douleurs développées au sein des parties charnues. L’hyperesthésie des muscles appartenant aux membres existerait sur un assez grand nombre d’hystériques, et chez ces femmes elle serait presque constante, soit dans les portions charnues de la tête, soit dans les muscles situés le long de la colonne vertébrale. Or, si l’exaltation du sens musculaire est la cause, selon M. Azam, de la dextérité des personnes endormies par la méthode de Braid, ce même phénomène maladif peut expliquer tout aussi bien le mystère des tours de batelage chez les ursulines de Loudun, chez les religieuses de Louviers et chez tant d’autres prétendues possédées du démon, qui en réalité n’étaient, comme le furent plus tard les convulsionnaires de Saint-Médard, que des jouets de l’hystérie.

Les conquêtes toutes récentes de la pathologie du système nerveux [p. 566] font donc disparaître les dernières traces des ombres répandues sur l’histoire ·de la démonologie. Elles fournissent de nouveaux et suprêmes arguments en faveur de l’opinion des médecins qui affirmaient, jadis au milieu de l’incrédulité générale, que la plupart des sorciers étaient des malades, et que la société se montrait injuste et cruelle en leur faisant expier dans le supplice des flammes le malheur d’avoir perdu la raison. Ces conquêtes achèvent enfin de renverser dans l’histoire de la sorcellerie comme dans celle de la possession démoniaque l’injurieuse hypothèse de la simulation, invoquée si longtemps par des esprits trop enclins au doute systématique. Aussi, le progrès successivement accompli depuis 1682 dans le domaine du droit criminel, grâce aux efforts réunis de la science et de la philosophie, est-il du plus heureux présage pour celui qui reste encore à réaliser. L’abolition de la peine capitale d’abord, et plus tard la suppression des poursuites en matière de sortilèges, donnent lieu en effet de concevoir l’espérance que, cessant d’obéir à la force du préjugé, notre législation introduira tôt ou tard, dans l’appréciation de certains délits et dans la nature des peines qui leur sont applicables, les changements que, dans l’intérêt de l’équité comme dans celui de la philanthropie, les médecins d’aliénés demandent depuis longtemps et que des criminalistes éminents commencent eux-mêmes à appeler de tous leurs vœux.

Dr MICHÉA.

Notes

(1) Dans ce procès, il fut question d’un sacrifice pareil à celui que Socrate fit à Esculape le jour de sa mort, l’immolation d’un coq, pratiquée par des religieux ambroisiens, que les Concini avaient fait venir pour cela de Nancy.

(2) Lors des aveux que fit devant Charles IX le sorcier Trois-Echelles, exécuté à Paris, en 1571, l’amiral Coligny, présent à la séance, cita, suivant l’historien Mézeray, l’exemple de deux gentilshommes empoisonnés de la sorte par un valet de chambre.

(3) Henri Boguet avoue lui-même que les poudres dont beaucoup de sorciers prétendaient avoir fait usage pour tuer du bétail ou pour empoisonner des hommes ne contenaient aucun principe nuisible. (Code de, Sorciers, p. 34.)

(4) En 1718, ce parlement faisait encore brûler vif un noueur d’aiguillettes.

(5) En 1731, dans le procès du père Girard, accusé d’enchantement et d’inceste spirituel, douze juges sur vingt et un avaient d’abord condamné au supplice du feu ce membre de la compagnie de Jésus, heureusement acquitté en appel.

(6) Rivinus, cité par George Zimmermann, a fait cette remarque dans la peste de Leipzig. (Traité de l’expérience en médecine, traduct. franç., in-t2, t. III, p. 173. Avignon, 1800.)

(7) Voyez le Mémoire du docteur Grémilly, intitulé de la Frayeur cholérique, in-8. Paris, 1833.

(8) Un médecin de Lyon, qui avait assisté en 1817, à l’ouverture cadavérique de plusieurs individus mordus par une louve enragée, était resté frappé de l’idée qu’il avait pu lui-même s’être inoculé la rage. Aussitôt il perd l’appétit et le sommeil, il éprouve une constriction spasmodique au cou, et il est menacé de suffocation dès qu’il essaye de boire. Pendant trois jours, il erre sans cesse dans les rues, s’abandonnant au plus affreux désespoir. Ses amis parviennent à lui persuader que son imagination est seule malade, et dès lors les accidents disparaissent comme par enchantement. » (Ce fait est rapporté par le professeur Chomel dans le Dictionnaire de médecine en vingt et un volumes, t. XI, p . 407.) — « Un homme, dit le docteur Barbantini, étant à la chasse, rencontra un chien sur lequel te sien s’élança. Les deux animaux commencèrent à se battre avec fureur, et le chasseur, pour parvenir à les séparer, essaya de tirer son chien par la queue, et en reçut un léger coup de dent à la jambe. Cette blessure, du reste, était si peu grave, que le troisième jour elle était tout à fait cicatrisée. Cependant, le chien s’égara et ne revint pas à la maison. Le maitre s’imagina alors qu’il était atteint de la rage et l’idée de cette terrible maladie agit tellement sur son imagination, que, le lendemain, il présenta tous les symptômes de l’hydrophobie. Quatre jours se passèrent sans qu’il pût avaler ni liquides ni solides; il avait même eu déjà quelques accès de fureur, lorsque, le neuvième jour après l’accident, son chien reparut. Aussitôt cet animal fut mené dans la chambre de son maitre, qu’il flatta comme il avait coutume de le faire, et, dès ce moment, les signes de l’hydrophobie disparurent pour ne plus revenir. » (Giornale di fisica, chimica, t. X, p. 274.) — «  Suivant Falconet, cité par Zimmermann, une femme aperçut dans une église une autre femme dont la figure était couverte de taches. Elle crut que ces taches étaient celles de la petite vérole, mais il n’en était rien. Elle eut si peur d’être affectée de cette maladie, qu’elle ne tarda pas à en être réellement atteinte. (Ouvrage cité, liv. V, chap. II.)

(9) L’an 1604, au mois de septembre, lorsque je commençais à exercer la médecine à Maestricht, dit Benricus-ab-Hers, je fus appelé auprès d’une demoiselle qui demeurait dans un chapitre noble. Elle me dit qu’elle n’avait besoin d’aucun médicament, qu’elle touchait à sa dernière heure et qu’elle ne voulait pas fatiguer, par des remèdes inutiles, un corps qu’on ne tarderait pas à ensevelir, attendu qu’une Égyptienne lui avait dit qu’elle mourrait avant la fin de l’année. Je la priai de donner sa confiance à un médecin dont les conseils lui avaient déjà été utiles, plutôt que de s’en rapporter aux vaines prétentions d’une bohémienne, et j’ajoutai que, en supposant qu’elle dût mourir, elle devait néanmoins se conduire de manière qu’on ne put l’accuser d’avoir avancé sa mort, et même de l’avoir occasionnée par son opiniâtreté…. Le 28 du même mois, sur les huit heures du matin, chacun la trouvant mieux que la veille, elle me regarda d’un visage riant et qui semblait marquer un empressement affectueux : « Adieu ! » me dit-elle ; puis en présence de plusieurs jeunes demoiselles, et quoi que je fisse pour m’en défendre, elle me serra dans ses bras et m’embrassa sur les lèvres. Trois heures après, elle s’endormit d’un sommeil qui fut comme le passage de celui de la mort, En effet, au sortir du dîner je vins pour la voir, la croyant non-seulement vivante, mais pleine de santé ; je m’approchai de son lit : les femmes de chambre me dirent qu’elle reposait ; mais, en la touchant, je reconnus qu’elle était morte depuis longtemps. » (Cette observation se trouve rapportée dans le recueil intitulé : Bibliothèque médicale, publié par le docteur Royer-Collard, année 1818, t. XX, n° 51.) — Henricus-ab-Hers cite encore l’autre fait que voici : · « Une dame, déjà mère de quatre enfants fort sains et venus très heureusement au monde, ne se sentit pas plutôt grosse du cinquième, qu’elle assura qu’il lui en coûterait la vie. Dès lors, elle ne songea plus qu’à consacrer tous les moments qui lui restaient à se préparer à sa dernière heure. Comme elle pressait son mari de la mettre à même de faire son testament, je fus appelé. cette dame était dans son huitième mois et se portait fort bien….. Je parvins à arracher la cause secrète des craintes de cette dame. « Un astrologue, me dit-elle, disciple de Nostradamus, m’a prédit, lorsque j’étais encore fille, que je mourrais de mon cinquième enfant. Aussi, ce n’est qu’à l’âge de trente-cinq ans que j’ai pu me résoudre au mariage….. » Je répondis que l’opinion n’avait pas été favorable aux Centuries ; que le parlement de Paris les avait condamnées au feu, et qu’on s’en était souvent moqué dans cette ville. Je fis lire à cette personne tout ce qui avait été écrit contre l’astrologie judiciaire, en m’efforçant de lui démontrer la vanité de cette prétendue science ; mais tout fut inutile. Au neuvième mois de sa grossesse, un soir après avoir moins soupé qu’à son ordinaire, la dame se coucha auprès de son mari. Le lendemain, à la pointe du jour, on la trouva morte… (Ibid.)— « En 1604, une jeune femme, très bien élevée, qui était enceinte, s’imagina qu’elle succomberait après ses couches, parce que sa mère était morte en la mettant au monde. Elle fut très bien portante pendant toute sa grossesse. L’époque de l’accouchement venue, la sortie de l’enfant est heureuse et facile ; le nouveau-né se porte très bien lui-même. Peu d’heures après la délivrance, la mère, jusque-là nullement indisposée, se [p. 538] trouve prise de mouvements convulsifs. Ceux-ci continuent et finissent par déterminer la mort, sans qu’on puisse soupçonner d’autres causes que la crainte du trépas. » (Manget, Bibliothèque médicale, t. I, p. 1066.)

(10) Demonolatriæ, libri tres. 1596. — Dans plusieurs chapitres de cet ouvrage se trouvent insérés des fragments de procès-verbaux authentiques, très importants pour l’histoire de la sorcellerie.

(11) S’il faut en croire Jamblique, tous les néo-platoniciens, assez favorisés des dieux pour parvenir jusqu’au degré de hauteur intellectuelle et de perfection morale qu’ils nommaient extase, ne témoignaient dans cet état aucun signe de souffrance, soit qu’on soumit leur corps à l’action du feu, soit qu’on les frappât sur le dos à coups de bûche, soit enfin qu’on leur pratiquât des blessures avec des instruments tranchants. (De Myst. Egypt. Sect. III, cap. IV.)

(12) Manuscrit anonyme de la bibliothèque de l’Arsenal, cité par le docteur Mathieu.

(13) Ce fait se trouve rapporté par Claude Lebrun de la Rochette, qui en fut lui-même témoin, dans son ouvrage intitulé le Procès criminel, in-8°, liv. II, p. 144. Rouen. 1611.

(14)Suivant M. Calmeil, Thomas Boullé était un homme aussi sain d’esprit qu’Urbain Grandier, et comme celui-ci il mourut victime des grossières accusations d’une troupe de convulsionnaires privés de sens et de raison. S. le malheureux curé du Ménil-Jourdain ne fut pas un fou à proprement parler, c’était du moins un homme en proie à une maladie nerveuse, peut-être à des accès d’épilepsie, car dans son procès des témoins déposèrent qu’il avait quelquefois des attaques de nerfs à l’église.

(15) Morand vit plusieurs femmes convulsionnaires se faire darder les chairs et percer la langue avec des épées sans offrir le plus léger signe de douleur. Il en observa trois qui, voulant imiter le crucifiement de Jésus-Christ, restèrent tout à fait insensibles au moment où on leur traversa les pieds et les mains avec des clous de fer ayant cinq pouces de longueur. Enfin il fut encore témoin de l’impassibilité avec laquelle la fille Marie Sonnet, surnommée la Salamandre, supportait l’épreuve du feu, simplement enveloppée d’un drap, cette convulsionnaire se laissait placer dans une cheminée, sur deux tabourets. auprès d’un brasier ardent, et elle gardait cette position durant tout le temps qu’on met d’habitude, suivant les propres expressions de Carré de Montgeron, pour faire rôtir une pièce de mouton.

(16) Voir le manuscrit de l’Arsenal, déjà cité.

(17) Œuvre complète,. liv. VII, ch. II.

(18) Patholog., lib. VI.

(19) Suivant Tacite, le sang coulait avec une si grande lenteur par l’ouverture pratiquée aux veines de cette malheureuse princesse, toute glacée d’épouvante, qu’on fut obligé de l’étouffer dans son bain pour abréger les souffrances de son agonie.

(20) Voir, dans la Gazette hebdomadaire de médecine de Paris, février 1856, un article intitulé de l’insensibilité de la peau à la douleur dans la folie.

(21) Pigray, Chirurgie, liv. VII, ch. X.

(22) Parmi les autres possédées de Loudun, la sœur Elisabeth Blanchard, si célèbre par l’intensité de ses crises convulsives, l’emportement de son délire et la violence de ses accusations contre Urbain Grandier, était également du nombre de celles qui, disait-on, pouvaient lire dans la pensée de son exorciste. (De la Ménarday, Histoire des Diable de Loudun, p. 188.)

(23) Compendium de médecine, année 1842, 17e livraison, article Hystérie. — Nous eûmes nous-même l’occasion de constater l’exaltation de l’ouïe chez plusieurs hystériques. Une jeune tille de vingt ans avait surtout ce sens si développe dans l’intervalle de ses crises, que non-seulement elle désignait du premier coup le meuble sur lequel on avait placé une montre dérobée à ses regards, mais que du fond de sa chambre, située au quatrième étage, elle distinguait notre pas au moment où nous n’avions pas encore gravi les premières marelles de l’escalier. Cette jeune malade annonçait par ce moyen, plusieurs minutes à l’avance, sans jamais se tromper, l’instant où nous venions errez elle; et comme le Jour et l’heure de nos visites n’avaient jamais rien de déterminé, toute sa famille, qu’elle se plut longtemps à mystifier, s’extasiait sur sa prétendue faculté divinatoire.

(24) Dissert. morbi à fascino. Ienæ, 1682.

(25) De potentia diaboli in corpora (Opera omnia, t. V, p. 94 et 103).

(26) Arch. de Médecine, janv, 1800, p. 14.

 

 

 

 

 

 

 

 

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