Maryse Choisy. Autour du Congrès de Paris. Bilan des Congrès et des rêves. Extrait de la revue « Psyché – Revue internationale des sciences de l’homme et de psychanalyse », (Paris), 5eannée, n° 49, novembre 1950,  pp. 770-776.

Maryse Choisy. Autour du Congrès de Paris. Bilan des Congrès et des rêves. Extrait de la revue « Psyché – Revue internationale des sciences de l’homme et de psychanalyse », (Paris), 5eannée, n° 49, novembre 1950,  pp. 770-776.

 

Maryse Choisy (1903-1979). Ecrivain analysé par Charles Odier, qui rencontra Pierre Teilhard de Chadin en 1939 et se convertit au catholicisme. Elle fondé la revue de psychanalyse très estimée « PSYCHÉ » qui publia des textes de Jacques Lacan, Juliette Favez-Boutonier, Françoise Dolto, etc.
Autre texte :
— L’archétype des trois S. :
Satan, Serpent, Scorpion. Article parut dans le numéro spécial des su« Etudes carmélitaines » sur « Satan ». (Paris), Desclée De Brouwer, 1948. 1 vol. in-8°, 666 p. – pp. 442-451. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 770]

Autour du Congrès de Paris.

par Maryse Choisy.

Décidément, 1950 aura été l’année des bilans. Pendant un mois Paris avait repris la légèreté. Irréelle d’avant toutes les guerres pour accueillir les deux mille quatre cents congressistes venue de quarante sept pays dans une atmosphère de contes de fées et de magiciens.

Dans les réunions d’Hygiène mentale on avait continué à travailler ascétiquement par petits groupes d’une rare fécondité de pensée. La criminologie, bien qu’elle soit encore dans son enfance, avait appris à marcher toute seule dans une ligne des plus modernes, puisqu’elle eut une section de psychanalyse, sous l’intelligente direction de MM. Hesnard et Repond et grâce aller l’inlassable dévouement de Mlle Favez-Boutonier (qui malgré sa valeur personnelle ou… précisément à cause d’elle consentit à jouer les Marthe, alors que sa place de véritable était à la tribune.

Le rapport de M. Denis Caroll fit une profonde impression. On eut bien à déplorer les travaux pratiques qui n’étaient pas prévus par les organisateurs. Mais personne ne perdit la tête. Et il faut féliciter le dynamique M. Piprot d’Alleaume pour l’excellente tenue de ce Congrès.

Mais le premier Congrès mondial de psychiatrie qui suivit la criminologie à la Sorbonne avait revêtu une importance toute particulière. Depuis 1900, personne ne savait plus où l’on en était. [p. 771] Nous venons d’intégrer un demi-siècle d’acquisitions psychologiques. Et quelles acquisitions ! J’admire MM. Delay et Ey d’avoir vu si grand d’avoir su garder dans leurs réalisations  cette grandeur jusqu’au bout. Je ne parlerai pas des ténors. Tous ce qui avait le moindre nom dans le plus petit pays des antipodes ce trouver là. Et on pouvait enfin mettre un visage sur les textes qu’on lisait depuis longtemps. Je ne veux m’attacher ici qu’à examiner les conclusions qui découlent directement de cette rencontre mondiale.

Ni les  «  lobotomisants », sous la conduite de M. Egas Moniz (du Portugal) et de M. W. Freeman (de Washington), ni les biologistes, sous le généralissime C. Cerletti (de Rome), ni les psychanalystes sous M. Alexander le grand (de Chicago) ne se querellèrent sérieusement. Mais —la psychanalyse, elle, l’a découvert depuis longtemps —on ne se dispute qu’en famille. Personne ne me croirait si je jurais que la concentration de si nombreuses troupes de psychanalystes variés se déroula dans une harmonie parfaite. Sans entrer dans les détails personnels, je voudrais dégager ici les lignes de direction de la psychanalyse actuelle. Deux conceptions s’étaient affrontées enfin au grand jour : le classicisme orthodoxe, impitoyable, rigoureux, conservateur et —osons le dire —statique des trois dictatrices :

Mlles Anna Freud, Mélanie Klein, Mme Marie Bonaparte, et la psychothérapie où l’on ouvrait toutes grandes les fenêtres aux rumeurs du monde extérieur, au progrès, à l’évolution que doit subir à la longue toute science vivante. la psychanalyse vraiment dynamique de M. Alexander. Je détache ces quelques lignes qui résument son exposé:

« Conjointement à ces progrès théoriques, la technique psychanalytique a également évolué. Le but thérapeutique fut, d’abord, de remettre en place (reconstruct) le matériel refoulé. Plus tard, on essaya de vaincre les défenses du «  moi » défenses dirigées contre le contenu refoulé, et cela dans le but d’accroître la capacité d’intégration du « moi » et de lui rendre ainsi possible l’utilisation des pulsions qu’il devait primitivement exclure et qui trouvaient issue dans des symptômes ou des comportements pathologiques. L’instrument thérapeutique le plus puissant devint la manœuvre (handling) du transfert.

Les situations interpersonnelles originelles qui, dans l’enfance, rendaient les refoulements nécessaires, sont revécues que dans le transfert, donnant au [p. 772] « moi », mais cette fois dans des conditions plus favorables, une nouvelle chance d’affronter les conflits non résolus.

L’évolution la plus récente consiste en des tentatives de rassembler tous les facteurs thérapeutiques : vision de soi (insight), expériences émotionnelles curatrices du transfert, réalisation de conditions appropriées dans la vie extérieure du patient, cela dans un ensemble thérapeutique activement coordonné et organisé, adapté de façon souple aux besoins de chaque patient.

L ‘attention est particulièrement portée sur le problème le plus crucial, ;à savoir de combattre la tendance du patient à prolonger un traitement qui préserve son état de dépendance à l’égard du thérapeute. L’efficience et l’économie du traitement peuvent être augmentés par des moyens techniques récemment mis à jour, par exemple : changement de la fréquence des séances, interruptions convenablement dosées, encouragement à des expériences extra-thérapeutiques appropriées, attitudes consciemment prises par le thérapeute ».

Et alors —ô surprise heureuse ! —nous nous apercûmes que les lieutenants d’Alexander étaient les plus nombreux. Les psychanalystes orthodoxes qui, jusqu’ici, prétendaient seuls détenir la vérité étaient en minorité. Nous, dans l’équipe de Psyché, qui avons toujours appelé le plus d’air frais sur des notions momifiées, nous ne pouvons que nous en réjouir. Je l’ai dit et répété souvent ici même, Freud était un savant honnête. Freud buvait à toutes les sources. Freud se corrigeait sans cesse. Pendant toute sa vie il a cherché. Lorsqu’une découverte clinique contredisait sa théorie, il changeait la théorie. Il a varié sur les instincts, sur l’angoisse, sur le narcissisme. Est-il besoin de !e rappeler ? Ainsi ceux qui, fidèles à son héritage, travaillent dans sa direction en sauvant l’essentiel et en affinant et nuançant les hypothèses douteuses, sont plus près de lui que ceux qui conservent superstitieusement comme des préceptes divins dans une armoire poussiéreuse la moindre de ses boutades, sans oser, comme les petits enfants, s’éloigner de quelques pas du foyer paternel. Ceux-là n’aboutissent qu’à l’artério-sclérose de la psychanalyse. La psychanalyse est par définition une science dynamique. Il est impossible que tous ceux qui ont soutenu M. Alexander, notamment le Dr Dracoulidès (d’Athènes), le Professeur Seguin, (de Lima), le Professeur Sarro Burbano (de Barcelone), le Dr Bierer (de Londres) aient tous tort. Dans deux admirables interventions faites simultanément et sans se consulter le Dr René Laforgue à la Sorbonne, le Dr A. Hesnard [p. 773] à la Cité Universitaire, montrèrent combien ces nouvelles directions de la psychanalyse étaient saines et fécondes. Laforgue, avec une admirable sagesse condensa toute son expérience clinique.

Dans sa première intervention à la réunion consacrée à la médecine psychosomatique, le Dr Laforgue a rappelé les cas d’ulcères d’estomac chez des névrosés qu’il a traités il y a plus de vingt-cinq ans. Il a publié les observations de ces cas avec le Dr G. Parcheminey, dans un article paru en 1925 dans le deuxième numéro de « l’Évolution Psychiatrique » dont Hesnard et Laforgue étaient les fondateurs et les directeurs à l’époque.

Depuis, Laforgue a eu l’occasion d’observer une, quinzaine de cas d’ulcères d’estomac ou de l’intestin évoluant favorablement dans leur ensemble sous l’influence du traitement psychanalytique auquel ils ont été soumis. Il espère, au cours de discussions ultérieures et par ses publications, pouvoir mettre ce matériel à la disposition de ses confrères avec lesquels il ne demande pas mieux que de confronter ses opinions dictées par une expérience qui date de plus de trente ans.

A la réunion plénière à la Sorbonne, réunion consacrée à la discussion des rapports de la section de psychanalyse, le Dr Laforgue a mis en garde les psychanalystes contre un sectarisme à base de fanatisme religieux qui divise les différentes Sociétés de Psychanalyse en dressant les psychanalystes les uns contre les autres d’une façon souvent regrettable. Ce sectarisme a pour conséquence que certains utilisent la psychanalyse comme un but et non comme un moyen devant servir à faire œuvre scientifique et à combattre la misère créée par les névroses. La tendance, à faire de la psychanalyse un instrument au service d’un esprit de propagande intéressée et de domination dogmatique ne doit pas être sous-estimée. Il ne faut pas substituer à une obsession névrotique l’obsession de la psychanalyse sous prétexte de guérir un mal. Il faut, pour faire œuvre scientifique, ne pas se priver du bénéfice du doute et savoir affronter les incertitudes que comporte la situation pour arriver à remplir vraiment la tâche du médecin.

Sans vouloir toutefois généraliser, l’expérience du Dr Laforgue [p. 774] l’amène à prendre sérieusement en considération certaines conceptions du Professeur Alexander. Il estime qu’il est possible par une technique rationnelle, dans 60 % des cas, de faire l’économie de nombreuses séances, parfois jusqu’à deux tiers de celles exigées par un traitement soi-disant orthodoxe. II reste, selon lui, environ 40 % de cas pour lesquels l’intervention classique du psychanalyste, telle qu’elle lui est enseignée au sein des organismes créés par les différentes Sociétés de Psychanalyse freudienne, reste valable. Il est bien entendu que la psychanalyse a pour but de vaincre la résistance· du névrosé qui, par l’intermédiaire du transfert, tend toujours à reproduire des situations infantiles n’ayant rien à faire· avec le présent auquel il ne peut s’adapter. D’après Freud lui-même, tout psychothérapeute capable de faire ce travail fait de la psychanalyse.

Le Dr Laforgue constate que, dans son remarquable rapport, Mlle Anna Freud précise quelle- est l’instance sur laquelle notre action devrait s’exercer au cours du traitement. D’après Freud, le moi serait, dans la névrose, prisonnier d’automatismes qui le priveraient plus ou moins de sa liberté d’action et de sa faculté d’adaptation. Ce serait encore le moi qui réagirait par l’angoisse à tout danger intérieur, que la menace viendrait du surmoi ou du ça, c’est-à-dire du côté de la conscience morale ou du côté de la violence des pulsions de l’instinct. Ce serait donc sur le moi qu’il faudrait pouvoir agir pour soulager le malade ou le guérir de son mal. Les moyens d’action dont nous disposons pour réaliser ce travail sont multiples. Si la psychanalyse est toujours un merveilleux instrument d’investigation, dit le Dr Laforgue, elle n’est pas le seul remède dont nous disposions pour exercer notre action, même si elle reste indispensable pour nous guider dans le choix de nos moyens. La liberté d’action du psychanalyste serait la première des conditions nécessaires pour lui permettre d’utiliser ses moyens d’action en connaissance de cause. Mais, pour cela, il ne faut pas que le psychanalyste soit lui-même prisonnier d’idées préconçues susceptibles de limiter son champ d’action, comme cela se produit inévitablement lorsqu’on cède à la tendance de faire de la psychanalyse une idéologie. Ceci, d’après le Dr Laforgue, se produirait malheureusement trop souvent chez ceux gui, pensant être libérés de toute croyance, reportent sur la psychanalyse leur besoin de foi et, de [p. 775] ce fait lui demanderaient ce qu’elle est incapable de donner.

C’est pourquoi il considère tout sectarisme dans le domaine de la psychanalyse comme un véritable danger non seulement pour les malades à traiter, mais aussi pour la psychanalyse elle-même.

Le Dr Hesnard alla plus loin encore et dit qu’on n’avait pas le droit de nous appeler des psychanalystes dissidents. Nous étions, bel et bien, des « psychanalystes progressistes ». Il insista beaucoup sur ce terme. Faut-il souligner la valeur essentielle de ce témoignage du Père de toute la psychanalyse française. (Ne l’oublions pas, le Dr Hesnard soutint la première thèse française sur Freud et introduisit la psychanalyse en France). Il est donc précieux que cet homme du passé soit aussi l’homme de l’avenir. C’est la marque même de la vie. Hesnard est un clinicien essentiellement vivant. Une psychanalyse réussie consiste précisément à intégrer les éléments du passé pour mieux garder les yeux ouverts et la force disponible pour l’avenir.

C’est de ce principe que nous nous sommes inspirés pour composer notre numéro de la Toussaint. Nous avons donné une place spéciale aux théories sur les rêves. Tout n’est pas faux dans la notion magique des primitifs qui voyaient dans le contenu onirique des indications sur l’avenir. En nous tenant strictement à la théorie freudienne du rêve égale désir inconscient, nous devons bien avouer que parfois un certain nombre de désirs se réalisent. Fidèles à notre programme plus large, nous avons accueilli à côté des exposés classiques, les interprétations fort intéressantes du Dr Frederick Weiss (de l’école de Karen Horney) et du professeur Roger Bastide. Nous avons consacré aussi une part aux rêves de mort dans la littérature (poème de Pierre Guéguen). Enfin les analystes pourront s’amuser à commenter les vieux rêves de Valère Maxime, admirablement traduits par Mario Meunier. Le style de vie, à défaut d’associations, est fourni par l’Histoire. Nous donnerons dans notre numéro de fin d’année un exposé de nos activités pour 1951. [p. 776]

La leçon de ce Congrès nous fut un encouragement d’une grande valeur. Nous y avons puisé une force inestimable pour continuer notre œuvre. Comme je l’ai écrit dans mon livre : Qu’est-ce que la Psychanalyse?, le grand malentendu la base demeure la notion du réel. Sur le réel, plus encore que sur les techniques, se fait le clivage parmi les tendances psychanalytiques actuelles. Entre la psychanalyse close du réel = course au bifteck et la psychanalyse ouverte du réel de l’intérieur, la réconciliation paraît malaisée. La ligne essentielle passe au confluent du psychique et du métaphysique. J’ai dit aussi (PSYCHÉ N° 44) que les forts en thème conservent comme un rituel les mots orthodoxes, mais que les créateurs ne se battent pas avec des mots. Ils ont, pour survoler, des ailes.

Précisément à PSYCHÉ nous nous sommes efforcés de ne jamais couper les ailes à personne. La conception « orthodoxe » de l’« adaptation au réel » est aujourd’hui castratrice. Appliquée à la lettre, elle condamne en bloc Socrate et Pasteur et, sur une grande échelle, ferme la voie à tout progrès. Pourquoi un homme parfaitement adapté créerait-il quoi que ce soit, puisque toute création porte le risque de troubler ce qui est ?·Le progrès n’est pas conformiste. La mutation est même à l’opposé du conformisme. Or la mutation est un ressort de l’évolution des espèces. La psychanalyse, qui donne toujours raison à la vie, se contredirait ici ? Laissons tranquillement les morts enterrer les morts. Après le Congrès la voie est largement ouverte à ceux que Hesnard vient de baptiser les « psychanalystes progressistes ».

En jetant dès 1948 les hases de l’I.B.I.S. (1) nous avons montré que nous étions des précurseurs. Nous n’ignorons pas le rôle dangereux qui échoit à tous les précurseurs. C’est toujours une lourde responsabilité d’avoir raison.

MARYSE CHOISY

Note 

(1) Voir PSYCHÉ, N°45-46, pp. 621 à 634 et N°47, p. 702-703.

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