Marcel Réja. L’Art malade : Dessins de fou. [Partie 2] Extrait de la « Revue Universelle », (Paris), 1901, pp. 940-944.

Marcel Réja. L’Art malade : Dessins de fou. [Partie 2] Extrait de la « Revue Universelle », (Paris), 1901, pp. 940-944.

 

Paul Meunier [Réja Marcel] (1873-1957). Docteur en médecine (Paris, 1900). – Psychiatre, l’un des premiers découvreurs de l’art brut. — Auteur dramatique, poète et romancier sous le pseudonyme de Marcel Réja.

Quelques publications :
— Les rêves et leur interprétation.
— L’Art malade : Dessins de fou. [Partie 1]. Extrait de la « Revue Universelle », (Paris), 1901, pp. 913-915 . [en ligne sur notre site]
— Marcel Réja. La Littérature des fous. Extrait de la « Revue Universelle », (Paris), 1903, pp. 129-133. [en ligne sur notre site]
— Des rêves stéréotypés. Extrait du « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris), Deuxième année, 1905, pp. 428-438.
— (Avec Vaschide Nicolas). Des Caractères essentiels de l’image onirique. Extrait de la revue « Annales des sciences psychiques », (Paris), 15e année, n° 10, 1905, pp. 618-627. [en ligne sur notre site]
— (Avec Vaschide Nicolas). Projection du rêve dans l’état de veille. Article parut dans la « Revue de Psychiatrie (médecine mentale, neurologie, psychologie », (Paris), nouvelle série, 4e année, tome IV, n°1, janvier 1901, pp. 38-49. [en ligne sur notre site]
— Valeur séméiologique du rêve. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), septième année, 1910, pp. 41-49. [en ligne sur notre site]
— Marcel Réja, L’Art chez les fous : le dessin, la prose, la poésie, Paris, Mercure de France, 1907.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images sont celles de l’article original. Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 940, colonne 1]

L’Art malade :

Dessins de fou.

Par MARCEL RÉJA.

Un point essentiel pour les œuvres qui nous occupent, c’est que nous ne considérons l’artiste que pour autant qu’il est sous L’influence de la folie. Il faut entendre par-là qu’une émotion ou une série d’émotions, une idée ou une série d’idées s’imposent à lui tyranniquement et demandent à se traduire selon quelques modes d’activité. L’art est l’un de ces exutoires.

Dès lors deux cas bien distincts peuvent se présenter et se présentent selon que le fou qui s’attaque à un art l’avait ou non pratiqué déjà auparavant. Dans le premier cas, la maladie imprime au style et à la manière une déformation plus ou moins profonde, parfois favorable et parfois défavorable. Ailleurs, tel artisan qui rabotait du bois ou alignait tout le jour de laborieuses additions, ressent, sitôt malade, le besoin de réaliser une œuvre d’art, quelque chose comme le coup de foudre du génie ! puis la maladie passée, il n’y songe plus, reprend son rabot ou la série interminable et fastidieuse de ses additions.

Fig. 10 – Plan d’une ville imaginaire.
La ville dst flanque de phases aux quatre coins collatéraux. Les noms de rues sont empruntées au vocabulaire de la médecine et de la pharmacie : « rue Érysipèles », « rue Embarras Gastriques », « rue Foie de Morue », etc.

Dans cette première catégorie, comprenant les artistes improvisés, et ils sont nombreux, il faut s’attendre à [p. 940, colonne 2] retrouver toutes les maladresses de l’ écolier non encore familiarisé avec les procédés du métier. L’une des caractéristiques les plus générales des sculptures et dessins de ces malheureux est la ressemblance plus ou moins complète avec les formes archaïques de l’art. Ils recommencent pour leur compte les tâtonnements de l’esprit humain cherchant sa voie artistique. Mais ce retour en arrière peut remonter plus ou moins loin. Dans une bonne partie des cas l’inhabileté de la main, en même temps que la faiblesse de la conception, n’aboutit qu’a des réalisations de style simplement enfantin, soit que l’auteur s’applique à la représentation de personnages ou d’objets réels, assemblés sans ordre et exécutés sommairement, soit que, désireux de faire une œuvre élégante et n’en possédant aucun moyen, il se contente de surcharger ses lettres de lignes ou de points régulièrement disposés. Il y a d’ailleurs tous les intermédiaires de la maladresse la plus totale jusqu’aux décorations niaises, mais relativement correctes.

Fig. 11 – Bois sculpté.
(Collection du Dr A. Marie).

Ce sont là, on peut le dire, les rudiments les plus informes. Il faut avouer qu’il n’y a là rien d’artistique, rien de beau. Ces fous dessinent comme quelqu’un qui ne sait pas dessiner. Nous objectera-t-on que si l’on demande à cent manœuvres pris au hasard de dessiner, on obtiendra sensiblement les mêmes produits ? Il se peut, mais tout d’abord les manœuvres en question refuseront sans doute d’accéder à une telle demande. A quoi bon ? Quel intérêt cela peut-il avoir ? Au lieu que le fou dessine spontanément, se complait a ses productions.

D’autres fois, le fou, inexpérimenté dans l’art du dessin, refuse de se hasarder aux formes complexes ou ses maladresses seraient trop flagrantes. Il se fait alors paysagiste. La symétrie serait encore trop complexe pour lui. Il se contente de répéter à l’infini le même motif, d’ailleurs fort simple et emprunté à la géométrie. D’une ambition plus modeste, il a ainsi réalisé un ensemble simpliste qui n’est pas sans quelque grâce décorative.

Nous retrouverons souvent cet emprunt aux formes géométriques qui, sous leur aspect le plus simple, sont un excellent support aux inhabiletés et sont d’ailleurs employées dans l’industrie dans le but d’obtenir une décoration sans avoir à se donner la peine d’apprendre à dessiner. Il arrive que cet arrangement géométrique, sous sa forme la plus aride, fasse tous les frais de la composition comme dans le plan de cette ville qui, par parenthèse, reproduit le plan de la Babylone antique, à l’exception de deux artères diagonales surajoutées (Fig. 10). C’est de la simplification à outrance.

D’autres combinent davantage et semblent rechercher dans l’enchevêtrement de leurs figures quelque chose comme une sensation obscure, une idée inexprimée. Comme les ornemanistes de l’art mauresque, ils s’adressent aux formes géométriques pour s’affranchir de l’imitation de tout objet réel, pour créer à leur guise, se livrer au débordement de leur fantaisie, sans avoir à s’inquiéter de la ressemblance ou de la vraisemblance de leus créations.
Parmi ces factures maladroites appliquées à traduire une idée très vague et souvent même s’évertuant sans le renfort de cette idée, il est très curieux de remarquer qu’une habileté relative aboutit rarement à la conquête d’un style vraiment original.

Il est évident que la sculpture sur bois de la figure n’est ni d’un sculpteur qui connait son métier, ni d’un enfant qui s’est amusé. Par contre, elle ressemble étonnamment aux fétiches crées par les peuplades sauvages. Les yeux [p. 941, colonne 1] représentes par les ellipses, la bouche fendue d’un trait direct, les proportions monstrueuses qui la font ressembler à un fœtus et la façon large et grossière dont sont traitées les mains, on ne saurait imaginer de ressemblance plus complète. Il n’y a d’ailleurs qu’à comparer avec une statuette quelconque de fétiche.

Fig. 12 – Composition géométrique.

Une autre du même genre (Fig. 11) est, déjà d’une différenciation plus grande. La construction en est plus détaillée, d’une facture moins primitive. Le sens du détail et de la proportion fait une discrète apparition.

Les photographies de statuettes (Fig. 5) représentent des stades plus ou moins avancés de ce style sauvage, fait d’une synthèse maladroite et d’une exécution plus maladroite encore.

Parmi les dessins, nous trouvons une variété plus grande. Un auteur, dont nous avons déjà parlé à propos des formes géométriques (Fig. 12), reproduit d’une façon constante des dessins à tendance purement décorative dont le style nettement caractérisé rappelle les œuvres égyptiennes par la monotonie et le hiératisme des poses, la synthèse large et pas toujours maladroite des lignes. Mais la bizarrerie y transpire jusqu’à l’absurdité, les mains s’allongent à l’infini, les ornements les plus inexplicables surabondent et les phrases les plus incohérentes s’y entremêlent, dissuadant de chercher une signification quelconque. Ces dessins tout surchargés ne cherchent à représenter ni à démontrer quoi que ce soit ; ils sont le produit d’une activité spontanée qui s’exerce à vide.

Fig. 13 – Cavalier ; aquarelle.
(Collection du Dr A. Marie)

Dans le même ordre d’idées, ce cavalier colorié en teintes plates d’une façon toute rudimentaire, avec sa gaucherie toute spéciale (Fig. 13), qui ne manque pas d’une certaine grâce, rappelle assez le style des dessins persans ; simplification du dessin qui, oh de me rend ne manque pas d’équilibre, absence de perspective, raideur de latitude, un vu de profil et dessiner comme s’il était de face ; cela un ensemble assez caractéristique est intéressant dans sa maladresse. En outre il y a le souffle d’une vie allègre, quelque chose comme un coin du monde conçu par une intelligence [p. 941, colonne 2] dénuée de complexité.

Fig. 14 . – Représentation de la Sainte Trinité.

D’autres fois, avec les mêmes qualités, on retrouve certains détails rappelant impérieusement la façon des enfants. Il est rare, en effet, qu’un écolier crayonne un bonhomme sans lui faire fumer sa pipe et un âne sans le montrer lâchant ses crottes. Par contre, jamais un enfant n’eût attaché la queue de l’animal d’une façon aussi correcte. Il en eût fait un appendice surajouté.

C’est, encore cette conception décorative qui fait l’intérêt de cette broderie (Fig. 16) où les couleurs violentes donnent une sorte de sensation de sauvagerie assez apparentée avec la facture rudimentaire du destin. Il n’y a pas d’action à exprimer : personnages, animaux, arbres ne sont là que pour orner le tablier.

Mais quand la même inexpérience du dessin est appliquée à traduire une conception plus ou moins claire, l’exécution est modifiée. Alors l’inhabité adopte une formule graphique qu’il répète à satiété et qui lui tient lieu de style. La nécessité d’exprimer quelque chose, idée ou émotion, prête une sorte d’existence fantomatique à ses personnages.

Un paysan qui se croit le Saint-Esprit dessine le portrait des divers membres de sa famille, qu’il voit très beaux, d’une façon maladroite et bizarre (Fig. 14). avec une facture qui ressemble à celle du peintre belge James Ensor, tout talent mis à part. L’analogie est d’autant plus curieuse que ce peintre est connu pour ses dessins hallucinatoires et extravagants.

Un autre fait des compositions dans le style des images d’Épinal (Fig. 15). Il s’est spécialisé dans la représentation des charges de cavalerie et, grâce à la constante répétition du même motif, a acquis une sorte d’habileté assez grossière dans la représentation des chevaux et des cavaliers. Si le décor est puéril et si le dessin fourmille d’imperfections, il y a un groupement assez habile, un sens de la perspective, du mouvement, et de l’enthousiasme dans l’ensemble. La traduction de l’émotion sexuelle, si fréquente chez [p. 942, colonne 1] (Fig. 21) l’homme normal, n’est pas indifférente aux fous. Le nombre de dessins simplement obscènes confectionnés par des fous est prodigieux. Ici encore on retrouve tous les degrés, suivant l’habilité et le sens artistique de l’auteur, de la plus basse obscénité jusqu’à la stylisation la plus élégante.

Fig. 15. – Charge de cavalerie ; aquarelle.

L’auteur du Prêtre adamique (Fig. 21) mystique tourmenté par la sexualité, a réaliser dans ce genre des chefs-d’œuvre qu’il est difficile de publier. Lorsqu’ Il s’agit d’exprimer non plus un sentiment ou une émotion, mais une idée, nous sommes en présence d’une manière qui rappelle sensiblement celle des prisonniers, dont nous avons déjà parlé. C’est ici que se classent les fous pour qui le dessin n’est rien de plus qu’une écriture idéographique.

Fig. 16. – Broderie.
(Collection du Dr E. Toulouse)

L’auteur n’a pas la prétention d’exprimer des idées très mystérieuse. Alors, les personnages peuvent être sec, exprimés par schéma combinés à un texte. Tout soucis d’art est absent ; il s’agit simplement de bien faire comprendre de quoi il s’agit. Cette préoccupation, toutefois, n’est pas toujours exclusive, et bientôt se surajoutent une recherche artistique plus ou moins heureuse.

A vrai dire, quelques-uns de ces dessins ressemblent, au premier aborrd, à de simples gribouillages puérils. Cependant, dans leur maladresse, ils ont une homogénéité et une tenue générale. Ils représentent, une action symbolique de la plus haute importance pour l’auteur. Le malheur est que nous n’y comprenant rien, parce qu’il s’agit d’un ordre d’idées que l’on n’a pas coutume de considérer comme raisonnable. La figure 9, où le dessin est commenté par un texte cryptographique, souligne bien cette interprétation. Autres sont, dans le même genre, les broderies, dont nous donnons un exemple (Fig. 16). Il s’agit d’expliquer comment une vieille femme poursuit tout le monde de ses méchancetés. Les personnages, assez. habilement équilibrés, ont tous des têtes d’oiseau, et le bec est d’autant plus long que la méchanceté de son porteur est plus redoutable. La perspective fait défaut et le dessin rappelle, à coup sûr, celui des enfant, mais avec une habileté beaucoup plus grande et surtout une force d’expression étonnante.

Fig. 17. – Paysage japonais..

Mais il arrive aussi que le fou possède plus ou moins d’habileté dans l’art auquel il veut demander [p. 942, colonne 2] l’expression de sa mentalité nouvelle. C’est à cette catégorie de gens que peut s’appliquer la légende populaire qui veut que le génie naissent sous l’inspiration de la folie. Par exemple, tel dessinateur de fabrique, habitué à confectionner des fleurs honorables pour décoration courante, en style purement industriel, transforme sa manière sous l’influence de la maladie. Les idées de grandeur le poussent à croire qu’il connaît tout et est capable de tout ; il s’affranchit ainsi d’une tradition poncive et, rompant avec le métier banal, se livre a d’heureuses audaces de décoration, où les lignes et les couleurs, avec un aspect d’étrangeté, réalise parfois des œuvres forts curieuses. Ce paysage japonais (Fig. 17) a une véritable valeur décorative par la fraîcheur et l’éclat hardi de ses teintes et la largeur incontestable de sa facture. Toutefois, ce n’est là qu’une exception heureuse et, si certains continuent à dessiner correctement, beaucoup plus fréquent sur les cas où un artiste de beaux métiers tombe, sous l’assaut de la folie, dans une assommantes médiocrité.

Le déséquilibre des facultés peut du reste se traduire de plusieurs façons, soit par une incohérence complète, soit par une faiblesse générale, soit par des caractères particuliers. L’incohérence appliquée à la traduction d’une idée ressemble assez facilement a l’incohérence qui s’exerce à vide. Quant aux caractères particuliers de ces dessins, l’un des plus frappants consiste dans l’exagération d’un caractère quelconque, au détriment de l’ensemble. L’auteur de la figure 18, ancien graveur, reproduit d’une façon constante des personnages variés où le souci d’une musculature presque difforme absorbe toute l’œuvre. A côtés de détails bien venus, des incohérences, des disproportions non motivées viennent attester que, si l’auteur a su bien dessiner, [p. 943, colonne 1] il se laisse aller à des gaucheries, à des maladresses qui ne sont du reste pas sans rappeler le style de Marc Antoine Raimondi, son aïeul dans l’art du graveur.

Mais la perspective prise à rebours, comme dans la figure 19, voilà une idée qui suppose une singulière inconscience dans la maladresse.

Fig. 18. – dessin d’un graveur.
(collection du Dr sérieux).

Une autre déformation à laquelle ils se livrent volontiers consiste à modifier les proportions non pas selon la perspective, mais selon l’importance que l’auteur accorde aux personnages. Cela un procédé idéaliste par excellence. Il faut se rappeler que ce procédé est assez commun dans les arts primitifs aussi longtemps que la connaissance de la perspective ne permet pas de se servir des plans successifs pour exprimer la même intention. Il est enfin des œuvres, rares à la vérité, ou le déséquilibre ne se trahit plus par des imperfections de facture. Nous venons de voir un simple décorateur en pleine possession de son art, mais il en est aussi qui réalise de belles œuvres, vivantes par l’idée en même temps que par la forme.

Bien qu’assurément la figure 20, fragment d’une fresque atteinte plate, constitue une œuvre assez cohérente au point de vue facture, ce n’est pas là l’impression large et belle d’un chef-d’œuvre respirant vigueur et santé. Dans l’ensemble des travaux du même auteur, il y a un grain de bizarrerie qui ne peut passer pour de l’originalité de bon aloi. L’attitude raide et l’expression étrange des personnages est non moins troublante que la crudité violente des couleurs dont ils sont enluminés. Il y a analogie avec les peintures des primitif jusque dans les hautes prétentions symbolique dont l’auteur a soin de commenter son œuvre.

Ce tableau représente l’ère du théâtre en plein air et au carrefour des secrets et mystères dévoilés du sacerdoce. [p. 943, colonne 2] C’est en traduisant les hiéroglyphes égyptiens que l’on doit cette innovation.

Cette scène représente l’école en plein air, École populaire ou Instruction pour tous. Cette école reçu le titre de « crèche de Jésus ou Sauveur du monde. »

Ce titre commence à être compris de nos jours : pour sauver les humains, il leur faut à tous une éducation uniforme. Or ce tableau représente donc allégoriquement est en silencieux ce [p. 944, colonne 1] fait dont chacun des emblèmes qui s’y trouvent exprime un sens exacte et défini de cette ère de César Auguste supposé créateur de l’Évangile

Fig<. 19. – Dessin d’un paralytique général.

L’Évangile est donc un théâtre vulgaire composé de Tragédie, Comédie et Éloquence dogmatiquement conservés.

FiG. 20. – Fragment de fresque.
(Collection du Dr Luys).

Un faune (la science de la critique) disposant de la mobilité du rideau ou de l’influence publique sur le théâtre.

Plus habile au point de vue de l’exécution, sont les dessins de « Fulmen Cotton », l’auteur du Prêtre adamites. (Fig. 21) Il exprime son idée sans le secours toujours fâcheux d’un commentaire littéraire. On ne peut guère relever chez lui de rappel archaïque que le procédé des textes insérés à même le dessin. Encore ce texte est-il réduit à des noms propres et pourrait-on arguer de l’emploi du procédé chez les mauvais caricaturistes. Ici. c’est la surcharge infinie du dessin, la complication et l’imprévu du détail et des ornements, d’ailleurs arrangés avec art, le souci excessif de la symétrie « Lemotam-Matomel » qui contribuent à l’impression d’étrangeté. Si l’on voulait rechercher ce que peut être ce prêtre adamique où l’auteur a voulu se représenter lui-même, on verrait que cette étrangeté de la forme correspond à une absurdité des idées. On ne peut du moins pas contester qu’il y ait dans cette œuvre, ainsi que dans maintes autres du même auteur, un très réel talent en même temps que des idées plus spirituelles que judicieuses.

Nous avons ainsi passé en revue les principales manifestations de l’art chez les fous authentiques, c’est-à-dire chez ceux que l’on a dit enfermer parce que la vie sociale leur était devenue impossible.

Mais le cerveau le plus solidement constitué peut traverser des phases plus ou moins longues de folie artificielle sous l’influence de certains agents toxiques, l’alcool, la morphine, le haschisch. On connaît par des descriptions littéraires plus ou moins parfaites les déformations mentales que déterminent ces agents. Ce sont des cauchemars où les êtres vivants s’assemblent en théories paradoxales et souvent terribles, monstrueusement déformes scion des caprices variés à l’infini. Volontiers les peintres ont interprété ces sujets, mais ce ne sont là que des œuvres d’art d’un rendu plus ou moins habile, d’où impression plus ou moins saisissante, les documents d’une authenticité indiscutable font défaut.

Le hasard bienveillant nous a permis de mettre la main sur une pièce de la plus haute valeur à ce point de vue. La figure représente un dessin composé sous l’empire de la morphine. Elle est due à un homme fort intelligent, et, détail curieux, nullement professionnel du dessin, bien qu’il manie la ligne avec une souplesse étonnante. Il faut mettre en parallèle les œuvres de « peintres du cauchemar » pour apprécier toute la différence qui les sépare de ce profane documenté directement. Goya dans ses « Caprices », Breughel le Vieux dans « Margot l’enragée », Ensor dans ses compositions, Odilon Redon, ont fait des œuvres artistiquement plus belles, mais leurs tableaux le plus follement échevelés sont sages et calmes en comparaison de ce document.

Fig. 21. – Le Prêtre adamique, composition décorative.
(Collection du Dr A. Marie).

Je renonce à donner !a description de ce chaos, pourtant très habilement ordonné avec son éclairage central, où l’officier de marine siège sur son bateau dont les voiles s’enflent sous un vent d’une nature bien inattendue. Les personnages fourmillent, et les détails abondent, pourtant sans aucune répétition, le coin gauche de la composition est rempli de déformations monstrueuses et belles, qui ne sont pas sans évoquer l’art de des Chinois, eux aussi adonnés aux douceurs terribles de l’opium. Et parmi tout cela, la hantise perpétuelle de l’aiguille, et ça et là, discrètement, l’image de la bienfaisante seringue.

Fig. 22 – Composition d’un morphinomane.

MARCEL RÉJA.

 

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