Mallet & Marmontel. Démon. Extrait de « l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers… par Diderot et D’Alembert », (Paris), Tome 4, 1751, pp. 821-821.

Mallet & Marmontel. Démon. Extrait de « l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers… par Diderot et D’Alembert », (Paris), Tome 4, 1751, pp. 821-821.

 

Edme-François Mallet (1713-1755). Abbé, théologien et encyclopédiste français.

Jean-François Marmontel (1723-1799). Encyclopédiste, historien, conteur, romancier, grammairien et poète, dramaturge et philosophe français.

 

DÉMON, s. m. (Hist. anc. mod. & Belles-lettres.) nom que les anciens donnoient à certains esprits ou génies, qu’on croyoit apparoître aux hommes pour leur rendre service ou pour leur nuire. Voy. Génie.

La première idée des démons est venue de Chaldée ; de-là elle s’est répandue chez les Perses, chez les Égyptiens, & chez les Grecs. Pythagore & Thalès sont les premiers qui ont introduit les démons en Grèce. Platon a embrassé cette opinion, & l’a développée d’une manière plus étendue & plus claire qu’aucun des philosophes qui l’avoient précédé. Par démons, il entendoit des esprits inférieurs aux dieux, mais supérieurs aux hommes ; des esprits qui habitoient la moyenne région de l’air, & entretenoient la communication entre les dieux & les hommes ; portant aux dieux les offrandes & les prières des hommes, & annonçant aux hommes la volonté des dieux. Il n’en admettoit que de bons & de bien-faisans. Mais ses disciples, dans la suite, embarrassés de rendre raison de l’origine du mal, en adoptèrent d’autres, ennemis des hommes. Chambers.

Cette nouvelle opinion n’étoit pas moins révoltante pour la raison, que la nécessité du mal dans l’ordre des choses. Car en supposant, comme on y étoit obligé, un être supérieur dont ces esprits étoient dépendans, comment cet être leur auroit-il laissé la liberté de nuire à des créatures qu’il destinoit au bonheur ? c’étoit un abysme pour l’intelligence humaine, & dans lequel la religion seule a pû porter le flambeau.

Il n’y a rien de plus commun dans la théologie payenne, que ces bons & ces mauvais génies. Cette opinion superstitieuse passa chez les Israélites par le commerce qu’ils eurent avec les Chaldéens ; mais par les démons ils n’entendoient point le diable ou un esprit malin. Ce mot n’a été employé dans ce dernier sens que par les évangélistes & par quelques Juifs modernes.

Un auteur anglois nommé Gale, s’est efforcé de prouver que l’origine & l’établissement des démons étoit une invention d’après l’idée du Messie. Les Phéniciens les appelloient baalim. Ils reconnoissoient un être suprême, qu’ils nommoient Baal & Moloch ; mais outre cela ils admettoient sous le nom de baalim quantité de divinités inférieures, dont il est si souvent fait mention dans l’ancien Testament. Le premier démon des Égyptiens fut Mercure ou Theut. L’auteur que nous venons de citer trouve beaucoup de ressemblance entre différentes fonctions attribuées aux démons, & celles du Messie. Chambers.

Démon de Socrate, (Hist. anc. & hist. de la Philosophie.) Ce philosophe disoit avoir un génie familier, dont les avertissemens ne le portoient jamais à aucune entreprise, mais le détournoient seulement d’agir lorsqu’une action lui auroit été préjudiciable. Cicéron rapporte dans son livre de la divination, qu’après la défaite de l’armée athénienne, commandée par le préteur Lachez, Socrate fuyant avec ce général, & étant arrivé dans un lieu où aboutissoient plusieurs chemins différens, il ne voulut jamais suivre la même route que les autres, alléguant pour raison que son démon l’en détournoit. Socrate en effet se sauva, tandis que tous les autres furent tués ou pris par la cavalerie ennemie. Ce trait, & quelques autres semblables, persuadèrent aux contemporains de Socrate, qu’il avoit effectivement un démon ou un génie familier. Les écrivains, tant anciens que modernes, ont beaucoup recherché ce que ce pouvoit être que ce démon, & plusieurs ont été jusqu’à mettre en question si c’étoit un bon ou mauvais ange. Les plus sensés se sont réduits à dire que ce n’étoit autre chose que la justesse & la force du jugement de Socrate, qui par les règles de la prudence & par le secours d’une longue expérience soutenue de sérieuses réflexions, faisoit prévoir à ce philosophe quelle seroit l’issue des affaires sur lesquelles il étoit consulté, ou sur lesquelles il déliberoit pour lui-même. Le fait rapporté par Cicéron, & qui parut alors merveilleux, tient bien moins du prodige que du sens froid que Socrate conserva dans sa fuite ; la connoissance d’ailleurs qu’il avoit du pays put le déterminer à préférer ce chemin, qui le préserva des ennemis, à la cavalerie desquels il étoit peut-être impraticable. Mais on conjecture que Socrate ne fut peut-être pas fâché de persuader à ses concitoyens, que quelque divinité s’intéressoit à son sort, & par le commerce particulier qu’elle entretenoit avec lui, le tiroit du niveau des autres hommes.

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