Louis Proal. La Psycho-Pathologie historique. Extrait de la « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), quarante et unième année, tome LXXXI, janvier-juin 1916, pp. 135-164 .

Louis Proal. La Psycho-Pathologie historique. Extrait de la « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), quarante et unième année, tome LXXXI, janvier-juin 1916, pp. 135-164 .

 

Louis Proal (1843-19??). Magistrat. Conseiller à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (en 1892). Président de chambre à la Cour d’appel de Riom (en 1900). Conseiller à la Cour d’appel de Paris (en 1908). – Chroniqueur à la Revue pénitentiaire.
Quelques publications :
Le crime et la peine. (1892, 1894 et 1899).
La criminalité politique (1895)
Le crime passionnel et la littérature contemporaine. Extrait de « La Revue du palais », 1er août 1897.
Le crime et le suicide passionnels (1900)
Napoléon Ier était-il épileptique ? (1902)
L’éducation et le suicide des enfants (1907)
La psychologie de Jean-Jacques Rousseau (1923) 1930

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images on été rajoutée par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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La Psycho-Pathologie historique

Dans son étude sur la Pathologie mentale des rois de France, Brunetière a écrit que Auguste Brachet a voulu fonder une science nouvelle, ayant pour but d’expliquer par la science biologique et pathologique les faits historiques (1). Henri Bouchot, ancien conservateur de la Bibliothèque nationale, a écrit aussi : « Je n’hésite pas à le dire, l’ouvrage si prodigieusement documenté qu’on va lire est une révolution en histoire. C’est le début de toute une littérature dont nous pouvons dès aujourd’hui prévoir les conséquences. Les sciences historiques se traînent dans des redites, des publications d’archives, des aperçus philosophiques a priori, dont nous n’avons que faire. Il est temps de faire intervenir le facteur essentiel, l’homme tel qu’il est et tel qu’il fut. » L’étude sur la pathologie mentale de Louis XI et de ses ascendants est une contribution très remarquable de la psychiatrie à l’histoire, mais ce n’est pas une invention de Brachet. Avant lui, le docteur Lélut, dans ses études sur le Démon de Socrate et sur l’Amulette de Pascal avait voulu faire « une application de la science psychologique à l’histoire ». Dans la Gazette médicale de Paris du 15 septembre 1838, il avait aussi publié une élude sur la psychologie historique. Dans un article publié le 1er août 1836 dans Le National sur le livre de Lélut le Démon de Socrate, Littré avait écrit : « L’on peut par un jugement rétrospectif apprécier l’état intellectuel de certains hommes, dont la biographie nous est conservée et la soumettre à une sorte d’examen médical. Cette application de la médecine à l’histoire jette de la lumière sur beaucoup de mobiles obscurs, qui ont poussé en divers sens le genre humain. » Dans son étude sur Hippocrate, Littré a défini les conditions que doit réaliser celui qui veut appliquer la pathologie à l’histoire (2). [p. 136]

C’est sur les conseils de Littré qu’Auguste Brachet a entrepris l’histoire pathologique de la royauté française, étude très difficile qui exige des connaissances étendues et diverses, l’habitude de la critique historique, la connaissance des textes et des maladies nerveuses et mentales. La pathologie historique, qui est encore une science embryonnaire, disait Littré, sera un des offices intellectuels du XXe siècle ; elle expliquera bien des problèmes historiques, qui sont restés inexpliqués, les changements de caractère, les résolutions prises sous l’influence des névroses et des psychoses. Seulement, elle aura beaucoup de peine à se fonder, parce que les historiens ne seront pas suffisamment médecins et que les médecins ne seront pas suffisamment historiens. Littré, qui était suffisamment médecin et suffisamment historien, a appliqué avec succès la médecine à l’histoire, dans ses études sur la mort d’Alexandre le Grand et sur la mort d’Henriette de France.

Au XVIIe et au XVIIIe siècles, de grands philosophes, Descartes, Leibniz, Diderot avaient prévu le rôle de plus en plus important que la médecine doit jouer en philosophie, en pédagogie, en histoire et endroit. Descartes disait : « L’esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes, que, s’il est possible de trouver quelque moyen de rendre communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils  n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher.

Comme Descartes, Leibniz avait annoncé l’introduction de la médecine dans les sciences morales : « Le public mieux policé, disait-il, se tournera un jour plus qu’il n’a fait jusqu’ici à l’avancement de la médecine ; on donnera dans tous les pays des Histoires naturelles comme des Almanachs ou comme des Mercures galants. Alors cette science importante sera bientôt portée fort au-delà de son présent état et croitra à vue d’œil. » Diderot, avec son intempérance habituelle et sa remarquable sagacité, a aussi demandé l’introduction de la médecine dans la philosophie. « Il n ‘appartient, dit-il, qu’à celui qui a pratiqué la médecine d’écrire de la métaphysique. Lui seul a vu les phénomènes, la machine tranquille ou furieuse, faible ou vigoureuse, saine ou brisée, délicate ou réglée, successivement imbécile, éclairée, stupide, bruyante, muette, léthargique, vivante ou morte.

Depuis que la médecine a été introduite dans l’histoire par Lélut [p. 137] et Littré, des problèmes historiques restés jusque-là obscurs, ont été élucidés. C’est ainsi que dans son étude sur la Science des poisons considérée dans l’histoire (3), Littré examinant les morts de Germanicus, de Britannicus, d’Alexandre le Grand et d’Henriette d’Angleterre a pu, grâce à ses connaissances très étendues en médecine, détruire plusieurs assertions fausses acceptées en histoire et par des diagnostics rétrospectifs faire connaître la véritable cause de la mort d’Alexandre. Lorsque ce prince mourut à trente-trois ans, après avoir été pris de fièvre et de délire, à la suite de copieuses libations, des soupçons d’empoisonnement se produisirent. Sa mère Olympias fit mourir un grand nombre de personnes et jeter au vent les cendres d’Isolaüs qu’elle accusait d’avoir versé le poison. Antipater fut soupçonné. Plutarque ne crut pas à l’empoisonnement, mais Justin et Diodore y crurent. C’est en examinant le journal de la vie d’Alexandre, tenu par Eumène, capitaine du roi et Diodatus d’Erythée, qui contient des détails précis sur les phases de la maladie, que Littré a pu rétablir la vérité et démontrer que la croyance à l’empoisonnement d’Alexandre était due à une fièvre contractée dans les marais de l’Euphrate et mal soignée. Comme dans l’antiquité et au moyen âge on n’ouvrait pas les corps, les preuves alléguées par des anciens écrivains en cas de soupçon d’empoisonnement, n’apportent aucune certitude; il n’y a rien de scientifique dans leurs affirmations. Seul un médecin érudit peut par la critique des textes affirmer ou mettre en doute un empoisonnement historique. C’est encore Littré qui a éclairci la question de la mort par empoisonnement d’Henriette d’Angleterre, qui avait été résolue en sens contraire par tant d’historiens. Les uns, notamment Walckenaer, Paul Lacroix, Fr. Ravaisson, Jules Lair (4) croyaient à l’empoisonnement, tandis que Mignet, Loiseleur, Henri Martin admettaient la mort par accident ou maladie. Littré a démontré que la mort doit être attribuée à une péritonite aiguë résultant de la perforation de l’estomac, et son opinion a été [p. 138] acceptée par les docteurs Brouardel et Legendre (5) et par Funck Brentano.

Faute de connaissances médicales, les historiens ont fréquemment attribué la mort de personnages historiques à un empoisonnement. C’est ainsi que Froissart attribue la mort de Charles V à un empoisonnement, alors qu’elle doit être attribuée à une ostéo-périostite de cause typhique (6).

Pascal a dit que, si le nez de Cléopâtre eût été plus court, la face du monde aurait été changée, et que « Cromwel allait ravager toute la chrétienté,… sans un petit grain de sable qui se mit dans son urètre ». Puisque les destinées des nations dépendent beaucoup de la santé des rois qui les gouvernent, il est donc utile que l’histoire fasse connaître les maladies des rois. Comme l’a dit Montaigne, de grands événements dépendent souvent de petites causes physiologiques et pathologiques : « J’ai veu de mon temps, dit l’auteur des Essais (7), les plus sages testes de ce royaume, assemblées avecques grande ceremonie et publicque despense pour des traictez et accords desquels la vraye décision despendait cependant en toute souveraineté des devis du cabinet des dames et inclination de quelque femmelette. Les poètes ont bien entendu cela qui ont mis pour une pomme la Grèce et l’Asie à feu et à sang. »

Michelet.

L’histoire comprend aujourd’hui la nécessité de ne pas négliger les observations physiologiques pour expliquer le caractère des hommes d’État, rois, ministres, qui ont exercé une influence considérable sur les événements. Les actions des hommes, en effet, dépendent non seulement de leurs idées, mais de leurs passions, de leurs vices, de leur tempérament et par suite de leur hérédité. Les observations physiologiques et pathologiques sont donc très utiles, pour se rendre compte des résolutions qu’ils ont prises. Puisque les destinées des peuples dépendent en grande partie de ceux qui les gouvernent, il faut étudier les chefs d’État dans leur constitution physique, héréditaire, dans la santé comme dans la maladie, pour pénétrer les secrets ressorts qui les ont fait agir. Si on ne fait pas cette .étude on n’a que l’extérieur des hommes et des événements. [p. 139] Michelet a donc eu raison de ne pas négliger l’influence des causes physiologiques et pathologiques en histoire. On ne peut pas dire, comme l’a écrit M. Monod (8), qu’il a « ouvert une voie nouvelle aux investigations. Cette voie avait été ouverte par Lélut, Littré et aussi par le docteur Moreau de Tours, qui avait publié en 1859 son livre sur la Psychologie morbide dans ses rapports avec la philosophie de l’histoire (9). Mais Michelet a fait des applications ingénieuses à l’histoire de la physiologie, de l’ethnologie et de la pathologie ; il a observé avec finesse et exactitude le tempérament, le caractère des diverses provinces de la France et d’un grand nombre de rois et de ministres. C’est par des considérations physiologiques qu’il a cherché à expliquer le caractère du grand Dauphin, fils de Louis XIV el celui du duc de Bourgogne ; il a attribué les bizarreries de caractère de ce dernier, ses emportements, sa soif de plaisir, sa haine de toute résistance, décrits par Saint-Simon, au tempérament morbide, qu’il tenait de sa mère, fille de l’électeur de Bavière, qui, laide et délaissée par son mari, avait des goûts bizarres. La dévotion que lui inspira Fénelon le changea, mais il y apporta la même exagération ; l’éducation religieuse le fit passer d’un extrême à l’autre ; il resta exalté, manquant de mesure, de pondération (10) malgré ses qualités brillantes. Sainte-Beuve, qui avait cependant étudié la médecine pendant quatre ans et qui devait à cette étude le goût de la physiologie me parait avoir jugé avec trop de sévérité l’explication dans les Nouveaux Lundis que Michelet a donnée du caractère du duc de Bourgogne, car cette explication est d’accord avec les données de la psychiatrie contemporaine. Si on rapproche [p. 140] le portrait que Saint-Simon a fait du duc de Bourgogne du portrait que le docteur Magnan a tracé du dégénéré supérieur, il est impossible de n’être pas frappé de la ressemblance. Le frère du duc de Bourgogne, Philippe-V, roi d’Espagne, était aussi très bizarre ; Michelet dit qu’il était demi-fou.

Michelet, il est vrai, n’a pas toujours échappé aux fantaisies de son imagination et aux exagérations d’une méthode, qui peut devenir très dangereuse, si elle n’est pas appliquée avec une extrême prudence ; c’est ainsi qu’il a été mal inspiré en divisant le règne de Louis XIV en deux périodes ; Louis XIV avant la fistule. Louis XIV après la fistule. Sa psychologie des foules, pour lesquelles il montre une admiration candide, est contraire aux données de la science, et c’est sur elle qu’il fonde sa méthode historique ; tandis que ses devanciers, dit-il, étudient l’histoire par les sommets et placent des héros sur un piédestal, lui, il a pris le peuple pour héros ; « moi, au contraire, écrit-il, j’ai pris l’histoire en bas dans les profondes foules, dans les instincts du peuple et j’ai montré comment il mena ses meneurs (11) ». Cependant dans son livre La Sorcière et dans diverses parties de son histoire de France, Histoire de la Révolution, Michelet a montré qu’il n’était pas étranger aux données de la pathologie mentale (12). Il a vu avec sagacité que la fièvre révolutionnaire était une maladie, que plusieurs chefs Jacobins, notamment Marat et Chalier étaient des malades. « Les situations extrêmes, dit-il, créent d’étranges maladies : nos camisards de 1700 en eurent une contagieuse, la prophétie. Chez les hommes de i1793 une maladie éclata : la furie de la pitié. » Michelet n’a pas fait la pathologie de la Terreur, mais il comprend que sans la pathologie mentale la Terreur est inexplicable et il exprime l’espoir· que « un jour on fera, je pense, la pathologie de la Terreur (13) ».

Cette pathologie de la Révolution a été faite par Taine, qui s’était préparé à ce travail par l’étude des maladies nerveuses et mentales, par la fréquentation des cliniques. Membre de la Société de psychologie physiologique, neveu d’un aliéniste éminent, le Dr Baillarger, qui l’avait initié à ces études, Taine se proposa de faire une [p. 141]œuvre scientifique. C’est grâce à la connaissance qu’il avait ainsi acquise des travaux modernes de la psychologie, de la physiologie et de la psychiatrie, qu’il a pu analyser avec plus de pénétration et d’exactitude que les autres historiens les grands mouvements révolutionnaires et qu’il a écrit avec précision la psychologie des foules et la pathologie des fanatiques (14) M. Aulard a cependant reproché à Taine de ne pas voir les hommes réels. Ce reproche ne me paraît pas fondé. En effet, le grand mérite de Taine est dans l’observation exacte des hommes, l’analyse profonde de leur caractère, la peinture de leurs sentiments et de leurs passions. Les hommes, qu’il peint, avec beaucoup de relief et de couleur, sont bien vivants; on voit leur figure, on entend leur voix. Ce n’est pas un roman, qui est écrit avec l’imagination d’un poète, c’est une histoire écrite d’après les faits et les documents (15). Taine étudie les faits en naturaliste, en psychologue, en aliéniste. Scherer lui a reproché de ne négliger aucun détail hideux dans le récit des nombreux assassinats qui furent commis à cette époque, de rapporter les propos odieux des assassins et de la foule. Mais ces détails sont nécessaires. Ce n’est pas par de vagues généralisations que la science se fait, c’est par les faits scrupuleusement observés, par les détails caractéristiques. C’est par des exemples que l’on peut donner une idée de la férocité de la foule, qui n ‘est plus contenue. C’est la psychologie des foules qui explique ces crimes collectifs, commis dans ces périodes révolutionnaires sous l’influence des meneurs qui sont souvent des demi-fous .

Avant Taine, les historiens de la Révolution n’expliquaient les excès de cette époque que par l’exaltation du patriotisme, les fautes du roi el de la noblesse, les provocations des émigrés; ils avaient oublié l’influence exercée sur la raison par les commotions politiques. Ce sont ces causes psychologiques et pathologiques que [p. 142] Taine a mises en lumière (16). Avant Taine et depuis Taine les aliénistes Brière de Boismont, Lunier, Ball, Legrand du Saulle, Laborde ont montré par de nombreux exemples empruntés à la Révolution de 1830, à la Révolution de 1848, à la Commune de 1871 que les révolutions sont des secousses violentes imprimées au corps social et, comme les fortes émotions, sont des choses susceptibles de déterminer des troubles mentaux par l’ébranlement du système nerveux.

Sans doute, la pathologie de la Révolution n’est pas toute l’histoire de la Révolution (17). A côté des crimes et des erreurs, il y a eu de grandes réformes, des pensées généreuses. Taine ne méconnaît pas les intentions élevées de la Constituante, le patriotisme de la Convention, les beaux côtés de la Révolution. Mais il a voulu montrer les périls que courent l’ordre, la sécurité et la liberté, quand le gouvernement tombe aux mains de la foule. Ce n’est pas là révolution qu’il a en horreur, c’est, ce qui est bien différent, le gouvernement révolutionnaire qui l’a compromise. Bouleversé par les insanités et les atrocités de la Commune en 1871, effrayé par les progrès de l’anarchie, par la désorganisation de la France, il a voulu rechercher les origines ·du mal dont elle souffre. Son livre est une consultation de médecin. Après avoir décrit les abus de l’Ancien Régime (18), il a voulu peindre les excès révolutionnaires. Emporté par sa juste indignation contre ces excès, il tombe souvent, il est vrai, dans le reproche qu’il fait à Milton, il prodigue trop les métaphores et cherche la force dans la violence des expressions. Il oublie que l’historien, comme le juge, est obligé de contenir son indignation, afin qu’on ne puisse pas douter de son impartialité, qu’il doit laisser parler les faits, éviter les exagérations de langage, car la modération dans les termes, loin· d’affaiblir la pensée, ne· fait que donner de la force et de l’autorité aux jugements.

Déjà dans son Histoire de la Littérature Anglaise, Taine pour peindre la fureur du peuple dans les guerres civiles, le compare à [p. 143] une bête féroce : « A chaque accident politique on entend un grondement d’émeute …. La bête humaine enflammée par les passions politiques éclate en cris de violence… oscille tour à tour sous la main de chaque parti et de son élan aveugle semble prête à démolir la société civile. » Il étudie l’histoire en naturaliste ; il a dit lui-même qu’il n’a écrit son livre sur la Révolution que pour « les amateurs de Zoologie morale, pour les naturalistes de l’esprit (19). »

Aussi, ce sont les saturnales de la Révolution qui l’ont rendu si sévère pour ceux qui ont rompu les digues et déchaîné le torrent révolutionnaire. Il était dans l’état d’esprit de Montaigne, qui, ayant été témoin des guerres de religion disait : « Je suis desgouté de la nouvelleté, quelque visage qu’elle porte, et ay raison, car j’en ay vu des effets très dommageables …. Ceux qui donnent le bransle à un estat sont volontiers les premiers absorbez en sa ruyne …. Mais le meilleur prétexte de nouvelleté est très dangereux, adeo nihil motum ex antiquo probabile est, » Tite-Live 1, 34 c. 54 (20). Sans doute, cette maxime quieta non modere, que Bismarck aimait à répéter, est une sage maxime ; lorsque les nouveautés ne répondent pas aux besoins des peuples, le devoir des citoyens est de ne pas troubler la tranquillité publique. Cependant, sans nouveautés, il n’y a pas de progrès. Mais si Montaigne, après avoir cité toutes les absurdités el les iniquités de la coutume, se prononçait contre les nouveautés, c’est parce qu’il avait été bouleversé par les horreurs des guerres de religion. C’est aussi le spectacle de la Révolution d’Angleterre qui avait inspiré à Hobbes la crainte du peuple et sa défiance de la nature humaine (Léviathan). Ce sont les scènes de la Révolution qui avaient inspiré à Cabanis, qui y avait assisté, les lignes suivantes : « Plus les hommes sont généralement éclairés et sages, plus ils redoutent ces secousses ; ils savent, comme le dit Pascal, que la violence el la vérité sont deux puissances qui n’ont aucune action l’une sur l’autre, que la vérité ne gouverne pas la violence et que la violence ne sert jamais utilement la vérités (21). » Malgré les omissions que l’on peut relever dans cette pathologie de la Révolution, le livre de Taine restera comme une étude scientifique sur [p. 144] les effets de l’anarchie, la psychologie des assemblées et des meneurs et sur les passions populaires.

Avant Taine, la psychologie des assemblées et des foules n’avait pas été ignorée des anciens historiens grecs et romains. On trouve dans Plutarque (22) des observations psychologiques judicieuses sur la mobilité des foules, qui les fait ressembler aux flots de la mer  agités par les vents et poussés par eux tantôt d’un côté et tantôt d’un autre côté, et sur la fureur du peuple excité par les meneurs à des injustices et à des crimes. Dans le parallèle de Lysandre et Sylla, dans la vie de Nicias et dans la vie d’Alexandre, § 73, Plutarque cite sur le rôle des méchants dans les séditions un vers d’Homère qui était passé en proverbe chez les ·Grecs : « Dans les séditions les méchants seuls gouvernent. » Plutarque montre la même finesse psychologique dans la peinture du caractère des hommes illustres dont il ne néglige pas d’indiquer les côtés physiques. S’il parle d’un orateur, il note le timbre de sa voix, ses gestes, sa physionomie, la nature de l’influence qu’il exerce. Il est [p. 145] plus clairvoyant que les écrivains modernes, qui voient dans la colère et les actes de violence qu’elle produit des preuves d’énergie. Il devine ce que la psychologie scientifique a aujourd’hui établi, que la colère est une faiblesse de la volonté, incapable de maîtriser des actes impulsifs, automatiques ; « la colère, dit-il, est en proportion de la faiblesse ; aussi, les femmes sont-elles plus sujettes à la colère que les hommes, les malades plus que les gens qui se portent bien et les personnes malheureuses que celles qui sont dans la prospérité …. Les plus irritables sont ceux qui aspirent aux honneurs dans les républiques ou qui s’y veulent faire chefs de parti, tourment illustre selon Pindare. C’est donc la faiblesse de l’âme, qui du ressentiment qu’elle éprouve fait naître la colère, et, loin que celle passion soit, comme quelqu’un l’a dit, le nerf de l’âme, ressemble plutôt à des convulsions, à des spasmes violents qu’excite en nous le désir de la vengeance (23). »

D’accord avec Plutarque sur la psychologie de la colère féminine, Tacite, appelle impotentia muliebrisl’irritabilité nerveuse de la femme, qui ne peut se contenir.

Lorsqu’il raconte les crimes commis à Rome pendant les guerres civiles Plutarque emploie le mot de démence pour exprimer l’état mental de la foule criminelle : « La ville, dit-il, plongée dans l’anarchie, ressemblait à un vaisseau sans gouvernail, battu par la tempête. Tout ce qu’il y avait de gens raisonnables aurait regardé comme un grand bonheur que cet état si violent de démence et d’agitation n’amenât pas un plus grand malheur que la monarchie. » (Vie de César, § 31.) Plutarque analyse aussi avec sagacité l’élément pathologique de la peur, qui, dit-il, « n’estant pas moins destituée de raison que d’asseurance a un estourdissement et aliénation du bon sens …. les appréhensions des· dangers présents ou prochains, leur esbranlent tous leurs jugements, car la peur ne chasse pas seulement la mémoire, comme dict Thucydide, mais aussi toute bonne intention, toute envie de bienfaits ».

C’est encore avec une grande finesse psychologique que Plutarque analyse l’ivresse de la toute-puissance et de la folie produite par l’intempérance et la débauche : « Alexandre, dit-il, s’était livré de plus en plus à son penchant pour le vin, depuis que l’ivresse de ses [p. 146] succès avait corrompu ses mœurs et altéré son caractère sur la fin de sa vie, il ternit la gloire de ses premières années par l’intempérance, la vanité, les soupçons, la méfiance et la cruauté. Plutarque montre comment Alexandre, se laissant dominer par l’orgueil, la colère et l’intempérance, voulut se faire adorer, devint de plus en plus superstitieux, ajouta foi aux visions les plus étranges qu’il eut dans son sommeil, tua de sa propre main plusieurs officiers de son armée, Clitus, Ménandre, dont les paroles le mettaient en fureur, soupçonna Aristote, son ‘ancien maitre et fit périr Callisthène, qui refusait de l’adorer.

Ce n’est pas Montesquieu, qui a le premier constaté l’influence du climat ; elle était déjà dans Plutarque et dans Hippocrate.

« Généralement, dit Hippocrate, vous trouverez qu’à la nature du pays correspondent la forme du corps et les dispositions de l’âme…. Si les Asiatiques sont d’un naturel plus doux et moins belliqueux que les Européens, la cause en est surtout dans l’égalité des saisons…. Une perpétuelle uniformité entretient l’indolence ; un climat variable donne de l’exercice au corps et à l’âme (24) ».

Si les Grecs n’ont pas négligé dans l’étude des personnages et des questions historiques, les côtés physiques, physiologiques et pathologiques, c’est à l’influence de l’enseignement d’Hippocrate et d’Aristote qu’ils le doivent. Après avoir cité une page d’Aristote sur la supériorité intellectuelle des hommes mélancoliques, dans son grand ouvrage sur le système nerveux central, p. 224, M. Soury ajoute : « Cette grande page d’Aristote ne pouvait être bien comprise que de nos jours. MIorel, Lélut, Moreau de Tours, Calmeil, Lassègne, Lombroso, etc., devaient avoir scruté la nature névropathique d’un si grand nombre d’états mentaux qui font l’artiste, l’écrivain, le penseur, le saint, l’homme politique supérieur. Tous les traits qui servent à décrire les symptômes de la grande névrose dans les livres des neurologistes et des aliénistes contemporains sont dans ce texte d’Aristote depuis les accès épileptiques ou épiIeptoïdes et hystériques, les obsessions et les phobies, jusqu’aux impulsions irrésistibles, jusqu’aux suicides. »

Après avoir signalé l’influence du corps sur l’âme, Plutarque [p. 147] signale l’influence de l’âme sur le corps et fait une· observation, qu’on croirait empruntée à un traité contemporain sur la psychothérapie : « l’âme, dit-il, selon qu’elle est affectionnée dispose et altère aussi le corps, généralement les passions et affections de l’âme fortifient et corroborent les puissances et facultés du corps ».

Tacite a décrit aussi en psychologue les mouvements populaires, comme Taine l’a fait pour les crimes collectifs de la Révolution. Il a montré la populace de Rome se livrant à ses instincts de cruauté et de débauche, profitant de la guerre civile pour dépouiller les riches et les vaincus, se baignant dans le sang des victimes et faisant. des malheurs publics une partie de plaisir (25). Lorsqu’il raconte le meurtre de Vitellius, il écrit : « on finit par le percer de coups et le peuple l’outragea mort avec la même lâcheté qu’il l’avait encensé vivant ». Dans les émeutes de la Révolution, la populace de Paris comme celle de Rome, après avoir égorgé les victimes, dansait autour des cadavres dépouillés de leurs vêtements au milieu des flots de sang et de vin et se livrait aux mêmes instincts de cruauté et de débauche. D’après Mercier, le 10 août après la prise des Tuileries et le massacre des Suisses, des scènes de débauche eurent lieu sur le lit de la Reine.

Peintre exact de la foule et des Césars, Tacite a décrit aussi avec la même pénétration psychologique, la lâcheté du Sénat, toujours empressé à se faire le complice des crimes de Tibère et de Néron au point que sa servilité inspirait du dégoût à Tibère lui-même, qui écrivait en grec toutes les fois qu’il sortait du Sénat : « Combien les hommes sont faits pour la servitude ! »

L’effet corrupteur du pouvoir absolu n’a point échappé à Tacite, qui a montré en psychologue pénétrant que la puissance sans frein, sans limites, dépravait les empereurs romains : Vi dominationis convulsus et mutatus. C’est ainsi que Tibère, qui pendant les neuf premières années de son règne s’était fait une réputation de bonté pour avoir arrêté le fléau des délations, encouragea plus tard les délateurs et devint un tyran soupçonneux et cruel par l’application de la loi de lèse-majesté, «  qui glaçait tous les cœurs et fermait toutes les bouche » et qui fit régner la terreur à Rome. La peinture que Tacite fait de la terreur à Rome offre tant d’analogie avec [p. 148] la terreur de 93 à Paris ; sous la tyrannie de Robespierre que Camille Desmoulins emprunta à Tacite ses principaux passages, pour flétrir les hommes de son temps dans les 3° et 7° numéros du Vieux Cordelier.

Suétone, comme Plutarque, donne des détails précis sur la figure, l’extérieur , le tempérament, la santé des personnages historiques. Il dit de César, par exemple : « Il avait une haute stature, le teint blanc, les membres bien faits, le visage plein, les yeux noirs et vifs, le tempérament robuste. Si ce n’est que dans les derniers temps de sa vie il était sujet à des défaillances subites et à des terreurs nocturnes qui troublaient son sommeil. L. I, § 45. Il souffrait impatiemment d’être chauve, qui l’exposa maintes fois aux railleries de ses ennemis ; aussi, ramenait il habituellement sur son front de rares cheveux d’arrière. » Suétone mentionne aussi l’épilepsie de .César que Plutarque avait déjà signalée : « Deux fois, dit-il, il fut atteint d’épilepsie dans l’exercice de ses devoirs publics » L. I, § 5. Suétone nous apprend aussi qu’Auguste avait cette affection nerveuse, qu’on appelle aujourd’hui la crampe des écrivains.

Pour les temps modernes, il faut arriver à Montesquieu et surtout à Voltaire, qui avait fait de fortes éludes scientifiques (26), pour trouver un historien, qui comprenne l’importance des questions psychologiques, physiologiques et pathologiques. C’est sur la physiologie que Montesquieu se fonde pour établir l’influence du climat sur le tempérament et le caractère des peuples. Il raconte même des observations et des expériences qu’il a faites lui-même : « j’ai observé, dit-il, le tissu extérieur d’une langue de mouton… j’ai fait geler la moitié de cette langue ?… ». La culture scientifique de Voltaire est bien supérieure à celle de Montesquieu. Dans le discours préliminaire de l’ Essai sur les mœurs, Voltaire commence l’histoire des mœurs par des notions d’histoire naturelle, d’anthropologie et de physiologie; il étudie les révolutions du globe, l’antiquité des nations, les différentes races d’hommes ; l’infériorité intellectuelle des nègres d’après les travaux anatomiques d’un physiologiste hollandais. Il apporte dans l’étude des mœurs, des usages des anciens peuples, des connaissances scientifiques étendues [p. 149] et un sens critique très pénétrant, à une époque où Rollin ne doutait pas de la science des prêtres d’Apollon et croyait que Dieu permettait qu’Apollon dît vrai. Dans un article sur la manière d’écrire l’histoire, Voltaire reproche à l’historien Daniel de ne transcrire que des dates et des récits de bataille et de négliger les mœurs, les usages, les lois, le commerce, l’agriculture. La nation, dit-il : « est en droit de lui dire : je vous demande mon histoire encore plus que celle de Louis le Gros et de Louis le Hutin ». A propos d’une anecdote, contraire à la science, que rapporte Daniel, Voltaire s’écrie : « Ah ! Daniel,… vous deviez avoir un peu plus de teinture de l’histoire politique et de l’histoire naturelle. » Lui, il avait plus qu’une teinture de l’histoire naturelle ; pendant plusieurs années à Cirey, il avait approfondi la physique, l’astronomie, il avait écrit pour l’Académie des Sciences un mémoire sur la nature du feu et sur sa propagation, il plaçait l’Académie des Sciences au-dessus de l’Académie Française et ambitionnait l’honneur d’en faire partie, il vulgarisait la philosophie de Newton el du Bois-Reymond, le savant secrétaire perpétuel de l’Académie de Berlin a dit, il y a quelques années, de cette vulgarisation : « Chose étrange ! le poète de la Henriade, de Mahomet, de Candide fut un des premiers à énoncer en français ces notions d’attraction universelle, de différence de réfraction des rayons lumineux, etc., et il a aidé à préparer la voie aux d’Alembert, aux Coulomb, aux Lavoisier, en la débarrassant d’une foule d’erreurs. » Transportant dans l’histoire cette précision scientifique et cette recherche des causes naturelles, Voltaire étudia l’influence du physique, qui est, dit-il, le père du moral et le rôle de l’hérédité. « Si l’on avait, dit-il, la même attention à perpétuer les belles races d’hommes que plusieurs nations ont encore à ne pas mêler celles de leurs chevaux de chasse, les généalogies seraient écrites sur les visages et se manifesteraient dans les mœurs. » Il emprunte à l’histoire de nombreux exemples d’hérédité morale : « Les Appius furent toujours fiers et inflexibles, les Caton toujours sévères. Toute la lignée des Guise fut audacieuse, téméraire, factieuse, pétrie du plus insolent orgueil el ·de la politesse la plus séduisante. » L’hérédité du suicide ne lui a pas échappé: étudiant les causes du spleen et des suicides qu’il détermine en Angleterre, Voltaire est frappé de voir les membres d’une même famille se donner la mort au même âge. « Que [p. 150] la nature, dit-il, dispose tellement les organes de toute une race qu’à un certain âge tous ceux de cette famille auront la passion de se tuer, c’est un problème que toute la sagacité des anatomistes les plus attentifs ne peut résoudre. L’effet est certainement tout physique, mais c’est de la physique occulte… Eh ! quel est le secret principe qui ne soit pas occulte ? » Voltaire signale aussi l’influence des émotions de la mère sur le fœtus et il est porté à croire que le  système nerveux de Jacques 1er fut ébranlé par la frayeur, que causa à sa mère, Marie Stuart, l’assassinat de son mari commis sous ses yeux (28) : «  je crois quant à présent, dit-il, que les affections violentes des femmes enceintes font quelquefois un prodigieux effet sur l’embryon qu’elles portent dans leur matrice et je crois que je le croirai toujours; la raison est que je l’ai vu ».

Le bon sens de Voltaire a devancé la pathologie mentale dans la critique des procès faits aux sorciers jusqu’au XVIIIe siècle. Avant Pinel, il a demandé des soins, des bains, des purgatifs pour ces malheureux, en qui il ne voyait que des malades. « Les vaporeux, dit-il, les épileptiques, les femmes travaillées de l’utérus, passèrent toujours pour être les victimes de l’esprit malin, des démons malfaisants, des vengeances des Dieux (29). » Après avoir raconté comment on cherchait à les guérir par des exorcismes, il ajoute : « Ce n’est pas ainsi que nous guérissons aujourd’hui les démoniaques, nous les saignons, nous les baignons, nous les purgeons doucement. »

Aveuglé par sa haine du christianisme, Voltaire n’a pas compris ses immenses bienfaits ; il a cru, comme les autres philosophes du XVIIIe siècle, qu’il fallait attribuer la fondation des religions à la fourberie des fondateurs de ces religions et à l’imposture des prêtres. C’est le Dr Lélut qui par l’étude du tempérament névropathique prouva la sincérité et la parfaite bonne foi des grands réformateurs et fondateurs de religions et réfuta ainsi l’erreur des philosophes du XVIIIesiècle. Mais Voltaire a très finement analysé les principales maladies du sentiment religieux, le fanatisme des puritains, des quakers, des anabaptistes, des illuminés des [p. 151] Cévennes, des convulsionnaires de Saint-Médard. Il ne s’est pas contenté de railler le fanatisme religieux.

La vraie Église militante ,
Qui prêche un pistolet en main
Pour mieux convertir son prochain
A grands coups de sabre argumente,
Qui promet les célestes biens
Par le gibet et par la corde.

Voltaire constate que le fanatisme est une maladie de l’esprit, qui est très contagieuse. « Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. » Voltaire sait que cette maladie se gagne comme la petite vérole : « Les livres, dit-il, la communiquent beaucoup moins que les assemblées et les discours. On s’échauffe rarement en lisant; car alors on peut avoir le sens rassis. Mais, quand un homme ardent et d’une imagination forte parle à des imaginations faibles, ses yeux sont en feu et ce feu se communique; ses tons, ses gestes ébranlent les nerfs des auditeurs. » Sur Fox, le fondateur de la secte des Quakers, il écrit : « c’était un jeune homme de vingt-cinq ans, de mœurs irréprochables et saintement fou. Envoyé aux Petites-Maisons de Darby, pour y être fouetté, Fox pria ceux qui lui appliquaient le fouet de lui donner de nouveaux coups de verge pour le bien de son âme. Il se mit à prêcher, d’abord on rit, ensuite on l’écouta, et comme l’enthousiasme est une maladie qui se gagne, plusieurs furent persuadés, et ceux qui l’avaient fouetté devinrent ses premiers disciples…. Ils firent de bonne foi toutes les grimaces de leur maître, ils tremblaient de toutes leurs forces au moment de l’inspiration. De là ils en eurent le nom de Quakers, qui signifie trembleurs (30). »

C’est avec la même sagacité que dans le Siècle de Louis XIV, Voltaire a signalé l’effet de l’imagination dans « la maladie épidémique » qui éclata à Paris à l’époque des miracles du diacre Pâris : « quelques personnes du parti, qui allèrent prier sur son tombeau eurent l’imagination si frappée, que leurs organes ébranlés leur donnèrent de légères convulsions. Aussitôt, la tombe fut environnée du peuple; la foule s’y pressait jour et nuit. Ceux [p. 152] qui montaient sur la tombe donnaient à leur corps des secousses, qu’ils prenaient eux-mêmes pour des prodiges. »

Tout en déplorant la fureur des passions religieuses, qui ont engendré tant de guerres, tant de crimes et tant de régicides, Voltaire n’en attribue pas la responsabilité à la religion, mais à la folie des hommes, à l’état morbide des cerveaux : « a religion dit-il, se tourne en poison dans les cerveaux infectés …. Ils puisent leur fureur dans la religion même qui les condamne. » Si la religion a été si souvent corrompue par une fureur infernale, « c’est à la folie des hommes qu’il faut s’en prendre » (31) Voltaire a compris le caractère pathologique de la plupart des régicides : « Les assassins du duc de Guise, de Guillaume prince d’Orange, du roi Henri III, du roi Henri ·IV et de tant d’autres, étaient des énergumènes malades (32) ». Voltaire, qui peut être considéré comme le maître des radicaux anticléricaux de notre époque, ne se laisse pas cependant aveugler par sa passion anti-religieuse, comme l’ont fait des historiens du XIXe siècle, qui attribuent les régicides de Jacques Clément et de Ravaillac à l’influence des Jésuites. Lorsque Damieux commit sur Louis XV sa tentative d’assassinat, il reconnut aussi que « le fanatisme avait troublé l’esprit de ce malheureux » que d’ailleurs « c’était un homme, dont l’humeur sombre et ardente avait toujours ressemblé à de la démence ». Voltaire fait encore une remarque, qui a été confirmée par les aliénistes contemporains (33) : « il est évident que cet insensé n’avait pas de complice ».

Sous l’ancien régime, les historiens s’abstenaient par prudence de révéler les faiblesses et les infirmités des rois. Voltaire lui-même, dont la vertu satirique s’est exercé si librement contre les papes, les prêtres et les ordres religieux, a observé un grand respect à l’égard des familles royales …. C’est ainsi que, en écrivant le Siècle de Louis XIV, il s’applique à ne montrer que les beaux côtés du roi; il prend même la défense des empereurs romains qui ont commis des crimes et des folies, il se refuse à croire les turpitudes que Suétone raconte sur Tibère (34). Dans ses études sur Tacite, Gaston Boissier [p. 153] a prouvé que Tibère n’a pas été calomnié. Les portraits que Tacite, Suétone, Dion Cassius ont tracés de Tibère, de Néron, de Claude, de Caligula ont été complétés, précisés par un aliéniste russe, le

Dr Jacoby, qui a mis en relief les anomalies psychiques de leur tempérament héréditaire. La médecine mentale par une explication scientifique a jeté un jour nouveau sur le caractère de ces empereurs romains, qui ont étonné le monde par leurs cruautés, leurs débauches et leurs excentricités.

L’élude du caractère des derniers Valois, comme celle des empereurs romains, est incomplète, si elle n’est pas accompagnée de celle de la dégénérescence; elle a été faite par le Dr Dusollier. Le problème historique de la folie de Charles VI a été élucidée par A. Brachet et le Dr Dupré (35). C’est en précisant des stigmates psychiques de dégénérescence chez Louis XI, que A. Brachet a rectifié des jugements erronés de Michelet et de G. Monod sur des prétendus actes de tyrannie des rois. Dans son grand ouvrage sur la dégénérescence des Habsbourg, le docteur Galippe a étudié le problème de l’hérédité en se plaçant en un seul point de vue, le prognathisme, et a montré que celle tare s’est transmise de père en fils, dans celle famille jusqu’à nos jours.

La dégénérescence et la folie ont joué un grand rôle dans l’histoire de l’humanité. Sans doute, il y a un pessimisme exagéré dans ce passage de Taine : « à proprement parler, l’homme est fou, comme le corps est malade par nature ; la santé de notre esprit, comme la santé de nos organes n’est qu’une réussite fréquente et un bel accident (36) ». S’il y a des malades, il y a des hommes sains d’esprit et de corps. La maladie physique et la maladie mentale sont des cas exceptionnels. La règle générale, c’est la santé. Si la folie était l’étal naturel de l’homme, comment pourrait-on expliquer la formation et le développement de la science et des arts, tant de progrès accomplis par l’esprit humain ?

Mais, il est exact que le nombre des fous et des demi-fous est beaucoup plus grand qu’on ne le croit généralement. Tous les aliénés ne sont pas dans les asiles. Montesquieu en avait déjà fait· la remarque, en disant plaisamment dans les Lettres Persanes : [p. 154] « Il y a ici une maison où l’on met les fous ; on croirait d’abord qu’elle est la plus grande de la ville ; non, le. remède est bien petit pour le mal. Sans doute que les Français, extrêmement décriés chez leurs voisins, enferment quelques fous dans une maison, pour persuader que ceux qui sont dehors ne le sont pas (37). » Beaucoup de fous, de demi-fous, de déséquilibrés, sont en liberté. Quelquefois même le gouvernement des peuples tombe entre les mains de chefs d’État qui ne sont pas sains d’esprit ou de chefs de sectes fanatiques. Puisqu’il y a des aliénés non seulement dans les asiles et dans la rue, mais encore sur les trônes, dans les assemblées, dans les foules et dans les sectes, il est utile de faire la pathologie des rois, des sectaires, des fanatiques religieux ou politiques, qui présentent des troubles mentaux. L’histoire des foules et des sectes, des assemblées et des clubs, a été éclairée d’une vive lumière par les études du Dr Le Bon, de Tarde, du Dr Luys, de Scipio Sighele (38). Les épidémies d’hystéro-démonopathie, les psychoses religieuses du XVe, XVIIe, XVIIIe siècles, ne peuvent être bien comprises que si on lit l’ouvrage du Dr Calmeil intitulé, La Folie considérée sous le point de ·vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire, publié en 1845 et les articles du Dr Cullere, qui ont été publiés sur ces folies religieuses dans les Archives de neurologie de 1.912 et les Maladies épidémiques de l’esprit par le Dr Paul Regnard. Un historien psychologue très érudit, Alfred Maury, a utilisé les données de la science des maladies nerveuses et mentales dans l’explication qu’il a donnée de la sorcellerie et de la magie, dans son livre La Magie et l’astrologie.

Voltaire a écrit dans son Essai sur les mœurs que « l’histoire est un ramas de crimes, de folies et de malheurs » ; le monde lui semblait habité par des tigres el des singes. Cette conception de l’histoire de l’humanité est un peu trop pessimiste, mais elle con tient une grande part de vérité; les crimes et les folies .sont très nombreux et il faut en chercher l’explication non seulement dans les passions, mais encore dans les maladies de l’esprit. C’est en précisant [p. 155]le caractère morbide d’un grand nombre de régicides, de Jacques Clément, de Jean Châle], de Ravaillac, etc., que le Dr Régis a redressé des erreurs historiques, commises par Michelet et Henri Martin. Le savant professeur de l’école de médecine de Bordeaux a démontré que les régicides sont, en général, des dégénérés héréditaires, non pas fous complètement, mais demi-fous, des anormaux déséquilibrés, obsédés par une idée fixe, sujets à une exaltation politique ou religieuse, qui étonne leur entourage, ayant habituellement des hallucinations intermittentes, croyant avoir une mission à remplir et subissant la mort avec courage.

Pour comprendre les crimes de la Commune de 1871, il est utile de lire les observations médicales et scientifiques, que le Dr Laborde a recueillies et publiées sous le titre : Les Hommes et les actes de l’insurrection de Paris, devant la Psychologie morbide. Le Dr Lunier, inspecteur général des asiles d’aliénés, confirmant les observations de son confrère et les trouvant incomplètes a écrit : « Si les médecins aliénistes n ‘étaient obligés par discrétion et devoir professionnel de ne pas faire connaître au public ce qu’ils connaissent des antécédents et des actes d’un certain nombre de personnages, qui ont joué un rôle plus ou moins important pendant le siège de Paris, mais surtout pendant le règne de la Commune, on serait étonné de voir combien, parmi les soldats et les chefs de l’insurrection) il y avait de paralytiques dans la période prodromique ou d’excitation ambitieuse, de fous lucides, d’hystéro-maniaques, d’héréditaires et d’alcoolisés (39). »

L’enseignement capital qui résulte de ces études de pathologie historique et sociale est la fragilité de la raison, la nécessité d’un gouvernement, qui sache tenir les rênes et préserver les peuples de l’anarchie. Les gouvernements, les législateurs ne doivent pas être optimistes et croire naïvement à la bonté naturelle des hommes. Un philosophe du XVIIIe siècle, qui à beaucoup d’utopies et d’erreurs a mêlé des vues judicieuses, Helvétius, a dit avec une grande sagesse : « Malheur au prince qui se fie à la bonté originelle des caractères ! Si Rousseau la suppose, l’expérience la dément … Quant à moi, je ne les entretiendrai pas à cet égard dans une sécurité [p. 156] funeste. Je ne leur répéterai pas sans cesse qu’ils sont bons. Le législateur moins en garde contre le vice négligerait l’établissement des lois propres à les réprimer (40). »

On voit par celte citation d’Helvétius combien elle présente d’exceptions cette affirmation trop générale de Taine que les philosophes du XVIIIe siècle ont trop compté sur la raison, Voltaire est encore plus pessimiste qu’Helvétius : il ne voit dans l’histoire qu’un tissu de crimes, de sottises et de folies; ce monde n’est pour lui qu’un chaos d’absurdités et d’horreurs. Dans Candide, dans Le Songe de Platon, dans Le Marseillais et le Lion, dans de nombreux passages de ses autres écrits et de sa correspondance, il s’étonne que Dieu ait donné à l’homme tant de passions et si peu-de sagesse, une raison si fragile et si voisine de la folie. Frédéric Il disait de Candide : « C’est Job habillé à la moderne. » Montesquieu de son côté pense que la raison « ne produit jamais de grands effets sur-l’esprit des hommes (41) ». La pathologie mentale confirme celte opinion que les hommes se conduisent rarement d’après la logique, que la raison est très faible et les passions très fortes, que les sentiments politiques et religieux exaltés peuvent troubler la raison et faire accomplir des actions criminelles par les esprits déséquilibrés, et que par suite, en voulant affranchir les hommes de. tout frein, de toute autorité, on déchaîne nécessairement avec l’anarchie ; le [p. 157] désordre et la violence. La religion, la liberté, le patriotisme ne sont pas responsables des crimes commis en leur nom ; il faut en chercher l’explication dans les passions et surtout dans l’état mental des fanatiques. Le fanatisme, comme le délire, prend la couleur des idées dominantes de l’époque ; les fanatiques qui commirent les crimes de 1793 auraient commis les mêmes crimes pendant les guerres de religions.

La psychologie et la pathologie mentale sont encore nécessaires à l’historien, comme au magistrat, pour apprécier la valeur des témoignages, car le mensonge a quelquefois une cause pathologique. La mythomanie est un effet de la dégénérescence, comme l’a fait observer le docteur Dupré. La vérité ne sort pas toujours de la bouche des enfants. Les récentes observations de psychologie expérimentale faites par les docteurs Binet et Claparède de Genève ont prouvé qu’il est très difficile même à des adultes normaux de rapporter exactement des événements, auxquels ils ont assisté. L’imagination joue un rôle dans le récit qu’ils en font, ils ont une tendance à le grossir, à l’embellir ou à le diminuer. Les souvenirs sont encore déformés par les passions politiques et religieuses et les témoins d’un même fait se contredisent s’ils appartiennent à des partis différents. Jules Simon cite un exemple de ces contradictions en faisant le récit de la tentative de révolution qui eut lieu le 31 octobre 1870 : « J’ai déjà, dit-il, raconté plusieurs fois la journée du 31 octobre 1870. Chacun l’a racontée à sa manière. C’est une chose dont on ne saurait trop s’étonner que tant d’honnêtes gens se contredisent entre eux, en racontant des faits dont ils ont été les témoins. Je retrouve à chaque pas ce spectacle effrayant. Ce dont l’homme est le moins sûr, c’est de son propre esprit. Il n’est pas sûr de ses yeux ; « c’est que ses yeux et sa mémoire sont sans cesse en lutte avec son imagination. Il croit voir, il croit se souvenir et il invente. » C’est cette incertitude et ces contradictions des témoignages qui ne permettent pas à l’histoire d’être une science comme la physique et la chimie.

Une autre cause d’incertitude tient à l’état d’esprit des historiens Non seulement les témoins contemporains, qui racontent les faits, ne les voient pas tous avec les mêmes yeux, et les interprètent de diverses manières, suivant leur état d’esprit, leur éducation, leur profession et leurs opinions politiques et religieuses, mais les [p. 158] historiens eux-mêmes étudient le passé avec leurs préoccupations du présent. Le libre penseur et le religieux, le démocrate et le conservateur ne peuvent pas porter le même jugement sur les événements du passé. Le point de vue change encore suivant la nationalité à laquelle appartient l’historien. Bien plus, ainsi que le dit Voltaire, « la même nation, au bout de vingt ans n’a plus les mêmes idées qu’elle avait sur le même événement et sur la même personne; j’en ai été témoin au sujet du feu roi Louis XlV (42) ». De nos jours le même revirement s’est produit pour Napoléon 1er : on a passé d’une critique injuste à un culte idolâtre. On dirait que l’histoire change tous les vingt ans. Tantôt on embellit une période de l’histoire, tantôt on la défigure, on l’enlaidit à plaisir ; tantôt on exalte un personnage historique, tantôt on le dénigre avec passion. Les uns ne veulent voir que les beaux côtés des personnages et des événements historiques, comme Voltaire l’a fait dans le Siècle de Louis XIV, qui est un monument élevé à la gloire du roi et de tous les arts qu’il a favorisés. D’autres, comme Michelet, se sont plu à en montrer les mauvais côtés. L’impartialité, qui est la qualité la plus nécessaire à l’historien, l’oblige à montrer les bons et les mauvais côtés, en consultant non seulement les documents, mais les données de la psychologie et de la pathologie, qui donnent une base solide aux faits historiques, souvent infirmés ou confirmés par la découverte de nouveaux documents.

Cette application de la psychologie et de la pathologie mentale à l’histoire présente beaucoup de difficultés (43), car elle exige des méthodes diverses el des connaissances très étendues, la critique des textes et l’étude clinique des maladies mentales. Aussi les essais de pathologie historique, qui ont été tentés, ne sont-ils pas tous exempts d’exagération et d’erreurs. Il y a beaucoup de conjectures hasardées, d’hypothèses risquées et même des erreurs historiques dans le livre du docteur Moreau de Tours sur la Psychologie morbide dans ses rapports avec la philosophie de l’histoire. Croyant trouver dans un état pathologique du système nerveux [p. 159] l’explication du génie, il mêle à ses observations cliniques des anecdotes suspectes, des historiettes non prouvées ou mal interprétées, qu’il emprunte à des romans historiques. C’est ainsi qu’il cite des accès de folie chez le cardinal de Richelieu sur la foi d’Alexandre Dumas père, qui les a racontés dans son livre Les Grands Hommes en robe de chambre (44). Aussi, le docteur Daremberg, qui a enseigné l’histoire de la médecine au Collège de France, a pu dire avec raison : « Les faits biographiques que le docteur Moreau de Tours a empruntés à des auteurs suspects ou mal informés et qu’il n’a pas pris la peine d’analyser ou de décomposer, ne sont vraiment pas dignes d’être mis en ligne par un observateur aussi sérieux et aussi difficile que l’est d’ordinaire le savant médecin de l’hospice de Bicêtre (45). » A l’appui de sa thèse que le génie est une névrose, le Dr Moreau de Tours avait cité des cas de folie chez des personnages historiques d’après des auteurs de seconde main, sans preuves suffisantes. Le Dr Lombroso a reproduit ces citations, à l’appui d’une autre thèse, qui renchérit sur celle de son confrère, et d’après laquelle le génie serait une forme de l’épilepsie (46). Sans doute, il y a des génies épileptiques, comme César, mais il y en a d’autres qui sont hystériques, ou neurasthéniques, ou sujets à d’autres maladies nerveuses. La névrose peut coexister avec le génie, mais, comme le pense le Dr Grasset, cette névrose, loin d’être la cause <le la supériorité intellectuelle, en est la plaie, la complication (47). Enfin, s’il y a des génies maladifs, mal équilibrés, surtout chez les artistes, les poètes, les musiciens, il y a aussi des génies sains, harmonieux, bien équilibrés, chez qui la raison domine la sensibilité, tels que Bossuet, Montesquieu, Voltaire. Moreau de Tours cependant et d’autres aliénistes, Lombroso, Grasset, qui ont reproduit des anecdotes suspectes, ont prétendu trouver des tares psychiques chez les génies les plus sains, en faisant [p. 160] résulter ces tares de faits insignifiants, d’habitudes de travail particulières. C’est ainsi que l’auteur d’un traité intitulé Demi-fous, Demi-responsables place dans cette catégorie Bossuet, parce qu’il travaillait dans une chambre froide, la tête enveloppée de linges chauds. Bourdaloue parce qu’il « raclait un air sur son violon avant d’écrire ses sermons ». Faudra-t-il aussi ranger Taine dans la catégorie des demi-fous, parce qu’il se mettait en train en jouant du piano ? (48)

L’auteur de ce traité sur les Demi-fous cite Voltaire comme un neurasthénique et un hypocondriaque. Voltaire neurasthénique ! Voltaire hypocondriaque ! lui, qui a passé sa vie à travailler et à rire, qui a déployé toute sa vie une prodigieuse activité, qui a étonné le monde par l’universalité de ses aptitudes, par la pondération et la coordination de toutes ses facultés, qui a été poète comme Horace et Boileau, auteur dramatique, historien, journaliste, vulgarisateur scientifique, financier, diplomate, qui a fondé à Ferney des manufactures de montres, qui a desséché des marais et s’est passionné pour l’agriculture, lui, qui a travaillé nuit et jour jusqu’à quatre-vingt-quatre ans, qui a lutté jusqu’à la fin de sa vie pour obtenir la révision des procès de Calas, de Sirven, de la Barre, de Lally. Le neurasthénique, au contraire, est un déprimé, un épuisé, qui se fatigue vite, toutes les fonctions cérébrales sont diminuées en lui, son intelligence est rétrécie, engourdie, son jugement est altéré, sa volonté est affaiblie, il est triste, mélancolique. L’hypocondrie, dit Littré, est une « sorte de maladie nerveuse, qui troublant l’intelligence des malades, leur fait croire qu’ils sont attaqués des maladies les plus diverses, de manière qu’ils passent pour malades imaginaires, tout en souffrant beaucoup [p. 161] coup et qu’ils sont plongés dans une tristesse habituelle ». Est-ce là le portrait de Voltaire, si actif, si combatif, si gai, si moqueur, qui est resté jeune d’esprit, enjoué jusque dans la vieillesse la plus avancée, disant de lui-même :

Toujours un pied dans le cercueil,
De l’autre faisant des gambades.

Ce serait un hypocondriaque d’un nouveau genre celui qui ne cessait de plaisanter sur les réelles et nombreuses maladies qu’il a eues ; dartre, petite vérole, grippe, érysipèle, rhumatismes, fluxions sur les yeux, attaques de strangurie, etc., et qui, accablé de travaux les plus variés, de procès, de tracasseries, de maladies et d’années, conservait jusqu’à quatre-vingt-quatre ans la vivacité el la gaîté d’un jeune homme. Il savait égayer toutes les questions les plus sérieuses, même les questions philosophiques. Lorsqu’il souffrait de quelques maladies, ce qui lui arrivait souvent, il composait pour s’égayer quelque conte plaisant. Ceux de ses amis qui tombaient malades eux-mêmes attendaient ses écrits pour dissiper leur mélancolie et le considéraient comme le meilleur médecin de l’Europe. Voltaire possédait au plus haut degré cette gaîté française que les étrangers ont toujours admirée et que Frédéric II avait remarquée avec étonnement chez les soldats français dans une lettre qu’il écrivait à Voltaire Ie·1.2 avril 1742 : « Vos Français, qui s’ennuient bien en Bohème, n’en sont pas moins aimables et malins, c’est peut-être la seule nation qui trouve dans l’infortune même une source de plaisanteries et de gaité. »

Dans son traité intitulé : Demi-fous, Demi-responsables p. 159, M. Grasset écrit encore sur Voltaire : « Il pense perdre la vue quand Mme du Deffand devient aveugle. » Ce n’est point par suggestion que Voltaire souffre des yeux ; dans plus de cent lettres adressées à Mme du Deffand et à d’autres amis il explique que les neiges des montagnes fatiguent ses yeux, qu’il a des fluxions sur les yeux pendant l’hiver el qu’il recouvre la vue à la fonte des neiges. Je commence déjà à redevenir votre confrère, quinze-vingt, parce qu’il est tombé de la neige sur nos montagnes, écrit-il à Mme du Deffand le 20 septembre 1769. Quand il écrit à Mme du Deffand, qui est aveugle, il exagère son mal et se dit quinze-vingt comme elle, par délicatesse, par sympathie parce qu’il sait qu’on [p. 162] soulage les malades en leur disant qu’on souffre comme eux. Mais sa maladie d’yeux est très réelle, nullement imaginaire et suggestionnée.

C’est par des exagérations semblables que des médecins aliénistes risquent de discréditer la pathologie mentale en voyant partout des malades, même chez les hommes les plus sains, doués comme Voltaire d’un merveilleux esprit et du bon sens le plus solide. C’est ainsi, par exemple, qu’un savant neurologiste, Soury dans un ouvrage d’une immense érudition sur le système nerveux central, p. 225, exagère le mot attribué par Sénèque à Aristote ; nullum magnum ingenium sine mixture dementiœ suit, quand il dit : « Tout le monde commence à convenir que tout ce qui a été fait de grand sur la terre et, à parler simplement, peut-être tout est l’œuvre de ces dégénérés épileptiques ou vésaniques. »

Dans un article de la Revue de Paris, un historien éminent, M. Lavisse (49), se plaignait que son éducation eût été manquée, parce que, à l’époque où il faisait ses études à l’École Normale, l’esprit scientifique n’avait pas encore pénétré l’enseignement. Depuis lors, l’histoire, la philosophie, la critique littéraire ont été vivifiées par l’esprit scientifique ; la psychologie, la physiologie, la pathologie, l’anthropologie ont répandu de grandes lumières sur les problèmes historiques, philosophiques et littéraires. Mais, si la pathologie mentale, qui est une science d’une date assez récente et encore bien loin d ‘être parfaite, veut être pour l’historien un auxiliaire utile, il faut qu’elle se préserve des exagérations, de l’esprit de système, des généralisations outrées et que les aliénistes prennent une connaissance exacte des textes, des documents historiques avant de les interpréter. Dans les livres de Moreau de Tours, de Lombroso et d’autres aliénistes, il y a non seulement des conjectures hasardeuses, des hypothèses risquées, mais une connaissance très imparfaite des documents ; c’est ainsi par exemple que l’étude de Moreau de Tours sur Jeanne· d’Arc est dépourvue de toute valeur, parce que l’auteur n’a même pas consulté le Procès de Jeanne d’Arc. C’est par suite d’une connaissance insuffisante des lois qui imposaient aux citoyens Grecs et Romains l’obligation de tuer le tyran, que des aliénistes ont comparé Brutus à ces régicides [p. 163] visionnaires qui agissent sous l’influence d’obsessions et d’impulsions pathologiques, ils ont oublié que le tyrannicide chez les Grecs. et les Romains était approuvé par les législateurs, admiré par les philosophes, par Cicéron, Sénèque, etc. Moreau de Tours el le Dr Bourdin n’auraient pas écrit que les diverses circonstances du suicide de Caton d’Utique touchent à l’exaltation maniaque, s’ils avaient approfondi les causes morales et politiques du suicide chez les Romains. Après chaque combat, il y avait toujours un grand nombre de suicides ; les vaincus se tuaient, soit pour échapper à la honte et au supplice que les vainqueurs faisaient subir aux prisonniers, soit par désespoir républicain et par fierté comme Caton et ses amis, pour ne pas s’humilier devant César et ne pas assister à son triomphe. Montesquieu, avec sa haute intelligence et sa profonde connaissance du passé avait su faire celte distinction entre les suicides patriotiques et les suicides pathologiques : comparant les causes du suicide chez les Romains et chez les Anglais, il dit que chez les premiers le suicide était l’effet de l’éducation et chez les seconds le résultat du climat et par suite l’effet d’une maladie (50).

Pour prouver que « plusieurs hommes de génie sont, ainsi que les fous, sujets à des tics étranges, à des mouvements choréiques, le Dr Lombroso cite Montesquieu, qui, dit-il « laissait sur les carreaux de sa chambre l’empreinte de ses pieds convulsivement agités pendant ses travaux », et il mentionne ce fait dans un chapitre sous la rubrique : Formes frustes de névroses et d’aliénations dans le génie. Un homme de bon sens, doué d’esprit critique, ne verrait dans le mouvement des pieds, pendant la composition qu’une sorte d’excitant physique, analogue à la marche, au grattement de front, et c’est ainsi que l’interprète le Dr Reveillé-Parise dans son ouvrage judicieux sur La Physiologie et l’Hygiène des hommes livrés aux travaux de l’esprit, t. II, p. 402. Mais le Dr Lombroso, qui lui emprunte cette anecdote sur les habitudes de travail [p. 164] de Montesquieu, en change la signification ; il y croit trouver la justification de sa thèse sur l’identité du génie et de l’épilepsie (51). M. le docteur Grasset, qui est cependant un médecin éminent, mais qui accepte trop facilement sans les contrôler et les analyser les historiettes de ses deux confrères, Moreau de Tours et Lombroso, se fonde sur les habitudes de travail du sage Montesquieu, pour le déclarer atteint et convaincu de tares psychiques (52). Assurément, ce n’est pas en plaçant parmi les demi-fous les génies les plus sains, les plus robustes, les mieux équilibrés, tels que Montesquieu et Bossuet, que les médecins aliénistes augmenteront le crédit de la science qui leur est chère.

Louis PROAL,
Conseiller honoraire à la Cour d’Appel de Paris.

Notes

(1) Brunetière, Revue des Deux Mondes, 1er août 1903.

(2) Dans les Annales médico-psychologiques de 1845, p. 300, le Dr Cerise a publié aussi une étude sur la Pathologie dans l’histoire.

(3) Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1853.

(4) Paul Lacroix, Mémoires du cardinal Dubois ; Fr. Ravaisson, Archives de la Bastille ; Jules Lair, Louise de la Vallière. Voir aussi l’article de Pierre Clément dans la Revue des questions historiques du 1er octobre 1867 ; le livre du comte Baillon sur Henriette d’Angleterre ; l’article de Brunetière sur le livre du comte Buillon, Revue des Deux Mondes, 1er février 1866, p. 696.

(5) Brouardel et Legendre, Les Empoisonnements ; Funck Brentano, Le Drame des poisons.

(6) Brachet, La Pathologie des rois de France, CLIX.

(7) Montaigne, Essais, l. III, ch. x.

(8) Monod, Les Maîtres de l’histoire, p. 1.81.

(9) Au XVIIIe siècle le Dr Régent Le Camus, dans son livre intitulé Médecine de l’esprit, publié en 1769, avait déjà expliqué par la physiologie et la pathologie le caractère d’un grand nombre d’hommes célèbres. Avant Moreau de Tours, il écrit que « les causes qui occasionnent le génie heureux sont les mêmes que celles qui produisent la folie…. Ouvrez les livres d’histoires et voyez, s’il se peut sans gémir, si les plus grands hommes n’ont pas été ceux qui souvent ont donné les plus grandes marques de faiblesse et d’égarements. » (Médecine de l’esprit, t. Il, p. 202.)

(10) C’est ainsi qu’il refusa d’assister à un bal le jour des Rois, malgré la prière de Louis XIV, de lu duchesse de Bourgogne parce que « l’Épiphanie étant une triple fête et celle des chrétiens en particulier par la vocation des Gentils et par le baptême de J.-C., il ne croyait pas la devoir profaner en se détournant de l’application qu’il devait à un si saint jour pour un spectacle tout au plus supportable un jour ordinaire ». Le duc de Beauvilliers ne put venir à bout de sa résistance qui « mit le Roi hors des gonds ».

(11) Michelet, La Terreur, note de la Page XXVI.

(12) L’auteur de L’Oiseau, de L’Insecte, de La Mer, de La Montagne a été si préoccupé des questions d’histoire naturelle et de physiologie que M. Robert Van der Elst vient de publier un livre sur Michelet naturaliste.

(13) Michelet, Préface de la Terreur, note de la page XXVII.

(14) Depuis Taine les docteurs Cabanès et Nass avec leur double compétence d’historien et de médecin ont complété l’étude de la Nécrose révolutionnaire, Dans la Chronique médicale qu’il a fondée et qui est une revue médico-historique, M. le Dr Cabanès étudie de nombreux problèmes historiques, au point de vue pathologique. Il a publié plusieurs volumes sur les Indiscrétions de l’histoire, les morts mystérieuses de l’histoire.

(15) M. Aulard, qui a critiqué Taine avec tant de passion, lui a reproché l’inexactitude de ses citations, n’a pu relever sur plus de 550 références données par Taine dans l’Anarchie spontanée que 15 erreurs matérielles, 6 erreurs de copie, 4 erreurs de pages, 2 de dates et 3 coquilles d’imprimerie (Augustin Cochin, Correspondance, 25 mars-10 avril 1909).

(16) Dans l’Ancien Régime, note de la page 237, Taine cite Pinel, Esquirol.

(17) La Révolution Française n’est pas seulement une jacquerie rurale et une dictature de la canaille urbaine, comme Taine l’écrit dans sa correspondance, t. IV, p. 230.

(18) Sa peinture des abus de l’Ancien Régime est si forte qu’aujourd’hui encore les radicaux font leurs campagnes électorales contre les nobles et les curés avec des citations du livre de Taine.

(19) Taine, Préface du Gouvernement Révolutionnaire.

(20) Montaigne, Essais, l. I, ch. XXII.

(21) Cabanis, Sur les rapports du physique et du moral, Préface.

(22) Il y a même dans Plutarque des observations physiologiques exactes dans un traité sur l’Usage des viandes ; il se fonde sur la conformation du corps humain pour combattre l’abus des viandes, comme le fait aujourd’hui M. Armand Gautier, professeur à l’École de médecine de Paris, qui fait autorité en matière d’alimentation. « L’usage de la viande, écrit A. Gautier, est; dit-on, fondé sur la nature. Mais d’abord la conformation seule des corps prouve le contraire; elle ne ressemble à celle d’aucun des animaux carnivores. L’homme n’a ni bec crochu, ni des· griffes ou des serres, ni des dents tranchantes. »
(Revue scientifique, 16 janvier-1904.)
Plutarque fait encore observer que l’intempérance dans le manger et l’abus des viandes conduisent à la cruauté et cette observation est reproduite par Horace qui dit que « l’excès des viandes colle l’âme à la terre, M. A. Gautier est du même avis que Plutarque et qu’Horace : « Outre, dit-il, que l’usage de la chair des animaux est contraire à la nature, il appesantit encore l’âme…. Si le vin et les viandes donnent au corps plus de force et de vigueur, ils rendent l’esprit plus faible et plus obtus. » Le savant professeur ajoute que l’abus des viandes expose aux maladies de peau, à l’arthritisme, à l’artériosclérose, aux congestions des organes in ternes ; il préconise le régime végétarien mitigé par l’adjonction du lait, des œufs, du beurre, qui régularise la circulation, diminue les toxines, et tend à humaniser les caractères, à faire de nous des êtres calmes, plutôt qu’agités, agressifs et violents. Il est pratique et rationnel. Il doit donc être accepté, prôné même, si l’on poursuit l’idéal de la formation et de l’éducation de races douces, intelligentes, artistiques, pacifiques et cependant prolifiques, vigoureuses et actives. » A. Gautier n’accepte pas l’opinion de Taine qui écrit que l’homme est « muni de canines carnivore et carnassier, jadis cannibale, par suite chasseur et belliqueux » (Ancien régime, p. 815.) Il adopte, au contraire, l’opinion de Cuvier qui a écrit : « l’homme n’est ni carnivore ni herbivore …. Si l’on considère. ses dents et ses intestins, l’homme est par sa nature et par son origine frugivore comme le singe. » C’était aussi l’opinion de J.-J. Rousseau (Note 8 du Discours sur l’inégalité).

(23) Plutarque, Moyens de prévenir la colère.

(24) Hippocrate, traduction Littré,§ 16, 23, 24. — Avant Montesquieu, l’influence du climat avait été aussi signalée par Diodore de Sicile, Bodin et l’abbé du Bos.

(25)Tacite, Histoire, t. 111, § 83.

(26) Voir sur Voltaire homme de science, le livre de Saigey La physique de Voltaire et les articles de Du Boys-Reymond et de Soury.

(27) Esprit des Lois, t. XIV, ch. II.

(28) Jacques 1er, roi d’Angleterre, ne pouvait voir sans frayeur une épée hors de son fourreau. Cette phobie est rapportée par le chevalier Dighi qui en donne la même explication que Voltaire, elle est aussi citée par le Dr Le Camus dans son livre sur la Médecine de l’Esprit.

(29) Voltaire, Dictionnaire philosophique, voir DÉMONIAQUES.

(30) Lettres philosophiques, 3e lettre.

(31) Voltaire, Dictionnaire philosophique, voir FANATISME. [en ligne sur notre site]

(32) Ibid.

(33) Dr Régis, Les régicide.

(34) Colbert ne pouvait aussi souffrir Suétone; et Napoléon 1er à Erfurth exprimait à Gœthe la mauvaise humeur contre Tacite.

(35) Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1910.

(36) Taine, L’ancien Régime, p. 312.

(37) Montesquieu, Lettres Persanes, lettre 78.

(38) Dr Le Bon, La Psychologie des foules ; Tarde, Foules et Sectes (Revue des Deux Mondes, 1893) ; Dr Luys, Annales de Psychatrie, octobre 1894 ; Scipio Sighele, Les Foules criminelles.

(39) Le Dr Lunier a observé plus de 900 cas d’aliénation mentale déterminés par les événements de 1.870-1871. (De l’influence des grandes commotions politiques et sociales dans le développement des maladies mentales, p. 269.)

(40) Helvétius, De l’Homme, Section V, ch. II et III. C’est Helvétius qui a eu le premier l’idée de fonder une académie des Sciences morales et politiques : «  Pourquoi, dit-il, les puissants n’ont-ils pas encore institué d’académies morales et politiques ?… li n’est point de muse à laquelle on n’ait érigé un temple ; point de science, qu’on n’ait cultivée dans quelque académie ; point d’académie où l’on n’ait proposé quelque prix pour la solution de certains problèmes d’optique, d’agriculture, d’astronomie, de· mécanique, etc. Par quelle fatalité les sciences de la morale et de la politique sans contredit les plus importantes de toutes et celles qui contribuent le plus à la félicité nationale sont-elles encore sans écoles publiques ? » (De l’Homme, de ses facultés intellectuelles el de son éducation, Section VII, chap. XII, 2, p. 217.)

(41) L’Esprit des lois, I. XIX, ch. XXVII. –— C’est parce que Montesquieu croit peu à l’influence de la raison sur les actions humaines, qu’il est très. attaché aux traditions et redoute les changements : « Dans un temps d’ignorance, on n’a aucun doute; dans un temps de lumière, on tremble encore lorsqu’on fait les plus grands biens. On sent les abus anciens, on en voit la correction ; mais on voit encore les abus de la correction même. On laisse le mal si l’on craint le pire ; On laisse le bien, si on est en doute du mieux…. Il n’appartient de proposer des changements qu’à ceux qui sont assez heureusement nés pour pénétrer d’un coup de, génie toute la constitution d’un état. » (Préface de l’Esprit des lois.) J.-J. Rousseau lui-même disait : « De toutes les facultés de l’homme la raison, qui n’est pour ainsi dire qu’un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard. » (Emile, 1. II)

(42) Conseils à un journaliste.

(43) Taine, écrivant à A. Dumas fils qu’il avait voulu faire en histoire de la psychologie appliquée, ajoutait : «  Cela est bien plus difficile que l’ancienne histoire, bien plus difficile à faire pour l’auteur et bien plus difficile a comprendre pour le public .» (Taine, Sa vie et sa correspondance, t. IV, p. 51.)

(44) Moreau de Tours, La Psychologie morbide, p. 518-523.

(45) Ch. Daremberg, La Médecine, 1865, p. 392.

(46) Comme les livres de Lombroso sont remplis de statistiques, Taine et d’autres savants ont cru que ses théories étaient exactes, étant appuyées sur des documents précis. Or. la plupart de ses statistiques sont fantaisistes. Au Congrès d’anthropologie criminelle de Paris de 1889, Lombroso a reconnu lui-même très loyalement qu’il avait mis trop de précipitation à réunir des chiffres et à confectionner ses statistiques. (Archives d’anthropologie criminelle, 1889, p. 512.)

(47) Dr Grasset, La supériorité intellectuelle et la névrose.

(48) L’excitation cérébrale par la musique a· été aussi employée par Berryer pour la préparation à la plaidoirie; ayant été chargé au dernier moment par Chateaubriand de sa défense dans un procès politique et n’ayant qu’une soirée à consacrer à la préparation de son plaidoyer, Berryer alla la passer à l’Opéra ; la musique échauffant son imagination mit si bien en mouvement sa verve oratoire qu’il prononça le lendemain un discours plus éloquent que s’il avait passé la soirée à feuilleter les pièces du dossier. — Le café, le tabac, le vin et les autres boissons spiritueuses, les parfums sont encore employés par des écrivains pour exciter le cerveau et personne ne songe à voir dans ces habitudes de travail des anomalies, des tares psychiques. D’autres donnent du mouvement à leurs pensées par la marche. Horace se frottait le front et se rongeait les ongles (Satires, l. I, Satire X), et ne recommandait pas l’eau aux poètes. (Epîtres, 1. I, Ep. XIX).

(49) Lavisse, Une éducation manquée, Revue de Paris, 15 nov. 1902.

(50) Esprit des lois, l. XIV, ch. III. Ces suicides patriotiques et nullement pathologiques ont été observés chez différents peuples. «  C’était chez les Germains, dit Tacite, une grande infamie d’avoir abandonné son bouclier dans le combat et plusieurs après ce malheur s’étaient donné la mort. » A la suite de la guerre de la Russie contre le Japon, le général Kouropatkine a écrit : « Les officiers japonais, qui tombaient dans nos mains, même les blessés, se suicidaient généralement. »

(51) Lombroso, L’Homme de génie, p. 52. :

(52) Grasset, Demi-fous et Demi-responsables, p. 159.

 

 

 

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