Letourneau. De la maladie d’amour, ou mélancholie érotique. Extrait de la revue « L’Union médicale », (Paris), nouvelle série, tome dix-neuvième, n°79, jeudi 2 juillet 1863, pp. 1-10.

Letourneau. De la maladie d’amour, ou mélancholie érotique. Extrait de la revue « L’Union médicale », (Paris), nouvelle série, tome dix-neuvième, n°79, jeudi 2 juillet 1863, pp. 1-10.

 

Charles-Jean-Marie Letourneau (1831-1902). Anthropologue, secrétaire de la Société d’anthropologie de Paris, à la suite de Paul Broca.
quelques publication :
— Physiologie des passions. Paris, Germer Baillière, 1868. Dans la Bibliothèque de philosophie contemporaine.
— Physiologie des passions. Deuxième édition, revue et augmentée. Paris, Germer Baillière, 1878. Dans la Bibliothèque de philosophie contemporaine.
— L’évolution du mariage et de la famille. 1888.
— Des rêves ancestraux. Extrait des « Bulletins de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Ve série, tome I, 1900, pp. 425-432.  [en lige sur notre site]
La psychologie ethnique. 1901.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. –  Nous avons gardé l’orthographe de l’article original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 1, feuilleton]

De la maladie d’amour, ou mélancholie érotique.

Discours curieux qui enseigne à cognoistre l’essence, les causes, les signes, et les remèdes de ce mal fantastique. Par Jacques FERRAND Agenois, docteur en la Faculté de médecine de Paris. Chez Denis Moreau, rué Sainct-Jacques, à la Salemandre, M.DC.XXIII, avec privilège du roy. Un vol. 8° de 270 pages.

Tel est Je litre d’un livre écrit par un docte confrère de la fin du XVIe siècle, titre déjà fait pour affriander le lecteur. Disons hardiment que le texte répond au litre : œuvre originale s’il en fut, écrit avec une verve fringante, dans cette belle langue française du temps de Montaigne, si pleine d’arôme, de naïveté et de finesse, pittoresque, et point prude, disant les choses « tout-à-trac, » mais juvénile toujours. et se moulant, pour ainsi dire sur les faits, les idées, pour en faire admirablement ressortir les plus légers reliefs, les nuances les plus fines.

Pourquoi les pédants de l’hôtel RambouilleL nous ont-ils gâté ce bel idiome ? Que lui manquait-il ? N’avait-il point été ironique et philosophique avec Montaigne, fièrement hellénique avec Etienne de la Boétie, scientifique avec Paré, gracieux avec Amyot ? Jacques Ferrand n’arrive pas à la taille de ces grands bommes, et pourtant, honorés lecteurs, j’espère que vous me saurez gré de vous l’avoir présenté.

Ne me demandez pas des détails biographiques sur Jacques Ferrand. De plus érudits bibliophiles vous diront peut-être en quelle année il est né, en quelle année il a passé de vie à [p. 2, feuilleton] trépas. Dans tous les cas, ils ne l’ont imprimé nulle part, et j’ai été obligé d’interroger notre auteur lui-même, qui nous apprend que, en 1604, il commençait à exercer la médecine à Agen, sa ville natale, et que ce fut en 1612 qu’il publia pour la première fois, à Toulouse, son curieux livre, qui fut donné de nouveau au public, par une seconde édition, celle-là même que nous avons sous la main.

Le livre commence par une épistre dans laquelle l’éditeur, s’adressant à MM. les étudiants en médecine de Paris, vante, avec très peu de mesure, l’importance et l’excellence de l’ouvrage : « Ce discours, Messieurs, n’a point de revers, ni de défaut ; il bute à la vertu et à la doctrine, à l’honneur et à la preud’hommie, ce qui vous le doit rendre beaucoup plus recommandable. » Suit un avertissement dans lequel l’auteur lui-même offre aux lecteurs « son petit discours desnué de toute éloquence, » mais dans lequel on trouvera « toutes sortes de remèdes pour guérir la plus fréquente et dangereuse maladie qui travaille les mortels de tous les deux sexes, lesquels il a ramassés es taillis des philosophes, parterres des médecins, et glanés ès champs des poètes et théologiens prophanes pour vous plaire par ceste variété. »

Une série de sonnets en français, en latin, voire même en grec, tous dédiés à l’auteur, termine le préambule.

Après ces préliminaires, nous entrons à pleines voiles dans le sujet, lequel est, comme le titre l’indique, une monographie médicale de l’amour-passion considéré comme maladie mentale ; car, véritablement, on peut dire des amants ce que Démodocus disait des Milésiens : « S’ils ne sont fols, ils font au moins ce que font les fols. » Amour passionné et mélancolie érotique sont synonymes. « La mélancholie, selon Galien, est une resverie sans fièvre, accompagnée de peur et de tristesse. » Or, aucun de ces caractères ne manque à la passion amoureuse que J. Ferrand croit devoir rapprocher de la mélancolie hypochondriaque. « Veue [p. 3, feuilleton] qu’elle dépend principalement du foye et parties circonvoisines, pervertit les facultés principales du cerveau par les vapeurs noirastres montant des hypochondres à la divine citadelle de Pallas, c’est-à-dire au cerveau. »

Heureux J. Ferrand, ce n’est pas lui que les explications embarrassent ! Il a pâli sur Aristote, Galien et Hippocrate, sans parler d’ Avicenne, « ces coryphées de la médecine ; » il connaît à fond la théorie des humeurs et des esprits. Pour lui, la vie humaine, physiologique et pathologique, n’a pas de mystère. Quant aux questions métaphysiques, la théologie est là pour répondre à tout. Un de ses principaux soucis, c’est de nous montrer qu’il a une forte teinture des belles-lettres et 165 auteurs qu’il nous cite à tout propos, mais souvent à propos, nous prouvent suffisamment qu’il est doctus inter doctissimos. O bon Ferrand, que votre sort était digne d’envie, et combien vous prévoyiez peu qu’un jour vos successeurs seraient incessamment ballottés entre les courants ennemis de l’animisme et du vitalisme, de l’organicisme et de l’éclectisme !

Mais, trêve aux digressions. Tout bien considéré, l’idée fondamentale de notre livre n’est pas sans justesse, et la définition suivante a bien son prix : « L’amour est une espèce de resverie procédante d’un désir déréglé de jouir de la chose aimable, accompagnée de peur et de tristesse ; » suit l’exposé des motifs : « Car on ne peut nier que tous les amans n’ayent l’imagination dépravée et le jugement offencé… mais surtout ils ont l’imagination dépravée ; s’ils voyent une gorge enduite, reblanchie et crespie de céruse, un sein mouscheté en léopard, des mammelles de chèvre au mitan desquelles paraissent deux gros boutons livides et plombés, ils s’imaginent que c’est une gorge de neige, un col de laict, le sein plein d’œillets, deux petites pommes d’albastre s’enflans par petites secousses, el s’abaissans à la [p. 4, feuilleton] mode du flux et reflux de l’océan, au milieu desquelles brillent deux boutons verdelets et incarnadins. » Halte-là, Monsieur Ferrand, vous tombez dans l’hyperbole.

Le sujet convenablement défini, nous entrons dans les recherches étiologiques : « Les causes évidentes de l’amour, selon les philosophes moraux et platoniques, sont cinq ; sçavoir, les cinq sens de nature que les poètes ont entendu par les cinq flèches dorées de Cupidon. La première est la veuë… Nul n’aime sans avoir vu…. à l’ouië faut rapporter la lecture des livres lascifs, des honnestes…. et les lettres et poulets farcis de termes attrayans, desquels les amans ordinairement caressent et cajollent leurs dames pour s’insinuer en leur bonne grâce… : ce que la nature n’a pas seulement appris aux hommes, mais encore aux petits oiselets qui, picqués de l’amour pour exciter leurs compagnes, s’efforcent de rendre leur chant et jargon plus plaisant et mélodieux que l’ordinaire. »

Après les sens viennent la musique, les parfums, les viandes excitantes, l’oisiveté « mère de l’amour impudique, » la continence et l’hérédité. Mais ce ne sont là que des causes occasionnelles « n’ayant de pouvoir que sur les esprits et corps faibles, et disposez au mal. » Il faut placer bien au-dessus, comme importance, les climats et les tempéraments qui en dépendent. « Les entrailles et parties principales du corps changent de complexion et de température à proportion que les saisons changent ; aussi les Égyptiens, Arabes, Mores, Espagnols, exposés à l’air chaud, sont très enclins à ce mal. »

Mais toutes ces causes ont agi. Le mal éclate. Vous allez assister à l’invasion : « L’amour ayant abusé les yeux, comme vrays espions et portiers de l’âme, se laisse tout doucement glisser par des canaux et, cheminant insensiblement par les veines jusqu’au foye, imprime soudain un désir ardent de la chose qui est réellement ou paroist aimable. allume la concupiscence, et par ce désir commance toute la sédition. Mais craignant d’estre trop foible pour [p. 5, feuilleton] renverser la raison, partie souveraine de l’âme, s’en va droit gaigner la citadelle du cœur, duquel s’estant une fois asseurée comme de la plus forte place, attaque après si vivement la raison et toutes les puissances nobles du cerveau, qu’il se les assujettit et les rend tout esclaves ; tout est perdu pour lors, c’est fait de l’homme ; les sens sont esgarés, la raison est troublée, l’imagination dépravée : les discours sont impertinens. Le pauvre amant ne se représente plus rien que son idole. Toutes les actions du corps sont pareillement perverties. Il devien l pas le, maigre, transi, sans appétit, ayant les yeux caves et enfoncés. et ne peut voir la nuit (comme dlct Je poêle) ny des yeux, ny de la poitrine. Vous le verrez pleurant, sanglottant, et soupirant coup sur coup et en une perpétuelle inquiétude, fuyant toutes les compagnies, aimant la solitude pour entretenir ses pensées. La crainte, le combat d’un côté el le désespoir bien souvent de l’autre. »

Voilà un tableau brossé de main de maitre, un miroir où vous vous reconnaitrez peut-être, lecteur, si jamais vous avez eu l’heureux malheur d’être mordu au cœur par une passion violente, monomaniaque.

Où est le siège anatomique de la maladie ? La relation constante qui lie les fonctions viscérales aux troubles même dynamiques du cerveau n’a pas échappé à notre Ferrand ; mais, plus sage en cela que Bichat, il dit : « Nous soutenons qu’en la mélancholie érotique, le cerveau est la partie malade et le cœur siège de la cause de la maladie. »

Une fois le praticien bien éclairé sur la nature et la cause de la maladie amoureuse, reste à la reconnaître et à la guérir. « J’accorderay bien qu’il n’est pas facile de descouvrir les amans légèrement passionnés ; mais ceux qui ont tellement affolé d’amour qu’ils sont jà atteints de la mélancholie ou manie érotique, je les veux aussi aisément recognoistre que toutes autres personnes travaillées de passions violantes d’esprit. »….. « Sitôt qu’une [p. 6, feuilleton] âme est atteinte de celle maladie, elle faict les doux yeux, et nos modernes anatomistes appellent l’amoureux, le muscle qui est cause de ceste sorte de regard. Mais si le mal est un peu plus grand, les yeux deviennent profonds, secs, sans larmes et tels qu’on remarque ès personnes qui voyent des yeux du corps ou de l’esprit quelque chose agréable, l’entendent ou l’espèrent. »

« ….. Comme le souverain médecin Erasistrate recogneut jadis fort artistement que le prince Antioche estoit amoureux de Stratonice, sa marastre, en ce que son visage changeait. de couleur, lorsqu’elle entroit dans sa chambre, la voix s’arrestoit, les yeux estoient sourians et doux, le visage étoit enflambé, les sueurs âcres, le pouls esmeu, battant sans ordre, finalement le cœur luy dérailloit, devenoit souvent pasle, confus et estonné. » Moi-même. dit-il, je reconnus au mois de mai 1604, dans Agen, lieu de ma naissance, les folles amours d’un jeune escolier natif du Mas d’Agenois. Il se plaint à moy que quelques remèdes que les médecins du lieu, et un charlatan paracelsiste, luy eusseut ordonnés, il ne pouvait dormir, ne se plaisait à rien au monde, estoit tellement Inquiété qu’il avoit été contrainct de se retirer de Tholose à Agen, espérant trouver soulagement à son mal par le changement du lieu où, au contraire, il se trouvoit en pire estat, dégousté et altéré. Je remarque un jeune homme triste sans cause quelconque, que peu auparavant j’avois veuc jovial, j’apperçois son visage palle, citrin el blafard, les yeux enfoncés et le reste du corps en assez bon poinct. J’entre en doute que quelque passion d’esprit luy bourrelait l’âme et, veu son aage, bon tempérament sanguin et sa profession, je conclus à part moy, qu’il estoit malade d’amour et, comme je le presse de me descouvrir la cause externe de sa maladie, une belle fille du logis porte de la lumière, cependant que je luy tastols le pouls, qui dès l’instant varie en diverses sortes, il pallit et rougit en divers moment et à peine peut-il parler. Se voyant à demi-convaincu. il accorde [p. 7, feuilleton] son mal, mais ne veut guérir que par le moyen de celle qui l’a blessé. Le mariage ne pouvant s’accomplir, il désespère ; la fièvre le surprend avec un crachement de sang : cela l’estonne et l’induit à suivre mon conseil et par les remèdes de la médecine reçeut la guérison de son mal. »

En veine de bon sens, l’auteur attribue la pâleur des amants mélancoliques, dans bien des cas, aux troubles hépatiques. Observation vraie pour toutes les passions tristes qui retentissent presque fatalement sur la sécrétion biliaire et inversement. Les causes des veilles des amants sont « les diverses imaginations qui coulent dans leur cerveau et ne laissent jamais l’âme en repos ; les soupirs leurs viennent de ce qu’ils ne se souviennent de respirer à cause des fortes imaginations qu’ils nourissent,… Dont s’estans reconnue, nature est contrainte de se tirer en un coup autant d’air qu’elle eût tiré en deux ou trois fois et telle respiration se nomma soupir qui est véritablement un redoublement d’haleine. »

Si tous ces signes ne vous suffisaient pas pour le diagnostic, en voci un qui est pathognomonique : « Je dirai avec Simonides que comme tout Cochevy a la houppe sur la tète ainsi il faut que tout vray amour aye un peu de la jalousie. » Mais n’allez pas, pour reconnaître « les embabouinés d’amour, » parler à J. Ferrand de chiromance, d’onéiromance, d’astrologie judiciaire ou de magie, il vous dira, presque sans hésiter, que tout cela n’est que piperies, à moins que ce ne soit œuvres dangereuses pour le salut des âmes. Il est plus indulgent pour la « physiognomie, d’autant que le visage est comme l’âme raccourcie, sa montre, son image, son escusson à plusieurs cartiers représentant le recueil de tous les titres de sa noblesse planté et colloqué sur sa porte et au frontispice, afin que l’on sçache que c’est sa demeure et son palais. »

Tout naturellement les signes prognostiques suivent les signes diagnostiques. Plusieurs [p. 8, feuilleton] ont dit ceste maladie incurable, attendu qu’à leur jugement elle est totalement divine, c’est la coutume des idiots, dit Hippocrate, de dire les maladies et leurs causes divines, lorsqu’ils remarquent en icelles quelque chose de nouveau et extraordinaire. li ne sert de rien de dire que c’est une maladie de l’âme que l’on doit laisser aux philosophes moraux et théologiens. Que si l’esprit est affligé en amour, c’est par la sympathie mutuelle du corps avec l’âme, comme nous apprend fort clairement le génie de la nature en sa physionomie (Aristote}. Je me contenteray de vous dire que les maladies du corps hébétent et estourdissent l’esprit, tirans à leur sympathie le jugement… Si l’apoplexie assoupit et esteint tout à fait la veue de nostre intelligence, il ne faut pas douter que la mélancholie, l’amour, voire le morfondement ne l’esblouisse et par conséquent, à peine se peut-il rencontrer une seule heure en la vie où nostre jugement se trouve en sa deue assiette, nostre corps estant subject à tant de mutations et estoffé de tant de sortes de ressorts, qu’il est malaisé qu’il n’y en ait tousjours quelqu’un qui tire de travers, quoique toujours on ne le puisse recognoîstre.

Concluos doncques que l’amour n’est pas incurable, mais bien difficile à guérir ….. Les vieillards travaillez de la mélancholie érotique sont plus griesvement malades que les jeunes, et l’Avicenne enseigne que si ce mal est en habitude, li est du tout incurable et rend les malades hectiques, fats, niais, et à parfois tellement sauvages, qu’ils deviennent loups¬garous ou se tuent de leurs propres mains. »

C’est épouvantable, surtout pour le beau sexe, car « nous pouvons conclure que la femme en ses amours, est plus passionnée et plus acariastre en ses folies que l’homme, d’autant que la femme n’a pas la raison si forte que le masle pour pouvoir résister à une si forte passion, comme dit Galien… Nous pouvons encore fortifer ceste oppinon d’une belle raison physique espuisée de la doctrine d’Aristote en ses œuvres physiques où il enseigne que la [p. 9, feuilleton] nature a donné les intestins droits sans replis ny révolutions aux animaux goulus et voraces, comme sont les oiseaux de proye et le loup. Au contraire, elle a diversement replié et artistement entrelassé les boyaux de ceux qu’il est expédient d’estre sobres, comme l’homme. Dont nous apprendrons que veu que la mesme nature a. situé en la femme ses voies spermatiques bien proches et joignant les cornes de l’amarry, comme il se vérifie par autopsie es dissections anatomiques et, au contraire en l’homme, elle les a rejetés bien loing hors du ventre, de, peur que les facultés principales de l’âme, l’imagination, la mémoire et le jugement ne fussent pas trop troublez par la sympathie et voisinage des parties honteuses, il est à juger que la femme a ce désir brutal plus violent, non sans raison, car il estoit necessaire que par quelque plaisir la nature contrebalançant la peine que ce sexe endure durant la grosse et accouches… que si nous voyons que les hommes semblent d’abord plus portez à la lubricité, n’exemptons pas les femmes du même désir qu’elles cachent tant qu’elles peuvent. En quoy leur mine est semblable à des alembics gentiment assis sur des tourettes, sans qu’on voye le feu dehors ; mais si vous regardez au-dessous de l’alembic et menez la main sur le cœur des dames vous trouverez en tous deux lieux un grand brasier. »

Se none è vero è bene trovato.

Les chapitres de la prophylaxie et du traitement « vray et méthodique » ne sont pas les moins curieux, mais l’espace nous manque. Entre autres moyens moraux très nombreux, et que Leuret n’aurait pas désapprouvés, il en est un que je ne veux pas passer sons silence :

Il consiste à produire une impression forte, dépoétisante, qui aille saisir l’imagination au milieu des nues ou elle plane et la précipite sur le sol le plus prosaïque : Ex. : u Hypetia, [p. 10, feuilleton] fille à Théon le géomètre, estoit si docte et accomplie qu’elle surpassait en vertu et doctrine tous ceux de la ville d’Alexandrie, où elle Iisoit publiquement la philosophie durant l’empire d’Honorius et Arcadius. Il advint qu’un escholier fut tellement espris de la beauté de son corps et de son esprit qu’il en affola. Mais un jour ce jouvenceau luy ayant demandé la jouissance pour sa guérison, ceste docte, fille, qui n’ignoroit pas les préceptes de la médecine, tire de dessous sa cotte un drappeau teint de ses fleurs menstrales et lui disant : Voilà, jeune adolescent, ce que tu aimes tant, où il n’y a que vilainie, amortit l’ardeur de ce jeune homme et le préserva de la mélancholie érotique. »

Malheureusement notre psychiâre emploie aussi des moyens « pharmaceutiques et chirurgiques. » Plaignons les amoureux qui lui tombaient sous la main, Après leur avoir phlébotomisé la veine saphère ou la poplitée, on les purgeait, repurgeait, clystérisait, sans trêve ni merci ; le tout avec un luxe de polypharmacie delirante. Chaque formule de clystère ou de pessaire, destiné à être introduit in sinum pudoris, n’occupe guère moins d’une page. C’est un désastreux naufrage du bon sens.

Et cependant l’idée du docteur Ferrand est loin d’être déraisonnable. Qui oserait nier l’analogie parfaite, j’allais dire l’identité des passions fortes et des monomanies ? Qui n’a observé la relation constante, étroite, qui lie les émotions, impressions, aux fonctions de la vie organique ? Mais qui nous apprendra à profiter scientifiquement de ces puissantes sympathies pour gouverner l’être moral et mettre un mors aux passions ? Quand donc sera faite la chimie de l’esprit humain ?

Dr LETOURNEAU.

 

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