J. Waffelaert. Les démoniaques de la Salpêtrière et les vrais possédés du démon [Partie 1]. 1888.

J. Waffelaert. Les démoniaques de la Salpêtrière et les vrais possédés du démon. Partie  1. Article paru dans la revue « La Science Catholique », (Paris),  tome deuxième, décembre 1887 à novembre 1888, 1888, pp. 273-287.

Premier article d’une série de cinq distribués comme suit :
— Les démoniaques de la Salpêtrière et les vrais possédés du démon [Partie 1]. « La Science Catholique », (Paris),  tome deuxième, décembre 1887 à novembre 1888, 1888, pp. 273-287. [en ligne sur notre site]
— Les démoniaques de la Salpêtrière et les vrais possédés du démon. [Partie 2]. « La Science Catholique », (Paris), tome deuxième, décembre 1887 à novembre 1888, 1888, pp. 352-369.  [en ligne sur notre site]
— Réalité historique et possession démoniaque [partie 1]. La Science Catholique », (Paris),  tome deuxième, décembre 1887 à novembre 1888, 1888, L pp. 496-507. [en ligne sur notre site]
— Réalité historique et possession démoniaque [parie 2]. La Science Catholique », (Paris),  tome deuxième, décembre 1887 à novembre 1888, 1888, L pp. 571-593.
— Les Posséfées de Loudun. LLa Science Catholique », (Paris),  tome deuxième, décembre 1887 à novembre 1888, 1888, pp. 747-761.

Gustave Josèph Waffelaert (1847-1931). Evêque, il occupa plusieurs poste avant  d’être envoyé à l’université de Louvain (1875-1880) où il obtient le doctorat en théologie : sa thèse, « De dubio solvendo in re morale », est soutenue le 20 juillet 1880. Il se détourne vite d’une morale casuistique et se porte vers la théologie morale, plus impliquée dans la vie spirituelle, et vers la théologie dogmatique. Proche des idées de saint Thomas d’Equin, il participa à plusieurs se détourne vite d’une morale casuistique et se porte vers la théologie morale, plus impliquée dans la vie spirituelle, et vers la théologie dogmatique. Proche des ides de Thomas d’Aquin, il participa activement au Dictionnaire apologétique de la foi catholique, aux revues La Science catholique, Canisiusblad, la Revue pratique.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie.
– Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 273]

LES DÉMONIAQUES DE LA SALPÉTRIÈRE
ET LES VRAIS POSSÉDÉS DU DÉMON

Il se manifeste, chez un certain nombre de représentants de la science médicale moderne, une tendance à supprimer le surnaturel comme le préternaturel, parfois même tout ce qui n’est pas matière. Ainsi, pour eux, les visions et révélations des saints, leurs extases, etc., ne sont que des effets d’un état nerveux, particulièrement de l’hystérie.

De même, les manifestations merveilleuses de science non acquise, la révélation de choses occultes, les violences corporelles, attribuées par l’Évangile et par l’histoire à la possession diabolique, ne sont, d’après eux, qu’une autre variété de névrose, spécialement de l’hystérie, pour le savant qui a soin d’écarter toute supercherie et de réduire les faits à l’exacte vérité historique.

Cette tendance n’est, du reste, pas nouvelle, pour ce qui regarde du moins l’exclusion d’un agent préternaturel, du démon. Guillaume de Paris, dans son ouvrage De Universo, cite plusieurs médecins admettant que la possession n’existe pas. Delrio (1) et Th. Raynaud (2) en citent aussi un certain nombre, parmi lesquels Avicenne qui vécut au onzième siècle, après lui Petrus Aponensis au treizième siècle, Pomponatius deux siècles plus tard, et enfin Galien. Levinus Lemnius, qui, comme ce dernier, écrivit au seizième siècle, semble approuver cette manière de voir, car il tâche d’expliquer les manifestations les moins naturelles, par la [p. 274] maladie, par la corruption des humeurs (3). Ajoutons encore Schenckius, suivi par Hecquet (4).

I

Les théologiens ont été unanimes à réprouver pareille opinion, ils en ont signalé une première cause dans les idées préconçues, en particulier dans le préjugé anti-catholique, où cette tendance prenait trop souvent son origine, et que tout homme de bonne foi doit condamner ; car, il est de l’intérêt du savant sérieux de se défaire avant tout du préjugé qui aveugle. Ils ont ensuite condamné l’assertion trop absolue de ces médecins et philosophes, comme contraire à la vérité révélée, aussi bien qu’à la vérité purement historique. Mais jamais, la plupart du moins parmi eux et les plus éclairés, ils ne se sont plaints des savants, qui voulaient dévoiler la supercherie, et la supposaient en bien des cas ; ni de ceux qui, à rencontre de la superstition et de l’ignorance populaire, voulaient faire la part des effets naturels de la maladie, quelque étonnants qu’ils fussent ; pourvu que ces mêmes savants ne tombassent pas dans des erreurs et des absurdités d’explication évidentes.

Et certes, l’Église a été toujours la première à condamner la supercherie ; elle a horreur de la superstition, et l’histoire atteste qu’elle a été en tout temps l’ennemie de l’ignorance. Aussi, n’est-ce pas sa bonne foi que les hommes sérieux suspectent ; mais certains savants semblent l’accuser d’une tendance à la crédulité, et d’une certaine condescendance ou plutôt d’un entraînement naturel aux idées fausses du temps. Rien n’est plus éloigné de la vérité, notamment en cette matière de la possession diabolique. Écoutons le savant Pontife Benoît XIV (5) : « Beaucoup de personnes, écrit-il, sont dites possédées, qui ne le sont pas en réalité ; ou bien parce qu’elles feignent de l’être, et de [p. 275] celles-là il est question au concile du Trulle (6), en son canon LX (collect. Harduin., t.III, col. 1685) : Ceux donc, qui font semblant d’être saisis du démon, et qui, dans la perversité de leurs mœurs, osent contrefaire la figure et l’attitude des possédés, doivent en toute façon être punis ; ou bien parce que les médecins eux-mêmes disent possédées plusieurs personnes qui ne le sont pas, comme l’a fait observer à juste titre Vallesius, de sac. Philos., col. 28, p. 220, où il parle en ces termes : De tout ce que nous avons dit, il paraît très vraisemblable que plusieurs de ceux qui, sous prétexte de possession, sont soumis aux exorcismes, n’ont pas de démon, mais souffrent de quelque maladie mentionnée ci-dessus, et à bout de ressources, après avoir épuisé les autres moyens de guérison, sans succès, sont présentés enfin aux exorcismes. C’est ce que traite longuement J.-B. Silvaticus, de iis qui morbum simulant deprehendendis, cap. XVII, où il montre que les signes dont quelques-uns concluent à la possession sont des signes d’humeur mélancolique. C’est pourquoi les théologiens et les médecins les plus avisés font observer qu’il faut bien peser et examiner les signes, avant de prononcer que tel est possédé du démon, comme Zacchias l’enseigne, après avoir rassemblé leurs témoignages (Quest. médicolég., 1. II, tit. 1, qu. 18, n.3 et ss). On peut lire aussi la dissertation d’un docteur en médecine, agrégé au collège des médecins de Lyon, éditée à Paris en 1737, t. IV du Supplément à l’histoire des superstitions, par le P. Le Brun, page 206 (7). »

Le Rituel romain lui-même, au titre des exorcismes, commence par avertir l’exorciste de ne pas croire facilement à la possession : In primis ne facile credat aliquem a dæmone obsessum esse, sed nota habeat ea signa, quibus obsessus dignosciyur ab iis, qui atra bile vel morbo aliquo laborant. Ensuite il énumère plusieurs signes, en ajoutant : et idgenus alia, quæ, cum plurima occurrunt (83), majora sunt [p. 276] indicia. D’après ces données, les théologiens, eux aussi, distinguent parmi les signes de la possession, des signes certains, des signes douteux, des signes probables, comme le fait longuement Thyræus dans son livre de Dæmoniacis, part. II, cap. 22 et ss., et avec lui un grand nombre d’autres qui traitent cette matière. Nous devrons, d’ailleurs, revenir plus loin sur cette doctrine. Il nous suffît, pour le moment, d’avoir démontré que l’Église n’est pas le moins du monde intéressée à trouver partout des démoniaques, comme quelques-uns semblent se l’imaginer. Et que l’on veuille bien remarquer que nous ne parlons pas seulement des temps actuels ; le Rituel n’est pas d’aujourd’hui, les théologiens que nous avons cités appartiennent aux siècles passés. Mais nous ne nions pas qu’il faille tenir compte des différents âges, comme des différentes contrées, non seulement pour dégager la vérité historique de la crédulité et de la supercherie, mais aussi pour se rendre compte de la fréquence ou de la rareté des faits constatés et indéniables. C’est ce que nous ferons ressortir plus tard. Nous ne voulons pas nier non plus que certains théologiens ne se soient laissé entraîner, dans les âges passés, à une crédulité parfois ridicule, mais jamais l’Eglise n’a approuvé pareille tendance ; elle y a, au contraire résisté, et elle seule a été capable d’arrêter ces excès, comme le démontre fort bien le P. Perrone (de Dæmonum cum hominibus commercio). Du reste, les théologiens les plus remarquables et les plus autorisés ont évité la crédulité et la superstition pour garder, avec l’Église, le juste milieu de la vérité.

Une chose encore est digne de remarque, c’est qu’en matière d’exorcismes, l’inconvénient n’est pas considérable lorsque, par hasard, l’exorcisé n’est pas un vrai démoniaque. Cependant, l’Église, pour permettre l’exorcisme, requiert la prudence et un jugement moralement certain ou du moins fort probable de possession. Mais, quand il est question de juger avec certitude d’un cas de possession, comme dans les procès de béatification ou de canonisation d’un saint, qui a délivré des possédés sans les exorcismes, d’une manière miraculeuse, l’Église est autrement sévère : qu’on lise sa manière de procéder et les règles qu’elle s’est tracées, dans Benoît XIV, de Servorum Dei beatif. et canonis.; qu’on lise les actes de béatification ou de canonisation, où il s’agit d’un possédé délivré du démon, comme par exemple dans les causes de sainte Madeleine de Pazzis, ad tu. Liberatio energumenæ ; de saint [277] Charles Borromée., 3e part., ad lit. Anastasia de Magis ; de saint Philippe de Néri, 3e part., etc., et l’on verra qu’aucun tribunal humain ni aucune académie savante ne prit jamais de précautions plus minutieuses, tant contre tout danger d’erreur que contre la supercherie, et n’exerça jamais une critique plus sévère. Nous aurons l’occasion plus loin de donner au lecteur de plus amples renseignements sur ce point.

C’est donc entrer dans l’esprit de l’Église que de se défaire de toute idée préconçue et de tout faux préjugé, et de faire une critique sévère des faits ; mais tout savant, digne de ce nom, doit de son côté, agir de même, c’est-à-dire se dépouiller de tout préjugé anti-catholique, de toute idée préconçue, de l’esprit de système, et raisonner avec calme, avec une logique rigoureuse sur des faits bien constatés. Quant à la réalité des faits, il ne faut pas l’admettre ni la rejeter arbitrairement, mais prononcer en s’appuyant sur les preuves certaines, dont un fait est susceptible.

Le lecteur a déjà compris que nous ne voulons pas nous occuper ici de toutes les manifestations, soit surnaturelles, soit préternaturelles (9), comparées aux manifestations hystériques. Pour ce qui regarde les faits surnaturels, les révélations, visions, extases, de la vie des saints, la question a été discutée récemment à propos de sainte Thérèse, par le P. Hahn (10), et le P. Desan qui lui a répondu (11). Nous restreignons notre étude à la seule possession démoniaque, et nous nous demandons si les possédés de l’Évangile et de l’histoire tout entière ne sont en réalité que des malades hystériques, sujets à l’attaque que M. Charcot appelle « démoniaque », ou bien si c’est vraiment le démon qui exerce, sur eux un empire déterminé, qui les possède, en un mot, de la façon que nous déterminerons mieux tantôt.

Puisqu’il s’agit de comparer les démoniaques de la Salpêtrière aux possédés de l’Évangile et de l’histoire, il faut avant, tout bien décrire

II

Nous commençons par les démoniaques de la Salpêtrière. Ici, aucune difficulté ; nous avons devant les yeux la description sommaire faite par M. Charcot lui-même, que personne par conséquent ne récusera.

Après avoir fait observer que l’hystérie n’est pas spéciale au sexe féminin, et qu’elle se rencontre, quoique beaucoup plus rarement, chez des hommes de tout âge et de foute condition, M. Charcot donne d’abord la description de la grande attaque hystérique en général, ensuite, de la variété démoniaque en particulier. Il est nécessaire de mettre l’une et l’autre description sous les yeux du lecteur, pour l’intelligence des choses ; du reste, ces descriptions sont à la fois sommaires et suffisamment complètes, nous pouvons donc sans inconvénient les reproduire en entier.

Voici la description de la grande attaque hystérique en général (12) :

« L’attaque hystérique complète et régulière se compose de quatre périodes ; elle est précédée le plus souvent de signes précurseurs qui permettent aux malades de prévoir le moment où ils vont tomber en état de crise.

Ces prodromes apparaissent quelquefois plusieurs jours à l’avance. La malade, quand c’est une femme, est prise de malaises, d’inappétence, parfois de vomissements. Elle devient taciturne, mélancolique ou, au contraire, est en proie à une surexcitation extrême.

Les hallucinations de la vue sont fréquentes ; elles consistent surtout en des visions d’animaux, des chats, des rats, des vipères, des corbeaux, etc… On voit parfois survenir des crampes, du tremblement limité à un membre ou des secousses de tout le corps accompagnées de vertige.

Bientôt se montrent les phénomènes douloureux de l’aura hystérique qui précèdent immédiatement l’attaque et qui apparaissent en général dans l’ordre suivant : douleur ovarienne, irradiations vers l’épigastre, palpitations cardiaques, sensation de globe hystérique au cou, sifflements d’oreille, sensations de coups de [p. 279] marteau dans la région temporale, obnubilation de la vue. Puis la perte de connaissance marque le début de l’attaque qui se déroule ainsi qu’il suit :

1° Période épileptoïde. — Cette période ressemble, à s’y méprendre, à t’attaque d’épilepsie vraie : convulsions toniques, cloniques, puis stertor. Il y a donc lieu de la subdiviser en trois phases : la phase tonique, la phase clonique et la phase de résolution.

La phase tonique débute le plus souvent par quelques mouvements de circumduction des membres supérieurs et inférieurs, en même temps que surviennent la perte de connaissance, l’arrêt momentané de la respiration, la pâleur, puis la rougeur du visage, le gonflement du cou, la convulsion en haut des globes oculaires, la distorsion de la face et quelquefois la protrusion de la langue. Cette phase tonique se termine par l’immobilisation tétanique de tout le corps dans une attitude dont la plus fréquente est l’extension du tronc et des membres, mais qui peut varier. L’écume se montre aux lèvres.

Puis on voit bientôt les membres roidis être animés d’oscillations brèves et rapides dont l’amplitude augmente par degrés et qui se terminent par de grandes secousses généralisées ; c’est la phase clonique. Les muscles de la face, animés des mêmes mouvements, rendent la physionomie horriblement grimaçante.

Enfin les mouvements s’apaisent, et la phase de résolution commence, pendant laquelle la face demeure bouffie et souillée d’écume, les yeux sont fermés, et tous les muscles dans la résolution la plus complète. En même temps, la respiration devient stertoreuse.

Cette première partie du drame, qui constitue l’attaque de grande hystérie, s’est déroulée dans un espace de temps assez court. Les deux premières phases ne durent pas au delà d’une minute ; la phase de résolution se prolonge parfois deux ou trois minutes.

Période des contorsions et des grands mouvements, ou période de clownisme. — Après un moment de calme assez court qui suit le stertor, la seconde période commence. Elle est constituée par deux ordres de phénomènes distincts : les contorsions et les grands mouvements, qui, par des procédés différents, répondent à un même principe dominant toute cette période et cherchant un même résultat, celui d’une dépense exagérée de force musculaire. Il n’est pas trop de dire que les malades se livrent alors à de véritables tours [p. 280] de force, et le nom de clownisme par lequel nous la désignons également nous semble pleinement légitimé.

Pendant les diverses phases de cette période, les malades montrent une souplesse, une agilité, une force musculaire bien faite pour étonner le spectateur et souvent, chez la femme, en opposition complète avec les apparences chétives du sujet. Ces phénomènes avaient vivement frappé les premiers observateurs témoins des agitations des possédés, et nous trouvons, dans le Rituel des exorcismes (13), qu’un des signes de la possession démoniaque consistait dans le développement des forces physiques supérieures à l’âge et au sexe de la personne chez laquelle elles se manifestent. Chez les hommes, cette période arrive parfois à un degré de violence qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

Les contorsions consistent en des attitudes étranges, imprévues, invraisemblables. Parmi ces attitudes que nous avons également qualifiées d’illogiques, pour les distinguer des attitudes de la troisième période dont il sera question tout à l’heure (attitudes passionnelles) qui sont toujours la représentation d’une idée ou d’un sentiment, il en est une pour laquelle les malades semblent avoir une préférence marquée ; elle se reproduit aussi bien chez les hommes que chez les femmes et à peu près de la même façon ; elle mérite le nom d’arc de cercle. Le malade est fortement courbé en arrière, les pieds et la tête reposent seuls sur le lit, le ventre parfois météorisé, formant le sommet de la courbe. L’arc de cercle varie d’aspect, suivant que le sujet, au lieu de se soutenir sur le dos et les pieds, porte sur les côtés du corps ou seulement sur un point du ventre.

Enfin, la contorsion peut immobiliser le patient dans les attitudes les plus variées. Si nous devions à ce sujet marquer une différence entre, les deux sexes, nous dirions que, chez les hommes, les attitudes d’extension prédominent, pendant que, chez les femmes, ce sont les attitudes de flexion.

Les grands mouvements consistent le plus souvent en des oscillations rapides et étendues de toute une partie du tronc ou des membres seulement. Le plus fréquent des grands mouvements est celui-ci : le malade se redresse comme pour se mettre sur son séant ; la tête s’abaisse jusqu’au niveau des genoux, puis elle se renverse brusquement en arrière en heurtant violemment [p. 281] l’oreiller. Ce mouvement se répète un grand nombre de fois de suite, simulant une série de salutations exagérées. Ces grands mouvements revêtent parfois un caractère particulièrement acrobatique : ce sont des culbutes, des sauts de carpe, etc… Mais ils ont toujours ce caractère de se répéter un certain nombre de fois de suite. Ils sont souvent précédés ou interrompus par des cris automatiques, dont le timbre perçant rappelle le sifflet du chemin de fer.

Enfin, d’autres fois, aucun rythme ne préside à ces grands mouvements. Ils sont complètement désordonnés. Le malade semble lutter contre un être imaginaire, il cherche à rompre les liens qui le retiennent. C’est une véritable crise de rage contre lui-même ou contre les autres ; ce sont des cris sauvages, des hurlements de bête fauve. Il cherche à mordre et à frapper. Il met en pièces tout ce qu’il peut atteindre, les draps, les vêtements ; les femmes s’arrachent les cheveux à pleines mains.

Dans un cas rapporté par M. Bourneville et Dauge, un garçon de treize ans tordait les barreaux du lit, les rampes d’escalier, il soulevait un lit monté et le jetait sur un autre. L’exagération et la prédominance de cette période constituent la variété démoniaque de la grande attaque hystérique.

Période des altitudes passionnelles. — L’hallucination préside manifestement à cette troisième période. Le malade entre lui-même en scène, et par la mimique expressive et animée à laquelle il se livre, les phrases entrecoupées qui lui échappent, il est facile de suivre toutes les péripéties du drame auquel il croit assister et où il joue le principal rôle. Lorsque c’est une femme, deux ordres d’idées bien différents se partagent ordinairement les hallucinations ; ce tableau a deux faces, l’une gaie, l’autre triste.

Dans l’ordre gai, la malade se croit, par exemple, transportée dans un jardin magnifique, sorte d’Eden où souvent les fleurs sont rouges et les habitants vêtus de rouge. On y joue de la musique. La malade y rencontre l’objet de ses rêves ou de ses affections antérieures, et les scènes, d’amour suivent quelquefois. Mais cette partie érotique manque souvent et, dans tous les cas, ne joue, ainsi qu’on le voit, qu’un rôle absolument secondaire au milieu des manifestations si nombreuses et si variées qui constituent la grande attaque hystérique. — Les tableaux tristes sont des incendies, la guerre, la révolution, des assassinats, etc. presque toujours il y a du sang répandu. [p. 282]

Chez les hommes, ces visions lugubres et terrifiantes occupent presque à elles seules toute la troisième période. Les hallucinations gaies sont pour ainsi dire exceptionnelles.

Période terminale. — Après la période des attitudes passionnelles ou poses plastiques, on peut dire, à proprement parler, que l’attaque est terminée. La connaissance est revenue, mais en partie seulement et, pendant un certain temps, la malade demeure en proie à un délire dont le caractère varie ; il est entrecoupé d’hallucinations et accompagné parfois de quelques troubles du mouvement. Ce délire constitue une quatrième période par laquelle passé la malade avant de retrouver son équilibre normal. C’est comme un reste de l’attaque qui s’épuise, et les accidents qui se présentent alors sont justement comparables et, parfois même, identiques à ceux qui précèdent l’attaque et lui servent en quelque sorte de prélude.

Parmi les troubles du mouvement que l’on peut alors observer, nous signalerons des contractures généralisées fort douloureuses, et imprimant aux membres les positions les plus étranges. Les malades qui ont alors repris connaissance, en partie du moins, ne peuvent s’opposer aux sortes de crampes qui tordent leurs membres sur lesquels leur volonté n’a plus aucune prise. Comment ne pas croire qu’un mauvais génie les torture. Elles poussent alors des cris arrachés inconsciemment par la douleur, et offrent le tableau le plus mouvementé et le plus lamentable.

L’attaque régulière, l’attaque type, ainsi composée de ses quatre périodes, emplit une durée moyenne d’un quart d’heure ; mais elle peut se répéter pour constituer des séries d’attaques dont le nombre varie de vingt à deux cents et plus. Il se produit alors une sorte d’état du mal qui peut se prolonger plusieurs heures et même au delà d’une journée.

Ainsi que nous l’avons déjà dit, diverses variétés de l’attaque hystérique découlent logiquement du type que nous venons de décrire, soit par l’isolement d’une période, soit simplement par son exagération avec atténuation des autres. C’est ainsi que la première période donnera naissance à la variété épileptoïde, la deuxième à la variété démoniaque, la troisième à la variété extatique, et la quatrième à la variété délirante. »

Voici ce qu’ajoute M. Charcot au sujet de la variété démoniaque : [p. 283]

« Les différentes périodes décrites plus haut s’y trouvent modifiées de la façon suivante :

Première période. — Dans ces sortes d’attaques, la période épileptoïde est toujours facilement reconnaissable. Elle n’évolue pas régulièrement, elle est modifiée par la prédominance de la contracture, ou amoindrie par la suppression de quelqu’une de ses phases. Mais les phénomènes épileptoïdes sont assez nettement caractérisés, pour qu’il soit impossible de les méconnaître.

Le plus souvent, la période épileptoïde est représentée ainsi qu’il suit. Les grands mouvements toniques du début sont exagérés, les bras, les jambes et tout le corps se contournent étrangement. La respiration est suspendue, la gorge gonflée ; la face, congestionnée et bouffie, est affreusement grimaçante, les yeux, convulsés, ne laissent voir que le blanc de la sclérotique ; la bouche est ouverte et la langue sortie.

Le tétanisme survient dans les attitudes les plus bizarres ; et le clonisme est marqué par le battement des paupières, l’ondulation du ventre et un tremblement partiel, limité à un côté du corps ou généralisé. La respiration reprend péniblement, elle est sifflante et entrecoupée de hoquets. Il y a des bruits pharyngiens, des mouvements de déglutition bruyants. L’écume apparaît certaines fois.

Quelques inspirations ronflantes représentent le stertor, mais la résolution musculaire ne survient pas, les membres demeurent contracturés en diverses situations, et la phase épileptoïde semble se confondre avec la période des contorsions qui la suit.

Deuxième période. — Les contorsions sont ici dans leur plus large développement… Les membres contracturés dans l’extension s’élèvent perpendiculairement au lit, ils s’entrecroisent souvent par une adduction forcée ; les jambes, parfois fléchies, se croisent diversement ; les bras se contournent et se placent derrière le dos ; les mains ont une attitude à peu près constante, le poignet est fléchi fortement, les trois premiers doigts, pouce, index et médius, étendus et écartés, les deux derniers fléchis. Enfin, tout le corps se contorsionne d’une façon qui échappe à toute description. La face revêt alors le masque de l’effroi ou de la colère ; les yeux démesurément ouverts, la bouche tiraillée en divers sens ou bien ouverte, la langue pendante. Les grands mouvements s’exécutent avec une violence épouvantable. [p. 284] La malade cherche à se mordre et à se déchirer la figure ou la poitrine, elle s’arrache les cheveux, se frappe violemment, pousse d’affreux cris de douleur ou des hurlements de bête féroce. Elle se démène comme une forcenée ; une de nos malades, la nommée Ler…, dans ces attaques ne peut conserver aucun vêtement et a bientôt tout mis en pièces. Elle se donne avec le poing des coups si violents, qu’on est obligé d’interposer un coussin pour amortir le choc : elle secoue la tète, cherche à mordre, saisit une compresse qu’on lui présente et l’agite violemment avec de sourds grognements de rage.

Troisième période. — Les attitudes passionnelles n’existent pas à proprement parler. L’hallucination peut survenir, mais la contracture qui persiste souvent gêne les mouvements de la malade. On la voit sourire, appeler un être imaginaire ou lui faire la grimace, lui cracher au visage pendant que ses membres sont diversement immobilisés par la contraction musculaire. Mais cette phase est courte en général et manque parfois complètement.

Quatrième période. — Alors la malade revient à elle, mais la contracture ne disparaît pas ; des crampes contournent ses membres et lui arrachent des cris de douleur déchirants ; elle supplie les assistants de la soulager.

En résumé, on voit que ces sortes d’attaques sont particulièrement caractérisées par la prédominance de la contracture douloureuse, par le développement des altitudes illogiques ou contorsions, qui leur donne l’aspect effrayant des anciens possédés ; enfin, par la persistance de la douleur, dont l’acuité ramène promptement la connaissance, et, en arrachant des cris affreux à la malade, imprime à toute l’attaque un cachet de souffrance tellement horrible que les assistants, même les plus habitués, ne peuvent se défendre d’une pénible émotion.

La description qui précède s’applique surtout aux malades que nous avons eues sous les yeux, elle est en quelque sorte le résumé des observations prises à leur lit, et peut être considérée comme l’expression la plus complète de la variété de la grande attaque que nous étudions ici.

Mais l’attaque de contorsion n’existe pas toujours avec ce degré de violence qui lui a mérité le nom d’attaque démoniaque. Les traits en peuvent être atténués.

Dans les descriptions que nous ont laissées les témoins oculaires des convulsions des anciens démoniaques, il est facile de [p. 285] retrouver la plupart des traits sur lesquels nous venons d’insister.

Mais il ne faudrait pas croire que tous les possédés présentaient de semblables crises. Si ce sont elles surtout qui ont donné aux anciennes possessions démoniaques leur caractère particulièrement terrible et effrayant, elles ont été remplacées parfois par des crises moins tapageuses et qui n’en relevaient pas moins de la grande attaque hystérique. Nous ne saurions entrer ici dans de plus longs détails à ce sujet. La question a d’ailleurs été étudiée par l’un de nous dans des notes historiques relatives aux possessions (14).

C’est ainsi que nous avons démontré que la grande hystérie jouait un grand rôle dans les anciennes possessions démoniaques, et qu’on peut l’y retrouver sous les formes les plus variées, attaque épileptoïde, attaque de contorsion ou de grands mouvements, attaque d’extase, attaque de délire, attaque de léthargie, attaque de somnambulisme, attaque de catalepsie, etc., sans oublier la forme convulsive caractérisée par les anesthésies, les hyperesthésies spéciales, les paralysies, les contractures, etc. » Nous pouvons borner ici avec MM. Charcot et Richer, notre description des démoniaques de la Salpêtrière. Quant à l’extase, les auteurs cités disent eux-mêmes « que la physionomie extérieure de l’extase ne suffit pas à la caractériser. Nous n’avons pas là, ajoutent-ils, comme pour les crises de convulsions démoniaques, cet ensemble de signes qu’on peut appeler pathognomoniques (15) ». Pour pouvoir l’attribuer à l’hystérie, il faut voir des manifestations hystériques qui la précèdent ou la suivent, disent [p. 286] encore, à l’endroit cité, MM. Charcot et Richer. Enfin, nous avons dans le somnambulisme hypnotique, des effets obtenus par suggestion, bien plus étonnants que le délire ; les anesthésies, hyperesthésies, etc., y trouvent de même leur place.

D’ailleurs, nous verrons, après avoir exposé la notion et les signes de la vraie possession démoniaque, au sens de l’Église, que toutes les manifestations de l’hystérie sont tellement différentes des signes de possession, autres que les signes purement corporels, qu’il ne vaut pas la peine de décrire dès maintenant les phénomènes hystériques qui se rapprochent davantage de l’ordre intellectuel. Le point de contact entre l’hystérie et la possession au sens de l’Église se trouve bien en réalité dans la description des démoniaques rapportée ci-dessus, comparée avec les signes purement corporels de la possession ; pour tout le reste, il n’y aura pas lieu de l’aire une comparaison.

De Paul Richer

III

Nous venons d’exposer, d’après M. Charcot, la description sommaire, mais suffisamment complète des « démoniaques de la Salpêtrière », qu’il s’agit de comparer aux démoniaques de l’histoire, afin de constater si ceux-ci ne sont, comme ceux-là, que des malades, ou bien si ce sont de vrais possédés du démon.

Nous avons donc maintenant à décrire ce second terme de la comparaison, c’est-à-dire à exposer ce qu’il faut comprendre par un vrai possédé du démon, abstraction faite, pour le moment, de l’existence réelle historique de la possession diabolique.

Or, voici, ce que l’Église entend par possession diabolique. Pour qu’il y ait possession, deux choses sont requises : la première, que le démon soit vraiment présent dans le corps du possédé et l’occupe ; la seconde, qu’il exerce un empire sur ce corps, et par son intermédiaire, aussi sur l’âme ; qu’il y soit comme moteur, non seulement des membres, mais aussi des facultés, dans la mesure où celles-ci dépendent du corps, pour leurs opérations. Le démon n’est pas uni au corps comme l’âme, il ne prend pas la place de l’âme ; il reste un agent moteur externe par rapport à l’âme, quoique intimement présent et moteur quasi ab intra par rapport au corps ; il agit sur le corps dans lequel il habite, et, par son intermédiaire, sur l’âme.

Cette inhabitation, et le mode d’agir quasi ab intra, qui en résulte, [p. 287] peut se comprendre, encore mieux, en distinguant trois degrés différents de motions ou de moteurs, en cette matière. Le premier degré, le plus parfait et le plus intime, c’est la motion de l’âme, qui est complètement ab intra, c’est la vie, c’est l’âme qui se meut elle-même ainsi que le corps qu’elle anime. Le second degré est celui que nous venons de décrire, et que nous appelons quasi ab intra. Le troisième, degré est purement ab extra ; il existe lorsque le démon, sans occuper le corps, poursuit l’homme de tentations, de suggestions, hallucinations et illusions, etc., dans ses facultés internes, ou dans ses sens externes, et de violences, de maux physiques, dans son corps. Ce dernier degré s’appelle, avec raison, pour le distinguer de la vraie possession, du nom d’obsession. Il faut néanmoins observer, pour éviter des méprises, que les auteurs ecclésiastiques emploient très souvent, indistinctement les mots obsessus et possessus, pour désigner les vrais possédés ; mais le contexte indique d’ordinaire assez clairement de quoi ils veulent parler.

J. WAFFELAERT.

NOTES

(1) Disquis. magicarum, I. III, q. 4, sect. V.

(2) Theologia naturalis, dist. II, q.1, art. 4, n. 8 (inter Opera omnia t. V)

(3) De occullis naturæ miraculis, etc., lib. II. Il semble néanmoins admettre la possibilité de la possession diabolique, dans une phrase incidente, lib. II, cap. ii : « Mira vis concilat humores… cum ægroti in æstuosis febribus linguam, quam non sunt edocti,… loquuntur. Quod in ενεργουμένοις, hoc esy, a dæmone obsessis fieri non magnopere miror, cum illi omnia calleant, rerumque omnium scientiam obtineant. »

(4) Schenckius, Observat, medicar. lib. I, de mania seu insania, p. 156 (edit. Francfort, 1609) ; et Hecquet, apud Bened. XIV, de Servorum Dei beat. etc., lib. IV, part. I, cap. xxix, n. 5.

(5) De Servorum Dei bealif. et canonis., 1. IV, p. 1, cap. xxix, n. 5.

(6) Salle du palais impérial à Constantinople.

(7) Dans l’édition d’Amsterdam, 1736, de l’Histoire critique des pratiques superstitieuses, du P. Le Brun, ladite diss. se trouve t. IV, p. 441.

(8) MM. Charcot et Richer, dans leur récent ouvrage les Démoniaques dans l’art, p. 97., citent aussi le Rituel, qu’ils appellent le Rituel des exorcismes, mais ils le citent d’après L. Figuier, Histoire du merveilleux, p. 29. Ils auraient été infiniment mieux renseignés, en consultant le Rituel lui-même, qui se trouve dans toutes les églises de Paris. Le Rituel donne, en effet, comme un des signes de la possession le développement des forces physiques, supérieur à l’âge et au sexe, etc. ; c’est un phénomène, disent les auteurs cités, qui doit avoir vivement frappé les premiers observateurs. Notons, en attendant que nous traitions ex professo des signes de possession, que ce signe ne doit être, en général, considéré, ni comme certain, ni même comme suffisant pour permettre l’exorcisme.

(9) « Surnaturel » signifie ici : qui vient de Dieu, des bons anges ou des saints ; « préternaturel » signifie : qui vient .d’un agent extérieur à la nature : esprit bon ou mauvais.

(10) Etude pathologico-théologique sur sainte Thérèse. Louvain, 1886.

(11) Les phénomènes hystériques el les révélations de sainte Thérèse. Bruxelles, 1883. (A l’index; auctor laudabililer se subjecit et opus reprobavit).

(12) Les Démoniaques dans l’art, par J.-M. Charcot et P. Richer, p. 92 et ss.

(13) Cité par L. Figuier, Histoire dit merveilleux, page 20. (Note des auteurs.)

(14) Etudes cliniques sur la grande hystérie. Notes historiques, p. 798, 2° édition, par le Dr Paul Richer (Note des auteurs). — Dans ces notes historiques, deuxième section, p. 803, le Dr Richer traite en effet de la possession démoniaque. Il commence par dire que toutes les épidémies de possession démoniaque se ressemblent. Il choisit quelques exemples qui eurent le plus de retentissement. Ce sont : la possession dite des Nonnains, vers le milieu du XVI° siècle, en Allemagne ; puis, au XVII° siècle, la possession des Ursulines d’Aix, celle des Ursulines de Loudun, celle des filles de Sainte-Elisabeth de Louviers. Ensuite plusieurs histoires modernes, à Morzinnes [sic] en 1860, à Verzeguis en 1878, à Plédran et à Jaca en 1881. Or, tous ces faits s’expliquent en partie par la supercherie, en partie par la maladie, notamment par l’hystérie, ou du moins l’Église n’a porté aucun jugement sur la nature de ces faits. Nous pouvons donc admettre tout ce que le Dr Richer dit ici, sans toucher à la question de la véritable possession diabolique. Mais si M. Richer entend assimiler la possession véritable, telle que l’entend l’Église, à ces faits-là, il se trompe singulièrement ; et nous prouverons plus loin que la possession véritable est une réalité historique.

(15) Ouvrage cité, Les Démoniaques dans l’art, page 107.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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