Les confessions d’une possédée, 
Jeanne Fery (1584-1585). Par Pierre Debongnie C.SS.RR. 1948.

DEBONGNIEFERY0000Pierre Debongnie C.SS.RR. Les confessions d’une possédée,
Jeanne Fery (1584-1585). Article parut dans les « Etudes carmélitaines », numéro spécial « Satan » », (Paris), 1948, pp. 386-419.

Autre publication :
Essai critique sur l’Histoire des Stigmatisations au Moyen âge. Extrait de la revue « Études carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), 20 e année, Vol. II., octobre 1936, pp. 22-59. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
– Nous avons renvoyé le notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 386]

Les confessions d’une possédée, 
Jeanne Fery (1584-1585)

« L’AN DE GRACE, mil cincq cent quatre vingt quatre, le dixieme iour d’Apvril, fut présentée à Monseigneur Illus. me et R. me Archevesque et Duc de Cambray, Loys de Berlaymont, par M. François Buisseret, Docteur ès droicts, Archidiacre du Cambresis, et Official audit Seigneur Illus. me, Sœur Jeanne Fery, eagée de vingt cincq ans, native de Sore sur Sambre, Religieuse professe du couvent des sœurs noires de la ville de Mons en Hainaut, diocese dudit Cambray: l’ayant trouvée et apperçeüe empeschée et possessée des malings esprits. A la fin qu’il pleust audit Seigneur Archeuesque cognoistre du faict, et aduiser les moyens convenables pour sa delivrance. »

Ainsi débute le Discours admirable et veritable, des choses advenuves en la ville de Mons en Hainaut, à l’endroit d’une Religieuse possesse, et depvis delivree (1). Ce petit livre, rédigé et publié au lendemain même des événements, par autorité de Louis de Berlaymont, est une source de toute première valeur. Il se divise en deux parties, dont la plus intéressante sera pour nous la relation écrite par Sœur Jeanne elle-même, peu de jours après sa délivrance. Elle raconte l’origine et le développement de la possession diabolique dont elle fut de longues années la victime. Cette autobiographie s’arrête au commencement des exorcismes ordonnés par l’archevêque. Ceux-ci sont décrits en détails, et presque jour par jour, avec les dates, par ceux qui en furent chargés. Sous la direction personnelle de l’archevêque, ces exorcismes furent menés par François Buisseret, ci-dessus nommé, qui deviendrait ensuite et successivement évêque de Namur et archevêque de Cambrai, par Jean Mainsent, chanoine de Saint-Germain à Mons, et quelques autres ecclésiastiques. Ils étaient assistés par un médecin, des religieuses du même couvent, dont l’une, Sœur Barbe Devillers (2), fut constituée sa garde permanente, [p. 387] « une sage-dame expérimentée ès-accidents survenant aux femmes ». Dans une déclaration enregistrée par le notaire G. Van Liere, le 7 février 1586, tous « déposent et certifient être véritable tout ce qu’est contenu au susdit Discours, autant que à chacun d’eux respectivement touche et appartient. Comme l’ayant ainsi vu, et par y avoir assisté en personne… (3) »

A quoi s’ajoute un acte latin des échevins et magistrat de Mons, en date du 23 février 1589, confirmant la vérité des faits rapportés dans le Discours, faits notoires et dont les témoins seront dignes de toute foi. On y ajoute que sœur Jeanne Fery, depuis la délivrance de sa possession, vit en bonne et pieuse religieuse. Elle mourut en 1620 (4).

Telle est la source de cette curieuse et étrange histoire. Nous n’aurons qu’à la suivre, d’abord dans le récit de la possession que rédigea la religieuse elle-même, ensuite dans le rapport des exorcistes. Seront insérés des extraits choisis de la relation autobiographique, qui permettront au lecteur de prendre un contact direct avec cette peu banale confession. Dans les notes et explications qui encadreront ces extraits, j’adopte la manière de parler du Discours, sans contester la réalité ni le caractère diabolique des événements qu’il raconte (5). Ce n’est qu’en manière de conclusion qu’il sera loisible de laisser voir certaines difficultés et que peut-être, du moins sur certains points, une autre explication reste possible.

LA VIE TOURMENTÉE DE JEANNE FERY

Jeanne Fery est née à Solre-sur-Sambre, petite bourgade à une vingtaine de kilomètres sud-est de Mons, en 1559. Son enfance semble avoir été assez malheureuse. Son père buvait et il était d’un tempérament violent. C’est du moins ainsi qu’il nous apparaît dans l’unique incident qui nous est rapporté sur lui. Elle-même était, disent les exorcistes, « douée d’un très vif entendement et bon esprit »; ils décrivent aussi « son naturel, qui était, d’entendre et de traiter volontiers choses hautes et [p. 388] grandes » (6). Elle s’obstinera dans la discussion sur le mystère de l’Eucharistie, ainsi que nous le verrons plus loin.

La possession commença très tôt. « Un jour, déclara le démon, sur les dix heures du soir, retournant le père de la taverne, rencontra sa femme (qui l’allait requérir) ayant l’enfant entre ses bras: lequel se fâchant contre elle, donna son enfant au diable; en vertu de laquelle donation, il (le démon) eut puissance d’assiéger et continuellement voltiger à l’entour dudit enfant, jusques à l’âge de quatre ans, auxquels étant parvenue, tâcha d’avoir son consentement, afin d’être pris et reçu pour père. » La religieuse, parlant cette fois en son bon sens, confirma le récit que le diable avait fait par sa bouche, « nommant le lieu et les personnes présentes, qui toutefois n’oyaient ni ne voyaient le diable traiter lors avec elle (7) ».

A la suite de circonstances que nous ignorons, la petite fut recueillie chez les Sœurs Noires de Mons, où elle avait une grand’tante, Jeanne Gossart, qui fut ensuite supérieure. Écoutons-la elle-même (8).

Le sçay, que par la malediction de mon père, i’ay esté mise en la puissance du diable, & séduite, en l’eage de quatre ans, par la suggestion du diable, se presentant à moy, comme beau ieune homme, demandant d’estre mon pere: me presentant quelque pomme & pain blanc: duquel ie fus contente. Et puis lors, le tenant tousiours pour père, pour les doulceurs lesquelles il m’apportoit: m’entretenant tousiours en ceste fasson, iusques à l’eage de douze ans. Et auec luy encore vu autre, lequel me seruoit, que quand i’estoye petit enfant, il me garantissoit, que ie ne sentoy point les frappures, lesquelles on me donnoit.

A douze ans, son éducation terminée, elle quitte le couvent. On la place chez une couturière de la ville, sans doute pour y faire son apprentissage. C’est alors que les démons se mettent à lui extorquer des pactes écrits. Ces engagements se superposent les uns aux autres et l’attachent chaque fois et de façon plus étroite à de nouveaux démons (9). [p. 389]

Estant lasse en la religion, & aussi vsante de leur conseil, ay voulu moy retirer en la maison de ma mere, pensant trouver plus de liberté. Toutefois, afin de m’apprendre d’auantage pour mon bien, ie fus remise à Mons, à la maison de quelque cousturière; Ayant là beaucoup de liberté, me vint persuader qu’il failloit, que ie chageasse ma vie, & que i’auoy assez menée la vie d’enfant: & que ie n’estoy ignorante, qu’estant petit enfant, ie j’auoy prins pour pere. & qu’il falloit pour cela, que ie feisse ce qu’il me commanderoit: autrement qu’il me feroit la torutre qu’il me demonstroit: Et qu’va chacun viuoit ainsy comme il m’apprendroit, mais qu’on ne le pouuvoit declarer l’vn à l’autre. & que toutes les creatures voyoient ainsy choses inuisibles, & qu’ils parloyent ainsy visiblement à tous. Mais pource que j’auoy esté si long temps en religion, n’auoy encor experimenté ce que les mondains faisoient, me presantant pour ma nourriture tousiours tout ce que ie pourroy desirer, que ie le feisse. & mesme vsant de grande menasse, pour ce que librement ie ne vouloy consentir.

Lors me vint à demander, si i’estoy contente de luy donner ce qu’il me demanderoit. & moy incontinent ie me soubmis à tout ce qu’il me demanderoit. Incontinent le consentement donné, vne multitude vint, & estant en leur presence, toutefois auec craincte que i’auoy d’en voir autant, car ie n’auoy iamais accoustumé que d’en voir deux ou trois.
Lors l’vn d’eux me feit prendre de l’encre & du papier: là où il me feit escrie, que ie renonçoy à mon Baptesme, à mon Christianisme, & à toutes les ceremonies qui estoient le l’Eglise. Laquelle obligation faicte, & signée de mon propre sang, auec promesse de iamais la rappeller, voir plustost endurer tous les martyrs qu’il seroit possible d’endurer: ou si ie la rappeloy, que ie leur protestoy, que c’estoit par la constraincte.
Estant l’obligation faicte, & plyée fort petitement, me la feit aualler auec vne pomme d’orange, la sentante fort doulce iusques au dernier morçeau: lequel morçeau auoit vne amertume si grande, que ie ne la sçauoy endurer. Et depuis alors i’ay tousiours eu grande detestation contre l’Eglise, l’abhorrante de tout, & cherchante depuis lors tous les moyens de la pouuoir fuïr & me cacher d’elle, auec beacop d’iniures, desquelles des-ja i’vsoy contre l’Eglise, me ouuernant tousiours en toute malice & peché.
Estant venue plus auant, que l’on me parloit de moy faire reçeuvoir le Corpus Domini, & eux l’ayant en grande detestation, me vindrent à tourmenter, à encor d’auantage me menasser d’en faire plus, qu’ils ne me menassoient, si ie consentoy de le reçeuoir: me faisans promettre, que quand ie l’auroy, que i’en vseroy selon leur conseil. Et estant du tout à eux, me feirent donner ma langue à l’vn d’eux, affin qu’estant deuant le prestre, ie ne pourroy sinon parler autant que bon leur sembleroit: faisant tousiours mes confessions selon leur volonté.

Le iour venu que ie me debuoy presenter à la table, leur auoy promis que c’estoit tout par feinctise, mais seulement pour obseruer les coustumes de ceux, auec ie viuoy: & m’auoient donné vn grand desgoustement de la saincte Hostie, m’ayans parauant en son despit faict manger beaucoup de succries, mesme estant à la messe. Estant venue deuant l’autel, & ayant reçuë l’hostie en la bouche, incontinent estant retirée de costé, la tiray hors, pour la moleste & doleurs lesquelles ils me foisoient à la gorge, & la [p. 390] iectay en mon mouchoir. Estant retournée au logis, prins vn blanc linge fort délicat, & la mis dedens: toutefois point de leur conseil, car ils vouloient que ie la frappasse en vn lieu prophane. L’ayant mise en ce linge, l’hostie fut transportée arriere de moy diuinement.
Et moy, comme ie consideroy la reurence, que ie voyoy que les autres portoient à ce Sacrement, m’esmerueilloy: & leur demandoy que ce pouuoit estre, & quelle simplesse c’estoit d’adorer si petite chose. Mais ils ne me sçauoient rendre la resolution; & ne cessoy de la demander à la femme, là où ie demouroy, desirante de sçauoir la chose plus amplement, pour ce que i’auoy veu, que de foymesme elle se transportoit arriere de moy.
Eux voyans, que contre eux ie desiroy telle chose, estans a-irez [irrités] contre moy, basphemans contre la saincte Hostie, me feirent encor, bonne espace apres, faire vn escript, par où ils me faisoient renonçer à ceste meschante Communion des Chrestiens, & ce faulx Dieu, lequel ils adoroient comme vn meschant mis en vne croix; & aussy au sainct sacrifice de la Messe. & que toutes & quantes fois que ie le voyroy leuer en la Messe, pour l’adoration que ie luy feroy, ce seroit de luy cracher au visage secretement, en l’injuriant, blasphemant, & faisant iecter mes yeux sur l’hostie; affin de luy monstrer qu’en despit de tous les Chrestiens, ie luy faisoy telle iniure, leur promettant des alors d’adorer leurs dieux, & obseruer toutes leurs ceremonies, en chacune sorte qu’ils vouldroient.

Cette obligation, faite et écrite de son sang, ils « la jetèrent en (son) propre corps ». Ils lui firent une autre, « laquelle écrite, ils la gardaient hors de (son) corps ».

Quand elle communiait, pour se conformer à l’usage, les démons la tourmentaient violemment, « pour ce qu’ils ne savaient supporter sus eux le poids de la sainte hostie ». Elle convint avec eux qu’ils sortiraient tous de son corps les jours où elle la retiendrait.

Ils la tourmentaient de même quand elle se rendait à l’église: « il me semblait, dit-elle, que je tirais de grosses masses de fer après moi… Pour éviter leurs peines et douleurs, je m’allais toutes les fois que je le pouvais promener à ma fantaisie (10) ».

Quand elle eut atteint ses quatorze ans, elle entra en religion chez les mêmes Sœurs Noires de Mons et commença son noviciat. Cela n’empêcha pas la possession de se développer et les exigences des démons de se faire plus tyranniques (11).

Et estant venue plus auant, ayant, comme ils me disoient, l’entendement assez suffisant pour accomplir ce qu’ils vouloient faire de moy, & m’ayans du tout gaingnée contre l’Eglise, comme si iamais ie n’eusse esté en icelle, & mesme que i’estoye reuenue en la religion, me feirent promettre, que tout ce que ier feroy en icelle, ce seroit de leur conseil. Et me feirent encor faire vne obligation, par où ie leurs donnoy toute puissance & authorité sur mon ame & sur mon corps, donnante mon ame & mon corps du tout [p. 391] en leur puissance, leurs promettante que ie me laisseroy du tout gouuerner d’eux. & que quant à mon ame, ie leurs donnoy du tout à iamais, la soubmettante du tout en leur garde. Voilà les premeirs lyens par où ces meschants lyent ces poures [pauvres] ames, & par où ils changent du tout la creature en eux, telement que y estant des-ja absorbée, lyée, & assubiectie du tout auec eux, ne pouuoy faire nulle bonne oeuure, viuante encore brutalement, sans nulle congnoissance que c’estoit de Dieu, me laissans faire couuertement, & le plus legerement qu’il m’estoit possible, touchant la religion [la vie religieuse].

Ils la laissaient cependant agir et travailler « avec modestie, comme les autres ». Toutes ces diableries restèrent donc profondément dissimulées. Personne ne conçut de soupçon, et la novice fut admise aux vœux. Elle avait sans doute environ seize ans. Ce qui provoqua une nouvelle et plus pressante intervention des diables.

Estant proche de ma profession, & qu’on m’apprenoit & enseignoit en toute bonnne oeuure, & qu’il failloit, que ma volonté se soubmist du tout à autruy: estant venue à la nuict, & qu’il failloit que ie promisse les voeux de la religion, me feirent faire en la presence de plus d’vn milliers de diables, encore vne obligation, par où ie protestoy, que les voeux que ie feroy en publicq, estoit toute simulation. & que au lieu de donner mon obedience à Dieu & à mon Prelat, & ainsy des autres voeux, & que au despit de Dieu, là où i’estoy presente, ie leurs donnoy puissance & authorité de les tenir en leurs mains: & que ie ne me tenoy, & ne me tiendroy à iamais religieuse. Et pour signe que la chose estoit asseurée, leur donnay à eux ma profession, là où estoient escriptes toutes les promesses que nous faisons. Dont elle a esté rapportée par la puissance de l’Eglise, & malgré eux, à mon grand pere [c’est-à-dire, l’archevêque]. Ce temps là passé, empirante tousiours auec eux, toutefois me trouuante au mylieu de toutes mes consœurs, lesquelles viuoient selon la loy de Dieu, auoy aucunefois quelques bonnes pensées: mais ne les sçachans endurer, au contraire ils m’iniurioient de beaucoup de meschancetés, & me contraignirent de leurs donner mon coeur, renonçant à toutes bonnes inspirations & bonne lecture, lesquelles i’eusse peu ouïr, retenir, & penser. Et me faisans faire encor vne obligation, pour à celle fin qu’estant escripte de ma propre main, & que l’ayans mise dessus mon coeur, ils eussent puissance de le gouuerner selon que bon leur sembleroit. me faisans promettre, que tous ceux que ie pourroy gaigner en leur mauuaise doctrine, ie le feroy: renonçant à la doctrine Catholique: me faisans aussy en la presence d’eux tous, renonçer au Pape & à ce meschant Archeuesque, auquel i’auoy promis mes voeux.

La voilà religieuse, du moins en apparence (12). Les possessions ne s’arrêtent pas pour autant. Elle fut contrainte de livrer à un [p. 392]démon, nommé Namon, l’acte écrit de sa profession, et de nouveaux pactes – il y en eut jusqu’à dix-huit, comptés par les exorcistes – l’attachent de façon plus étroite à ses hôtes diaboliques. Elle fut en butte particulièrement aux exactions d’un démon, qui s’appelait Traître. Il use tour à tour de terreur et de séduction, il veut qu’elle s’engage à lui et à trois autres, à chacun de façon spéciale. En retour, il lui donnerait une science par où elle pourrait vaincre tous ceux qui lui parleraient. Cette promesse la décide (13).

Estant curieuse de sçauoir celle science, qu’il me disoit estre si grande, ie fus contente. Dont la premiere obligation portoit, qu’il demandoit ma memoire. La seconde, pour le second diable, mon entendement. Et le troisieme diable demandoit ma volonté. Lesquelles trois obligations faictes, les mirent chacune en leur lieu, & en mon corps. Alors i’auoy tous mes sens lyez: & fus transmuée d’vne creature, en tout diable. Telement que ie ne pouuoy vser de nul sens, ny de nulle partie de mon corps, sinon aurant qu’ils me permettoient.

« Ce méchant Traître », non content de cet engagement, lui en fit écrire un autre, « en caractères à sa guise », qu’il lui enseigna, et de son propre sang. Par cet acte elle lui donnait autant de puissance à lui seul qu’à tous les autres ensemble, et lui donnait le droit, si elle le rétractait, de la faire mourir, et de faire de son âme à sa volonté

En retour, Traître lui « amena encore un diable, lequel se nommait l’Art magique, et était ce diable en forme de quelque instrument fort plaisant et délectable aux yeux lequel Art, quand je le tenais en mes mains, je voyais et savais tout ce que je pouvais désirer: et me transportait de jour et de nuit là où que je désirais d’être ». Mais il n’est pas question de sabbat. D’autres démons encore l’assiègent et s’emparent d’elle ; ils ont pour noms : Hérésie, Turcs, Païens, Sarrazins, Blasphémateurs. Tous ensemble l’amènent à renier la Croix (14).

Voicy ce meschant Heresie en la presence de Traistre, & de tous les autres meschans diables ensemblez en vne salle, me proposa la question qui estoit telle: Que comme ie portoy quelque pieçe de la saincte Croix; eux ne la pouuans souffrir, me feirent faire vne obligation, par laquelle ils m’y faisoient renonçer, non point seulement à la Croix, mais aussy à ce meschant Dieu, lequel se auoit laissé attacher en icelle: me faisant aussy renoncer au Sang, lequel auoit esté espandu en icelle: & par grands iurements renonçer à la redemption, que les Chrestiens auoient reçeuë en icelle, ne voulant tenir nullement du monde, ma saluation venant [p. 393] d’icelle, mais de tous les diables: me faisans aussy renonçer à ma creation, comme ne l’ayant receuë de Dieu, mais confessant que c’estoit d’eux tous, & qu’ils me conseruoient & gardoient par tout: me faisans aussy renonçer aux douze articles de la Foy, à tous les Sacrements de la saincte Eglise, à toutes les ieunes commandées en icelle: promettante de viure tout selon qu’ils m’enseigneroient.
Estant l’obligation faicte & signée, me la mirent dedans le corps, auec grande ioye & exultation, qu’ils auoient d’auoir gaigné vne telle iournée, & que si facilement ie me condescnoy à leur volonté, me presnetans bancquets de toute sorte de viandes, & me promettans que plustost ils creueroient par le mylieu, que de m’abandonner: & moy semblablement pour eux, estant contente d’endurer toute sorte de tourmens, plustost que de moy retirer de leur compaignie. Ce que depuis lors i’ay bien experinmenté les doleurs intollerables qu’il m’a faillu endurer, affin de pouuoir estre retirée de leur puissance. Ostante lors de moy la ieçe de la saincte Croix, avec grande detestation, & auec grandes blasphemes alencontre, me la faisans fouller aux pieds, & faire beaucop d’autres iniures, l’ayant mise en quelque lieu, là où ils n’habitoient point auec moy.

La possédée est jugée digne de cérémonies qui parodient les sacrements qu’elle a reçus. Nous voyons ici les onctions d’huile magique dont il est fréquemment question dans les affaires de sorcellerie, mais les effets n’en sont pas les mêmes. Là, il s’agit ordinairement de procurer un voyage à travers les airs. Ici, c’est un nouveau moyen de s’assujettir leur victime que recherchent les démons (15).

Ayanc faict donc beaucop de promesses, & passé beaucop de iours auec eux, & me reprochans que ie n’auoy encor demandé nulle grace venante d’eux, me feirent demander de vouloir reçeuoir le Baptesme, à leur guise & fasson. Ce que je faisoy estant là presente, affin que ie voiroy que non seulement les parolles, mais aussy de faict i’estoy du tout à eux. Me feirent oster mes accoustremens, & me consignarent tous les membres de mon corps, auec huile fort excellente, me sembloit il; & beaucop d’aultres ceremonies qu’ils me faisoient faire, changeant toute sorte de vestemens, & chantant auec eux leur meschante mahomerie & parolles diaboliques. Me faisans aussy renonçer au Sacrement de Confirmation, & à la saincte Huile, laquelle i’auoy reçeu au front, & à la saincte Croix, par laquelle i’auoy esté consignée, me disans, qu’ils n’auoient point la puissance de moy confirmer du tout en eux, si premierement ie n’auoy renonçé à toutes les graces que i’auoy reçeuës en l’Eglise. Ayant reçeu le baptesme de eux, fus constraincte de viure, & de moy reigler tout selon eux; & me faisoient adorer plusieurs de leurs faux dieux. lesquels souuente fois me sembloit (& ce faisoient par ce diable qui s’appelloit l’Art) que en ma presence, ils dressoient tables & simulachres de beaucop de sorte, & mettoient leurs dieux auec grande reuerence, au plus hault de tout, auec chant meschant: mais alors m’estoit du tout delectable à ouïr: & moymesme ne chantoy & ne prononçoy nulles heures ny oraisons sinon de leur instinct. Lesquels faux dieux estans ainsy constituez en ce [p. 394] lieu, me faisoient monter au premier degré: & estant là, auec grandes clameurs & crys, ie luy promis ma foy, mon ame, & ma vie: leurs promettante que iamais ie n’adoreroy autre Dieu, sinon ceux qu’ils m’ensoigneroient. Ayant dict, ils m’embrassoient auec grande ioye, disans tous par leurs louanges, que iamais nuls de leur bande n’auoient lyé creature à eux, auec tant de lyens, comme moymesme. Me faisoient souuente fois feste de la ioye qu’ils auroient, quand ils me transporteroient de ceste vie en l’autre. laquelle auec eux attendoy en toute diligence & liberté, ne l’attendant point telle comme elle est, & comme ie l’ay cogneu depuis: estans si despits contre les images des Saincts, que quand ils me trouuoient que ie faisoy mes prieres ordianries, qu’ils m’auoient apprins, en quelque place que il y en auoit, ils me faisoient porter tousiours doleurs & tormens. & failloit que ie me rendisse si subiecte d’obseruer tout ce qu’ils me faisoient faire, que quand i’oultrepassoy, ils me faisoient confesser & cognoistre à ce meschant Heresie, de poinct en poinct, tout ce que i’auoy delaissé à faire: & me punissoient si cruellement, qu’ils failloit, que de tous l’vn apres l’autre, ie reçeusse quelque peine & grieue affliction. Et telles ceremonies & beaucop d’autres failloit que i’obseruasse tous ls iours, quand ie n’auoy point le moyen de iour, il failloit que i’obseruasse toute la nuict. Et quand l’Eglise me commandoit le ieune, c’estoit alors qu’ils m’apportoient & me contraignoient de manger de la chair, affin d’annichiler & du tout rompre la coustume des Chrestiens: & me contraignoient si fort, qu’ils me faisoient par leur mauuaistié [mauvaiseté] manger des meschantes bestes, & sorcelleries, lesquelles ils iectoient en mon corps, quand ie faisoy contre leur commandement. Et les grandes solemnités de l’an, ausquelles les Chrestiens se resiouyssent, c’estoit alors qu’ils me commandoient la ieune, & leurs obseruations, toutes contraires aux nostres: & estant en vne si grande seruitude, qu’ils me laissoient aucunefois auoir vn si grand faim, quand ie n’auoy point obserué leur ieune, que ce m’estoit, à bien dire, vne rage: car quand ie mangeoy, ils faisoient repoulser la viande hors de mon corps, iusques à ce que leur volonté s’y soubmettoit.

Nonobstant ces pactes et ces liens multipliés, elle demeure en religion. Extérieurement, elle reste fidèle à ses vœux. Aucun reproche n’est formulé ; aucun aveu ne permet de soupçonner quelque aventure amoureuse; aux yeux de ses consœurs, rien n’apparaît encore de ses dispositions intimes, de son commerce prolongé avec les démons, des invitations qu’ils lui font à ce sujet (16).

Me donnante du tout à vn diable, lequel se nommoit Vraye liberté, me disant, que si ie vouloy laisser & abandonner la Religion, en laquelle ie demoroy, qu’il me feroit la plus riche, & la plus grande princesse qu’il n’y auoit en toute la terre. Mais ie ne sçeu iamais abandonner ma religion, encor que ie le desiroy & consentoy: ils n’ont iamais eu la puissance de moy emmener. & me promettoient, que iamais nulle tromperie y auoit en eux. Et mesme en ma presence, faisoient tous sermens, en luer lieu solennels, moy promettans leur foy, que iamais ne seroy recerchée de nulle creature. Et ont plusieurs années tasché de moy auoir dehors: mais [p. 395] ils n’ont point eu la puissance. Et taschoient souuentefois de moy faire oster mes vestemens religieux: mais (ne sçachante la cause) ne le vouloy.
Toutefois cestuy à qui i’auoy donné ma profession, qui estoit Namon, me contraignit d’oster mon scapulaire, lequel nous portons, qui sont tousiours benits, ne le pouuant endurer, pource que c’estoit contre la promesse qu’il auoit de moy, me feit achapter du drap, & le couldre, & le porter, sans nulle benediction. Ce que i’ay faict, & fort volontiers: car ie n’auoy riens pour alors qui m’estoit plus contraire, que ma religion, à cause que i’aimoy tout ce qu’ils aimoient.

Un diable vient lui présenter une image, l’idole d’un dieu nommé Ninus, qu’elle façonna sur les indications reçues, et qui fut plus tard remise aux exorcistes et brûlée par eux. On la trouva aussi en possession de monnaies antiques, prises comme des images de faux-dieux. Jeanne leur rendait un culte en leur offrant les cadavres de petits animaux.

Mais vient un nouveau démon, nommé Sanguinaire, qui voulut obtenir d’elle un « sacrifice non mort, mais vif, et de (son) propre corps ». Par violence et flatterie, il finit par lui arracher son consentement (17).

Oyante tout cecy, me condescendis à leur volonté. Incontinent ce meschant diable entra en mon corps, portant sur soy lamme tranchante, & me transporta sus vne table: & me ayant faict mettre quelque blanc linge sur la table, affin de reçeuoir le sang, qui tomberoit de mon corps, & de le garder à perpetuité. Cela faict auec grand crys & doleurs me trancha la pieçe de chair hors de mon corps. & la mouillante dedens le sang, alloy presenter & sacrifier à Beleal ce meschant diable. Lequel le reçepuoit, en me faisant continuer trois iours ensuiuans, ce sacrifice si doloreux: & tranchoit tousiours, & interessoit nuuelle partie, & tousiours doleur sur doleur: me defendant & menassant encore de plus grand tourment, si ie le declaroy à creature.
Et ce meschant Sanguinaire gardoit tousiours le linge auec le sang, affin qu’ils eussent double signature de moy. Et m’ont faict faire ce sacrifice encor beaucop de fois.

Le démon déclara plus tard, par sa bouche, que « ces pièces étaient des parties nobles du corps de la religieuse et que les coupures étaient mortelles… » Elle les avait requis de « lui donner nouveaux diables, pour garder et consolider les endroits de son corps intéressé; afin qu’elle ne s’épuisât de son sang (18) ».

Dans ce drame, le tragique va croissant. Les démons excitent maintenant la religieuse à des profanations de plus en plus grièves de la Sainte Eucharistie. Ils lui font goûter de leur communion, « et cette communion était qu’ils prenaient quelque [p. 396] morceau, lequel morceau avait un goût fort doux, et avec grandes cérémonies ». Ils la contraignaient, les jours qu’elle avait reçu l’Eucharistie, à « la retirer de la bouche, et la cacher en quelque lieu secret, et avec commodité me la faisaient prendre avec injures ».

Comme on voit, la question du mystère eucharistique la tourmente. Nous sommes à l’époque des grandes controverses sacramentaires, entre protestants et catholiques, entre luthériens, zwingliens, calvinistes et autres sectes. Un jour de procession, elle refuse de se mettre avec ses consœurs pour adorer le Saint Sacrement qui passe; elle monte à l’étage pour être seule et « avoir moyen de le blasphémer à (son) aise » (19).

Les diables l’excitent à des profanations plus graves encore (20).

Me faisans prendre la pieçe de la saincte Croix, laquelle i’auoy caché arriere de moy, & vne saincte Hostie, & dirent que ie le crucifieroy encor vne fois, pour luy faire plus de honte & de despit. Ce que ie feis. Et prins le bois, & le mis sus vn buffet, au plus hault, & auec instrumens qu’ils me bailloient, attachay la saincte Hostie auec tant d’opprobres, luy disante, Que si c’estoit le vray Dieu, qu’il le monstreroit, & ne se laisseroit point ainsy facilement tourmenter. Et sçay que ie le fasoy auec si grande cruauté, & auec si grand desdaing, & tant de blasphemes, desquelles ne se sçauoient rassasier de moy les faire dire: tenante ce bon Dieu plus meschant que les larrons, lesquels auoint esté pendus auec luy. Car ie ne sçauoy considerer qu’vn Dieu se fust laissé mettre en vne Croix, pource que ie voioy, qu’aux Dieux qu’ils adoroient, ils portoient si grande reuerence. Ayant faict tout cecy, me commandarent que ie la iecteroy en vn lieu prophane, & comme il me semboit selon mes yeux que ie le faisoy, toutefois par la permission divine, elles ont esté conseuées & rendues diuinement & honorablement.

Mais elle vit parmi les religieuses qui croient en l’eucharistie et agissent selon leur foi. Elle en vient à se dire que « si j’en voyais quelque signe, que je serais contente de l’adorer avec mes autres dieux ». Ce signe lui fut donné, à l’intervention des diables eux-mêmes (21).

Lesquels diables quand i’escoutoy chose contre leur volonté, me tourmentoient grieuement, & qu’il failloit que i’ussasse de leur conseil, & que ie m’obligeasse de faire ce qu’ils me commanderoient: Et qu’ayant faict ce qu’ils me diroient, que moy seule ie conuaicroy tous les Chrestiens, adorans leurs faulx dieux: & qu’ils m’esleuroient la plus grande d’entre eux. Ce qu’oyant, incontinent ie fus contente. & comme i’auoy tousiours des sainctes Hosties, lesquelles ie prophanoy de toute costé, m’en feirent prendre l’vne: en la presence de laquelle estant, i’auoy commis innumerables vices, alencontre de sa bonté. L’ayant en mes mains en quelque linge, ie montay en haut; & estant là, me la feirent oster hors du linge, en moy disans: Tu ne cesses de demander & enquester la puissance de ceste petite chose. astheure [à cette heure] en nostre presence, & en despit de luy, & en le detestant, & renyant encor derechef, & que iamais tu ne le soustiendras en ton corps, nous te commandons que tu ayes a tirer ton cousteau, & que tu luy frappes au trauers: & tu voiras la petite puissance qu’il a de soy deffendre, & moins de puissance que nous. Car il n’y a icy si petit en ce lieu, que si tu le frappois, il se vengroit, & e’esleueroit contre toy. Lors tiray mon cousteau auec vne fermeté, & le frappay à son costé. Ayant donné ce coup, incontinent le sang bouillonna hors. & incontinent la chambre fut remplye d’vne grande clarté, enuironnante ceste saincte Hostie. laquelle hostie diuinement a esté transportée de ceste place, au lieu là où que les autres estoient. Lors moymesme estonnée, voyant ces grands signes, & que tous les diables auec hurlements, bruymens, & tremblemens estoient retirez, & m’auoient abandonné; demouray à demy morte. Car iamais ie n’auoy ouy en eux tels hurlements & si espouuentables, qu’alors, voire en toute ma possession: sinon le iour que les sainces Hosties furent rapportées, par la puissance de Dieu, & de son Eglise. Ie commençay à plourer, & considerer que vrayment i’estoy abusée, & que i’auoy esté seduicte des diables. Et considerant beucop ce grand signe, entray en desespoir.

Estant retirée de costé en vne autre place, voicy derechef ces meschans diables remplis d’vne rage, me dirent, que iamais ils n’auoient enduré tels tourmens: & que iusques à ceste heure ils m’auoient trompé & seduit, & que i’auoy frappé le vray Dieu, lequel eux mesmes ils confessoient: & que mon peché estoit plus grand que de meriter pardon: & que i’auoy faict pire, qu’vn Iudas.

Les démons, tournant leurs batteries, l’entretiennent désormais dans ce désespoir et tentent de l’amener à mourir de leurs mains. De peur d’être diffamée parmi les hommes, et peut-être mise à mort par autorité de justice, elle se prête à leurs tentatives. Elle leur donne sa ceinture, pour être par eux étranglée ; ce moyen ayant échoué, ils l’excitent à se trancher la gorge. A chaque essai, une présence invisible s’oppose « il y avait dans la place, déclaraient-ils, quelque méchante bougresse », qui la gardait. C’était, nous l’apprendrons plus loin, sainte Marie-Madeleine, de qui l’action commence secrètement, et se poursuivra en s’accentuant jusqu’à la complète délivrance de la possédée. Mais les diables gardent sa ceinture monastique pour l’étrangler, elle y consent, à la première occasion.

Brisée et à bout de forces et ne pouvant déclarer la cause de ce malaise manifeste, elle dut subir la visite du médecin, qui [p. 398] ne comprit rien à son mal et lui prescrivit des remèdes sans effet. A partir de ces événements, le trouble de son âme se laisse deviner. Elle sentait le désir croissant de savoir la vérité du sacrement; mais les démons la « faisaient entretenir les prêtres par disputes », malgré qu’elle en eût. Quand elle communiait, c’était avec tremblement. Elle pressentait que le Sacrement la confondrait un jour.

Cette alternance de craintes et d’arrogances finit par attirer l’attention des religieuses et éveiller leurs soupçons. C’est ici le lieu de s’étonner que rien n’ait transpiré jusqu’alors. Jeanne avait atteint ses vingt-cinq ans. Ces mystères diaboliques duraient depuis dix ans et plus, dans le cadre d’une vie religieuse commune, sous les yeux et la surveillance des supérieures et des consœurs. Ce n’est pourtant qu’aux mois de février ou mars 1584 qu’ils finissent par être découverts.

On s’aperçut donc qu’elle ne vivait point comme chrétienne et religieuse. On la retint à la maison et l’on chercha à la remettre en paix avec Dieu. Sa santé s’altérait et son caractère plus encore (22).

Et estant venue au dernier Caresme, donc les Pasques ensuiuants, ie fus mise ne l’Eglise, ie blasphemoy Dieu, & maldissoy pere, mere, & le jour & l’heure qui m’auoit iamais mis au monde; & menoy la plus malheureuse vie que ie n’auoy encor iamais faict: Et ne cerchoy aultre moyen que de moy desesperer, ou noyer, si i’eusse sçeu trouuer le moyen & la puissance. Et me nourrissoient tout ce temps, de toute viande desreiglante contre l’Eglise. & ne me permettoient de suiure les religieuses à leur table, mais m’emmenoient en grenier ou chambre, arriere ou autres, emplir mon corps de ce qu’ils me donnoient. Les Religieuses me voyant en telle fasson, & d’vne couleur plus morte que viue, (car ils laissoient mon poure corps destitué de toute nourriture humaine, seulement le conseruans de choses diaboliques) auoient compassion de moy: & m’attiroient par doulces parolles. Mais mes responses leur estoient si insupportables, qu’elles ne les sçauoient soutenir. & estoient constrainctes de moy laisser telle que i’estoy. Et comme i’apperçeuoy & consideroy que i’estoy abusée des diables, & gouuernoient tout mon corps, pensoy qu’il n’y auoit au monde nul remede, pour m’en pouuoir retirer: Car ie pensoy les choses passées en mon endroit estre grandes. Et voyant que par la grace de Dieu, Monseigneur le Reuerendissime estoit venu vne fois pourmener en nostre maison, i’eu deliberation de moy retourner enuers luy, pour auoir ayde & secours. Mais toutes les fois que ie venoy en sa presence, & au lieu là où qu’il estoit, me changeoient ma veuë, & me le faisoient voir horrible & espouuentable; me disans, qu’il me feroit endurer plus de tourmens, que iamais ie n’auoy enduré d’eux: & que quand ie declareroy tout ce que ie vouldroy, ne me rendroient iamais les lyens qu’ils auoient de moy, par où ils pourroient monstrer que i’estoy du tout à eux. & me disoient, que i’estoy des-ja plongée au plus profond des enfers: me monstrans (me sembloit-il) vrayment le gouffre d’iceluy; & pur vn chacun peché, les peines qu’ils me feroient porter: c’est, qu’ils m’auallarent [me plongèrent] en vne profondité là où qu’il y auoit feu, soulphre ardant, & tenebres, & vn flairement puant & abominable: & me monstrans leur grand meschant Lucifer, & multitude d’autres diables, lesquels tourmentoient les poures ames pleins de feu, avec queuues meschantes & venimeuses, serpens, desquels m’en feirent aualler vn auec furie, pource que le iour du blanc Ioeudy [Jeudi-Saint] i’auoy reçeu la Communion, & auoy refusé la leur qu’ils m’auoient presenté. Lequel serpent me tourmentoit si extremement, que derechef ie consentis de moy remettre encor auec eux, affin de m’oster les doleurs qui estoient insupportables: car ils ne me laissoient point auoir de repos nuict ny iour. Estant en ce gouffre, i’oioy ces poures ames qui ne cessoient de crier & lamenter incessamment. Voilà où ie fusse maintenant, si Dieu par sa bonté n’eust eu misericorde de moy. Lequel bien tost apres permit, que i’ay esté assistée & aydée, par la puissance qu’il a laissé en son Eglise. Voilà donc les lyens & la tyrannie de ces meschans diables, que i’ay touché par escript. lesquels de leur propre malice m’ont sollicité, & non point par fantasies. Mais ie confesse que de mes propres membres i’ay faict & exercé les pechez. confessant & recongnoissant grandement la puissance de Dieu en son Eglise. lequel m’a retiré de ceste meschante & cruelle captiuité, en laquelle toute ma vie ils m’auoient tenue.

Jeanne Fery fut manifestement l’objet d’une indulgence particulière de la part des religieuses et des autorités ecclésiastiques. Cela pourrait s’expliquer par l’influence de sa grand’tante, Jeanne Gossart, qui était mère maîtresse de ce couvent, à l’époque précisément où le secret commença à se découvrir. Il fallut cependant en référer à des prêtres, et la religieuse fut « trouvée et aperçue empêchée et possessée des malins esprits » et présentée à l’archevêque, comme on l’a vu plus haut. Celui-ci résidait à Mons depuis plusieurs années, sa ville épiscopale étant aux mains du parti protestant depuis 1579. les Berlaymont possédaient à Mons, tout proche du couvent des sœurs noires, un hôtel où l’archevêque s’établit. Il lui était donc facile de suivre de près le cas de la religieuse. Par son ordre et sous sa direction, on entreprit de délivrer la patiente, au moyen des exorcismes en usage dans l’Église. On espéra aussi, comme en d’autres cas analogues à cette époque, y trouver des arguments apologétiques en faveur de l’Église catholique et de la foi chrétienne (23).

LES EXORCISMES

Dès le surlendemain de sa présentation à l’archevêque, 12 avril 1584, Jeanne Fery fut soumise aux exorcismes; les séances se [p. 400] succédèrent nombreuses, avec des interruptions plus ou moins longues, jusqu’au 12 novembre 1585. ils sont coupés de retours offensifs des démons et de rechutes de la patiente. Ils progressent cependant, grâce à l’intervention mystérieuse et répétée de sainte Marie-Madeleine, et à celle, fréquente aussi et directe, de l’archevêque. Il n’est pas de notre sujet d’en suivre le récit minutieux et précis qu’en ont rédigé les exorcistes eux-mêmes. Nous n’y cherchons que les éléments qui nous permettront de mieux comprendre la religieuse et de pénétrer, s’il se peut, la nature intime de ces phénomènes.

Une première remarque que nous sommes amenés à faire est la suivante: il y a harmonie générale entre les deux Discours. La différence des styles est frappante et nous rassure pleinement sur l’authenticité de l’autobiographie de Jeanne Fery. Les exorcistes se sont bornés à mettre en marge leurs notes pour préciser des dates et des noms que Jeanne avait négligé de donner, ou pour marquer la suite et les passages notables du récit.

Relevons cependant cette divergence: les démons innommés dans l’autobiographie, les deux premiers, Cornau et Gara, disent leur nom dans les exorcismes; et vice-versa, ceux qui sont nommés dans l’autobiographie, Traître, Hérésie, Art magique, etc., ne le sont pas au cours des exorcismes. Ce qui ne paraît pas avoir arrêté les rédacteurs du Discours, qui étaient les exorcistes eux-mêmes.

Cette remarque faite, comment procéderons-nous dans l’examen critique et la comparaison des diverses phases des exorcismes? Le mieux sera sans doute d’aller de l’extérieur à l’intérieur, de commencer par ce qui laisse une trace objective, contrôlable par les sens, comme ces billets ravis par les démons et restitués par eux, pour aborder ensuite et progressivement les phénomènes de plus en plus intimes dont la patiente seule peut nous donner la description, son amnésie, les interventions surnaturelles de sainte Marie-Madeleine, ses extases. Cette marche nous écartera de l’ordre chronologique des faits. L’inconvénient ne sera pas considérable puisque, aussi bien, tout se ramasse en une année et demie.

Un des premiers soucis des exorcistes fut de se faire rendre, pour en libérer la religieuse, les pactes écrits qui la liaient aux démons. Les uns étaient dans son corps, les autres avaient été emportés par eux et cachés. Le procédé employé par les exorcistes pour rentrer en possession des premiers fut d’imposer sur la tête de la patiente, soit une hostie consacrée, enveloppée dans un corporal, soit une relique, soit un flacon des saintes huiles. [p. 401] Ce moyen réussit (24). On ne nous dit pas de quelle manière ces billets sortaient du corps de la patiente. Ce qui advint du billet de sainte Marie-Madeleine et de la balle d’arquebuse, porte à croire qu’ils furent dégorgés par elle. Les autres obligations, que les démons gardaient « hors de son propre corps » furent retrouvées en des endroits désignés par l’exorciste au démon, au cours de ses adjurations. Ce dialogue se faisait par le truchement de Jeanne, qui n’ignorait donc pas quel endroit était désigné. On put ainsi détruire successivement dix-huit obligations signées. Regrettons que le texte ne nous en soit pas donné.

Les hosties consacrées furent remises « divinement et honorablement ». Tandis qu’elles approchaient dans la nuit, les démons criaient par la bouche de Jeanne: « Voici qu’on les rapporte! Elle sont en chemin. Nous sentons qu’elles approchent… » Et réitérèrent ces propos plusieurs fois, durant l’espace d’une bonne demi-heure: contournant d’une cruauté inusitée tous les membres de la pauvre religieuse, la rendant (quant à la face) privée de tous linéaments, couleur et figure humaine. Ce qui était chose très hideuse à regarder. » C’était le 5 juillet 1584, vers les huit à neuf heures du soir. Sept hosties furent ainsi rendues, « entre lesquelles, il était une, laquelle avait été percée d’un coup de couteau au côté, y ayant à l’endroit de la perçure, une tache de sang ». D’autres furent remises le 5 septembre, les dernières quelques jours après (25).

D’autres objets encore furent restitués par les diables. Ainsi « deux médailles antiques, l’une d’argent et l’autre de cuivre, qui étaient des représentations d’aucuns idoles qu’elle adorait (dont l’un était nommé Ninus) », notent les exorcistes. Jeanne s’explique de façon différente. Ce Ninus était une image étrange; et les diables lui firent faire elle-même une autre image, « laquelle image, dit-elle, a été brûlée et consumée par les prêtres » (26). L’accord laisse à désirer.

Fut rendue aussi la ceinture qui devait servir à l’étrangler (27), ainsi qu’une mystérieuse « balle de plomb d’arquebuse », qui retiendra plus loin notre attention. [p. 402]

D’autres phénomènes, extérieurs eux aussi, semblent attester la réalité objective des possessions et l’intervention d’un agent supérieur à l’homme et aux forces de la nature, telles, les mutilations sanglantes que les diables lui avaient infligées, « la coupure de quelques pièces des parties nobles ».

Le lecteur se rappellera ici que la patiente avait requis de « lui donner nouveaux diables, pour garder et consolider les endroits de son corps intéressé; afin qu’elle ne s’épuisât de son sang ». Quand ils furent adjurés de quitter la possédée, ils dirent que s’ils étaient « forcés de rendre le ligne et les pièces [de chair], et abandonner la Religieuse, … elle mourait infailliblement à l’instant ».

Cette menace jeta les exorcistes dans la perplexité. Après délibération avec l’archevêque, ils tombèrent d’accord entre eux « d’entreprendre le combat contre les susdits malins; et assignée l’heure, qui furent les huit du soir [le 20 octobre 1584] : au son desquelles ledit Mainsent, accompagné de M. Jacques Joly, commencerait en la chambre de la Religieuse les conjurations: et le Seigneur Archevêque à même heure, en sa chambre, malade, userait aussi des mêmes exorcismes. Et pour le signe visible de leur département, il désigna la rupture d’un carreau de la première verrière voisine à la cheminée de la chambre où était ladite Religieuse, en son cloître ».

Les démons furent ainsi « contraints… rapporter le ligne teint de sang, auquel étaient les trois pièces de chair enveloppées, et les remirent au lieu désigné… Et les six heures du matin approchantes, sortirent hors, et rompirent pour signal, le carreau désigné ». Mais la fille demeura malade trois semaines ou davantage, « pour l’intérêt qu’ils lui avaient fait par dedans le corps, tant par les plaies anciennes, que par les fraîches et nouvelles qu’ils lui firent à leur département… jetant… grande quantité de sang, et pièces de chair pourrie. Et d’icelles coupures est survenu un accident fort étrange, qu’elle a porté en certaines parties de son corps, un an et vingt-trois jours, avec continuation de douleurs ». (28)

La patiente ne voulut d’une année découvrir son mal. Au début de novembre 1585, elle fut enfin forcée, « pour la véhémence et impétuosité desquelles douleurs… mander le … Docteur Cospeau, et femmes à ce entendues, pour trouver, par moyens ordinaires et naturels, quelque allègement. Lesquelles après avoir entre elles connu le mal, … dirent, l’accident être mortel et [p. 403] incurable… On pensait qu’en peu de temps (voire par le dire des expérimentés) entre l’espace de trois à quatre heures, elle partirait de ce monde. Toutefois, par l’invocation de sainte Marie Madeleine, (après avoir jeté hors de son corps, avec l’urine, vingt pièces de chair pourrie, qui rendaient grande puanteur) l’impétuosité et véhémence des douleurs s’apaisa, et fut rétablie en son état, ne restantes que les douleurs accoutumées ». (29)

Elle fut guérie complètement au grand exorcisme final du 12 novembre 1585. « Sentit soudain, que les parties de son corps, (lesquelles pour le coupement d’aucunes pièces avaient été avec continuelles douleurs, disjointes et séparées l’une de l’autre, l’espace d’un an et 23 jours) se remirent en leurs lieux naturels; et se réunirent par ensemble, dont à l’instant se trouva dudit accident entièrement guérie ». (30)

Relevons encore d’autres phénomènes qui firent croire à l’intervention diabolique. En mai 1584, « elle jeta par la bouche et narine, extrême quantité d’ordures et punaisies: si comme pelotons de cheveux, et plusieurs petites bêtes en forme de vers velus. Dont toute la place était remplie de puanteur ».

D’autres fois, « les… malins l’emplissaient de vermines venimeuses, dont la respiration se trouvait infecte et puante ». Un peu plus tard, pour contrarier les jeûnes que l’archevêque lui avait imposés, « les susdits malins lui apportaient à la vue et présence des… assistants, de la chair crue de charogne, et à l’instant remplissaient la bouche de ladite pauvre affligée de sang foity (gâté) et pourriture, dont issait (sortait) telle puanteur, que n’était possible la comporter ». Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1584, à l’expulsion du diable Cornau, son premier possesseur, celui qu’elle appelait son père, « il jeta par la chambre des pois de sucre ronds, nommés anys d’Alexandrie, lui emplissant aussi des mêmes drogues, la bourse qui pendait à sa ceinture ». (31) Ce fait pourra sembler plus explicable que les précédents.

Il n’y a pas lieu d’insister beaucoup sur les tourments subis par la patiente, cris, spasmes, convulsions, arrêts de la respiration, raideurs épileptiques, fugues nocturnes et tentatives de suicides. Ces suicides manqués, dont l’un dans un ruisseau sans profondeur qui coulait au fond du jardin conventuel, purent [p. 404] toujours être empêchés par l’intervention opportune des religieuses accourues à temps… et sans doutes attendues. Le 10 mai 1585, ramenée au couvent contre l’avis donné par la sainte protectrice, elle chargea de coups de poings et de coups de pieds l’archevêque, Maisent et d’autres ecclésiastiques, avec une telle violence qu’ils se crurent en péril de leur vie. Tout cela épouvantait les assistants et leur donnait le sentiment d’une intervention plus qu’humaine. A distance, nous en jugerons peut-être autrement.

Un phénomène fit grande impression sur les exorcistes et confirma puissamment à leurs yeux le caractère surnaturel des possessions, une sorte d’amnésie et d’aphasie qui réduisit la patiente à l’état d’enfance. Jeanne en subit l’effet pendant une grande partie de cette période et au-delà.

Déjà au début, ce phénomène s’était produit, mais de façon passagère. Les démons « la rendirent un jour entier et une nuit simple et badinatre, privée de connaissance de toute créature, excepté qu’elle reconnaissait sa garde: ayant en horreur tout ce qu’on lui représentait… Davantage, la rendirent quelque temps muette, pleurante continuellement ». (32)

Ce fut bien pis quand il s’agit d’expulser ses premiers démons. Ils lui disaient « que s’ils étaient contraints de l’abandonner tous, elle demeurerait en ignorance: parce qu’elle savait en quel âge elle avait été surprise, et que toute la science qu’elle avait, venait d’iceux, et la quittant, qu’ils reprendraient la susdite science avec eux, et par ainsi demeurerait ignorante ». Son état mental redeviendrait donc ce qu’il était avant la possession, de deux à quatre ans. Cette menace lui fit grand’peur.

Quand vint le tour du diable Cornau, son premier possesseur, son « père », ces menaces lui furent redites. « Doncques pleurante amèrement et se lamentant, dit à genoux pliés, au susdit Mainsent, je vous prie, laissez-moi pour le moins celui-ci seul, afin que je ne tombe pas en simplesse ». Pour la consoler de perdre celui qui se disait son père, le chanoine lui promit qu’il lui serait un père. « Me serez-vous donc père? Mainsent répondit que oui et à ce faire s’obligea vers elle, donnant la main en signe d’assurance. Et l’obligation reçue et acceptée d’une part et d’autre, la Religieuse renonça d’un bon coeur, et pour toujours, son père Cornau ».

De ce moment, « la Religieuse fut remise en vraie simplesse d’enfance, et rendue ignorante de la connaissance, tant de Dieu [p. 405] que des créatures: ne pouvant prononcer d’autres paroles, que, Père Jean, et, Belle Marie » (Le chanoine avait Jean pour prénom; Marie est Marie-Madeleine.) Quelques moments après, « la fille dit, démontrante encor par le doigt sainte Marie-Madeleine à ses environs, Marie, Grand-Père. Lors Maisent craignant qu’il n’y eut un diable appelé grand-père, comme le maudit Cornau avait pris le nom de père; la pressa de dire, quel était ce grand-père qu’elle réclamait. Répondit, Louis. Quel Louis? Elle hésitante et ne le sachant, s’adressait vers l’apparition, disant, Marie, Marie. Ce que voyant Mainsent, lui dit: Demandez à Marie. Incontinent, comme ayant obtenu réponse, elle ajouta, Luis Archevêque. Lors Mainsent entendit que la bonne Dame lui donnait le Seigneur Archevêque pour son grand-père ». (33)

On dut lui rapprendre ses prières et les premiers éléments de la religion; on lui enseigna aussi à lire, mais non à écrire, de peur qu’elle s’en servît pour se lier de nouveau avec les démons. Le lendemain, on la mena à la messe. Marie-Madeleine lui apparut derechef, ce que la religieuse donna à entendre, « la démontrait avec le doigt, disant, belle Marie ». Mais « la messe achevée, elle dit à haute voix, et fort parfaitement en latin, Maria ergo unxit pedes Jesu (Marie a oint les pieds de Jésus)… Remise en la chambre… ne pouvant parler, démontrait par divers signes, qu’elle désirait avoir le tableau, auquel était dépeinte l’image de sainte Marie-Madeleine… Lequel étant apporté, donna grand signe de liesse. Et commença (comme les enfants jouent avec leurs poupées) l’habiller et vêtir de petits drapeaux, la joignante à son sein, comme si elle eût voulu donner le tettin ». (34)

Le 15 novembre 1584, elle montra qu’elle avait un battement pénible à la tête, « mettant la main à son front et disant, Doucq, doucq ». On la mena à l’évêque qui lui donna sa bénédiction. A l’instant, le battement et la douleur prirent fin. Elle dit, « en son infantile langage, Grand-Père, plus doucq doucq ». Un peu plus tard, le 18 du même mois, « continuant la Religieuse de parler imparfaitement, ne cessait montrer sa langue avec son doigt »; elle fut conduite devant l’évêque qui la bénit. Aussitôt « ladite Religieuse en un instant reçut la parfaite parole, et dit: Grand-merci, grand-père, vous m’avez rendu une langue ». Non contente de cela, elle fit signe qu’elle désirait que tous ses membres fussent bénis de même. L’évêque la bénit d’une seule bénédiction, et ses membres furent aussitôt restitués en leur entier, et elle dit: « Grand-merci, grand-père, vous m’avez rendu une tête [p. 406] et des jambes », et elle put marcher aisément. Mais quand on l’interrogeait sur les événements de sa vie passée ou sur les interventions de sainte Marie-Madeleine, « elle répondait sagement et pertinemment, donnant résolutions à toutes difficultés, qui pourraient tant pour l’avenir se représenter, que pour le passé ». Il en fut ainsi quand elle entreprit de faire à l’évêque sa confession générale. (35)

En tout cela, l’évêque et les exorcistes virent une preuve manifeste des opérations diaboliques, ou des interventions surnaturelles. L’inspiration divine leur sembla plus évidente encore lorsque, le 25 novembre, avertie par sa protectrice céleste du projet que venaient à l’instant de débattre et de décider l’évêque et ses conseillers, de mettre par écrit le récit de cette laborieuse délivrance, et engagée par elle à écrire de sa propre main sa relation autobiographique, elle rédigea, elle à qui on n’avait pas rappris à écrire, la longue relation dont on a pu lire plus haut le résumé et des extraits. (36)

Il est temps d’aborder de front cette intervention que nous avons déjà plusieurs fois notée au passage, élément capital de toute l’histoire. Sainte Marie-Madeleine pénitente se constitue le défenseur et la conseillère de Jeanne. Rien n’en est perceptible que par les paroles et le témoignage de Jeanne. Les démons sont les premiers à la subir. Par la bouche de Jeanne, ils la dénoncent en termes injurieux: « la bougresse » les empêche d’accomplir toute la malice de leurs desseins. Jeanne en avait une image dans sa chambre. Elle est favorisée pour la première fois de sa vision le 10 avril 1584, au moment où l’archevêque lui donne sa bénédiction. Les dispositions de la religieuse n’étaient alors rien moins que bonnes. La sainte se présenta pour recevoir à sa place et pour elle, la bénédiction épiscopale. Sommés de déclarer par les mérites de quels saints ils seraient chassés, les démons la désignent. C’est à elle que recourent les religieuses et les exorcistes dans toute passe difficile. Elle soutient, instruit et encourage la possédée. Le 25 août 1584, elle lui parle pour la première fois (37), et dès lors ses interventions se multiplient et se font plus précises. Mais dès cette première fois que la sainte parla, elle « lui commanda… prendre plume, et écrire ce qu’elle lui dicterait. Ce qu’elle fit au même instant », la sainte lui guidant la main, tant pour écrire que pour signer du signe de la croix. La sainte ajouta que ce billet « serait mis divinement [p. 407] sur son cœur, et que de bref ferait rejeter tous les autres liens qui y restaient encore de tous les diables », et il en fut ainsi, comme le constatèrent les exorcistes. Mais ce billet resta ignoré d’eux jusqu’au 13 novembre suivant. Ce jour-là, comme elle souffrait d’un battement de cœur tout particulier, on décida de la plonger dans un bain d’eau grégorienne, on l’y maintint la tête sous l’eau aussi longtemps qu’elle y pouvait rester naturellement. « Et la laissant en après respirer, advint, que ayant la tête hors de l’eau… ouvrante sa bouche fort large, fut aperçu, entre la langue et le palais, un gros billet de papier… le contenu duquel était tel, et en cette façon écrit (38).

In nomie Domini + nostri Iesu Christi curcifixi.

Par la malediction du pere a esté cest enfant mis en la puissance du diable, E seduict de luy en enfance, lequel ie vous ay monstré: mais par la puissance divine, laquelle ne mesle la malice de l’homme, avec l’innocence de l’enfant: E à fin de magnifier sa gloire en elle, à fin que la louange par tout s’extende, E la bonne garde de Marie Magdaleine, laquelle vous rend auiourdhuy Ieanne Fery libre de la possession de tous les diables, la rendant auiourdhuy en la charge E nourriture, par la volonté de Dieu, de Loys de Berlaymont Archeuesque de Cambray, en quel lieu E place là où qu’il soit E sera toute sa vie: à fin qu’elle fust affanchie contre ces diables lesquels iusque icy l’ont vexé: E qu’elle fust apprinse E endoctrinée seurement en la louange de Dieu, en laquelle est ignorante, E comme cestuy qui doibt respondre de sa conscience deuant Dieu.

Comme ce billet, « mis divinement sur le coeur », passa intact dans la bouche, c’est un problème… Laissons-le pour remarquer ces mots: « la rendant aujourd’hui en la charge et nourriture, par la volonté de Dieu, de Loys de Berlaymont, Archevêque de Cambrai, en quel lieu et place là où qu’il soit et sera toute sa vie ». Les moins sceptiques admettront malaisément qu’une telle consigne ait été donnée de par Dieu. Ceci nous amène à examiner le rôle de l’archevêque dans toute cette affaire.

Louis de Berlaymont appartenait à un des plus illustres lignages Pays-Bas. Né en 1542, il avait été fait dès 1570 archevêque et duc de Cambrai, antique siège des Pays-Bas. Dans les troubles politiques et religieux de ce siècle, sa famille jouait un rôle important du côté du prince légitime et pour le maintien de la religion romaine. Cambrai étant tombé aux mains des protestants, il s’était établi à Mons depuis quelques années. Il [p. 408] montrait une bienveillance toute particulière au couvent des Sœurs Noires. Comme sa mère, Dame Marie de Berlaymont, il voulut avoir son tombeau dans leur chapelle de Saint-Jean-Décollé. Aujourd’hui encore, les épitaphes rappellent leur vie et leurs mérites. Aussi n’est-on pas surpris de trouver son nom dans le Nécrologe du couvent, avec cette mention: « Grand bienfaiteur et bon ami » (39).

Dès avant les exorcismes, Jeanne se sentait attirée vers lui. « Voyant que par la grâce de Dieu, Monseigneur le Révérendissime était venu une fois promener en notre maison, j’eus délibération de moi retourner envers lui, pour avoir aide et secours. Mais toutes les fois que je venais en sa présence, et au lieu là où qu’il était, [les démons] me changeaient ma vue, et me le faisaient voir horrible et épouvantable », de sorte qu’elle n’osa l’aborder. (40)

L’évêque était d’un caractère bénin. Quand on lui présenta la possédée, il l »accueillait avec bonté et la bénit, et dès lors prit à coeur sa délivrance. Son intervention fut souvent décisive. Un remède employé avec le plus de succès par les exorcistes et dès les premiers jours consistait à baigner la possédée dans l’eau « grégorienne », que seul l’évêque a pouvoir de bénir – il est bien évident que la possédée ne l’ignorait pas. On en faisait aussi de larges aspersions dans la chambre où elle se tenait. « Ils avaient expérimenté, que par ladite eau tous les liens qui environnaient le coeur, étaient sortis » (41). C’est lui encore qui, en avril ou mai 1584, présida la cérémonie de l’abjuration; lui-même signa le symbole et la fit signer après lui.

Après quoi, vers le 20 mai, il se rendit en son château de Beauraing, laissant le soin de poursuivre les exorcismes à Mainsent et Joly (42); il en revint, fort malade, en octobre suivant. Et c’est peu après son retour que le billet ci-dessus reproduit fut trouvé dans la bouche de la patiente.

C’est à lui encore que Jeanne fit sa confession générale, le 21 novembre, en se servant d’une relation qu’elle avait écrite précédemment et dont elle éclaircit les points douteux. Ce fut long, « à cause de la débilité de son cerveau ». Le lecteur reconnaît cette sorte d’amnésie dont elle souffrit plusieurs mois. Enfin, « à onze heures et demie de nuit, montrante grand signe de [p. 409] repentance de ses péchés, et jetante de ses yeux abondance de larmes, reçut du Seigneur Archevêque la plénière absolution » (43).

Et de ce jour, pour obtempérer aux injonctions du billet, elle « fut retenue en sa maison [de l’archevêque], avec sœur Barbe Devillers sa garde ». Ce séjour prolongé d’une jeune religieuse dans la maison de l’archevêque, quoique « ce lieu étant ordonné par Dieu », ne laissa pas de surprendre. Les rédacteurs du Discours se voient forcés de le justifier (44). Dès le 5 janvier suivant, l’évêque jugea bon de la renvoyer en son couvent; pour satisfaire, du moins en partie, aux obligations qui lui étaient faites, il traita avec la Mère du couvent pour les dépens de sa bouche. Mais la religieuse ne put ni dormir ni manger; la nuit venue, elle subit de grands tourments, « et malgré toutes ces douleurs, elle ne cessait de dire: O Marie, vous le pouvez faire s’il vous plaît ». Marie-Madeleine lui était apparue la veille, et son apparition l’avait jetée dans l’extase et la défaillance. Elle lui avait dit: « Jeanne, dites à votre grand-père (l’archevêque), qu’il a encouru l’indignation de Dieu, de vous avoir ici renvoyée; car ce que Dieu commande, il faut nécessairement qu’il soit accompli. Et ne peut être ignorant qu’il n’a charge de vous, par l’écrit qu’il a reçu. Et ayant demeuré en sa maison l’espace d’un an, serez rendue libre comme sœur Barbe ». Le billet, à le bien comprendre, exigeait davantage: « toute sa vie », était-il écrit (45).

Suivons attentivement les événements de ces journées. Le Discours nous en fournit tout le détail, qu’on jugera sans doute du plus vif intérêt. La religieuse, après s’y être refusée d’abord, confia la vision et les paroles de la sainte au chanoine Mainsent; celui-ci en fit rapport à l’archevêque, « qui écouta le tout fort patiemment. Mais comme il estimait avoir satisfait à tout ce dont il pouvait être chargé par le billet, ne voulant exposer son honneur en hasard, retirant une religieuse de vingt-cinq ans hors de son couvent, pour la loger en sa maison », il crut s’acquitter en lui « envoyant viande de sa maison, et pour la nuit un prêtre [410] qui la garantirait des malins ». Ce qui fut fait. Mais, malgré la présence du prêtre, ses tourments furent tellement redoublés qu’elle ne put avoir aucun repos.

Le lendemain, l’archevêque, prévenu, tenta une double expérience. Il vint lui-même au couvent, vit la religieuse, lui donna des mets de sa table, dont elle prit quelque peu. « Voulant en outre savoir ce qu’était de son dormir, la fit coucher avec ses accoutrement, en présence (d’un prêtre) et sa garde. Mais elle entra en un tel travail, que à cet instant ou la voyait tellement se changer pour la véhémence des douleurs… que le Seigneur Archevêque craignant qu’elle n’expirât subitement, fut contrait la retirer du lit. Lequel événement lui causa d’ajouter foi à la révélation, et se résoudre de la retirer en sa maison. »

Mais cette fois, ce fut la religieuse qui fit difficulté, « espérante toujours que par l’intercession de sainte Marie-Madeleine, elle obtiendrait changement de l’arrêt divin ». Ses résistances durèrent jusqu’au surlendemain, 8 janvier, vers les autre heures du soir. Entrée dans l’appartement de l’évêque, elle demanda à manger, mangea de bon appétit et, s’étant assise sur une chaise, commença à dormir d’un fort bon sommeil; « remise sur son lit en sa chambrette, dormit toute la nuit » (46).

Quelque temps après, elle se trouva onze jours durant dans l’impossibilité de manger ou de boire; elle assurait qu’elle sentait dans son corps quelque chose qui rejetait la nourriture et lui serrait l’orifice de l’estomac. Le médecin n’y entendit rien, la fille s’en prit à l’évêque. Celui-ci se douta de quelque nouveau maléfice, prit l’étole, fit des conjurations, lui donna à boire de longs traits d’eau grégorienne. La patiente alors, « jetant des cris fort grands et lamentables, vomit en un bassin d’argent (le Seigneur Archevêque tenant ses doigts sacrés en la bouche) une balle de plomb d’arquebuse appelée mousquette, accompagnée d’un crachat sanglant. Et à l’instant la Religieuse fut libre des douleurs qu’elle avait… endurées » (47).

Ce que l’évêque avait craint se produisit. Au début de mai, il fut averti que « plusieurs propos se semaient d’un côté et d’autre, contre son honneur, à raison qu’il tenait cette Religieuse si longuement en sa maison ». Il se décida donc à la renvoyer dans son couvent. Ce qui fut fait le 10 mai 1585. mais tandis qu’il était dans la chambre du couvent que la religieuse venait occuper, « entrèrent les diables en elle, la possédant autant violentement, qu’on l’avais jamais vu auparavant. Qui commencèrent [p. 411] par les membres de la patiente, à charger le Seigneur Archevêque, de coups de poings et de pieds si furieusement, qu’il fut en grand danger de sa vie, iceux criants et hurlants épouvantablement: montrant toujours du bras droit, haussé en signe de menace, l’image de sainte Marie-Madeleine ». Il en fut de même pour le chanoine Mainsent, que l’évêque envoya chercher d’urgence, et pour d’autres ecclésiastiques encore. Alors l’évêque résolut de la reprendre chez lui. « Laquelle résolution par lui prononcée, les diables… sortirent incontinent… elle revint en usage de ses sens,… ne se souvenant de ce que s’était passé (48) ».

Le 19 août 1585 (49), étant en la haute galerie de la maison de l’archevêque, Jeanne « vit une grande clarté: au milieu de laquelle aperçut sainte Marie-Madeleine. Laquelle audit lieu lui dit… qu’elle pourrait être, le jour saint Louis passé, remise en son cloître, sans plus nulle vexation, moyennant quelle fût tenue coiment et apprise comme elle était en la maison de son dit grand-père, et nourrie de sa viande, jusques au terme que Dieu aurait déterminé ». Il fut ainsi fit le 26 août; mais on négligea une condition: au lieu de la tenir coiment dans une chambre tranquille, on la mit au dortoir commun des religieuses. Elle « fut derechef obsessée et extérieurement vexe des malins », sans comprendre pourquoi. Le 1er septembre, sur les douze heures de la nuit, la Sainte apparut et lui révéla la cause de ses maux, disant: « Les choses qui sont estimées petites sont de grand poids devant Dieu ». Mais la religieuse tint la chose pour soi, « pour les difficultés qu’elle expérimentait toutes et quantes fois qu’il lui fallait redire les choses qui lui étaient révélées, à cause de l’incrédulité, et des grandes certifications et assurances que voulaient avoir de son dire, ceux auxquels elle était commise ». Elle fut alors livrée à la férocité des démons. Ils « commencèrent avec crochets de fer (comme il lui semblait) à lui déchirer lentement tout le [p. 412] corps… Se retrouvante en ses extrêmes douleurs, et voyante le sang en si grande abondance couler de son corps », elle prit recours à Dieu et à sainte Marie-Madeleine. Soudain les tourments cessèrent. Elle fit venir Mainsent, qui ordonna une chambre tranquille. « Et par l’application d’eau grégorienne, étancha le sang, adoucit les douleurs, et peu à peu resserra les plaies » (50).

Lors de sa délivrance finale, le 12 novembre, quand tout fut achevé, elle déclara à l’archevêque, en lui prenant la main: « Je suis aujourd’hui rendue et remise avec toutes mes Consœurs, comme vraie Religieuse. Et quant à ma nourriture, … elle se laisse à votre discrétion, vous en êtes déchargé. Néanmoins, vous aurez soin de ma conscience tous les jours de votre vie » (51).

Comme on voit, les interventions de sainte Marie-Madeleine appuient et dirigent mystérieusement celles de l’évêque. La même sainte procura aussi des extases. On peut noter un progrès régulier dans le cours de son action. Sa présence est d’abord ignorée de la patiente qu’elle protège; elle se manifeste ensuite à elle en des apparitions silencieuses (10 avril et 28 juin 1584); le 25 août, elle parle et dicte le billet; elle parle encore aux apparitions suivantes (10, 12 et 13 novembre) mais le 12 elle procure une extase prolongée, et de même le 6 janvier 1585. Ce jour-là, elle lui fit reconnaître dans ses interventions les signes auxquels on distingue les apparitions divines de celles que simule le démon, selon la doctrine traditionnelle dans l’Église. Extase prolongée encore le 12 novembre; Jeanne est avertie de l’heure du suprême combat et de son issue décisive; une autre encore le 6 janvier suivant. Un esprit tatillon remarquera que chaque fois quelque chose trahit l’extase et provoque des questions pressantes. Le 10 avril 1585, par exemple, elle font en larmes et mouille le bréviaire du célébrant qui était au lieu où elle s’appuyait… « Qui fut cause qu’il lui demanda le sujet de son deuil et larmes ». Le 12 novembre, Mainsent l’aperçut ravie en extase, la voyant étendre les bras et joindre les mains par plusieurs fois. Il lui parla et la tira par les bras, mais n’en put tirer aucune réponse. Peu après la religieuse, toujours en extase, prononça quelques versets de psaume, bien adaptés à son cas présent et avec une mimique expressive. Notons à ce propos que depuis quelques mois, l’évêque lui faisait apprendre le psautier sous la direction d’un prêtre (52).

L’extase du 6 janvier 1586, en la chapelle du couvent, resta [p. 413] dissimulée aux assistants, jusqu’à ce que le chanoine Mainsent, sa messe achevée, fut entré de la sacristie à la chapelle. « Lors (elle) jeta un cri triste et dolent, lequel oyant ledit chanoine, se retourna, et vitement se transporta auprès d’elle ». Il la vit la face changée, les yeux ouverts et fixés sur l’image de Marie-Madeleine. Ensuite, elle inclina le corps et rit fort doucement, demeurant toutefois en extase. « Mais incontinent retourna à elle, avec un tremblement de tout le corps, et excessif battement de coeur. » On la ranima. « Lors déclara n’avoir oncques eu plus grande faiblesse… que la présente, et celle de l’an passé, au même jour. Mais toutefois… ces deux débilités ne pouvaient être accompagnées à celle qu’elle eut le 24è du mois de Mai, 1585, quand elle vit notre Seigneur JESUS CHRIST, et sa glorieuse mère. » (53)

Cette extase du 24 mai lui fut donnée bien à propos, par l’intercession de sa protectrice céleste. L’évêque s’était chargé lui-même de lui enseigner le catéchisme du P. Canisius, il la trouvait d’ordinaire parfaitement docile. Mais quand il en vint au chapitre de l’Eucharistie, il fut fort étonné, de la voir contentieuse contre sa coutume, sans savoir acquiescer à la vérité, et il ne put la convaincre. « Sur les deux heures de nuit, entre somme et veille, elle reçut une très belle vision… Elle voyait une haute échelle dressée vers le ciel, au sommet de laquelle, elle était: et soudain s’apparut un Ange vêtu de blanc… tenant en sa main dextre la sainte Hostie, et en l’autre le Calice, et lui disant: Voici le Dieu des chrétiens, auquel il faut vraiment croire… Et lors le ciel s’ouvrit et vit Notre Seigneur Jésus Christ », successivement dans sa gloire et en divers épisodes de la Passion. « Finalement vit la glorieuse Vierge Marie environnée d’une clarté admirable… » Et pendant son extase, elle proférait « paroles d’un coeur plein de paix, d’amour et d’espérance, protestante… ne plus jamais douter des points principaux… touchant la doctrine du vénérable Sacrement de l’autel ». Sa garde dut la dissuader d’exprimer encore la joie qu’elle ressentait, tant cette vision l’avait affaiblie. Le lendemain elle était incapable de marcher. Mais elle n’eut plus, dès lors, d’objections contre le dogme eucharistique. Cette vision merveilleuse y mettait une fin honorable (54).

La scène de l’exorcisme final mérite aussi qu’on y arrête un [p. 414] moment l’attention (55). Tout y fut préparé par la religieuse, qui réussit à lui donner une solennité et un pathétique hors pair.

Ce fut en sa vision du 12 novembre qu’elle fut avertie par sa sainte. « Elle a parlé à moi, dit Jeanne au chanoine Mainsent, et m’a enjoint que je vous aurai à déclarer, que il me reste encore un grand combat: lequel si je sais endurer, que je serai aujourd’hui délivrée. Toutefois pour ce qu’il sera grand, qu’il m’est nécessaire d’être assistée des prières de toutes les Religieuses de céans: lesquelles devront commencer à prier dès à cette heure, jusques à l’heure déterminée de Dieu: laquelle je sais, mais ai commandement de (les) point avertir, jusqu’à ce qu’elle sera venue, et lors je les ferai appeler, afin d’être présentes, durant ledit combat. » Ainsi les curiosités sont tenues en haleine, et les langues auront le loisir de répandre la passionnante nouvelle.

Elle envoie Mainsent faire rapport à l’archevêque. Elle annonce que ce sera à trois heures de l’après-midi. L’évêque convoque divers ecclésiastiques pour être témoins du dernier combat, met en prières les clarisses. Elle-même fait venir ses sœurs et les envoie prier à la chapelle jusqu’au moment décisif, où elles seront appelées en sa chambre. Celle-ci étant trop petite, on décide de transporter Jeanne « en un lieu plus ample, pour le nombre et la commodité des personnes, qui devaient être présentes au combat. » Elle-même, sur révélation, avertit ses exorcistes de ne se pas adresser par conjurations, aux diables, comme s’ils étaient en son corps, la possédant, ains seulement comme étant à l’entour d’elle en l’air la tourmentant ».

« Les trois heures sonnées après-midi, connaissant icelle, que c’était l’heure divinement assignée pour encommencer le combat, fit évoquer et entrer toute l’assistance. Et lors, S. Marie-Madeleine… s’apparut, et se mit au pied de sa couche, du côté dextre: où elle demeura sans se bouger ni parler, tant et si longuement que le combat dura. Et le reste de la place fut rempli d’une infinité de diables, pleins de rage et de furie ».

Un dialogue commence entre eux et Jeanne; on entend celle-ci leur répondre. Elle crie: « On me déchire, on me déchire. » L’évêque tenait devant elle le crucifix, lui suggérant des réponses de confiance et de foi aux mérites du Christ, qu’elle répète. « Après laquelle réponse, fut quelque espace, fardelante sa couverture, sans parler, à la façon des agonisants… Et se reclinante sur l’oreille, demeura coite, quelque temps. Et ainsi le combat [p. 415] prit fin… Lors S. Marie-Madeleine,… s’approcha de la Religieuse et lui dit: Louez Dieu, vous êtes délivrée. Dont la Religieuse joignit ses mains, et dit: Béni soit Dieu, je suis toute guérie. »

Suit un dialogue avec l’official, avec l’archevêque, par qui elle fait attester la réalité des phénomènes qu’elle a approuvés, des billets qu’elle a rendus. « Plusieurs ont réputé, que ce n’était que folie… Je proteste devant Dieu et devant tout le monde, qu’il n’y avait membre en mon corps, qui n’était lié et obligé » aux diables… Ce sont les propos qui lui avaient été révélés par sainte Marie-Madeleine.

Comme l’assistance reste ébahie, Jeanne invite tout le monde à rendre grâces à Dieu. On chante le Te Deum, l’archevêque prend l’étole, chante des oraisons, donne sa bénédiction. « Après laquelle, la patiente découvrit à toute l’assemblée, les cicatrices et griffures innumérables, qu’elle avait reçu des diables… et sa chemise pleine de sang. »

Pour une fille dont on nous dit que « son naturel… était d’entendre et de traiter volontiers choses hautes et grandes », quelle apothéose!

QUE CONCLURE ?

En achevant cette extraordinaire histoire, le lecteur branle la tête et se demande: Qu’en est-il en vérité? Pour parler plus précisément, deux questions se posent: celle de la réalité des faits ici rapportés, celle de leur caractère diabolique ou surnaturel. Traitons-en tour à tour, autant qu’elles peuvent se séparer.

Des deux sources réunies dans le livre édité par ordre de Louis de Berlaymont, il saute aux yeux qu’elles sont, au point de vue critique, de valeur très inégale. Le Discours rédigé par les exorcistes emporte la confiance, tout du moins pour la matérialité, l’extérieur des faits. Ils les racontent tels qu’ils les ont vus, ou ont cru les voir.

Toute autre est l’impression que laisse l’autobiographie de Jeanne. La tendance est manifeste: elle veut se faire croire et convaincre, elle réagit contre ceux qui s’y refusent, ainsi qu’elle avait fait dans ses déclarations à l’exorcisme final. Elle écrit à l’invitation de Marie-Madeleine et sous l’inspiration divine, comme elle le déclare à l’archevêque (56).

C’est elle qui d’ailleurs a provoqué l’oeuvre même des [p. 416] exorcistes. Dès le repas qui suivit le dernier exorcisme, « déclara en pleine table… les faits principaux, qu’elle avait perpétrés pendante sa possession. Lesquelles se redirent de bouche en bouche », non sans risque de déformation. Et comme, quelques jours plus tard, Mainsent lui reprochait de déclarer publiquement les secrets de sa conscience, elle répondit « qu’elle les pouvait bien publier, comme ayant reçu licence de ce faire, le 12e de Novembre précédent, entre autres choses, que lui déclara alors S. Marie-Madeleine, en sa longue extase: commandant même de bailler de sa part, pareille licence à ceux qui auraient le fait de sa conscience en charge ». Et elle continua de plus belle, « conduite d’un zèle ardent, à l’honneur de Dieu, lequel on ne pouvait empêcher en elle ».

Ce qui ne laissa pas d’embarrasser l’évêque et ses conseillers. Ils craignaient sagement que ces récits ne subissent bientôt des déformations dommageables. Le 25 novembre, l’évêque décida « de dresser un discours et rédiger par écrit, la vérité nue du fait: non pas toutefois à l’intention de l’imprimer… » Mais ils se trouvaient fort embarrassés, « trouvant l’entreprise fort difficile: parce que malaisément ils se pouvaient ressouvenir des choses passées », et spécialement des pactes écrits par la religieuse. Ils avaient tous été brûlés.

Une heure et demie après, nous dit-on, la sainte apparut à Jeanne, « étant seule en sa chambrette, ne sachante icelle rien de ce que s’était traité en la maison du Seigneur Archevêque: et lui dit: Ils sont en peine… prenez la plume et écrivez ce que Dieu vous inspirera ». Elle se mit aussitôt à l’oeuvre et l’acheva le 29 du même mois. Elle remit son travail à l’évêque, « déclarante qu’elle avait fait de sa part, le devoir, et qu’il lui convenait faire aussi le sien » (57).

L’évêque et ses conseillers ne doutèrent pas de l’origine surnaturelle de l’écrit qui leur était remis. Jeanne n’avait pas rappris à écrire, depuis que le diables Cornau lui avait enlevé toute connaissance. Cet argument suffit à les convaincre. Produira-t-il le même effet sur un psychiatre d’aujourd’hui? Cherchons d’autre critères.

Nous avons constaté déjà qu’il y a un accord général entre le récit des exorcistes et les faits qu’elle raconte de sa vie antérieure, et aussi, quelques menues divergences. Douée, comme [p. 417]on nous la décrit, « d’un très vif entendement et bon esprit », elle a pu arranger son récit d’après ce qui s’était passé, pendant ces semaines tragiques, en elle et autour d’elle. Pour les exorcistes comme pour nous, les faits antérieurs étaient incontrôlables. Et nous ne pouvons faire fond sur son témoignage unique.

Nous sommes donc rabattus sur l’honnête rapport des exorcistes. Ils ont manqué de finesse, malgré les airs qu’ils prennent de refuser d’admettre sans preuves et sans « grandes certifications et assurances » ce qu’elle leur racontait (58). Ils ne se sont pas rendu compte qu’elle les menait avec une audace et un bonheur croissants. Ils n’ont pas manqué de sincérité. C’est par eux qu’il sera peut-être donné de pénétrer le caractère des faits qu’elle rapporte, les phénomènes qu’elle subit, – ou qu’elle produit, – qu’ils constatent sans bien les comprendre.

Nous sommes donc autorisés à croire que les faits qu’ils racontent se sont présentés comme ils nous les présentent: déclarations de Jeanne, ses crises douloureuses, ses violences sur l’évêque, les dialogues qui par elle s’échangent avec les démons, cette étrange amnésie coupée de brusques ressurgences de ses souvenirs et de ses facultés. Bref, au cours des exorcismes, les choses se sont passées sous l’aspect qu’ils décrivent.

Cela suffit-il pour attester la vérité des récits de Jeanne sur ses possessions antérieures? Nul ne le pensera, sans doute, à moins d’admettre, avec Louis de Berlaymont et son entourage, le caractère surnaturel et diabolique des phénomènes qu’ils ont constatés. Abordons cette deuxième question, sans trop nous flatter de la pouvoir résoudre.

Nous cherchons un indice assez probant de l’intervention diabolique. Leur comportement, tel qu’il nous est décrit par Jeanne, n’a rien qui nous surprenne. En cette fin du XVIe siècle, âge d’or, si l’on ose ainsi parler, des diableries et de la sorcellerie, des histoires de ce genre passionnaient l’opinion, alimentaient les longues causeries du soir dans les maisons et les récréations des religieuses. Jeanne pouvait trouver là un matériel tout préparé, qu’il lui suffisait de mettre en oeuvre. Nous avons remarqué plus haut qu’il n’est pas question de sabbats, du moins en termes explicites. La possédée a pu se rendre compte que c’était dangereux; la justice civile s’en mêlait. Ainsi, vingt-cinq [p. 418] ans plus tard, le jeune Vincent de Paul a pu tirer parti, pour forger la légende de sa captivité tunisienne, des récits qui se colportaient, aux bord du Golfe du Lion, sur les pirates barbaresques (59).

Mais nous saisissons, semble-t-il, sur le vif, dans le rapport des exorcistes, des faits extérieurs, des transports mystérieux d’objets : ces pactes écrits, ces hosties que les diables saluent de leurs cris affreux, ces médailles antiques adorées comme des idoles… Ont-ils songé à prendre toutes les garanties nécessaires pour s’assurer que, vraiment, ces objets n’ont pu être apportés par des voies plus ordinaires? Tout cela se passe de préférence le soir, dans l’obscurité favorable à des tours de passe-passe.

Deux ou trois phénomènes extérieurs résistent mieux à l’examen critique. Je sont à cette « chair crue de charogne », que « lesdits malins lui apportaient, à la vue et en la présence des assistants » et dont ils lui remplirent aussitôt la bouche, avec une puanteur insupportable; à ces « vermines venimeuses », à cette « grande quantité d’ordures et de punaisies, cheveux et petites bêtes en forme de vers velus » qu’elle jetait par la bouche et les narines. Rappelons-nous encore ce carreau de vitre, celui-là même que l’évêque avait indiqué, cassé par le diable Cornau à son expulsion. Peut-on assigner à ces faits contrôlés une origine terrestre et humaine (60) ?

Les interventions de sainte Marie-Madeleine présentent, dans leur déroulement, une progression qui va des premières présences encore inaperçues, aux paroles surnaturelles qu’elle lui adresse, et de là aux extases qu’elle lui procure. Les points culminants en sont la dictée du billet destiné à l’évêque et la vision du Christ et de sa Mère (61). Mais comment se dérober à l’impression que [p. 419] ce billet est un artifice imaginé par cette fille ardente et ambitieuse pour se mettre dans l’entourage immédiat de l’évêque? Elle se rendit bientôt compte des difficultés qui s’opposaient à ce projet. De là ces crises de plus en plus violentes qui contraignent le bon évêque à réprimer les répugnances de son bon sens. Mais cette fille « douée d’un très vif entendement et bon esprit » sent qu’il lui faut réduire ses ambitions. Sa sainte vient bien à propos expliquer, en les réduisant, les exigences divines. Elle s’imposaient d’abord à lui « en quel lieu et place là où qu’il soit et sera toute sa vie »; ce fut ensuite pour une année. Et le jour de la délivrance, Jeanne se contenta d’exiger qu’il prit soin de sa conscience tant qu’il vivrait. Il n’est pas accordé à beaucoup de religieuses d’avoir un évêque pour directeur de conscience (62).

A quel parti s’arrêter ? Mystère de l’astuce diabolique ? Mystère de la psychologie féminine ? Les deux ensemble, peut-être. (63)

PIERRE BEBONGNIE C. SS. RR.

Notes

(1) Louvain, JEAN BOGART, 1586, petit in-8, 139 p. On signale aussi une édition à la même date, à Douai. Réédition : Discours admirable et véritable des choses arrivées en la Ville de Mons en Hainau, à l’endroit d’une Religieuse possédée et depuis délivrée. Mons, Léopold VARRET, 1745, petit in-8, 135 p. Comme l’indique l’Avis au lecteur, le style a été retouché, sans altérer le sens. Réédition dans Bibliothèque infernale de Bourneville, Paris, s. d. (vers 1880). Bourneville était élève de Charcot.

(2) Barbe Devillers fut élue supérieure des sœurs noires, au décès de Jeanne Gossart, en 1585, et le resta jusqu’à sa mort en 1620. cfr L. DEVILLERS, Notice sur le couvent des Sœurs Noires à Mons, Mons, 1874, p. 24. Extrait du Bulletin du Cercle archéologique de Mons, 3è série 6° bull., 1874.

(3) Reproduite dans le Discours, après la p. 137 (éd. 1586), p. 133 ss. (éd. 1745).

(4) Pièce conservée, en original, aux archives du couvent des Sœurs Noires à Mons. Je remercie ici la Révérende Mère Supérieure, qui m’a obligeamment fait voir ces archives et prêté l’ex. de l’édition de 1745. Nécrologe du couvent de Sœurs Noires à Mons, éd. Devillers, dans Notice…, p. 38. Jeanne Fery mourut le 16 février 1620. Le Nécrologe se contente de signaler son décès sans faire allusion à la tragique histoire qui nous occupe.

(5) Dans les citations à faire, dans mon texte, du Discours admirable, je ne m’astreindrai pas à reproduire l’orthographe, mais seulement le texte, la grammaire et la ponctuation. Je donnerai chaque fois deux références, la première, à l’éd. de Louvain, la deuxième à l’éd. de Mons 1745.

(6) Discours, p. 33 et 32; p. 31 et 30.

(7) Discours, p. 30 s. ; p. 28 s. On sait que dans ces colloques d’exorcistes et de diables, ces derniers se servent de la possédée comme d’instrument pour parler et agir. Dans le cas de Jeanne Fery, on ne voit pas bien si elle se montre consciente ou non de ce qui s’est dit au cours de ces entretiens. Il semble souvent que non. Quand les démons chargèrent par ses membres, comme nous verrons plus loin, le prélat et d’autres ecclésiastiques, de coups de poings et de pieds, elle ne se souvint pas ensuite de ce qui s’était passé. Discours, p. 63; p. 60.

(8) Jeanne Gossart mourut trois mois avant la fin des exorcismes, le 17 août 1585; Barbe Devillers lui succéda. On ne voit pas qu’une autre garde ait été donnée à Jeanne. – Le texte reproduit ci-dessus, Discours, p. 90 ; p. 87.

(9) Discours, p. 90-64; p. 87-91.

(10) Discours, p. 94-96; p. 91-93.

(11) Discours, p. 96; p. 93.

(12) Discours, p. 97 s.; p. 94 s. Les exorcistes et l’évêque ne semblent pas s’être posé la question de savoir si ces vœux, démentis à l’avance, étaient valides. Quand l’écrit de sa profession eut été rendu par le diable Namon, à qui elle l’avait livré, l’archevêque lui fit réitérer et ratifier ses vœux. Discours, p. 9; p. 8.

(13) Discours, p. 99; p. 96 s.

(14) Discours, p. 99-101; p. 96-98. Le texte reproduit, p. 102 s; p. 98 s.

(15) Discours, p. 103-106; p. 100-103.

(16) Discours, p. 107 s.; p. 103 s.

(17) Discours, p. 109-111; p. 106-108.

(18) Discours, p. 27; p. 24.

(19) Discours, p. 115 s.; p. 111-113. Redescendue en bas, elle trouve, nous raconte-t-elle, un « autre personnage » qui lui dit « qu’il n’avait point la folie des chrétiens, et qu’il adorait le Dieu d’en haut, mais non point le Dieu, qu’on portait en ses mains… Et disputant longtemps à deux, nous accordâmes fort bien ensemble… Étant fort joyeuse d’avoir trouvé telle personne, laquelle était selon mon opinion. » L. c. Les exorcistes se sont-ils enquis de ce personnage ? Une confrontation aurait peut-être donné quelques résultats.

(20) Discours, p. 114; p. 110.

(21) Discours, p. 116, p. 117 s.; p. 113-115.

(22) Discours, p. 123-125; p. 119-121.

(23) Cette préoccupation apologétique se fait jour dans les délibérations de l’archevêque avec son conseil, le 25 novembre 1585. Discours, p. 88 s.; p. 85. Des intentions de même genre animaient les exorcistes en d’autres cas semblables. On peut lire là-dessus les justes remarques de Bremond, Histoire littéraire du Sentiment religieux en France, t. V, p. 184 ss.

(24) Discours, p. 18; p. 16.

(25) Discours, p. 19 ss.; p. 17 ss. Il faut louer la discrétion des exorcistes montois, bien différente de l’exhibitionnisme fréquent à la même époque. Ces hosties furent discrètement consommées par Maisent à la communion de sa messe, les linges qui les enveloppaient furent brûlés par lui et les cendres jetées dans la piscine de la sacristie, avec les épingles qui les avaient tenus. Mais la relique de la vraie croix fut conservée et l’on s’en servira pour « mater et chasser d’elle autres diables ». On ne songea pas à présenter au public de nouvelles hosties « miraculeuses ». De même, les exorcismes ne furent jamais faits en public, mais généralement dans la chambre de la religieuse et en présence d’un petit nombre de témoins qualifiés.

(26) Discours, p. 108 s. et 29; p. 105 et 27.

(27) Discours, p. 119 ss. Et 29; p. 116 ss et 27.

(28) Discours, p. 27 ss.; p. 25 ss.

(29) Discours, p. 73 s.; p. 70. L’accident subi « aux parties nobles » ne fit qu’empirer durant l’année, et aboutit à une crise finale qui dura trois jours et qu’on décrit comme suit: « il la contraignit retenir le lit: vomissante trois jours, et crachante sang continuellement, ne pouvante avaler ni liqueur, ni substance aucune… » Le cas fut constaté par le médecin « et femmes à ce entendues » uniquement en cette circonstance, de sorte que nous ne sommes pas pleinement rassurés sur ce qui précéda.

(30) Discours, p. 82; p. 79.

(31) Discours, p. 11, 13, 16 et 32; p. 10, 11, 15 et 30.

(32) Discours, p. 14; p. 13.

(33) Discours, p. 23, 33-36; p. 21, 31-34.

(34) Discours, p. 35-37; p. 32-35.

(35) Discours, p. 40-43; p. 38-42.

(36) Discours, p. 88 s., 130 s.; p. 85 s., 126 s.

(37) Discours, p. 5 s., 24; p. 4 s., 22.

(38) Discours, p. 25, 39; p. 23, 36 s.

(39) Nécrologe cité, 15 février 1596, p. 26. Son monument est encore conservé chez les Sœurs Noires de Mons, avec une épitaphe qu’on trouvera dans DEVILLERS, p. 36. Sur Berlaymont, efr Dict. hist. et geogr. eccl., t. VIII, p. 507 s. Je remercie M. S. Thomas, qui prépare une étude sur les Berlaymont et a bien voulu me donner quelques renseignements précieux.

(40) Discours, p. 124; p. 120.

(41) Discours, p. 38; p. 35.

(42) Discours, p. 8, 12; p. 7, 10.

(43) Discours, p. 44; p. 42. Cette première relation est différente de celle qui est publiée dans le Discours; elle n’a pas été conservée. C’est une confession écrite rédigée pour l’archevêque et les exorcistes. Jeanne l’avait rédigée bien avant d’être réduite à l’état d’ignorance par le départ de ses premiers occupants. Cette confession fut lue en sa présence et en la présence de l’archevêque, par le chan. Mainsent. « Où il y eut difficulté au discours, elle la purgea fort pertinemment, étant tout le temps de la confession en fraîche mémoire des choses passées, et bon entendement et vif sens, sauf que pour la débilité de son cerveau, ne pouvait long espace de temps, vaquer à l’audition de la lecture… Dont fut nécessaire, distribuer le jour en diverses heure, … et prendre de la nuit », parce qu’il fallait, d’après ses dires, que tout fût achevé ce jour-là. C’est elle qui avait réglé date et manière de procéder, en alléguant les révélations de sainte Marie-Madeleine.

(44) Discours, p. 44 s.; p. 42 s. On explique de même pour quelles raisons l’évêque se chargea lui-même d’enseigner la doctrine chrétienne à Jeanne Fery, p; 58 ss.; p. 55 ss.

(45) Discours, p. 47-50; p. 46-49.

(46) Discours, p. 48-51; p. 45-49

(47) Discours, p. 54; p. 51.

(48) Discours, p. 60-63; p. 58-60. On ne peut s’empêcher de croire que le démon a bon dos, et que l’audace de la religieuse croissait à l’expérience de son pouvoir. Il est assez étrange, en effet, de voir les démons se charger, par leurs maléfices, de faire respecter les volontés divines signifiées par Marie-Madeleine, cette « méchante bougresse », comme ils disaient. On verra mieux encore à la Sainte Baume: un diable tenir de longs sermons sur les vérités éternelles pour convertir Madeleine Demandoulx. Cfr François DOMPTIUS, O. P., Histoire admirable de la possession et conversion d’une pénitente… Paris, 1613; et Jean LORÉDAN, Un grand procès de sorcellerie au XVIIe siècle, Paris, Perrin, 1912.

(49) Remarquons la date, deux jours après la mort de la supérieure. Sœur Barbe Devillers, la garde de Jeanne, lui succéderait sous peu. Il lui faudrait dès lors quitter la maison épiscopale pour prendre la direction de la communauté. En cette vision du 19 août, la sainte dit à Jeanne « qu’elle aurait à avertir son grand-père de chose grandement concernante le bien d’autrui, tant particulier que général. » Quelle est cette chose? Le texte ne nous le dit pas; il y a ici un silence calculé. N’étais-ce pas que l’évêque eût à mettre Barbe Devillers en la place de Jeanne Gossart? En vue de quoi, la possédée et sa garde reprendraient leur place au couvent. L’explication est séduisante, et nous mesurons du même coup l’habileté manœuvrière de Jeanne et le crédit qu’elle avait acquise sur l’archevêque. Discours, p. 69 s.; p. 67 s.

(50) Discours, p. 70 s.; p. 68 s.

(51) Discours, p. 84 s.; p. 80-82.

(52) Discours, p. 57, 75, 69; p. 54, 72, 66.

(53) Discours, p. 134 s.; p. 129 s.

(54) Discours, p. 66-68; p. 63-65. Dans les Révélations de sainte Brigitte, il est aussi question d’une échelle au sommet de laquelle monte un moine pour interroger Dieu sur des mystères. Dommage que nous ne soyons pas renseignés sur les lectures de Jeanne Fery. Birgittae Revelationes, Liber quaestionum.

(55) Discours, p. 77-78; p. 74-84.

(56) Discours, p. 87-89; p. 84-86.

(57) Comme on a vu, l’évêque et son conseiller ne pensaient d’abord qu’à une relation manuscrite et non imprimée, qui serait communiquée à quelques-uns qui en désiraient avoir l’intelligence ». On ne nous dit pas pourquoi ce premier projet fut modifié et le Discours remis à l’imprimeur. N’est-ce pas l’intervention « surnaturelle » de Jeanne qui les décida ?

(58) Ces « grandes certifications et assurances » étaient purement verbales. Il suffisait à la possédée de renforcer ses affirmations en les répétant et de piquer une crise de souffrances et de sang, pour les amener à se rendre. Au bout de quelques expériences de ce genre, ils ne doutèrent plus. Ils ignoraient l’art d’enferrer la voyante en l’amenant à se contredire par quelques questions innocentes. Cela s’est vu autrefois et s’est vu hier. Il suffit de se reporter à certains volumes de la présence collection pour s’en convaincre.

(59) Qu’il soit permis de renvoyer à des articles à des articles publiés dans la Rev. d’hist. eccl. de Louvain: La conversion de saint Vincent de Paul, et Vincent de Paul a-t-il menti? 1936, t. XXXII, p. 313 ss.; 1938, t. XXXIV, p. 320 ss.

(60) Le cas du carreau cassé peut avoir trois explications. Ou bien, ce sont les démons qui ont donné le signe réclamé par l’archevêque. Deuxième explication: un complice placé au dehors s’est chargé de cette partie du scénario. Troisième explication: Jeanne elle-même s’est acquittée de cette partie du programme. Notons les circonstances. L’exorcisme se fit sur les huit heures du soir, le 10 octobre; et la délivrance fut bientôt obtenue et les démons rapportèrent au lieu convenu – on ne nous l’indique pas, – le linge teint de sang et les pièces de chair. Ils demeurèrent néanmoins toute la nuit à tourmenter et affliger la fille. C’est seulement peu avant les six heures du matin, avant la pointe du jour, qu’ils sortirent et que le carreau fut cassé. Jeanne n’a-t-elle pas attendu que l’attention des assistants fût lassée et détendue par une longue veille ?

(61) Il a été question plus haut de cette vision, dont la description seule inspire la défiance. Et la complaisance avec laquelle Jeanne en parlerait plus tard, le 6 janvier 1586, comme on a vu plus haut, n’est pas pour dissiper cette impression. Les arguments que lui donne la sainte pour démontrer le caractère surnaturel de ses visions sont-ils pour elle ou pour les exorcistes ? Nous avons déjà remarqué comment elle se trahit chaque fois qu’il lui survient une extase. Il est vraiment difficile d’admettre que ses visions soient surnaturelles… et désintéressées.

(62) L’archevêque y gagna un surnom plaisant. François Vinchant raconte : « Les principaux diables qui la possédèrent se disaient avoir nom, l’un Garga, l’autre Cornau ; mais l’archevêque fut celui qui dès lors et jusques à présent toujours a été appelé par le menu peuple: Le bon diable des noires sœurs ». Annales de la province et comté au Hainaut, à l’année 1584. Mons, 1582, t. V, p. 319.

(63) N’est-il pas le lieu de citer Harnack ? « La possession défie souvent, encore à notre époque, une analyse scientifique et laisse chacun penser qu’elle met en oeuvre certaines forces mystérieuses. Il y a dans ce domaine des faits qu’on ne peut rejeter et qu’on ne sait cependant pas expliquer. » Die Mission und Ausbreitung… 3e éd. Leipzig, 1, p. 137.

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