Les causes psychologiques des résistances qui s’opposent à la diffusion des idées psychanalytiques. Le Disque vert. Par René Laforgue. 1924.

LAFORGUERESISTANCES0001René Laforgue. Les causes psychologiques des résistances qui s’opposent à la diffusion des idées psychanalytiques. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 95-98.

René Laforgue (1894-1962). Médecin et psychanalyste, en 1925 il fonde avec Angelo Hesnard et quelques autres collègues, l’Evolution psychiatrique. L’année suivante avec René Allendy et Edouard Pichon il fond la Société psychanalytique de Paris (SPP). Puis en 1927 il fonde avec quelques membres de cette nouvelle société, il fonde la Revue française de psychanalyse. En 1953 il rejoindra la Société française de psychanalyse, crée par Daniel Lagache et Jacques Lacan. Quelques publication de l’auteur :
– Contribution à la psychologie des états dits schizophréniques. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 45-50. (En collaboration avec )Angela Hesnard.  [en ligne sur notre site]
– (avec Angelo Hesnard) La Conception psychanalytique ou « instinctiviste » de la Schizophrénie. Extrait du« Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et de Pays de langue française – XXXe session, Généve-Lausanne, 2-7 août 1926, Comptes rendus », (Paris), 1926, pp. 211-215. [en ligne sur notre site]
– La pensée magique dans la religion. Article parut dans la « Revue française de psychanalyse », (Paris), tome septième, n°1, 1934, pp. 19-31. [en ligne sur notre site]
 Le rêve et la psychanalyse. Introduction de Mr le Dr Hesnard. Paris, Maloine, 1926. 1 vol.
– Libido, Angoisse et Civilisation. Trois Essais psychanalytiques. Paris, Editions Denoël et Steele, 1936. 1 vol. in-8°, 48 p.
– Devant la Barrière de la Névrose. Etude psychanalytique sur la névrose de Charles Baudelaire. S. l. [Paris], Les Editions Psychanalytqiues, 1930. 1 vol. in-8°,
– Freud et son génie. Article parut dans la revue créée et dirigée par Maryse Choisy, revue chrétienne de psychanalyse « Psyché », (Paris), 1e année, numéro 107-108, numéro spécial FREUD, 1955, pp. 457-466.[en ligne sur notre site]
– Psychopathologie de l’échec. Nouvelle édition revue. Paris, Payot, 1950. 1 vol. in-8°.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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LES CAUSES PSYCHOLOGIQUES
DES RÉSISTANCES QUI
S’OPPOSENT A LA DIFFUSION
DES IDÉES PSYCHANALYTIQUES.

Si l’on considère l’ensemble du mouvement scientifique contemporain, il est facile d’y démêler une tendance générale à passer des conceptions statiques aux conceptions dynamiques.

Dans chaque domaine scientifique, les vieilles conceptions statiques trouvent encore pour défenseurs non seulement les maîtres de la génération qui nous a précédés, mais encore ceux qui, parmi leurs élèves, ne savent que s’attacher aveuglément aux pas de leurs aînés.

La psychanalyse apporte dans la psychologie le même problème : aussi rencontre-t-elle les mêmes résistances. À ces résistances d’ordre général viennent s’en ajouter d’autres, plus particulières celles-là.

La psychanalyse s’occupe non seulement de nos qualités, mais également de nos défauts. Or, nous avons une résistance bien naturelle à voir ces derniers. Le juge qui doit se juger lui-même devient indulgent.

Le beau voile par lequel les hommes se masquent communément la réalité, soit pour la sentir moins cruelle, soit pour la faire évoluer, est déchiré par le travail psychanalytique ; de même le masque dont se servent si souvent les arrivistes de toute espèce pour [p. 96] tant de personnes qui parlent de psychanalyse, ne savent au fond pas de quoi il s’agit. Comme l’a dit très justement le professeur H. Claude, de Paris, dans ses leçons sur la psychanalyse : « beaucoup de personnes en partent et très peu la connaissent&. L’esprit spéculatif qui tient tant de place dans la psychologie se passe parfois trop facilement de l’expérience concrète. Il n’en est pour cela pas moins affirmatif. Au nom de l’introspection consciente, il croit pouvoir expliquer les phénomènes les plus complexes, même ceux de l’inconscient, desquels par définition il ne peut avoir conscience. Rien ne contrôle alors l’imagination qui aime à s’élever au-dessus des réalités pénibles, d’autant plus qu’ainsi elle croit trouver la clef de la solution des problèmes les plus mystérieux. Cette façon de procéder, de même que le rêve, considère trop facilement les désirs comme réalisés. En science, où il s’agit de discerner soigneusement les faits certains des faits probables, possibles ou impossibles, elle est des plus dangereuses, parce qu’elle s’oriente d’après les exigences de l’affectivité du sujet et non d’après les points de repère positifs. Bleuler, professeur de psychiâtrie à Zurich, a nommé cette forme de pensée soi-disant scientifique : la pensée déréistique. Dans un livre spécial, il démontre l’influence funeste qu’elle peut exercer particulièrement en médecine, où, malgré tant d’obscurité, nous sommes parfois forcés de trouver une théorie, une explication à tout, ne serait~-ce que pour tranquilliser le malade. Le grand inconvénient de cette orientation de [p. 97] battre monnaie de la crédulité publique, devient transparent. Les apparences derrière lesquelles s’abritent tant de nullités en science aussi bien qu’ailleurs, perdent de leur valeur et deviennent un abri fragile. Quiconque veut cacher quelque chose, soit aux autres, soit à lui-même, se sentira mal à son aise en face d’une méthode qui peut rendre ses efforts infructueux. Tout naturellement il tient à ses illusions et préfère continuer à illusionner autrui. Chacun est plus ou moins dans ce cas ; on ne peut le nier. Chacun pour cette raison admettra la psychanalyse avec plus ou moins de résistance. Les psychanalystes les plus convaincus y ont passé.

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Il répugne actuellement encore à notre vanité, malgré les travaux des darwinistes, de nous voir placés au même rang qu’un cobaye de laboratoire. Et pourtant le psychanalyste pour étudier l’instinct humain procède presque de la même façon qu’un entomologiste qui voudrait étudier l’instinct et les réflexes d’un insecte. L’un et l’autre laissent se produire les réactions de l’individu et cherchent à trouver leur déterminisme. L’un et l’autre parlent d’attirance et de répulsion et voient dans ces deux réactions les mécanismes qui règlent les échanges entre les différents individus. L’un et l’autre mettent en valeur le rôle du stimulus externe, c’est-à-dire le rôle des circonstances qui agissent sur l’organisme. Pour eux, l’homme et l’insecte deviennent un appareil à réflexes.

Puis il y a les phénomènes qu’on ne peut pas se représenter quand on ne les a pas vus. Voilà pourquoi [p. 98] l’esprit est de conduire le savant vers des appréciations superficielles qui semblent pouvoir le dispenser d’un travail laborieux et méthodique.

Or, quantité de faits constatés par la psychanalyse ne peuvent être démontrés qu’à ceux qui veulent se donner la peine de voir et de travailler eux-mêmes .

Aucun de ceux qui, pour une raison ou une autre, ne peut s’approprier une technique psychanalytique suffisante, n’est en état de contrôler les recherches du freudisme, et ne peut parler en connaissance de cause. Il peut émettre des opinions très intéressantes, mais reste à côté du problème véritable.

Pour toutes ces raisons, il est difficile de s’entendre entre psychanalystes et non-psychanalystes. Il faut se résigner à ce mal nécessaire. Inutile d’insister sur les inconvénients d’une telle situation où, malgré la plus grande sincérité de part et d’autre, les réactions violentes ne peuvent pas toujours être évitées.

Il m’a semblé nécessaire de préciser cet état de choses afin que tous ceux qui s’intéressent à la psychanalyse sachent à quoi s’en tenir quand ils voient les différentes opinions s’affronter d’une façon que souvent on ne saurait plus qualifier d’objective.

Dr RENÉ LAFORGUE.

 

JAMES JOYCE (Dedalus) :
« Sa mère avait une odeur plus agréable que son père. »

 

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