L’Envoûtement. Par Robert Teutsch. 1928. [Texte intégral]

TEUTSCHENVOUTEMENT0005Robert Teutsch. L’Envoûtement. Paris, J. Peyronnet & Cie, Editeurs, 1928. 1 vol. in-12, 87 p., 1 pl. ht. [Texte intégral].

Robert-Louis-Nicolas Teutsch (1878-19??). Médecin, licencié en droit, membre de la Société médico-chirurgicale de Paris, médecin consultant à Cannes.
Quelques publications :
— Le Féminisme. 1934.
— Essai de la prophylaxie des maladies vénériennes. 1902.
— L’Angoisse humaine, la religion, les temps présents. 1933.
— Les Écueils du traitement hygiénique et de l’éducation prophylactique publique dans la tuberculose pulmonaire. Paris, Imprimerie Vve Albouy, 1902.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé plusieurs fautes de grammaire et de typographie.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’ouvrage original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

L’ENVOÛTEMENT

« Horatio, il y a sur la terre
et ailleurs plus de choses que tu
ne l’imagine ! »
Hamlet, Shakespeare.

[p. 7]

La question de l’Envoûtement est tellement vaste, tellement complexe qu’elle fournirait encore la matière de plusieurs gros livres après tous ceux qui ont déjà paru sur ce sujet.

Essayons d’abord de définir aussi clairement que possible l’Envoûtement et ses proches parents, la Fascination. le Vampirisme, l’Obsession, la Possession.

L’Envoûtement est une forme de Télépathie, une suggestion à courte ou longue distance précisée par le désir et la force de volition de [p. 8] l’Envoûteur, exacerbée et développée par des imprécations, des incantations et autres procédés du Mal, en somme l’emprise d’une volonté sur la volonté d’un autre être, l’action de cerner, d’envelopper cette volonté et cet être tout entier, de s’enrouler autour d’eux pour s’en emparer entièrement dans l’Envoûtement d’Amour, ou comme un grand serpent autour de sa proie pour les étouffer et les broyer, dans l’Envoûtement de Haine.

Certains auteurs attribuent comme étymologie à 1’Envoûtement l’expression latine in volvere (s’enrouler autour), d’autres le mot latin vultus (visage, effigie), à cause de la Dagyde ou Poupée de Cire dont se servent beaucoup d’Envoûteurs en prenant soin auparavant d’y enclore une parcelle de la sensibilité de leur victime, d’y fixer leur suggestion maléfique et de la malaxer, de la modeler à l’effigie plus ou moins grossière de la personne qu’ils veulent atteindre. Cette poupée de cire constitue un Volt et le mot envoûter pourrait aussi signifier : enclore sa volonté coupable et la sensibilité [p. 9] de la victime dans un volt. Plus simplement encore, Envoûter pourrait dériver du mot latin volitio et signifier soumettre quelqu’un à sa volition, c’est-à-dire à un ou des actes par lesquels la faculté de vouloir se détermine à telle ou telle autre chose.

Louise Bourgeois - Envoutement.

Louise Bourgeois – Envoutement.

La Fascination ou Jettatura est le pouvoir qu’ont certaines personnes, inconsciemment ou consciemment, de nuire par le regard, des paroles réprobatrices ou louangeuses à un être humain, un animal ou un objet inanimé. La différence principale entre la Fascination et l’Envoûtement est que l’Envoûtement peut opérer à de longues distances, tandis que le plus souvent le Fascinateur n’est maléfique qu’en présence de l’être ou de l’objet qu’il fascine. Pourtant cette fascination peut se montrer si intense, si impressionnante qu’il lui arrive de provoquer chez le fasciné une véritable hantise, une obsession qui continue à opérer quand le fasciné se trouve loin du fascinateur, ne s’éteint qu’à la longue et ne demande qu’à se rallumer plus [p. 10] intense si les circonstances de la vie remettent le fasciné en présence du fascinateur.

Quelques animaux aussi fascinent par le regard : le chat et tous les félins, le serpent, le crapaud, l’aigle, le vautour, l’épervier, la chouette, et peut-être même les oiseaux plus petits fascinent-ils les insectes.

Le Vampire, d’après la Légende, est un Mort ou bien quelqu’Entité de l’Invisible qui la nuit vient sucer le sang de quelques humains endormis. En réalité, tout être qui, dirait-on, par une invisible pompe aspire et s’assimile la force neurique, la vie d’un autre être, fait du vampirisme.

L’Obsédé (du latin obsidere. assiéger) est l’individu dont l’esprit est hanté de façon passagère, assez prolongée ou bien permanente par une idée, souvent absurde, qui l’envahit, se met à dominer tout le champ de sa conscience, à l’empêcher de vivre d’une vie normale, à lui empoisonner souvent la vie ou à le griser d’une sorte de volupté douloureuse [p. 11] à lui faire commettre des actes regrettables ou répréhensibles, à le rendre complètement fou.

En plus des obsessions érotiques ou d’origine érotique avouées par les malades, le Professeur Freud prétend qu’à la base de toute psychopathie et plus particulièrement de toute obsession quelle qu’elle soit, se trouve une privation de plaisirs sexuels avec refoulement conscient ou inconscient des désirs ou contrainte extrême dans leur rare et rapide satisfaction. Le Maître viennois a exagéré, mais il est juste de dire que si la « libido » n’a pas une part prépondérante dans la genèse de toutes les névroses, elle conditionne beaucoup d’entre elles. Quelques médecins français s’en doutaient depuis longtemps, mais sous peine d’être honnis. aucun n’avait jamais osé le dire, du moins au grand public. Freud a eu ce courage et naturellement, venant de l’étranger, cette doctrine a été accueillie chez nous avec enthousiasme. La psychanalyse a du reste fait ses preuves dans la guérison de nombreuses maladies de l’esprit. [p. 12]

Loin de moi la pensée de vouloir dresser la formidable liste des obsessions de toutes natures. Je tiens seulement par quelques exemples à bien affirmer qu’il en est de nombreuses qui n’ont aucune base sexuelle. Si l’inspiration du peintre, du sculpteur, du compositeur de musique, du romancier et surtout de la romancière peut quelquefois n’être que de la sexualité transposée, il n’en est pas de même de celle de l’historien, du savant de laboratoire, de l’architecte, du mécanicien-inventeur. Tous ces cerveaux actifs, s’ils sont laborieux et consciencieux, en arrivent à être absolument obsédés, habités, hantés par leur œuvre en cours de conception et en cours d’exécution. Pour tout ce qui n’est pas cette œuvre, ils vont dans la vie pendant des semaines, des mois ou des années, comme des automates aux gestes distraits et à la pensée lointaine.

Il est de pauvres malades obsédés par leur mal, la peur de complications possibles, la peur de la mort et toutes sortes d’autres craintes qui semblent [p. 13] bien étrangères à leur maladie, mais cependant en découlent.

TEUTSCHENVOUTEMENT0003

Il est des femmes obsédées par la Mode qu’elles craignent de ne pas suivre assez servilement, il en est qui sont obsédées par la basse envie du luxe et des coûteuses vêtures et parures qu’elles voient chez d’autres femmes et qu’elles ne peuvent s’offrir.

II est, en religions. en politique, en art, en science même et dans la vie courante: des sectaires grotesques et odieux qui sont obsédés par leur désir forcené d’imposer à autrui leurs doctrines que seules ils jugent bonnes.

II est des cerveaux débiles et des criminels qui, surexcités par la malsaine publicité faite par la presse aux crimes et délits, deviennent obsédés du désir de commettre les mêmes crimes ou les mêmes délits.

Il est des coupables obsédés par le remords de leurs fautes.

Je connais une femme actuellement âgée, qui, très heureuse dans deux mariages où elle a eu la [p. 14] chance inouïe de rencontrer toutes les satisfactions sentimentales et voluptueuses qu’elle pouvait espérer, ne peut depuis sa première grossesse, survenue à l’âge de 24 ans, faire trois cents mètres à pied sans être obligée de s’arrêter au bord d’un trottoir, et d’y frotter vigoureusement sa semelle droite.

Une jeune femme de 27 ans, attachée à son mari et qui, désespérée de n’avoir pas d’enfants, a pendant huit ans fait de nombreux pèlerinages et consulté de nombreux gynécologues, devient enfin mère. Quatre mois après la naissance de son enfant, qu’elle allaite, elle est plusieurs fois par jour prise d’une impulsion très vive à étendre le petit être sur la grille ardente du foyer ; elle se rend parfaitement compte de la monstruosité de son obsession, mais il faut exercer sur elle une surveillance rigoureuse et de tous les instants pour empêcher un malheur.

Un employé, intelligent, travailleur, ponctuel, marié à une gentille femme qu’il adore et obligé [p. 15] de faire tous les matins un long trajet en métro pour se rendre à ses occupations, subit un jour en cours de route une impulsion irrésistible à descendre bien avant d’être parvenu à destination. Cette impulsion devient rapidement quotidienne et obsédante. Il arrive deux fois très en retard à son bureau et dès lors, afin que pareille chose ne se renouvèle plus il se condamne tous les jours à se lever de très bonne heure et à faire à pied le long trajet. Le soir il rentre tranquillement chez lui en métro sans jamais être assiégé par l’obsession.

Une femme de trente ans qui aime et est aimée ne sort jamais de chez elle sans remonter précipitamment son escalier pour vérifier une fois de plus (elle l’a déjà fait avant de sortir) si elle n’a pas laissé une lampe électrique allumée dans son appartement. Même loin de chez elle, au cours d’une soirée chez des amis ou au théâtre, cette crainte vient encore la tourmenter.

Un beau jeune homme de 26. ans à la [p. 16] moustache conquérante, vigoureux, aisé et avare, présente de temps en temps une sensualité qu’il satisfait chaque fois sans tarder dans une étreinte vénale de rencontre, sans souhaiter rien de mieux.

Les femmes de son monde et d’ailleurs qui auraient été heureuses d’ accueillir ses hommages en ont été pour leurs frais de coquetterie. Parfois il daigne faire signe à la joviale, belle et très complaisante jeune qui le sert, lui et l’excellente sœur beaucoup plus âgée avec qui il vit. Ce qu’il apprécie c’est surtout qu’elle consent tous les jours à l’habiller, à lui mettre et à lui lacer ses chaussures. Dans sa propriété campagnarde, il apprécie pareillement et à l’occasion des mêmes services la femme de son jardinier. Il utilise aussi, mais sans aucune pensée galante, le concours d’une dame qui lui fait la lecture et la conversation. Il possède un certain vernis, sait se présenter dans une réunion et pendant une demie-heure [sic], y dire les mots utiles et y faire les gestes usuels. II sait aussi faire de temps en temps une apparition dans le magasin [p. 17] de luxe provenant de ses parents et que sa sœur dirige avec beaucoup de compétence. C’est tout. Il n’aime rien ni personne. Dépourvu de culture, il n’occupe à quoi que ce soit d’utile ni son cerveau ni ses mains ; il n’a même pas le courage de lire, ne s’intéresse à rien qu’à ses repas où cependant il se montre très sobre, et traîne un désœuvrement lamentable. Tant que vit sa sœur, il est à peu près bien élevé. Après son décès et jusqu’à ce qu’il meure lui-même, dans un accident d’automobile, il devient sombre et rude. Depuis son enfance il avait une antipathie inconcevable pour les animaux de robe blanche, chevaux, chiens et surtout chats. A dater du décès de sa sœur, quand il rencontre un de ces animaux, surtout un chat blanc, il entre en une crise étrange, et surexcité, le visage vultueux, il se précipite chez moi, s’écrie qu’il va éclater et me réclame, suivant les jours, une saignée ou des ventouses scarifiées et un médicament calmant. Dès lors la crise s’atténue, mais elle ne s’éteint qu’au bout de deux ou trois jours. De [p. 18] plus, depuis fort longtemps, les rares fois où il était sorti tard le soir il ne pouvait jamais, contrairement à ses habitudes d’excellent sommeil, trouver en rentrant le moindre repos et jusqu’à dix fois descendait ses quatre étages pour. s’assurer qu’il avait bien fermé la porte de la rue. Et dès après son service militaire, il a été presque constamment obsédé par la crainte de marcher sur les pieds de quelqu’un ou de n’être pas assez poli ; il a été tourmenté par ces scrupules chez lui, dans un véhicule public, un magasin, un théâtre. Pendant près d’un mois, il s’est mis en tête qu’il avait écrasé un pied de ma vieille servante, qu’elle n’osait pas se plaindre et qu’il lui avait occasionnée des frais considérables d’objets de pansements. Je l’ai confronté avec elle sans réussir à le convaincre de

son erreur. Comme excédé à la longue par le récit de ses scrupules répétés, je l’engageai pour qu’il pût retrouver un peu de quiétude à gratifier cette brave femme d’un bon pourboire, il se fendit péniblement de deux francs, et ceci amena cependant [p. 19] ce résultat qu’ensuite il ne me parla plus jamais d’elle. J’ai tout fait pendant des années pour détourner le cours des pensées de ce malheureux qui, indéniablement, a beaucoup souffert, j’ai essayé chez lui toutes les variétés de suggestions, de discipline mentale et physique, je me suis efforcé de lui faire prendre goût au travail, à de petits ouvrages artistiques, aux objets d’art, à la musique, à l’équitation, aux voyages ; j’ai même tenté de lui faire scier et fendre du bois en lui montrant l’exemple. Tout, absolument tout, demeura inutile !

Dans un cas, comme ce dernier, d’obsessions répétées et prolongées et en 1’absence chez le malade de tares organiques et d’une ascendance alcoolique, syphilitique ou névrosée, je me suis demandé parfois s’il n’était pas possédé par quelque Entité maléfique ; je me le suis demandé, mais sans m’attarder à cette hypothèse comme en ce qui concerne quatre sujets dont j’expose plus loin l’observation.

La Possession, d’,après les Traités d’Occultisme, [p. 20] est l’état d’une personne qui se trouve actuellement sous le pouvoir de Satan et dans Ie corps de laquelle habite réellement le Diable lui-même ou plutôt s’est incarnée une des nombreuses Entités du Mal qui vivent dans l’Invisible, ou bien encore une Larve, c’est-à-dire non un Être, mais un embryon d’être, avide de se développer, de se parfaire.

Sans tomber dans cette « humanitairerie » sénile, bêlante et si dangereuse où se complaisent le snobisme et la veulerie modernes pour excuser et absoudre, ou bien punir de châtiments dérisoires les délinquants lesplus endurcis, les plus monstrueux criminels, il est permis de se demander si parmi eux il n’en est pas quelques-uns dont le Démon seul dirige les actes et qui pourraient être efficacement exorcisés par un prêtre. En tous cas la Justice anglaise fait voir que ses rigoureuses et expéditives méthodes de châtiments agissent vite et de façon durable, à la manière d’un véritable exorcisme sur un grand nombre d’individus animés [p. 21] de l’esprit du mal et dont la culpabilité est diverse.

TEUTSCHENVOUTEMENT0001

Les principales manœuvres d’Envoûtement ont lieu par :

La Dagyde ;

La Charge ;

Le Poison ;

La Mandragore ;

L’Enclouage ;

Le Nouement de l’Aiguillette ;

Les Messes Noires ;

Les Incantations sans aucun volt, mais avec appel au concours des Entités du Mal ;

La seule Volonté, impérieuse et tenace, sans volt et sans appel au concours des Entités de l’Invisible.

La Dagyde peut être une plaque de gélatine, un œuf pondu par une poule sans avoir été fécondée par le coq, mais elle est bien plus fréquemment la poupée de cire modelée comme je l’ai dit plus haut par l’Envoûteur, à l’effigie plus ou moins ressemblante de la victime, en ayant soin de l’envelopper [p. 22] d’imprécations, d’incantations, de suggestions, d’y enfermer une photographie de la victime ou un ou plusieurs des objets suivants provenant de son corps même ou ayant été en contact intime et si possible prolongé de ce corps : cheveux, poils, rognures d’ongles, sang, morceau de chemise, lainage, mouchoir, bas.

Cette dagyde, nantie parfois, grâce à la complicité d’un prêtre, des sacrements du Baptême et de la Confirmation est employée dans l’Envoûtement d’Amour et dans l’Envoûtement de Haine. Dans le premier, l’Envoûteur l’embrasse, la caresse, la malaxe, adjure la victime ou plus souvent lui commande de se laisser aimer, de l’aimer éternellement ou de lui revenir si elle l’a abandonné sans esprit de retour ; dans le second, il la frappe, la pince, l’écrase, la fait fondre légèrement à la flamme, la pique avec plusieurs épingles sur le corps entier ou bien une ou plusieurs épingles sur une région toujours la même et les y laisse enfoncées, puis il range soigneusement la Dagyde et le [p. 23] lendemain ou quelques jours après, la tire de sa cachette et renouvelle ses adjurations, ses commandements ou ses imprécations, ses brutalités. D’autres Envoûteurs mettent la Dagyde dans leur poche ou leur sac, ne s’en séparent plus, et se livrent sur elle plusieurs fois par jour quand ils sont seuls et même la nuit, à leurs machinations d’amour ou leurs gestes de haine qui doivent au même moment enflammer d’Amour et contraindre au servage, amoureux, ou bien frapper, pincer, écraser, brûler ou piquer la victime.

La Charge est un volt qui peut être un œuf non fécondé ou une taupe, une souris, une chauve-souris, un crapaud, un serpent, un lézard, une tortue. Ce volt est préparé soit contre les humains, soit contre les animaux et ce sont les sorciers des campagnes, surtout les bergers et certains rebouteux qui le pratiquent. C’est uniquement un envoûtement de nuisance. Revêtue soit d’un objet ayant été en contact avec la future victime humaine, soit de poils, de laine, de plumes provenant [p. 24] d’un ou plusieurs animaux d’une écurie, ou s’il s’agit d’un futur envoûté humain, seulement revêtu parfois d’imprécations à son adresse, mais avec au préalable une fascination de la victime par le regard à défaut d’un rapport plus direct établi par un contact, la Charge, afin que l’envoûté « prenne le sort » est enterrée dans un chemin où il a l’habitude de passer, ou même, quand ce sera possible, sur le seuil de sa maison. Elle sera, s’il s’agit d’animaux, enterrée sur le seuil de leur écurie, dans le couloir central de cette écurie, dans l’un des chemins où ils ont l’habitude de passer, ou dans un pré où ils vont pâturer. Il est des sorciers pour placer une charge dans le sommier d’un 1it, une cheminée abandonnée, un coin sombre, élevé et peu accessible d’un logement, l’épaisseur d’un vêtement, tous endroits où ils supposent qu’on ne les découvrira jamais. Au XVIIe siècle, le berger Hocque se servait pour tuer les bestiaux, d’une charge qui n’avait pour pièce de résistance ni un œuf ni aucun des animaux cités ,plus haut, mais [p. 25] une mandragore accompagnée de fragments d’hostie, de riz, de sang de porc, le tout arrosé d’eau bénite et enterré au seuil des étables. Et d’autres objets encore sont employés pour confectionner une charge.

De loin en loin, dans un cimetière de France ou d’ailleurs, on découvre, enfoui à une faible profondeur un cœur de veau ou de mouton en putréfaction, percé d’un grand nombre d’épingles et de clous : c’est le volt d’un individu qui a jugé à propos d’envoûter soit un mort ou une morte vis-à-vis de qui sa rancune n’est pas éteinte, soit un vivant, généralement un amoureux qui s’est enfui sans esprit de retour et dont il veut se venger ; c’est un envoûtement de haine que l’on croit rendre plus efficace en enfouissant le volt dans un cimetière.

Citons encore une curieuse façon d’envoûter : le sorcier qui a réussi à se procurer pour un temps assez bref un oreiller, ou un coussin de sa future victime les découd habilement et, avant de les recoudre, se livre sur une partie du crin ou des [p. 26] plumes à un minutieux travail. Il en fait de toutes petites touffes qu’il relie les unes aux autres par un fil ou une ficelle très mince et un nœud soigneusement fait, de façon à obtenir deux petites barres réunies en X ou en croix, qui doivent opérer à la fois par leurs nœuds destinés à créer sans cesse de sérieux obstacles à la victime et par la volition maléfique dont l’Envoûteur a chargé ces petites barres de crins ou de plumes devenues de la sorte un volt, une Charge.

D’après la tradition, dans l’Envoûtement par le Poison et celui par la Mandragore, l’Envoûteur évoque obligatoirement les Elémentals, puis il oblige ces Entités accourues de porter à la victime et de lui volatiliser au nez pendant son sommeil le poison pénétrant et soigneusement distillé ou de lui communiquer les coups portés à la mandragore.

L’Enclouage consiste à enfoncer violemment un clou soit dans l’empreinte que vient de laisser à terre la personne ou l’animal à enclouer, soit, un jour de beau soleil, dans leur ombre portée. Ce [p. 27] maléfice destiné à rendre très malade le pied, ou en cas d’ombre portée la région du corps sur laquelle a agi le sorcier se pratique en Europe, mais ce sont surtout les indigènes de Madagascar, de l’Indo-Chine et de certaines peuplades nègres qui y excellent.

TEUTSCHENVOUTEMENT0004

Le Nouement de l’Aiguillette, usité surtout en catimini dans les Églises un jour de mariage, a pour but de rendre le marié impuissant.

Les répréhensibles Messes Noires sont habituellement célébrées dans un hut d’hommage collectif à Satan. Mais il peut arriver que, plus monstrueuses encore, elles le soient en faveur d’un unique individu, dans une intention d’Amour ou de Haine comme celles où officiait le sinistre abbé Guibourg sur les ordres de la Montespan, et constituant ainsi des manœuvres caractéristiques d’Envoûtement.

Les Incantations sans aucun volt, mais avec appel au concours des Entités du Mal sont le fait des sorciers et sorcières professionnels ainsi que des Envoûteurs amateurs ou occasionnels qui n’ont pu [p. 28]se procurer aucun objet ayant touché la personne à envoûter et sont persuadés que le concours des Elémentals leur est indispensable.

A la seule Volonté impérieuse et tenace actionnée à certaines heures, dans certaines conditions, ont recours ceux d’entre les Envoûteurs qui dédaignent à la fois toutes espèces de volts et le concours des Elémentals.

Que faut-il, si l’on ne veut recourir aux ElémentaIs, pour mettre en marche un Envoûtement ?

Il faut pour la Dagyde et la Charge que l’Envoûteur ait à sa disposition un objet ayant intimement touché la future victime, objet qu’il enclôt dans de la cire, de la gélatine, du velours de laine ou qu’il lie autour d’un des animaux cités plus haut. cire, gélatine, velours de laine ou ces animaux étant au plus haut point condensateurs de force neurique. Il est indispensable; dans l’Envoûtement par la seule volonté, de prendre d’abord contact avec le sujet à envoûter. En ce cas, l’Envoûteur cherche avidement l’occasion de [p. 29] saisir, ne fût-ce que l’espace d’une ou quelques secondes une main ou les deux mains de sa future victime ; un simple et furtif attouchement d’une épaule, d’un bras, d’une jambe, d’un pied peut suffire à amener l’emprise d’un corps Astral sur un autre, ainsi que la seule prise du regard ; cette dernière, en public, conduit tout à fait exceptionnellement un individu à l’hypnose complète, mais le met pour plusieurs jours ou plusieurs semaines dans un état, si je peux m’exprimer ainsi, d’hypnose éveillée, c’est-à-dire d’hypnose si atténuée qu’elle n’est pas incompatible avec les actes machinaux de la vie courante, mais est suffisamment forte cependant pour venir mettre la victime à la disposition de l’opérateur.

Le Fascinateur inconscient ne se doute pas des ravages qu’il est susceptible d’occasionner. Le Fascinateur conscient oublie le plus souvent sa victime dès qu’elle se trouve hors de sa présence. L’Envoûteur, par prise de contact directe d’une partie du corps de sa victime ou par prise du regard [p. 30] qui est également un contact, devient particulièrement redouté puisqu’il aggrave ce contact, cette fascination, cette emprise de son Corps Astral sur celui de sa victime, et souvent une soustraction instantanée au détriment de cette dernière d’une partie de son énergie moléculaire, de sa force neurique, par la dynamisation d’une action à distance fortement volontaire et tenace.

Une fois l’Envoûtement mis en marche, que se passe-t-il chez l’Envoûté réceptif, c’est-à-dire le sujet sensitif et vibrant,.ou passif et incapable de

réagir, ou inconscient ? Il devient triste, inquiet, plus ou moins agité ou, au contraire, abattu, assez souffrant ou tout à fait malade. L’Envoûtement trouble son équilibre moléculaire, affole et dérègle ses courants nerveux, mine sourdement, mais sûrement tout l’organisme ainsi que la volonté par l’épuisement du corps et le ravage de l’âme.

Quelles heures choisissent les Envoûteurs pour leurs maléfices ? Celui qui fait une Charge la prépare de nuit, et en général de nuit la dépose ou [p. 31] l’enterre à l’endroit qu’il a choisi, puis ne s’en occupe plus. L’auteur d’une Dagyde la manipule de nuit ou bien aussi, avons-nous dit, s’il la conserve dans sa poche ou son sac, à n’importe quel moment du jour.

L’Evocateur des Entités du Mal n’opère que de nuit. Celui qui envoûte par sa seule volonté opère surtout ou exclusivement de nuit. La nuit, les rues des villes, et dans les campagnes, les routes, les chemins et les bois sont déserts ou à peu près déserts, la plupart des gens sont endormis, les machines électriques de l’industrie, les courants électriques qui alimentent la lumière, les téléphones et télégraphes ne sont que peu utilisés, il en est de même des ondes hertziennes et de toutes les autres ondes mystérieuses et inconnues qui nous viennent de la Terre, des astres et d’ailleurs, qui sillonnent l’atmosphère et nous frôlent ou nous traversent, mais donnent l’impression, trompeuse peut-être, d’être au moins partiellement assoupies.

L’atmosphère est plus calme, les ondes puissantes [p. 32] du cerveau humain traversent mieux l’espace, se projettent mieux au loin qu’en plein jour et atteignent mieux leur but, c’est-à-dire la victime.

La nuit favorise encore en ceci les Envoûteur qui opèrent au moment où ils ont lieu de croire leur victime bien endormie : le Corps fluidique d’un être humain atteint son maximum de rayonnement pendant le sommeil : c’est alors qu’il entre en relations avec le Plan Astral, plus encore au moment où il est en train de s’endormir et au moment où il va se réveiller. C’est donc pendant son sommeil qu’un individu est le plus apte à subir les machinations de l’Envoûteur qui peut lui transmettre non seulement ses ordres, mais ses sentiments et ses sensations. Certains Envoûteurs, parmi ceux qui utilisent un volt, savent même provoquer une sortie partielle de l’Astral de leur victime et attirer sur le volt la partie extériorisée. Et il est des sensitifs qui, même sans s’y être entraînés préalablement, même sans le savoir, se dédoublent plus ou moins fréquemment durant leur sommeil [p. 33] et vont fluidiquement au devant de leur tortionnaire qui n’a pas beaucoup de peine à prendre pour les attirer.

Que faut-il penser de l’efficacité des manœuvres d’Envoûtement ? Faut-il la nier ou, au contraire, y croire aveuglément ? Il convient de n’accueillir l’énoncé de ces faits qu’avec la plus extrême circonspection, mais de ne pas les nier d’emblée et de parti-pris.

La plupart des Envoûtements sont inopérants et cela est heureux, mais ils ne sont pas tous inopérants et dans ce cas constituent le plus lâche, le plus abominable des crimes, un crime qu’aucune loi de notre Code n’atteint plus. Pendant trois cents ans on a pendu et brûlé tantôt quelques sorciers isolés, tantôt en masses parfois compactes, au petit bonheur, les sorciers et les simples suspects de sorcellerie. La Magie était à ce point devenue une hantise et un sport que des mesures de défense sociale semblaient s’imposer, mais, ainsi qu’il arrive souvent, la répression s’est affolée et a considérablement [p. 34] dépassé le but. De nos jours, la justice ignore et veut systématiquement ignorer les manœuvres infâmes des Evouteurs, qui sourdement minent et consumes des malheureux et provoquent chez les victimes des maladies lentes et mystérieuses auxquelles la Médecine ne comprend rien, des apoplexies ou des morts subites attribuées à une soi-disant apoplexie, des morts plus impressionnantes et plus bizarres encore.

Il faut bien dire cependant que les Envoûteurs sont punis autrement que par les lois humaines. La plupart d’entre eux dont leurs Envoûtements triangulaire, c’est-à-dire qu’ils prennent la précaution, pour le cas où ils n’atteindraient pas la personne visée, de se préserver du Choc en retour en désignant d(avance un animal (chat, souris, tortue) ou un objet, généralement un récipient rempli d’eau, destiné à le dévier d’eux et à le recevoir. Cette précaution, en générale suffisante, est absolument inefficace contre un Contre-Envoûtements bien fait. Il meurt en ce cas d’un seul coup, [p. 35] tombant comme une masse ou tordu pendant quelques instants de convulsions étranges, s’agitant et hurlant comme certains possédés ; ou bien encore ils sont minés pendant quelques semaines après le Contre-Envoûtement par un mal sournois, incompréhensible à tout le monde, mais qu’ils comprennent quelquefois parfaitement et qui, dans un délai de quinze jours à deux mois, rarement plus long, les mène inéluctablement à la mort, une mort contre laquelle, annihilés, écrasés, ils n’ont même plus la force de réagir.

Les Evocateurs d’Entités du Mal, absolument comme les Spirites qui s’imagine évoquer les esprits désincarnés des Morts évoque le plus souvent la Folie et tous les Envoûteurs quels qu’il soit, s’ils ne meurent pas d’un Contre-Envoûtement ou s’ils ne deviennent pas fou, s’ils ne deviennent pas, ainsi qu’il arrive souvent, possédé de l’Amour qu’ils se sont acharnés à vouloir faire exploser chez autrui, ou corrodé par la haine qu’ils nourrissent et développeront en eux, succombent [p. 36] après une vie maudite, maudite même si elle est en apparence brillante, heureuse, à de pénibles maladies du foie et surtout du cœur, à la tuberculose, au cancer, au suicide ou à quelque mort violente. Ils n’échappent jamais à une justice immanente qui bien que lente parfois à se manifester n’en est pas moins vigilante et efficace.

N’oublions pas de dire en passant que, même sans faire aucun Envoûtement, les personnes qui occasionnellement ou habituellement sont haineuses, en veulent à quelqu’un au point d’en perdre l’appétit et le sommeil, développent dans leur organisme des poisons qui équivalent, dans une certaine mesure, à un choc en retour. Il faut donc s’efforcer, et l’on peut y arriver souvent, de devenir indulgent, philosophe, optimiste quand bien même ce ne serait que dans un intérêt bien compris, pour ne pas se faire de mal à soi-même.

Il a défilé chez moi bien des gens qui se prétendaient envoûtés ou possédés. Dès l’abord ils apparaissaient en général comme des déments [p. 37] vulgaires ou des simples d’esprit ou bien leurs appréhensions ne résistaient pas à un examen un peu approfondi. Beaucoup de personnes qui s’imaginent être envoûtées sont seulement atteintes, ainsi que le pensait déjà le Docteur Gérard Encausse (Papus) de dispersion ou de dissociation plus ou moins douloureuse et plus ou moins consciente de leur force astrale, lesquelles occasionnent chez eux une anémie et un épuisement nerveux souvent inquiétants et tenaces.

Hans Bellmer - Envoûtement.

Hans Bellmer – Envoûtement.

Pourtant j’ai connu quatre cas absolument indéniables d’Envoûtement sur des êtres humains, un cas d’Envoûtement sur des animaux et quatre cas où le diagnostic de Possession, sans être aucunement certain, pouvait cependant être envisagé comme assez vraisemblable.

En un temps où l’occultisme ne m’intéressait guère et où je n’avais sur ce genre de connaissances que quelques vagues notions, je ressentis en quelques semaines à trois reprises, des malaises singuliers, le troisième d’une autre nature que les [p. 38] deux premiers, particulièrement angoissant par une totale paralysie et tel qu’à aucune autre époque de ma vie, ni auparavant, ni depuis lors je n’ai jamais rien éprouvé de semblable. Chacun de ces deux premiers malaises dura quelques heures ; le troisième ne fut que de quelques minutes et comme j’avais à cette époque un moral très optimiste, dès le lendemain je n’y pensai plus. Le jour même de mon troisième malaise auquel elle n’avait pas assisté et sur lequel je ne m’étendis pas, une mienne amie rentrée depuis peu à Paris m’accompagnait dans un court voyage médical et dans le compartiment de chemin de fer où nous nous trouvions seuls, pendant une conversation très gaie, ressentit soudain un rnailaise étrange et se serra contre moi, les yeux effrayés en s’écriant : « J’ai peur, j’ai peur ! » Cette amie, très bien portante, de cerveau parfaitement équilibré et totalement ignorante des choses de l’occultisme se mit peu à peu à présenter les signes d’une maladie consomptive inconnue, puis elle dut s’aliter, ne songeant plus à manger [p. 39]ni même à boire et hébétée n’ouvrit plus la bouche que pour s’écrier de temps en temps : « J’ai peur, j’ai peur. » De quoi ? Elle n’en savait rien. La malade n’avait pourtant pas de fièvre. Un confrère éminent voulut bien venir la voir. Comme moi il n’y comprit absolument rien et très simplement me le dit. Cette bizarre maladie se prolongeait sans que rien pût en faire prévoir la fin, quand un après-midi je reçus chez moi une de mes clientes qui n’était pas venue depuis longtemps et qui avec insistance me demanda des nouvelles de ma santé. Comme un peu étonné je lui répondais que j’allais bien, elle me dévisagea, hésita, puis : « Alors tant mieux, si vous n’·avez pas été malade ! Savez-vous ce que la vieille Mademoiselle V… m’a dit ? (et je n’y ai pas cru) : « Puisque le Docteur ne fait pas attention à mes avances, je m’en vais lui coller quelque chose dans la peau ! » Pétrifié, bouche bée, je ne sus d’abord que répondre, puis très vite ces quelques mots me furent un trait de lumière : Mlle V… m’avait [p. 40] certainement envoûté ; cela n’avait agi que peu sur moi, mais par ricochet mon amie avait été sérieusement et durablement malade. Une grande colère me prit puis survint chez moi un grand calme, le calme lucide et froid avant-coureur des résolutions inébranlables. Le lendemain soir, amplement documenté, j’avais appris à faire un Contre-Envoûtement. La nuit qui suivit, je renvoyai consciencieusement à Mlle V… ses maléfices. Au matin, mon amie que j’allai voir vers 11 heures, sortant de son engourdissement, demanda à manger. Les deux nuits qui suivirent, je contre-envoûtai encore Mlle V… Le lendemain du deuxième Contre-Envoûtement mon amie se leva un peu vacillante, mais l’œil décidé et s’écria : « Je suis guérie ! » Le lendemain du troisième Contre-Envoûtement que je pratiquai comme les deux premiers sans en piper mot, elle voulut absolument sortir en voiture et le fit sans trop de fatigue. Sa santé, très vite, redevint parfaite et plus jamais n’a rien présenté de semblable. Mlle V… mourut [p. 41] cinq semaines après mes opérations de défense magique. Est-elle morte de mon Contre-Envoûtement ou d’autre chose ? Je n’ai jamais cherché à le savoir.

Le deuxième cas que j’ai observé concerne une de mes clientes, Mme Z… Jolie, les yeux froids et durs, l’allure hautaine, la parole habituellement sifflante et autoritaire, veuve, riche et oisive, j’avais eu souvent depuis deux ans qu’elle venait dans mon cabinet, de furieuses envies de lui cesser mes soins, tant elle m’était désagréable, pénible ; puis en quelques semaines elle maigrit beaucoup, ses yeux perdirent leur éclat, et un jour, n’en pouvant plus, elle me raconta que depuis près de trois mois, elle était la maîtresse, elle était la proie d’un homme qu’elle n’aimait ni ne désirait et qui, malgré sa correction apparente, lui inspirait une t’erreur irraisonnée et de tous les jours. Sceptique et froid, je n’attachai pas grande importance à cette histoire, mais la santé de Mme Z… se troubla de plus en [p. 42] plus et elle daigna me dire qu’elle ne se sentait un peu rassurée que chez moi, puis un jour elle s’écria : « Il me semble que cet homme m’envoûte, il a dû m’envoûter, dès le premier jour où je l’ai vu en fonctions au guichet de l’administration où je suis de temps en temps obligée de me rendre pour mes affaires. J’ai beau me révolter, lutter, il m’englue de plus en plus et me tiendra jusqu’à ma mort. Je lui ai offert une somme d’argent pour qu’il me laisse tranquille ; mais il a refusé en me toisant avec dédain. Je me suis enfuie une fois en Belgique, une autre en Suisse. Toujours il m’a fallu revenir très vite. je n’ai pas pu m’en empêcher, et lors du retour de chacune de mes fugues il serre d’un cran de plus l’étau dans lequel il me broie moi et ma volonté ! » Je lui conseillai de faire encore un essai de séjour en Angleterre, l’atmosphère marine étant peu favorable à la transmission des fluides. Cet essai n’ayant guère mieux réussi que les précédents, je l’engageai à mettre l’Océan Atlantique entre son [p. 43] persécuteur et elle et naturellement à tout faire pour lui laisser ignorer son adresse. « Justement, me répondit-elle, j ‘ai une sœur mariée là-bas, à X… et il l’ignore. Pourquoi n’irais-je pas la rejoindre ? » Elle y fut. Tenant absolument à me montrer son tortionnaire, elle me l’avait amené une fois. C’était \ln petit homme plein d’assurance, d’une tête au moins plus petit qu’ elle, maigre, mais large d’épaules, très brun de poils, au teint olivâtre, aux yeux noirs immobiles, aux cheveux plats, portant au menton le bouc des chasseurs à pied. Elle était partie depuis plusieurs semaines pour l’Amérique du Sud quand un soir il se présenta chez moi à la fin de ma consultation. De même que Mme Z… il ne m’inspirait aucune sympathie et vu l’heure avancée il m’eût été facile de l’éconduire. Une brusque intuition m’avertit que j’allais apprendre quelque chose d’intéressant : je le fis asseoir et j’écoutai. Il était là, devant moi, affalé comme une loque, absolument possédé de cette femme, dont il avait été le rude et implacable [p. 44] possesseur, absolument possédé d’elle depuis qu’il avait eu la certitude qu’elle était très loin et qu’il ne réussirait plus à la faire revenir. Et très facilement je le confessai, il ne demandait que cela, il n’était venu que pour cela : parler d’elle, se décharger d’un fardeau trop lourd ! D’origines extrêmement modestes, taciturne et sobre, le grand plaisir de sa vie avait été de lire, de lire énormément. Les ouvrages concernant l’Éducation de la Volonté, le Magnétisme personnel, l’Hypnotisme, l’avaient particulièrement captivé. Sans avoir jamais fait aucune expérience l’idée lui vint un jour de fasciner Mme Z… en la voyant venir à son guichet, et il continua, pendant qu’elle évoluait à d’autres guichets, de lui faire à quelques mètres la suggestion mentale qu’il venait de lui faire quelques minutes auparavant quand elle était devant lui, ses yeux agrippant ses yeux à elle. Sans douter un seul instant de lui-même, il avait en un éclair, décidé que cette femme deviendrait sa maîtresse et son esclave, et dans sa pensée, [p. 45] orgueilleux et vexé d’occuper une situation qu’il jugeait très inférieure à ses mérites, il attachait certainement du prix à la conquête sexuelle de Mme Z… mais beaucoup moins qu’au succès d’une expérience et à ce qu’il considérait comme devant être une revanche sociale. Pensez-donc, quand on n’est qu’un petit employé sans avenir, conquérir et étreindre une femme si fortunée et si distante ! Il paya sur ses économies une Agence pour se renseigner sur le genre de vie, les habitudes de la dame, s’arrangea pour se trouver dehors à plusieurs reprises sur son chemin, mais se garda bien de l’aborder avant qu’il la jugeât mûre pour cela. Quand elle revint à son guichet, il sentit que son mauvais charme n’opérait pas encore ; il la laissa venir encore deux ou trois fois : elle semblait impassible. Commençant à se lasser, il se mit dès lors à l’envoûter toutes les nuits par la volonté accompagnée d’incantations magiques. Dès lors, elle se mit à faiblir peu à peu tout en s’efforçant de le braver, puis un soir, à la sortie d’un grand [p. 46] magasin où il l’avait suivie discrètement depuis une heure, il l’aborda carrément et elle fut à lui sans plus chercher à se défendre. Ce qu’il me dit de ses conjonctions sexuelles avec Mme Z… concordait exactement avec ce qu’à mon extrême surprise, elle m’avait appris elle-même, ce Fascinateur ne se signala jamais avec elle par la fougue ni par la grande fréquence de ses assauts amoureux ; il était en amour un homme très ordinaire et à l’heure du berger se montrait peu loquace. Seulement un peu après chaque conjonction, luisait dans ses yeux la joie mauvaise, sadique, de s’être accouplé avec cette femme étendue là, appartenant à un milieu qui lui était inaccessible, et qui, il le savait bien, le détestait et ne pourrait jamais l’aimer. Estomaqué, je considérai cet individu sans trouver tout d’abord un seul mot à lui dire, puis humble et voûté, l’Envoûteur devenu possédé d’amour, me décrivit ses tortures et me demanda, à défaut de mon absolution laïque au moins quelques consolations. Je lui conseillai de solliciter les [p. 47] secours de la religion et surtout de faire une sérieuse et sincère pénitence.

Quatre mois après la visite de cet homme, la guerre éclatait. Il y fut tué au début de 1915. Mme Z… dont cette aventure a notablement adouci le caractère, s’est remariée, fixée à l’étranger et collabore aux occupations de son époux. Cela ne l’empêche pas de revenir me voir tous les ans et de s’intéresser vivement aux choses de l’Occultisme. Depuis plusieurs années elle me pousse à écrire ce petit livre. Je viens de lui en faire lire le manuscrit et elle m’a instamment prié de ne pas changer un mot aux pages où son cas est exposé avec une peut-être un peu brutale franchise.

Ma troisième observation a trait à un ingénieur d’une grande intelligence qui, par surcroît jouissait d’une excellente santé lorsqu’à 40 ans passés ayant rencontré l’Âme sœur, il décida de se marier. Comme il avait à plusieurs reprises manifesté l’intention de ne jamais convoler en justes noces, cette nouvelle étonna quelque peu ses amis et sembla [p. 48] contrarier assez violemment la seule proche parente qui lui restât et qui de seize ans plus jeune que lui était normalement sa seule héritière éventuelle ; mais une fois passé son premier mouvement visible de mauvaise humeur, elle continua à lui faire bonne figure chaque fois que de Paris il se rendait dans la localité où elle habitait et où lui-même avait conservé une propriété. Bien mieux, elle se mit à l’accabler de prévenances et d’attentions, dont mon client se défiait d’autant moins que la jeune fille était elle-même fiancée et que son mariage s’annonçait proche avec un jeune homme du pays qu’elle aimait depuis longtemps, mais que des dissentiments de famille l’avaient jusque là empêchée d’épouser. L’ingénieur de si belle santé se mit à présenter des malaises étranges (picotements douloureux et sensations de brûlures en diverses régions du corps, angoisses soudaines et inexplicables, terreurs nocturnes) qui ne se dissipèrent plus et qui s’aggravaient immédiatement après chacun de ses voyages à X… Il avait déjà consulté [p. 49] deux de mes confrères de Paris et un de province qui n’avaient découvert chez lui absolument rien d’organique quand un de mes clients me l’adressa. Comme mes confrères, je ne découvris chez lui aucune lésion, mais après l’avoir fait revenir à plusieurs reprises et l’avoir minutieusement considéré et étudié j’acquis la conviction que cet homme était envoûté.

Désireux de se débarrasser à tout prix de ses inquiétants malaises, et ne sachant plus qui consulter, il se prêtait docilement à tous mes examens, répondait exactement à toutes mes questions. Je le priai de me laisser inspecter son appartement un dimanche après-midi ; rien ne m’était apparu de suspect et j’avais à nouveau examiné minutieusement toutes les photographies qu’il pouvait posséder de sa famille et de ses amis, ainsi que des spécimens de leurs écritures, quand enfin il me présenta une lettre péniblement obtenue de sa jeune parente qui, contrairement à la plupart des femmes, avait eu toute e sa vie une grande répugnance à [p. 50] écrire. En confrontant le portrait de cette dernière et son graphisme, je fus fortifié dans ma pensée première que c’était elle l’auteur de tous les malaises de mon client et à brûle-pourpoint je lui demandai quels vêtements il avait portés sur lui et ùis dans sa valise lors de ses derniers voyages à X… Je passai encore quelques instants à examiner et à palper ces trois complets et j’allais renoncer à mes investigations quand je découvris au niveau d’une doublure d’un veston quelques points de couture plus serrés et moins bien faits que partout ailleurs. L’ingénieur ne se souvenait pas d’avoir eu quelque chose de décousu à cet endroit ; en quelques coups de ciseaux je m’emparai d’une épaulette américaine destinée à corser une épaule et, bien dissimulé dans le rembourrage, je découvris un objet petit, oblong et peu épais d’où émergeaient un morceau de cure-dents et quelques cheveux et qui étaient certainement un volt. Sans le disséquer, je le fis glisser dans un papier, engageant M. A… à le jeter incontinent dans le feu, mais [p. 51] non sans l’avoir préalablement averti que la combustion de l’objet, devait, d’après la tradition, provoquer la mort de l’Envoûteur. Ce mathématicien qui était à la longue devenu aussi sérieusement inquiet que bizarrement malade eut cependant alors un haussement d’épaules et un long éclat de rire ; il prit délicatement le papier avec des pincettes pour jeter le volt au feu, puis brusquement se ravisa et me demanda s’il n’y avait pas autre chose à faire qui fût aussi efficace. Il fallait agir vite : je poussai donc l’objet dans une boîte en étain qui se trouvait sur la cheminée ; ficelai solidement, et du haut d’un pont (il faisait nuit) nous jetâmes prestement dans la Seine le contenu de la boîte. M. A… poussa un grand soupir d’aise. Je l’engageai à ne pas passer la nuit chez lui et à faire dès le lendemain matin une désinfection soufrée de son appartement. Dès le lendemain il était, et dans la suite demeura guéri. Mlle S… qui habitait à plus de 200 kilomètres de Paris fut prise d’un grand malaise le soir même de notre découverte [p. 52] du volt et ne quitta le lit qu’après plusieurs semaines sans être remise d’un mal auquel aucun médecin n’a rien compris. Quelques mois après, elle mourait en couches. M. A… se maria, partit avec sa femme aux Colonies où s’offrait à lui une situation enviable et eut deux beaux enfants. Plusieurs années après l’Envoûtement dont il fut l’objet il est mort des suites d’une affection coloniale.

Mme L.. a 33 ans. C’est une blonde agréable, pas sotte du tout, vive et gaie, aimable et facile à vivre. Elle est mariée depuis trois ans à un fonctionnaire âgé de 44 ans, n’a pas d’enfants et habite Paris avec son mari. Bourgeoise et ponctuelle, elle va tous mardis déjeuner et passer l’après-midi avec sa mère qui, veuve et bien portante, mais de caractère très entier, s’est installée· dans une pension de famille de la proche banlieue pour y terminer ses jours. Dans la salle à manger, elle rencontre à diverses reprises un certain K…, homme mince, blond, chauve et élégant, âgé de [p. 53] 38 ans, dont la maîtresse vit à la pension. Il fait la cour à Mme L… et un jour où elle abrège sa visite, il s’arrange pour rentrer à Paris avec elle. Très vite alors il devient son amant, un amant peu fougueux, pas plus fougueux que Mme L… dont la sensualité reste avec lui ce qu’elle est avec son mari, c’est-à-dire bien médiocre. L’aime-t-elle ? Elle n’en sait rien. Quand il est près d’elle, il la domine ; quand il est loin, elle se sent presque soulagée. K… est caissier d’un industriel. Très joueur, il a constamment besoin d’argent, à la fois pour son vice et pour sa maîtresse de la pension.

Il emprunte à Mme L… de petites sommes, puis de plus grosses qu’il s’abstient de lui rendre. Sur ces entrefaites, M. L… est envoyé dans une Colonie et, naturellement, voudrait emmener sa femme. Elle s’y refuse. Un an se passe. Mme L… est de plus en plus sous la domination de K… et de plus en plus elle s’endette. Avec infiniment de difficultés je la décide un jour à se rendre aux appels pressants de son mari. Mais elle ne fait [p. 54] pour ainsi dire qu’aller et venir : les serpents venimeux, les énormes crapauds, les innombrables lézards de toutes tailles, les grosses mouches agressives l’impressionent. Dès son retour, K… la travaille pour qu’elle demande le divorce et lui promet de l’épouser. La procédure est déjà très avancée quand arrive la nouvelle du décès de M. L… Et quelques mois après meurt aussi la vieille mère de Mme L… Cette dernière lui laisse entre autres biens une jolie maison dans Paris, agréable, bien exposée et d’un coquet rapport. Mme L… s’empresse d’aller y occuper un appartement. K… lui fait vendre à peu près tous ses titres et s’en approprie le montant. Puis, à diverses reprises, il vole dans la caisse de son patron. Il est sur le point d’être coffré. Elle hypothèque sa maison, et va elle-même désintéresser l’industriel.

Les sages conseils de son notaire, les miens, tout demeure inutile. Mme L… maintenant a l’aspect tantôt d’une somnambule, tantôt d’une folle. Quand la maison est hypothéquée jusqu’au toit [p. 55] puis vendue, Mme L… se réfugie dans une chambre meublée, où K… vient la voir de temps à autre. Après la chambre meublée, ç’est un galetas humide et sombre à Belleville. K… espace de plus en plus ses visites. Mne L… n’a plus rien, et elle a faim. Pour manger, elle s’essaie à faire des ménages dans son quartier, mais elle s’y montre maladroite ; elle s’essaie à faire de la couture, mais elle a l’esprit ailleurs. K.., ne vient plus, ne donne plus signe de vie : il s’est marié à l’étranger et la laisse sans ressources. Elle n’a plus aucun ressort. Cette femme, autrefois distinguée et fortunée, est devenue une pauvresse sale et loqueteuse, une épave ! Enfin, c’est la folie et il faut l’interner ! Peu après, K… est contraint de se suicider.

Voodoo priestess [Envoûteuse]

Voodoo priestess [Envoûteuse]

K… s’était-il livré sur Mme L… à des manœuvres d’Envoûtement ? Je n’en ai eu aucune preuve et à vrai dire je ne le pense pas, autant du moins que j’ai pu, uniquement d’après ses photographies de Mercurien maléfique, me faire une opinion sur ce triste personnage. Mais Mme L… n’ayant été [p. 56] poussée vers lui ni par un désir intense ou même moyen ni par un grand Amour, il me paraît certain que cet individu l’a tout au moins fascinée par son regard, sa voix et son verbe, et cette fascination répétée a eu la force, a provoqué l’emprise d’un véritable Envoûtement.

Il m’a été donné aussi d’assister dans une ferme isolée de l’ouest de la France à la levée d’une Charge qui avait été enfouie sous le seuil, d’une étable. Tous les animaux y étaient devenus subitement malades d’une affection inconnue et mouraient les uns après les autres ; ceux qui vivaient encore revinrent à la santé peu de jours après la levée et la combustion de la charge. L’auteur de la Charge ne put être identifié avec certitude, deux individus également suspects, un homme dans un village et une femme dans un autre étant décédés ce soir là.

Arrivons maintenant aux cas de Possession assez vraisemblable. Mme Aurélia était une brave [p. 57] femme de 67 ans. Elle me fut adressée par un de mes confrères qui ne savait plus que lui prescrire et dont elle était devenue le cauchemar. Toujours vêtue de noir, coiffée d’une capote à brides de velours comme on n’en voit plus que dans quelques lointaines campagnes, elle avait des yeux gris clairs enfoncés dans leur orbite, mornes, immobiles, sans regard et qui vraiment n’avaient rien d’humain. Travailleuse infatigable, elle vendait quelque chose dans un lointain marché et se plaignait d’être, la nuit surtout, tourmentée par les Esprits qui ne la laissaient pas dormir. Pourtant cela, ne l’empêchait pas d’habiter seule une très petite maison, assez rassurée qu’elle était de savoir la maisonnette voisine occupée par un artisan et sa femme, laquelle lui servait de confidente. Elle avait presque constamment des sensations de brûlures et de piqûres dans la tête, les bras, les jambes, la poitrine, le dos, le ventre et présentait par périodes de quinze à vingt jours, au-dessus du sein gauche, des stries rouges, lisses et indolores qui, [p. 58] certains jours, se réunissaient très intimement et dont l’ensemble ressemblait à la patte griffue d’un chat. Ces stries, tout en s’atténuant, ne disparaissaient jamais complètement, puis rougissaient à nouveau. Elle présentait aussi une zone d’anesthésie totale au niveau de la grande courbure de l’estomac, mangeait peu, mais digérait admirablement. Après qu’elle m’eut supplié de me rendre chez elle pour chasser les Esprits de sa demeure, opération pour laquelle je ne me sentais pas qualifié et à laquelle je me refusai, je l’engageai plusieurs fois à voir un prêtre ; elle s’y refusa toujours farouchement. Pendant des mois, je lui donnai des soins attentifs qui la calmaient, mais jamais pour plus de trois ou quatre jours. Elle mourut des suites d’une chute grave faite dans son dur travail.

Mlle Elodie était une petite femme bizarre, aux paupières sans cesse clignotantes et âgée de 27 ans. Sans être atteinte de la moindre maladie des yeux, elle s’asseyait toujours soigneusement à contre-jour, et une fois assise, tout son corps s’agitait, se [p. 59] trémoussait pitoyablement. Elle me donna dès l’abord l’impression saisissante d’une chauve-souris ou d’un oiseau de nuit pris au piège. Venue chez moi à l’instigation de la directrice d’un cercle psychique, elle me demandait des consolations et un remède contre ses souffrances physiques et les obsessions qui Ia torturaient jour et nuit. Habitante d’un faubourg éloigné, elle me dit être la maîtresse d’un assez grossier courtier en bétail. Quel goût il devait avoir M. le courtier ! Cette femme, à la menstruation normale, à la sensualité nulle, non seulement présentait des zônes multiples d’anesthésie cutanée, mais dès que je la touchais en dehors de ces zones nettement délimitées, ou bien elle s’endormait presqu’instantanément et profondément si le temps était beau et sec, ceci avant même que je me fusse décidé à tenter un traitement hypno-magnétique, ou bien si le temps était orageux ou simplement couvert, pluvieux, elle inclinait d’abord à s’endormir, puis après une sorte de lutte, piquait des crises nerveuses plus ou moins violentes au cours [p. 60] desquelles elle se roulait sur le, sol en criant qu’elle souffrait et en proférant avec des mots incompréhensibles entremêlés d’interjections nettement ordurières, des menaces non pas à l’adresse du courtier, mais de quelque Entité. Ni salivation, ni bave. Ni morsure de la langue, ni larmes, ni émission d’urines involontaire pendant la crise, ou nécessaire et volontaire après elle, mais pour terminer la crise une sensation prolongée de chair de poule ou une hémorragie nasale. Je n’étais guère satisfait des progrès réalisés dans le traitement de cette pauvre femme qui me fatiguait énormément et qui, comme la précédente, refusait absolument d’aller se confier à un prêtre, quand un jour, à mon ébahissement, elle me déclara que son amant prenait ombrage de mon autorité et qu’elle ne viendrait plus qu’une fois. Elle me demandait, pour cette dernière consultation, de lui permettre de m’amener une dame qui, elle aussi, avait besoin, paraît-il, de mes conseils, puis elle s’en fut sans m’en dire davantage. Cette malheureuse me [p. 61] laissait chaque fois dans un état de malaise irrité qui me poussait après son départ à ouvrir toute grande la fenêtre et, quand c’était possible, à sortir pour mieux respirer. Elle revint donc m’amenant Mlle Irmine, une femme dans son genre, mais un peu malade, blonde fade aux yeux bleus délavés et immobiles, à la face blafarde et, aurait-on dit, pétrifiée. Cette femme de qui émanait, comme de Mlle Elodie une radiation maléfique était comme elle maîtresse du courtier. Manifestement elles se détestaient, mais les faisant vivre, il les avait contraintes d’habiter ensemble afin que leur entretien lui coutât moins cher ; lui habitait une chambre meublée du quartier latin et venait quand il avait le temps, passer un ou deux jours avec elles, mais lors de chacune de ses visites, il les terrorisait, leur enlevant toute énergie de réagir, de s’enfuir. de conquérir leur liberté en travaillant.

Un instant ma curiosité en éveil me souffla le désir de voir et d’étudier le type étrange que devait être leur amant. peut-être bien quelque goëtien de [p. 62] campagne, mais je réfléchis vite qu’il était préférable d’en rester là. Ces deux créatures étaient peut-être envoûtées ou seulement fascinées par cet individu, mais elles m’apparaissaient comme véritablement hors de l’humanité, égarées ici-bas et habitées chacune par quelque trouble Entité de l’Invisible. Je m’ingéniai encore à leur donner quelques conseils. Quelques années après j’appris qu’Imine était décédée, qu’Elodie avait dû être internée et que le courtier était mort subitement en chemin de fer.

Mme Agathe avait, quand elle vint pour la première fois me consulter, 38 ans. Son aspect décent et assez froid est celui d’une commerçante considérée. Ses yeux dont l’un des iris porte deux minuscules taches noires, sont intelligents et énergiques. Elle respire la santé ; certes ce n’est pas une sentimentale et je doute fort que ce soit une sensuelle. D’une voix calme, posée, et un peu assourdie elle me raconte que depuis la mort de son mari, survenue trois ans auparavant, elle a [p. 63] pris sa suite dans la direction de leur petite industrie de la banlieue, que ses affaires lui donnent toute satisfaction, mais que depuis un an elle a l’étrange sensation de la présence en elle, d’abord intermittente puis à peu près continue d’une personnalité étrangère qui vit, mange, circule, commande, prend des décisions contre lesquelles sa personnalité vraie s’insurge le plus souvent en vain, décisions qui n’ont eu jusqu’à présent aucun effet fâcheux, mais dont elle commence à craindre l’incessant renouvellement et les suites peut-être regrettables. Un médecin déjà consulté lui a dit brutalement qu’elle est hystérique et, peu après, un deuxième lui a conseillé de se remarier. Malgré elle, elle a pris un amant dont elle n’a eu à se louer en rien et dont à grand-peine elle vient de se débarrasser. Sa sensualité, affirme-t-elle, a toujours été nulle.

Dans ses antécédents, il n’y a ni maladie grave, ni émotion violente, ni accident d’aucune sorte.

Tous ses organes sont sains, ses fonctions [p. 64] menstruelles parfaites. Je ne puis noter qu’un étrange besoin qu’éprouva pendant toute son enfance cette femme qui n’a rien d’une lunarienne, de s’asseoir longuement ou de cheminer longuement au bord de la rivière qui passait près de son village ; l’eau l’attirait intensément, mais pas au point de l’inciter à s’y jeter comme je l’ai observé dans d’autres cas. Les deux taches noires de l’un des iris m’ont révélé déjà qu’elle est « médium ». Je découvre aussi chez elle deux zones de totale anesthésie cutanée. l’une sous l’omoplate droite, l’autre au sommet de la tête. Je lui fais deux séances de dégagement par des passes digitales et des pointes ainsi que des applications de la couronne aimantée. Au cours de la troisième séance, je la plonge sans difficulté et assez vite dans un profond sommeil, à la fois par le regard et des passes magnétiques. Elle recouvre le repos de ses nuits et de ses matinées ce qui est déjà appréciable, mais ses après-midi sont toujours pénibles, sauf ceux où elle vient recevoir mes soins. Pendant trois semaines [p. 65] un voyage l’empêche de venir. Puis, en état d’hypnose, elle en arrive à me décrire l’Entité qui habite en elle et qui, m’annonce-t-elle un jour, s’apprête à lui faire commettre des excentricités regrettables. Dès lors je lui conseille de se confier à un prêtre et de se mettre docilement entre ses mains ; elle ne demande pas mieux, mais elle a bien du mal à en découvrir un qui consente à se convaincre qu’elle était sans doute possédée et qu’il y a lieu de tenter de l’exorciser. Il l’adresse à un de ses collègues mieux qualifié pour le faire. Elle se montre docile, mais devant l’Officiant a plusieurs fois de violentes révoltes accompagnées d’un hululement sinistre. Consciencieux et tenace, le prêtre ne se laisse pas décourager et mène son œuvre à bien. Mme Agathe est redevenue parfaitement quiète, elle ne sent plus en elle aucune présence étrangère ; sa guérison liturgique tient bon depuis deux ans passés.

Beaucoup d’Aliénés semblent dominés par une Entité extérieure à laquelle leur être est obligé de [p. 66] se soumettre. D’autres n’ayant ni l’aspect glacé d’Aurélia ni la lucidité d’Agathe et beaucoup plus agités qu’Elodie semblent l’incarnation permanente et irrémédiable de quelque monstrueuse larve. Certains Envoûtements rendent fou l’Envoûteur ou l’Envoûté. La pratique, frénétique du spiritisme rend fou. Les Romains appelaient la folie « troupeau de larves » et disaient d’un fou qu’il était « rempli de larves ». L’Église catholique, ainsi que dans les siècles passés, admet la Possession, tout en n’aimant pas beaucoup en parler ni que l’on en parle. Elle ne refuse pas de secourir les possédés et elle y a du mérite, car il est dangereux d’exorciser, et l’Officiant ne réussit pas toujours à se garer contre l’Entité mauvaise qu’il veut parvenir à désincarner. N’importe quel prêtre sait pratiquer un Exorcisme, mais en France certains Diocèses ont, et ceci depuis les temps les plus lointains, un exorciste spécialement désigné.

Quant à la science officielle, elle nie absolument la Possession, comme elle nie en ricanant [p. 67] tout ce qu’elle ne comprend pas, ce qu’elle est encore incapable de comprendre. Elle envoie les délirants à la douche, les enserre dans des camisoles de force, les bourre de bromures, de gardénals, de borosodines. Pour de nombreuses variétés de psychopathies elle a inventé des noms ronflants et baroques ; c’est à peu près tout ce qu’elle a su faire. De même que la vie en commun ou les relations fréquentes avec un être vicieux ou qui simplement raisonne de travers, sont nocives, l’épilepsie et la folie sont contagieuses. J’ai vu des médecins et des infirmiers de fous devenir eux-mêmes de véritables aliénés par réception inconsciente de vibrations fluidiques morbides de leurs pensionnaires, mais cette contagion est encore bien loin d’être officiellement admise. Pourquoi, quand on ne sait plus que faire pour toutes ces catégories de pauvres souffrants ne pas tenter de recourir à un Exorciste ?

TEUTSCHENVOUTEMENT0010

Il est des êtres parfaitement lucides et travailleurs qui, leur vie durant, ou pendant une très [p. 68] grande partie de leur vie, semblent le jouet de forces mauvaises, de quelque sombre fatalité qui sans trêve ni merci s’acharne sur eux et tout ce qu’ils entreprennent. Nous en avons tous connu de ces authentiques et perpétuels malchanceux qu’il est facile de différencier de ceux qui sont malheureux par leur faute, des incurables paresseux et des perpétuels geignards qui ont l’air de chercher du travail en souhaitant secrètement de ne pas en trouver et ne peuvent se maintenir nulle part en place, et de ceux en qui un œil plus exercé peut reconnaître des descendants d’alcooliques, de syphilitiques, d’aliénés, de prostituées, de pervers et de vicieux. Il en est, parmi les authentiques malchanceux, si dignes de pitié, qui ont la sensation, les uns obscure, les autres plus précises qu’une ou des Entités de l’Invisible s’acharnent sur eux, les envoûtent ; les plus évolués se résignent tristement à leur sort, convaincus qu’ils paient pour quelque lourde faute d’un de leurs ascendants ayant mal vécu. [p. 69]

D’autres encore, gagnant péniblement, mais suffisamment leur vie matérielle, ont un mal inouï à se maintenir en équilibre, ne pouvant jamais tabler sur rien ni sur personne, les difficultés les plus imprévues, les hostilités les plus inattendues surgissant à chaque instant sous leurs pas, ne leur laissant jamais de repos et les plongeant dans une angoisse douloureuse qui devient chronique et dont bien des fois ils souhaitent d’être délivrés par la mort.

Beaucoup de ces malchanceux intéressants présentent cette particularité remarquable que sans en vouloir à personne ils attirent un dur et rapide châtiment et souvent des calamités et une mort atroces sur ceux qui leur font du mal. Maintes fois j’ai vu, et avec un émerveillement toujours renouvelé, les agresseurs, les détracteurs de ces pauvres êtres, ou simplement les gens qui leur témoignaient de l’ironie, du mépris, être à leur tour frappés par le Destin, avec la rigueur en quelque sorte automatique de certaines balles projetées [p. 70] vigoureusement contre un mur et qui reviennent blesser rudement en plein visage, celui qui les a lancées.

Ainsi que tout le monde pourrait s’en rendre compte, mais sans que personne, sauf quelques penseurs ait songé ou songe à regarder et à réfléchir, le Vampirisme, la Fascination, l’Obsession, l’Envoûtement, font partie de la vie de tous les jours :

Pendant la gestation utérine, le fœtus, l’enfant vampirise sa mère, s’assimile constamment sa substance et sa vitalité ; il en fera de même ensuite (s’il est nourri au sein) en tétant le lait de ses mamelles. Chose curieuse, ce genre de vampirisme est le seul qui ne soit pas nocif, bien au contraire !

La vieille femme qui dort avec son petit-fils ou sa petite-fille pompe fluidiquement et sans s’en douter leur force vitale et les étiole.

Souvent dans le mariage ou dans l’union libre l’un des partenaires n’est que le vampire du corps et de l’âme de l’autre. [p. 71]

Pendant les rapports sexuels exagérés dans ou hors le mariage, la femme vampirise l’homme et parfois aussi, mais plus rarement, l’homme vampirise la femme. Dans un couple homosexuel, l’un des partenaires vampirise intensément l’autre et le pousse plus ou moins vite vers la tombe. Le masturbateur frénétique masculin ou féminin se vampirise, se diminue lui-même.

Dans la vie d’une famille, au cours de relations simplement amicales, d’une réunion scientifique, mondaine ou banale de la vie en commun, dans un dortoir de lycée ou de pensionnat, une chambrée régimentaire, une pension de famille, un hôtel, un restaurant, un théâtre, entre gens qui se connaissent ou ne se connaissent pas du tout il se produit des phénomènes silencieux de vampirisme ; il y a des vampires et des vampirisés. Il y a des êtres, les Sensitifs s’en rendent compte parfois, dont la seule présence vous pompe positivement la vie.

Dans les rues circulent mystérieux et en d’assez nombreux endroits se rencontrent les despotes [p. 72] d’âmes et de chairs que sont les Fascinateurs des deux sexes. Inconscients ou conscients de leur pouvoir et même sans aucune arrière-pensée sexuelle leurs yeux vous lancent le lasso d’un charme presque douloureux ou plus souvent vous infligent un indéfinissable et affreux malaise. Ils peuvent aussi se trouver ou se glisser dans le cercle étroit de la famille ou de l’amitié, maléfiques non seulement par leur regard, mais par leur parler louangeur bien plus souvent encore que par leurs paroles réprobatrices. Et sans même qu’il vous fixe, sans même qu’il vous parle, il émane une fascination pénible et maléfique d’un être froid, hautain ou corrompu.

La Discipline si nécessaire, si indispensable dans toutes sortes de domaines, fait un Envoûteur de celui qui commande, un Envoûté de celui qui obéit.

Dans la Famille, cellule obligatoire de toute Société organisée, les enfants subissent l’emprise, l’Envoûtement des parents, l’époux le plus faible de caractère subit l’envoûtement de son conjoint, [p. 73] certains parents en admiration béate devant un ou plusieurs de leurs enfants, ou étant trop lâches, trop veules pour exercer leur autorité deviennent absolument envoûtés par cet enfant ou ces enfants.

Dans une Administration, une Affaire, une Entreprise quelconque, un Régiment, une Réunion scientifique, artistique ou politique, un Cercle ou un Salon mondain et même une simple conversation isolée, il y a des Envoûteurs et des

Envoûtés, ceux qui prennent l’ascendant et ceux qui le subissent, ceux qui ne se résignent pas à le subir et ceux (ils sont légion) qui l’acceptent ou le subissent sans même s’en rendre compte.

Entre deux êtres qui sont amis ou quelque chose d’approchant, il n’y a jamais fraternelle égalité, l’un des deux domine, l’autre est dominé, c’est-à-dire Envoûté et n’a généralement pas le courage de réagir. II en est de même entre deux associés.

Et que dire du formidable Envoûtement qu’est l’Amour, que dire du coup d’œil souvent unique [p. 74] qui détermine une suggestion instantanée, une conquête si rapide qu’en quelques jours, quelques heures, ou même une heure et moins encore, elle précipite dans les bras d’un homme une femme soudain palpitante ou aux pieds d’une femme un homme devenu frémissant et parfois tout à fait ridicule !

Et la morphine, la cocaïne, la fumerie d’opium, l’alcool, le tabac, le goût des hommes pour les prostituées, le penchant qu’ont trop de femmes à se vendre, la passion du jeu, les vices sexuels, la paresse, l’avarice, la médisance, la froide méchanceté, les sentiments haineux, les mauvaises actions et même seulement nos préoccupations, nos inquiétudes, nos tourments prolongés, tout cela habite, hante, obsède, taraude, envoûte les humains, obnubile leur volonté, l’engourdissant d’une atmosphère méphitique ou l’inclinant à mal faire.

Irons-nous poursuivre et condamner la Femme, Magicienne-Née qui de toute éternité a charmé, [p. 75] qui charme et charmera jusqu’à la consommation des siècles, souvent sans s’en douter, devenant particulièrement redoutable quand elle s’en doute, s’étudie, s’exerce, et entre toutes les Femmes, la Prostituéé semble détenir tous les secrets, tout l’art de la Magie ?

Irons-nous poursuivre et condamner l’homme beau ou laid qui plaît aux femmes et les fait aisément capituler ? ~

Exigerons-nous que les conquérants des deux sexes vivent et circulent vêtus de bure, les yeux baissés ou le visage caché sous une cagoule ? Pouvons-nous empêcher les Jettatori de circuler ? Evidemment non. Pouvons-nous contraindre les êtres vicieux, froids ou malgracieux à demeurer calfeutrés chez eux ? Non encore.

TEUTSCHENVOUTEMENT0013

Peut-être pourrions-nous réprimer les outrages publics à la Pudeur que fait commettre à tant et tant de femmes cette sorte de démence collective, cette. Mascarade abêtissante pour elles et envoûteuse d’hommes qui se dénomme la Mode et leur [p. 76] prescrit de se décolleter le soir dans un salon ou une salle de spectacle jusqu’aux fesses ou jusqu’au nombril et de porter en tout temps un simple bout de jupe descendant jusqu’aux genoux seulement, ou plus court encore ! Il serait facile tout au moins d’imiter le Ministre des Postes d’Allemagne qui vient d’ordonner à toutes ses employées d’allonger leurs jupes jusqu’à 20 centimètres au-dessous du genou, et la police hongroise qui, un centimètre à la main se précipite dans les rues sur les dames qu’elle juge trop court vêtues. Peut-être pourrions- nous, comme en Angleterre et aux Etats-Unis, édicter des· lois draconiennes qui mettraient en déroute les entreprenants suiveurs, leurs œillades fascinatrices, leurs déclarations envoûteuses et protègeraient la vertu des femmes ? Mais ces réformes répugneraient à la mentalité française.

Protéger contre eux-mêmes les morphinomanes, cocaïnomanes, fumeurs d’opium, ivrognes, la police s’y essaie, mais cela ne sert pas à grand’chose ! Et tous les autres envoûtés ? [p. 77]

Contre les manœuvres d’Envoûtement exposées plus haut et qui ont pour but de nuire, de rendre malade, de faire mourir, il faudrait évidemment une action et des sanctions judiciaires, mais le remède, je le crains, serait pire que le mal. Avant que la justice s’engage à nouveau dans cette voie dont elle est résolument sortie, il faudrait que l’efficacité des manœuvres d’Envoûtement fût scientifiquement démontrée et reconnue ; dès lors, une ou plusieurs techniques de ces manœuvres seraient bien précisées, publiées, connues dans leurs moindres détails et immédiatement l’Envoûtement deviendrait à la fois un sport et une hantise comme il l’a été dans les siècles passés ; on emprisonnerait non seulement les Envoûteurs avérés, mais les suspects et parmi eux beaucoup d’innocents. La guillotine ou le bûcher, peut-être les deux, devraient fonctionner sans arrêt, et dans cette nouvelle épouvante la ruée formidable de Huns asiatiques ou de Nègres africains deviendrait chez nous un inestimable bienfait ! [p. 78]

Ne désespérons pas ! Celui que le professeur Charles Richer appelle si justement « l’homme stupide » est capable de tout, surtout pour faire le mal ! Quelle était la nécessité de l’aviation ? Transporté plus vite quelques colis qui arrivaient bien assez tôt par les chemins de fer et les bateaux ? Que non pas ! L’aviation a servi pendant la récente guerre a tué et un estropié dans les deux camps tant de soldats, abîmé tant de villes, à y détruire tant de femmes, d’enfants, de vieillards sans défense, elle continue depuis la paix à sacrifier bien inutilement les vies des batteurs de record, hommes et femmes, qui, soit par vaine gloriole, soit pour décrocher quelques grosses sommes d’argent s’en vont à travers les airs tenter Dieu le Diable !

je suis étonné de ce que l’Envoûtement, tel qu’il existe, tel que le connaissent de trop nombreux Initiés n’est pas encore servi d’engins de guerre. Les peuples ils viendront certainement ! On découvrira aussi des rayons lumineux dont les puissants faisceaux, au gré des indiscrets qui les manieront, traverseront les maisons les plus épaisses, et mettront à jour non seulement les manœuvres des Envoûteurs, mais la pauvre vie, les gestes de n’importe quel particulier ; quelqu’un découvrira le moyen de lire instantanément dans la pensée de chacun. Ce sera la maison de verre, la vie tragique ! L’homme stupide sera près alors de son extermination à peu près totale, les temps seront très proches, ils sont proches déjà. Au lieu de l’Âge d’or qui bien entendu ne viendra jamais et qu’il est absurde d’espérer, et du règne de la plus basse matérialité que des politiciens éhontés prêchent et promettent aux foules puériles, la Terre se couvrira de ruines et de cendres. Pour avoir perdu le goût de la vie simple, des aspirations nobles, de la santé morale, l’humanité présomptueuse provoquera fatalement et automatiquement sa propre destruction.

Dagide. Museum of witchraft Boscastle.

Dagide. Museum of witchraft Boscastle.

Que faire pour se prémunir, pour se défendre contre l’Envoûtement d’ici qu’il soit redevenu légalement un crime ? [p. 80]

Il faut :

Tout d’abord, autant qu’il est possible, se montrer très circonspect dans le choix de ses relations.

Ne fixer les yeux de personne sans nécessité et surtout pas un jour où l’on se sent malade, déprimé. Baisser légèrement les yeux ou bien fixer autrui à la racine du nez.

Être économe de sa poignée de main avec des inconnus, ne pas se laisser prendre la main ou les mains autrement que par les personnes que l’on connaît fort bien, éviter même avec soin toute espèce de frôlement.

Se méfier des gens aux paroles mielleuses, et louangeuses. Quand un inconnu vous demandera l’heure, ne pas la donner exactement (Mme de Thèbes, L’Énigme du Rêve), mais toujours avec un écart de dix minutes ou un quart d’heure en plus ou en moins, à moins que manifestement il s’agisse de quelqu’un qui semble craindre de manquer un train ou un rendez-vous. [p. 81]

Quand on se sent fâcheusement influencé par le regard d’un fascinateur d’Amour ou d’un de ces fascinateurs que les Italiens appellent Jettatori et qui portent la guigne les uns volontairement, les autres sans s’en douter, il faut cacher vivement le pouce replié de la main droite, ou si c’est plus facile, de la main gauche sous le médius et l’annulaire qui, se rabattant sur lui, viennent le maintenir, tandis que l’index et le petit doigt bien rigides, se dressent comme une paire de cornes dans la direction du fascinateur. Ce geste doit être invisible, le bras tombant le long du corps et au besoin la main, dans ce geste de défense, dissimulée dans une poche ou sous une écharpe.

Il est des gens, de nos jours comme il y en a eu depuis les temps les plus reculés, pour chercher à neutraliser par des formules et des talismans, les uns et les autres souvent bien simplistes ou très baroques, le charme nocif du mauvais œil. Il est des amulettes étrusques, carthaginoises, mexicaines et surtout égyptiennes que l’on dit particulièrement [p. 82] efficaces ; on en dit autant d’un collier d’ambre ou de corail, d’une petite main de corail aux doigts fermés, ou d’un phallus de corail que l’on porte en breloque. Mais le meilleur des talismans a été de tout temps l’œil lui-même, soit seul et en verre, soit gravé sur des amulettes et entouré de serpents, de lézards, de scorions, d’éléphants qui sont réputés pour neutraliser l’action du jeteur de sorts.

Si vous croyez être en butte à des manœuvres caractéristiques d’Envoûtement, efforcez-vous d’en acquérir la preuve avant de vous défendre. Les moyens classiques consistent : à se dégager, à se décharger des mauvais fluides en magnétisant une plante tous les soirs avant de se coucher ; à mettre dans une assiette creuse, sous le lit au niveau de la tête, du charbon de bois que l’on renouvelle tous les dix jours environ ; à isoler le lit pour le sommeil soit à l’aide d’une sorte de ceinture métallique communiquant avec un grand pot rempli de bonne terre ou un baquet rempli d’eau, soit à l’aide de lames de plomb ou d’étain qui arrêtent et [p. 83] retiennent les mauvais fluides de l’émetteur ; à utiliser des pointes neuves qui serviront les unes à se dégager des fluides maléfiques que l’on aura reçus, d’autres à la défense fluidique ; à tenir à peu près en permanence à côté de soi, quand on se trouve chez soi, un récipient rempli d’eau ; à faire d’efficaces charités, à réciter l’Evangile de Saint-Jean, à prier Dieu, non du bout des lèvres, mais avec ferveur, en une propulsion de tout l’être vers Notre Père Céleste, enfin, dans les cas très graves, à pratiquer, ou plutôt à faire pratiquer en s’entourant de toutes les précautions nécessaires de sécurité physique et morale et selon le rite le plus simple ce mode de défense, légitime si l’on est réellement envoûté, mais condamnable dans un cas douteux où il peut de plus être sujet au choc en retour, qui s’appelle le Contre-Envoûtement.

Et aussi, dans un cas d’Envoûtement, allez pieusement recueillis, faire un pèlerinage à Lépine près de Châlons-sur-Marne, en l’Église Notre-Dame qui, seule demeurée debout au milieu du village [p. 84] que les obus boches ont systématiquement pulvérisé pendant la Grande Guerre, n’a reçu que des blessures insignifiantes. Elle est bien propice au Retour contre l’Envoûtement.

Un mot encore : ne vous livrez jamais à des manœuvres d’Envoûtement, même pour faire une simple expérience ! Immanquablement cela vous serait très nocif ! Si vous en voulez à quelqu’un qui vous ait fait réellement du mal, ne cherchez ni à le rendre malade, ni à le supprimer par de sombres machinations ; bornez-vous à une pitié dédaigneuse, la vie que vivra le méchant se chargera de vous venger !

Et n’essayez pas non plus en vous livrant à des manœuvres occultes et laborieuses de forcer quel qu’un à vous aimer ou plus simplement à accéder à votre brutal désir. Je doute qu’une semblable tentative puisse réussir, elle toute seule, sans être précédée ou accompagnée de Fascination. Et quand bien même elle réussirait, vous ne tiendrez [p. 85] dans vos bras qu’un être qui ne sera jamais complètement à vous, qui vous cédera comme s’il avait été payé, qui sentira une contrainte sans savoir au juste d’où elle vient, qui s’abandonnera révulsé, ou qui, s’il se met à vous désirer ne vous désirera jamais longtemps, n’éprouvera jamais l’ardente frénésie que vous voudriez lui insuffler et ne parviendra jamais en tout cas à vous aimer d’Amour.

Obtenir un être ou plutôt seulement le corps d’un être par de semblables moyens me semble fortement humiliant ! Et combien humiliante aussi m’apparaît cette prétention tenace, sauvage, de certains individus qui remuent la Terre et le Ciel et l’Enfer pour tâcher de faire revenir un partenaire qui est rassasié d’eux, qui se dérobe, qui s’enfuit ! Cette prétention, admissible seulement dans l’état de mariage (ou d’union libre avec enfants), quand le fuyard abandonne son foyer, son conjoint, ses enfants, les laissant souvent sans ressources, est en général si inutile, si décevante, si lamentable ! Mieux vaut pleurer en silence, se résigner, puis [p. 86] avec le Temps qui coule, emportant dans sa fuite implacable les rêves, les amours, les rancunes et ouate tous les grands chagrins, s’ingénier, si l’on est jeune encore à refaire sa vie, à oublier. [p. 87]

Eli Tiunine - Envoûtement.

Eli Tiunine – Envoûtement.

NOTES DE L’AUTEUR

Bien entendu, les initiales des noms et les prénoms qui figurent dans ces pages ne ressemblent ni de près ni de loin aux initiales et aux prénoms réels des personnages de ce livre.

Les cas d’Envoûtement décrits ci-dessus ne sont pas les seuls que je connaisse, mais ce sont les seuls dont je réponde. Quelques autres, d’apparence authentique, concernent des malheureux dont je n’ai pas été le médecin : je n’ai donc pu les examiner ni les suivre suffisamment pour obtenir des certitudes. Je m’intéresse à l’occultisme comme d’autres, à leurs moments perdus, se passionne pour la musique, la peinture, la sculpture ou la gravure. Avant la guerre je fréquentais quelques cercles psychique d’où me venaient, le plus souvent à titre entièrement gracieux, des malades de l’esprit. Ces pauvres gens nécessitent de qui les soignent non seulement une patience sagace, une abnégation de Vincent de Paul, mais une santé que je n’ai plus. Je suis donc devenu depuis assez longtemps, simplement à praticiens de médecine générale et il est rare qu’un psychopathe s’égare encore chez [p. 88] moi. Mais ce que je voudrais achever d’étudier avant que la Parque vienne, ce sont les fois qui président aux attractions et aux répulsions (sympathies et antipathies) entre les humains, entre les humains et les animaux et même entre les humains, les végétaux, les minéraux et les objets inanimés. Je voudrais aussi arriver à établir les lois des attractions, des indifférences et des répulsions sexuelles.

Je voudrais qu’en dehors des circonstances dans lesquelles il faut gagner son pain quotidien et où l’on ne choisit pas, mais où l’on est obligé de subir les gens et les événements, chacun pût organiser sa vie en sachant discerner ses véritables affinités, en sachant reconnaître les dangers dans lesquels de nos jours encore on trop souvent se jeter tête baissée. Je voudrais que personne ne fît plus à l’aveuglette de mariage malheureux, ne s’embarquât plus en Amour ou en Amitié dans une liaison désastreuse.

En un livre que je vais terminer et qui, si Dieu veut, paraîtra dans quelques mois, je consacre déjà un gros chapitre à la question des Attractions sexuelles, aux Hommes à femmes, aux Hommes d’Amour, aux Séductrices, aux Femmes fatales.

M. Chiot, Maître-Imprimeur,
Fg Porte-Percy, Joigny (Yonne)

LAISSER UN COMMENTAIRE






1 commentaire pour “L’Envoûtement. Par Robert Teutsch. 1928. [Texte intégral]”

  1. Anne-Lise GEORGESLe samedi 23 janvier 2016 à 20 h 50 min

    Merci pour cet ouvrage,
    Il décrit parfaitement l’enfer dans lequel je me trouve depuis 5 ans et qui met infligé par un homme complètement obsèdé par ma personne et mon retour. J’espère juste que je ne vais pas mourir car je vais avoir 34 ans, j’aime la vie et j’aimerais simplement retrouver la mienne.

    Merci