Le Pelletier de la Sarthe. SOMMEIL. Extrait du « Traité de physiologie médicale et philosophique », (Paris),  tome quatrième, 1839, pp. 395-422.

Le Pelletier de la Sarthe. SOMMEIL. Extrait du « Traité de physiologie médicale et philosophique », (Paris),  tome quatrième, 1839, pp. 395-422.

 

Almire-René-Jacques LePelletier (de la Sarthe) (1790-1880). Médecin, élève de Guillaume Dupuytren.
Quelques publications :
— Essais de médecine physiologique, renfermant des considérations générales sur la sympathie et l’antipathie, la médecine morale, l’influnece réciproque du moral sur le physique, et la médecine moderne comparée à celle du moyen âge. Au Mans, Imprimerie de Fleuriot, 1823. 1 vol. in-8°, 1 fnch., II p., 66 p.
— MAGNÉTISME. Extrait du « Traité de physiologie médicale et philosophique », (Paris),  tome quatrième, 1839, pp. 410-422. [en ligne sur notre site]
— RÊVE. Extrait du « Traité de physiologie médicale et philosophique », (Paris), tome quatrième, 1839, pp. 410-422. [en ligne sur notre site]
— Le magnétisme éclairé par l’expérience et réduit aux faits rigoureusement démontrés; discours lu à la séance publique de la société. Le Mans, Monnoyer, 1841. 1 vol. in-8°, 31 p.
— Système pénitentiaire. Le bagne, la prison cellulaire, la déportation. Le Mans & Paris, Monnoyer et Plon frères, 1853. 1 vol. in-8° de 2 ffnch., XV p., 336 p.
— Traité complet de physiognomonie ou l’homme moral positivement révélé par l’étude raisonnée de l’homme physique avec des considérations sur les tempéraments, les caractères, leurs influences réciproques. Paris, Victor Masson et Fils, 1864. 1 vol. in-8°, 2 ffnch.,  595 p.
— Nouvelle doctrine médicale ou doctrine biologique. Au Mans et à Paris, Monnoyer et G. Baillière, 1853. 1 vol. gd. in-8°, XX p., 484 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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SOMMEIL.

Le sommeil, ὔπνος, des Grecs, somnus, des Latins, doit être défini : Suspension temporaire de l’activité d’un appareil , d’un organe, pour effectuer la réparation de leurs propriétés vitales. Sans le bienfait de cette réparation, la sensibilité et la contractilité seraient bientôt épuisées. Aussi , comme nous le verrons, ce besoin du repos devient d’autant plus impérieux que la dépense des facultés s’est effectuée d’une manière plus abondante et plus rapide.

Au nombre des fonctions de l’organisme vivant, les unes accessoires, ou moins directement liées à la conservation de l’existence active, peuvent offrir des intermittences prolongées, un sommeil évident et complet ; les autres sont tellement indispensables à l’entretien de cette [p. 396] existence, que le repos des organes qui les exécutent ne dure qu’un moment. Ainsi le cœur, les poumons, le cerveau, sous le rapport de l’innervation, semblent au premier aspect entièrement privés des avantages du sommeil. En observant avec plus d’attention, l’on s’aperçoit qu’ils offrent des alternatives de repos et d’activité ; que d’une part si chaque sommeil n’est pas très-prolongé, de l’autre, il se répète assez fréquemment pour établir la compensation. Énumérant ensuite ces tems d’inaction à peu près égaux à ceux du mouvement, dans l’espace de vingt-quatre heures, on trouvera, même pour ces organes, la mesure du sommeil aussi considérable que dans les appareils semblant d’abord la présenter avec beaucoup plus d’étendue.

D’un autre côté, pendant le repos général des phénomènes de relation, les autres éprouvent une diminution notable dans l’activité, la précipitation des mouvemens, la déperdition des propriétés vitales. Ainsi , l’innervation est alors moins énergique, la circulation moins active, la respiration moins fréquente.

Le sommeil n’appartient pas exclusivement à l’homme, tous les êtres vivans depuis la plante simple jusqu’à l’animal compliqué, jouissent de cette condition de l’existence avec des modifications appropriées aux diversités des catégories ; et, chose bien digne d’observation, avec des intervalles d’autant plus longs, entre le repos et l’activité, que l’on descend davantage l’échelle des êtres, de l’homme au dernier des végétaux.

Ainsi la plupart des graines peuvent rester plusieurs années dans un sommeil profond, dans un état de mort apparente, et lorsqu’ensuite on les place au milieu d’un terreau chaud, humide, offrant les conditions nécessaires à la germination, elles développent des êtres d’une taille plus ou moins colossale, d’une vitalité plus ou moins active. [p. 397]

Les arbres, les arbustes, les planes embellissant, animant nos campagnes offrent, dans le printems et l’été, sous l’influence d’un soleil bienfaisant, leurs plus grandes manifestations d’énergie ; c’est alors qu’ils travaillent puissamment à la propagation de l’espèce, au développement de l’individu, ce tems est pour eux celui de la veille. Progressivement engourdis par le froid des l’hivers, perdant, sous les frimas glacés, leurs fleurs et leurs feuilles, ces mêmes végétaux paraissent ensevelis dans la plus profonde inaction, cette période est pour eux celle du sommeil. Nous les verrons se réveiller au printems, jeter un nouveau charme sur toute la nature, annoncer, avec le chant des oiseaux, ce retour d’une saison favorable à tous les développemens de la vitalité. Ainsi les végétaux dorment et leur sommeil est très-prolongé, par cela même que les efforts de leur activité sont entretenus pendant long-tems sans interruption. Chez eux l’accomplissement de la grande fonction génératrice occupe la majeure partie de cette phase d’exaltation vitale, constituant son époque la plus brillante, et, par les déperditions qu’elle occasionne, faisant particulièrement naître le besoin du repos.

Si l’on compare actuellement ce feuillage gracieux, ces fleurs brillantes, ces mouvemens extraordinaires des humeurs, cette exubérance vitale, cet accroissement rapide qui distinguent le végétal pendant la belle saison, à ces branches dépouillées de leurs ornemens, à cette apparente immobilité circulatoire, au silence profond de cette vie stagnante, ne sentira-t-on pas aussitôt que dans le premier cas il existe activité, mouvement du centre à la circonférence, éveil temporaire ; dans le second, repos, concentration vitale, sommeil profond. C’est en raison de ces modifications importantes que l’on choisit les approches de l’hiver pour effectuer des transplantations ; [p. 398] les liens du végétal au sol, étant alors moins indispensables, peuvent-être momentanément détruits sans danger, et l’arbre s’habituer aux nouvelles conditions de son existence avant le développement des nombreux phénomènes qui nécessiteront une réparation beaucoup plus abondante. En conséquence des mêmes lois, ces transplantations, pour la plupart des espèces, deviennent impossibles ou très-chanceuses lorsqu’elles sont opérées après l’invasion du printems.

Le sommeil est nécessaire aux végétaux comme à tous les êtres vivans, aussi lorsqu’un hiver chaud prolonge incessemment leur activité, lorsqu’un retour prématuré de la belle saison , les éveille avant la réparation nécessaire à leurs facultés vitale et génératrice, n’ayant point acquis l’énergie suffisante aux frais de la période qui va s’effectuer, leur floraison est moins brillante et leur fructification moins parfaite ; lorsque soumis à l’influence de notre civilisation, enfermés dans ces réceptacles où l’on entretient artificiellement la chaleur du printems, au milieu des hivers les plus rigoureux, ces végétaux privés du sommeil, dans un état permanent d’action, partageant les conditions de l’homme environné du faste accablant de nos grandes cités, épuisé par les veilles et l’agitation, ne produisent que des fruits insipides et sans durée, se trouvent précipités rapidement vers les funeste résultats d’une caducité factice.

Les mêmes lois sont imposées à toute la nature organique, les mêmes considérations sont applicables à tous les êtres vivans. D’un autre côté, le sommeil peut être prolongé, bien au-delà du besoin, par des circonstances en opposition avec celles que nous venons d’indiquer, on en trouve des exemples nombreux dans le règne végétal, chez les animaux et chez l’homme. Bonnet a vu des charançons ne donner aucun signe de vie pendant [p. 399] plusieurs années ; Scluckey, les limaces, engourdies pendant le même intervalle, se réveiller ensuite avec toutes les conditions de l’existence active, sous l’influence des stimulans appropriés. Si nous appliquons actuellement à l’espèce humaine, ces principes avec leurs conséquences, nous observerons des résultats beaucoup plus nombreux et plus importans encore.

Les anciens envisageaient le sommeil comme une mort apparente : Somnus mortis est imago ; cette idée ne présente aucune vérité. Non-seulement l’homme qui dort ne ressemble pas au sujet privé de la vie, mais il diffère encore essentiellement du malade, offrant actuellement la suspension d’un ou plusieurs grands phénomènes, connue on le voit dans l’apoplexie, la syncope, l’asphyxie etc. En effet chez le premier il n’existe qu’abaissement des fondions nutritives et vitales, repos des appareils de relation, encore est-il bien souvent incomplet. D’autres ont voulu rapprocher, sans plus de réalité, cette condition de celle du fœtus existant au milieu de circonstances physiques et morales tellement opposées qu’elles ne permettent naturellement aucune comparaison. D’autres enfin ont été jusqu’à regarder le sommeil comme une fonction, par cela seul qu’il ne se manifeste pas immédiatement après les grandes lassitudes. Le plus simple raisonnement suffit pour démontrer l’erreur d’une opinion semblable. En effet tout exercice pénible laisse dans les organes du mouvement un sentiment douloureux qui maintient l’éveil de l’économie, jusqu’à l’établissement d’un calme suffisant obtenu par le repos de ces organes ; c’est alors que se manifeste le sommeil, absence d’activité qu’il est impossible de confondre avec l’exercice des facultés vitales.

Tel que nous allons actuellement l’envisager dans notre espèce, le sommeil doit être défini : Modification de [p. 400] l’existence caractérisée par la suspension plus ou moins entière des phénomènes de relation, et la diminution du plus grand nombre des fonctions vitales, nutritives et génitales. Pour donner à son histoire l’intérêt et la précision qu’elle exige, nous la partagerons en cinq divisions principales. 1°Causes, 2° effets, 3° durée, 4° réveil, 5° phénomènes du sommeil. Chacun de ces points nous offre des considérations importantes, applicables à la pathologie.

1° CAUSES DU SOMMEIL.

Les auteurs anciens et même quelques modernes ont longuement et vaguement disserté sur les causes du sommeil. Gorter admet surtout « le mouvement du sang abandonnant le cerveau pour se concentrer dans l’abdomen » ; Cabanis, « le reflux des puissances d’innervation vers leur source » ; « d’autres la concentration, dans le cerveau, des principes les plus actifs de la sensibilité; la compression du nerf moteur oculaire, commun entre les artères cérébrale postérieure et cérébelleuse supérieure dans un état d’engorgement d’où résulte l’abaissement de la paupière ; » « la diminution notable des mouvemens respiratoires et de l’hématose, le sang alors moins oxygéné devenant plus stupéfiant ; » « la compression du cerveau, du cervelet, par l’accumulation« du sang dans les artères, les veines, les sinus ; » etc. Confondant ainsi, dans ces diverses théories imaginaires et dont la réfutation est désormais sans utilité, les résultats avec la cause, le sommeil naturel avec l’asphyxie, l’apoplexie , le sommeil anormal etc.

Considérant cet objet d’une manière générale nous réduirons à trois modifications essentielles toutes les [p. 401] influences capables d’effectuer cette condition de l’économie vivante : 1° Épuisement des propriétés vitales ; 2° concentration sur un ‘organe important ; 3° neutralisation de ces mêmes propriétés ; chacun de ces agens d’un même résultat lui communiques caractères diamétralement opposés, et dès-lors très-utiles à bien apprécier dans leurs dispositions particulières.

Épuisement des propriétés vitales. — Toutes les circonstances capables d’entraîner une forte déperdition de la sensibilité, de la contractbité doivent être placées dans cette catégorie. L’on conçoit en effet que, diminuant la somme de ces propriétés, exigeant leur indispensable réparation elles provoquent le sommeil pendant lequel ce résultat peut convenablement s’effectuer. Dans les conditions d’une dépense naturelle et graduée, comme on le voit par les exercices moraux et physiques ordinaires, cette cause devient le principe normal d’un repos toujours avantageux ; dans l(hypothèse contraire, le sommeil appartient plus ou moins directement à la série des altérations pathologiques.

Dans la première variété, nous comprenons les mouvemens généraux et partiels faits avec discrétion et sans épuisement ; les travaux intellectuels modérés, les émotions légères et variées. Plus les uns et les autres sont diversifiés, actifs et fréquens, plus le sommeil est profond et durable. Nous en trouvons les preuves positives en comparant, sous ces deux rapports, celui de l’enfant à celui du vieillard. L’un dépense beaucoup en vitalité, dort long-tems et profondément ;l’autre sent très-peu, se meut encore moins , chez lui le sommeil est léger et seulement de quelques heures.

Dans la seconde, nous rangeons les passions violentes, les travaux intellectuels opiniâtres et prolongés, les douleurs très-vives, les marches, les exercices portés [p. 402] jusqu’à l’excès etc. Ainsi, nous voyons le génie créateur, après avoir lutté contre les impulsions de la nature, incliner sa tête puissante et la reposer sur des chefs-d’œuvres ! l’homme agité par les plus pénibles angoisses morales oublier un instant ses chagrins dans les illusions d’un sommeil bienfaisant ; le malade, soumis à des opérations sérieuses, la femme entre les douleurs insupportables de l’enfantement s’endormir avec assez de facilité. Dans les siècles de barbarie des malheureux ont été signalés présentant les apparences du sommeil au milieu des tortures de la question ! Pour ces divers individus, le repos, ordinairement agité par des rêves effrayans ou pour le moins importuns, n’est jamais essentiellement réparateur ; le sujet, au réveil, se trouve souvent plus fatigué, plus brisé qu’avant ce repos incomplet. Toutes les fois que l’exercice des facultés vitales a dépassé la mesure naturelle des forces, le sommeil, d’abord interrompu sous l’influence du sentiment pénible inséparable de cette condition, ne se manifeste positivement qu’après un tems indispensable au rétablissement du calme parfait.

Concentration des propriétés vitales sur un organe important. — Les agens susceptibles déconcentrer la vitalité sur un appareil étranger à l’encéphale, privant celui-ci de l’excitation nécessaire à l’état d’éveil entretenu dans toute l’économie, déterminent l’assoupissement plus ou moins profond. C’est à ce genre d’influence qu’il faut attribuer le sommeil que nous observons après un repas copieux, surtout chez les vieillards lymphatiques et d’un moral obtus ; sous l’influence du froid très-intense refoulant tous les mouvemens innervateurs et circulatoires dans les appareils centraux des cavités abdominale et thoracique ; enfin pendant les violentes congestions pulmonaires, hépatiques, intestinales etc. , consécutives aux phlegmasies des organes affectés. Dans [p. 403] ces fâcheuses dispositions, le sommeil devient morbifique, et toujours plus ou moins nuisible ; dans le prenier cas, en retardant la digestion et favorisant les embarras encéphaliques ; dans le second, en rendant l’invasion du froid plus générale et souvent destructive ; dans le troisième, en assurant les funestes effets des apoplexies organiques ; c’est alors que ce calme apparent est bien souvent le sinistre précurseur de la mort, et qu’après les déplétions suffisantes il devient essentiel de porter ailleurs, par des dérivatifs appropriés, la tendance anormale du mouvement circulatoire.

Neutralisation des propriétés vitales. — Tous les modificateurs physiologiques et pathologiques dont l’effet principal est caractérisé par la neutralisation ou même l’abaissement instantané des facultés et de l’excitation vitales produisent encore le sommeil. C’est ainsi qu’agissent les saignées abondantes en affaiblissant toute la constitution ; l’ennui, l’engourdissement organique eu constituant l’indifférence et le dégoût des relations ; les compressions mécaniques de l’encéphale surtout à la voûte crânienne ; l’usage des narcotiques et particulièrement de l’opium dont les belles expériences de M. Flourens ont bien fait apprécier l’influence en prouvant qu’elle offre, comme premier résultat, la congestion circulatoire et la pression apoplectique du cerveau, d’où l’on infère aisément la condition temporaire dont nous recherchons les agens essentiels. Cette condition factice, de même que la précédente, ne produit jamais des effets très-avantageux à la réparation ; souvent encore elle offre des conséquences funestes en précipitant la marche des fâcheuses dispositions qui l’occasionnent ; aussi l’art ne doit-il en provoquer le développement que dans les cas extrêmes, et lorsqu’il est absolument impossible d’obtenir le sommeil naturel. [p. 404]

1° EFFETS DU SOMMEIL.

Dans leurs brillantes métaphores, les poètes anciens ont envisagé le sommeil comme un baume consolateur versé clans la plaie du malade et répandu sur le cœur ulcéré par les chagrins ; comme un bienfait de la nature pour soulager du moins les peines et les souffrances dont rien ne peut tarir la source trop féconde ! Ce fleuve Léthé présentant, par ses eaux merveilleuses, le magique pouvoir d’effectuer aussitôt l’oubli du passé, n’est lui-même qu’une image figurée du sommeil. Si dormir n’est pas une jouissance, au moins c’est l’absence de la douleur. Combien de malheureux, déchirés par les plus cruelles anxiétés physiques et morales, voudraient, en descendant au calme de ce repos temporaire, ne jamais éprouver les nouvelles angoisses du réveil affreux qui les attend ! Jetons un voile épais sur ces modifications les plus pénibles de l’existence humaine, et considérons le sommeil comme délassement indispensable aux organes fatigués par l’exercice des phénomènes qui leur sont naturellement départis.

Toutes choses égales, on voit le sommeil se manifester d’autant plus promptement que le sujet est placé dans un calme plus profond, dans un éloignement plus complet de toutes les excitations morales et physiques ; tandis que la veille se prolonge davantage au milieu des circonstances opposées, comme on l’observe sous l’influence de la marche, des bals, des spectacles, d’une forte contension intellectuelle, de tout ce qui peut entretenir l’activité des sens, de l’imagination et des organes du mouvement. enfin l’épuisement des facultés, [p. 405] vitale augmente, le besoin de la réparation commande impérieusement, le sommeil se manifeste pendant l’exercice, au milieu des cercles bruyans, à l’aspect même des plus grands dangers. Il n’envahit pas simultanément l’économie toute entière, c’est par degrés que les phénomènes de relation se trouvent compris dans son domaine. La vision s’obscurcit insensiblement, les rayons lumineux frappent en vain le globe oculaire, d’ailleurs en grande partie recouvert par l’abaissement de la paupière supérieure, et l’image des objets qui les derniers ont excité la rétine s’évanouit comme une ombre légère. L’odorat s’émousse, le goût s’affaiblit ; l’ouïe, d’abord vague, incertaine, se trouve entièrement suspendue ; le toucher lui-même qui jusqu’alors avait paru survivre aux autres sens devient également incapable de recueillir aucune impression. Les facultés de l’intelligence disparaissent dans un ordre assez constant et que nous déterminons ainsi : Jugement, raisonnement, perception, mémoire, imagination. Les organes du mouvement sont définitivement embrassés dans ces dispositions et le sommeil atteint sa perfection normale, réduisant l’existence individuelle aux fonctions vitales et nutritives. Il est rare que la suspension des actes physiologiques soit aussi complète ; souvent un ou plusieurs appareils, une ou plusieurs facultés ne la partagent pas avec les autres, et, de ces veilles partielles, résultent plusieurs phénomènes intéressans que nous étudierons bientôt sous les noms de rêves, de somnambulisme.

Au milieu de ces intermittences des actions d’impression, de combinaison intellectuelle et d’expression, les phénomènes plus spécialement nutritifs et vitaux éprouvent une diminution d’activité. Mangili nous assure qu’une marmotte endormie sous la cloche qui servait à l’expérience, au lieu de 1,500 inspirations par heure, [p. 406]

en offrit constamment 14. L’absorption paraît seule augmentée, les impulsions du centre à la circonférence étant alors dominées par les mouvemens de la circonférence au centre. Hippocrate exprime bien cette vérité d’observation lorsqu’il dit : Motus in somno intro vergunt ; somnus labor visceribus. Delà cet inconvénient grave de s’abandonner au sommeil dans les lieux humides et marécageux, sous l’influence d’un air chargé de miasmes épidémiques et pestilentiels. Au rapport des voyageurs l’on peut traverser impunément la campagne de Rome pendant les chaleurs du jour, tandis que le soir on ne s’endort pas, dans les brouillards qui s’y manifestent , sans éprouver l’invasion d’une fièvre de mauvais caractère.

3° DURÉE DU SOMMEIL

Il est impossible de la déterminer d’une manière absolue, mais on peut avancer en thèse générale, qu’elle se trouve ordinairement, dans le sommeil naturel, mesurée sur la dépense des facultés vitales dont ce repos est chargé d’effectuer la réparation. C’est en conséquence d’un principe aussi vrai dans ses applications normales, que les enfans, excités par des impressions nouvelles, toujours en mouvement, en agitation, faisant, dans un tems donné , des pertes considérables sous le rapport de la sensibilité, de la contractilité, sont dans l’obligation de prolonger beaucoup leur sommeil ; tandis que le vieillard, en quelque sorte indifférent pour tout ce qui l’environne, très-borné dans ses phénomènes de relation, ne présentant qu’une faible dépense de vitalité, pourvoit aux besoins qu’elle fait naître par un sommeil court, léger, souvent même assez imparfait. [p. 407]

C’est encore d’après cette loi que la femme, le sujet nerveux doivent dormir plus long-tems que Thomme et l’individu hniphalique. Le tempérament sanguin , l’âge viril deviennent intermédiaires entre ces extrêmes. Pour eux, il faut accorder les trois quarts de l’existence à l’activité, un quart seulement au repos. L’école de Salerne consacre positivement ce principe lorsqu’elle dit, relativement à la durée du sommeil , dans ses conseils hygiéniques : « Sat est dorniire sex hora ; septem pigris, nulli concedimus octo. »

Quant au sommeil anormal, souvent il offre une durée que l’on aurait peine à concevoir si des faits positifs ne constataient sa réalité. Sans admettre le merveilleux état d’Épiménides, sans même ajouter uneconfiance entière aux observations citées par Haller, telles que celles d’une fille pieuse d’Avignon, s’endormant tous les ans au commencement du carême pour ne se réveiller qu’à Pâques, nous pensons, d’après l’expérience, que cette modification vitale peut exister pendant plusieurs jours sans inconvénient grave, à moins qu’elle ne se rattache directement à la compression morbifique de l’encéphale.

4° RÉVEIL.

Nous désignons par ce terme le retour des organes et des appareils à leur activité naturelle dont les développemens ont été suspendus ou diminués pendant le sommeil.

Les causes de cette nouvelle disposition se trouvent diversement interprétées. Les uns attribuent le réveil à l’action des rayons lumineux excitant l’œil par l’intermédiaire des voiles palpébraux semitransparens. Sans doute le sommeil est plus promptement interrompu dans [p. 408] un endroit éclailé, mais on s’éveille également an milieu de l’obscurité la plus profonde. Les autres pensent qu’il faut spécialement indiquer ici le besoin de prendre des alimens ; celle impulsion organique peut agir dans certains cas particuliers; il serait erroné de l’admettre pour les circonstances ordinaires ; en effet, l’appétit ne se fait pas sentir immédiatement après le retour de l’activité ; presque toujours un peu d’exercice est nécessaire à sa manifestation. D’autres enfin désignent l’impatience de l’âme sollicitant les appareils aux mouvemens qui leurs sont confiés ; supposer un fait n’est pas en démontrer la réalité. L’excitation produite par l’urine, les matières fécales dans les réservoirs de ces excrémens, entraîne aussi quelquefois le réveil sans qu’il soit possible d’en expliquer ainsi l’occasion habituelle. Pourquoi d’ailleurs chercher dans les exceptions une cause qu’il est si facile de trouver parmi les dispositions physiologiques naturelles et communes.

Le besoin de la réparation des facultés vitales amène le sommeil ; le sentiment instinctif de cette réparation doit seul effectuer le réveil normal. Toutes les fois qu’il survient avant l’entière satisfaction de cette nécessité physiologique, on doit l’envisager comme prématuré, la cause qui le détermine comme accidentelle. Une volonté bien déterminée peut l’assujettira sa puissance. On sait généralement qu’il suffit de s’endormir avec la ferme résolution de s’éveiller au moment que l’on a marqué d’avance, pour que le sommeil soit interrompu dans cet instant précis. Il est alors incomplet, à peine réparateur, la volonté maintient son activité, celle de plusieurs autres facultés intellectuelles ; de là ces rêves, ces agitations plus ou moins pénibles signalant un défaut de calme et d’abandon général.

Quelle que soit la cause du réveil, de même que le [p. 409] sommeil, il n’envahit pas instantanément l’organisme. Les sensations, les combinaisons mentales et les fonctions d’expression reviennent à leur exercice par une gradation à peu près contraire à celle de leur enchaînement. Ainsi nous les voyons presque toujours se rétablir dans cet ordre : Le tact, les mouvemens, l’ouïe, le goût, l’odorat, la vue, la perception, le raisonnement, le jugement, la mémoire, l’imagination, la conscience. Les divers phénomènes vitaux semblent préluder à cette activité par des essais ; les bâillemens, pour la respiration, les pandiculations, pour les mouvemens volontaires etc. , nous en fournissent des exemples.

5° PHÉNOMÈNES DU SOMMEIL.

Sans adopter entièrement les opinions émises par M. Ch. Nodier dans son article très-spirituel et très-imaginaire sur quelques phénomènes du sommeil, sans dire avec l’auteur, que Numa, Socrate et Brutus « ont rapporté toute leur sagesse instinctive aux inspirations de ce dernier état ; …. que toutes les religions excepte la vraie ont dû leur origine au sommeil, » nous ajouterons que cette modification vitale peut offrir des actes bien importans à simplifier dans leur étude, par cela même qu’ils semblent presque toujours environnés des prestiges et des illusions du merveilleux. Nous rassemblons tous ces actes sous un titre unique, celui de rêves, auxquels vient se rattacher le somnambulisme comme leur plus étonnante modification. Ces phénomènes pouvant exercer des influences très-positives sur les dispositions physiques et morales de l’homme, doivent être étudiés avec soin dans leurs principes et dans leurs plus importantes variétés.

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