Le cas le plus extraordinaire de personnalité multiples. 3 femmes en une. Article paru dans la revue vulgarisatrice « Tout savoir », (Paris), août 1954, pp. 51-53.

personnalitesmultiples0005nbLe cas le plus extraordinaire de personnalité multiples. 3 femmes en une. Article paru dans la revue vulgarisatrice « Tout savoir », (Paris), août 1954, pp. 51-53.

En complément de cet article nous mettons un ligne un documentaire sur la même observation par les mêmes auteurs.

Corbett H. Thigpen (1919-1999). Psychiatre américain connu pour ses travaux sur les personnalités multiples, qui s’est rendu célèbre par l’histoire rapportée ci-dessous.

Hervey M. Cleckley (1903-1984). Psychiatre américain.

[p. 51, colonne 1]

Le cas le plus extraordinaire de
personnalité multiples.
3 femmes en une.

Pour relativement rares qu’ils soient, les cas de dédoublement de la personnalité n’étonnent guère de nos jours.

Peut-être est-ce parce que nous avons tous, à quelque degré, vécu cette expérience…. souvent sans nous en douter. Enfants, lorsque armées d’u revolver de bois nous étions Buffalo Bill, nous ne jouions pas un rôle ; nous vivions, sentions, comme si nous étions réellement le héros du Far-West. Plus, baignés du charme délicat des jeunes amours, nous apparaissions différents à celle que nous approchions et, plus nous étions sincères, plus nous nous efforcions de ressembler aux personnages qu’elles décrivaient en parlant de nous.

Et, expérience presque quotidienne, quel est le spectateur qui au cinéma, ne s’est pas identifié un instant au personnage du film ?

Mais, Lorsque les docteurs Corbett H. Thigpen et Hervey M. Cleckley, du service de psychiatrie et neurologie du « Medical College » firent la connaissance d’Eve « Blanc », ils n’envisagèrent même pas un cas de schizophrénie. (On sait que ce trouble, caractérisé par l’incohérence mentale, peut aboutir à un véritable dédoublement de la personnalité).

Tout ce dont Eve « Blanc » (son nom véritable ne peut être publié) se plaignait, c’était de violents maux de tête.

Ces souvenirs à éclipses étaient-ils rêve ou mensonges ?

Par la suite, les choses se compliquèrent : Eve parla, à plusieurs reprises au cours des consultations suivantes, d’un voyage qu’elle avait fait récemment. Mais quand le docteur Thigpen lui demanda finalement de quel voyage il s’agissait, la jeune fille fronça les sourcils. Une expression de panique apparut sur son visage : « Je ne sais pas, je ne me souviens pas ».

Cette jeune personne, de mise sobre, sans recherche, à peine fardée, au visage d’un bel ovale que soulignait la chevelure noire très courte, était-elle une comédienne ? Les médecins ne le pensèrent pas un seul instant : une enquête approfondie révéla, d’ailleurs, qu’Eve Blanc vivait modestement, mariée à un ouvrier de qui elle avait une petite fille alors âgée de quatre ans.

Les docteurs Thogpen et Cleckley la soumirent donc à une série de séances d’hypnotisme, au cours desquelles, rapidement, Eve parla longuement du fameux voyage. Elle était allé voir une amie, nommée Mary, qui habitait à environ 200 kilomètres de là. Finalement, tout rentra dans l’ordre et, une fois sortie de l’hypnose, Eve put se souvenir de son voyage.
C’est au moment même où les médecins estimaient le plus grave danger écarté, que surgit le coup de théâtre : [p. 51, colonne 2]

Un matin, ils reçurent une lettre d’Eve. Lettre confuse sil en est :

Chers docteurs. Lorsque je pus me souvenir de ma visite à Mary, je ressentis une grande détente. Le fait de me souvenir du voyage me semblait suffisant. Mais, maintenant que j’y pense… et à tout ce qui est arrivé, c’est encore plus douloureux que je ne le croyais. Quand j’étais avec vous, tout était facile. Cela ne me paraissait pas grave d’avoir oublié ce voyage. Mais, maintenant, cela semble grave. Je sais que c’est quelque chose qui n’arrive pas souvent. Je ne peux même pas me rappeler les couleurs que j’ai vues et c’est probablement la première chose que j’aurais remarquée. Ma tête me fait mal, juste au sommet, depuis ma dernière visite. Je crois que ce sont mes yeux. Je vois des petits points rouges et verts et j’éprouve une sorte de démangeaison.

Ici, le texte s’interrompt brusquement et, en bas de la page, les médecins lurent surpris, dans une écriture totalement différente de la première : Baby, s’il te plait, sois calme. Mon Dieu, ne me laissez pas perdre patience avec elle ; elle est trop douce et trop  innocente, et ma volonté

 

Malgré tout, le paragraphe rajouté ne semblait pas avoir une signification tellement importante. Et, puisque leur étrange cliente n’avait pas le téléphone, ils attendirent calmement sa prochaine visite.

« Oui, précisa-t-elle, j’ai commencé une lettre que je vous destinais, j’avais même préparé l’enveloppe, mais je ne l’ai jamais terminée ? je ne l’ai [p. 52, colonne 1] pas envoyée… Je ne sais pas qui l’a fait ni d’où proviennent les dernières lignes : en tout cas, pas de ma fille, elle ne sait pas encore écrit… Oh ! »

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Une femme rangée se trouve jetée dans le demi-monde et y prend goût.

LA GRANDE ACTRICE qu’est Jeanne Moreau vous en donne un excellent exemple.
Dans « L’Heure éblouissante elle interpréta quatre personnage.

Dans un visible effort pour se rappeler, Eve plonge sa tête dans ses mains. Puis, brusquement, elle recouvrit son crâne a de ses doigts, comme si elle craignait de recevoir un coup. Elle demeura ainsi quelque seconde, puis les mains retombèrent, lentement.

C’est alors que, sous les yeux des psychiatres sidérés, s’opéra l’une de ces transformations que réalisent certains trucages au cinéma.

Le regard d’Eve devint gai, aguichant, un sourire prometteur flottait maintenant sur célèbres, elle croisa aux légendes, alluma une cigarette et lança d’une voix radieuse : « Hi… Doc ! » (Salut toubib !).

C’était une femme complètement différente qui se trouvait devant les docteurs Thogpen et Cleckley. Tout, dans les gestes, le comportement, et même dans la voie qu’il avait maintenant le fort accent du Sud, attestait qu’une transformation radicale venait de se produire.

La nouvelle patiente, et les docteurs baptisèrent Eve « Noir », ne fut « présente » que quelques minutes ce jour-là. Mais, au cours de nouvelles visites, elle « revint » : et, cette fois, les médecins étaient prêts. Une caméra se mit a filmer, en couleurs, l’étonnante transformation, tandis qu’une armée de sténographes enregistrait la moindre phrase de la patiente —  qui parlait d’ailleurs également devant un magnétophone.

Petit à petit, les docteurs établirent l’histoire des deux Eve, histoires qu’amis et parents vinrent [p. 52, colonne 2] vinrent compléter et qui commençait, réellement, lorsque Eve Blanc  n’était encore qu’une petite fille.

À cette époque pour lui haver interdit d’aller dans un bois voisin, jugés mal fréquenté. Eve Blanc y alla cependant souvent et, chaque fois les coups de martinet pleuvaient, tandis que la jeune fille protestait !

« Mais, papa, je n’y suis pas allée, je n’y suis pas allée. »

Une nouvelle volée de coups venait punir le mensonge. Et, le lendemain, Eve Blanc recommençait, puis protestait toujours, en recevant l’inévitable correction : « je n’y suis pas allée, je n’y suis pas allée ! »

« Le pire, précise les psychiatres dans leur étude, c’est qu’elle ne mentait pas. Eve Blanc n’était pas dans les bois. C’est Eve Noir qui, ayant pris possession de son corps, mettait sa « sœur jumelle » devant une situation impossible et se retirait juste à temps pour observer sadiquement Eve Blanc,  recevant des coups. »

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Tandis que la femme mégère qui a dû prendre place

INCONSCIENT. Le changement de personnalité est du ressort de la psychiatrie.
C’est au contraire le tour de force du comédien que de le réaliser volontairement.

Même aujourd’hui, Eve Blanc ne parvient pas à imaginer l’existence d’Eve Noir.  Mais cette dernière est constamment présente dans le corps d’Eve Blanc, qu’elles contrôlent totalement. »

« C’est moi qui bois toute la nuit et, le lendemain, la pauvre Eve Blanc se demande pourquoi elle a une migraine », déclare-t-elle dans ce qui semble être une boutade, mais qui n’en est pas moins la stricte vérité.

C’est ainsi que les psychiatres constatèrent qu’Eve Noir étaient exactement l’opposé d’Eve [p. 53, colonne 1] Blanc.  Autant cette dernière est prude, fade, pleine de préjugés de toutes sortes, dénuée de tout attrait physique, autant Eve Noir et directe, légère, attirante et sensuelle jusqu’à en être débouchée. Eve Blanc aime sa maison, lis beaucoup, écrit des poèmes. Eve Noir fréquente les cabarets mal famés et flirte avec des inconnus à la recherche d’une passade. (détail extraordinaire : Eve Blanc porte des dessous en nylon, alors qu’Eve ne peut pas les supporter sans se plaindre de fortes démangeaisons.)

Dans les mois qui suivirent, les médecins apprirent que l’une des Eve avait déjà été mariée dans le passé. Interrogée, Eve Blanc le démentit avec véhémence.  Eve Noir nia également, mais finit par avouer. Elle avait, après une nuit de boisson, épousé un parfait inconnu « simplement pour m’amuser un peu ». Fort heureusement, le mariage s’était terminé par un rapide divorce.

Eve Noir n’a qu’un double but : s’amuser et rendre malheureuse la pauvre Eve Blanc. Elle y est partiellement parvenue : le matin, le mari d’Eve Blanc trouva, dans le garde-robe de sa femme, un trousseau et des manteaux de fourrure de prix, achetés à crédit. Dans la scène de ménage qui s’ensuivit, Eve Blanc nia avoir effectué l’achat. Les médecins tentèrent d’expliquer à M. Blanc, qu’Eve, à certains moments, n’était pas elle-même. Le mari, borné, refusa de comprendre.

Et lorsque les médecins prévinrent Eve Blanc que sa « sœur jumelle » détestait cordialement sa petite fillette de quatre ans, la pauvre femme pris un parti : elle divorça et confia pour son bien, l’enfant à son mari.

Quatorze mois durant, les docteurs Thogpen et Cleckley, se consacrèrent au cas d’eve Blanc, prirent film sur film, note sur note et multiplièrent leurs efforts pour la guérir.

En fait, les apparitions d’Eve Noir se firent de moins en moins fréquentes.

Mais ce cas — très rare, puisque l’on en relève que cent dans le monde au cours du siècle dernier, soit un sur quarante mille patients ressortant de la médecine psychiatrique — devint [p. 53, colonne 2] absolument unique au début du cinquièmse mois

Ce fut aussi soudain et imprévu que l’apparition d’Eve Noir.

Ce jour-là, c’était Eve Noir que les docteurs soignaient. Brusquement son regard devint vague, ensommeillé. La caméra se mit à ronronner. Eve Noir considéra l’objectif, les sourcils froncés, puis son regard devint à nouveau vague. Son visage montrait des signes évident de douleur intense. Bientôt, la tête s ‘agita de droite et de gauche comme sous l’effet d’une implacable torture. Cela dura un peu plus d’une minute, une minute intense au bout de laquelle les traits se détendirent tandis que le sourire revenait.  Mais c’était un sourire nouveau, doux, sensible. Les yeux s’ouvrirent enfin et considérèrent les psychiatres d’un air étonné.

« Qui êtes-vous ? » fit une voix chaude, aimable. Les spécialistes répandirent prudemment et ajoutèrent : « Et vous ? »

La jeune femme battit des paupières, eut un petit rire clair, et dit : « Moi ?… Mais je suis Jane !… »

Jane — les médecins le découvrirent bien vite — représentent le parfait équilibrent entre la fade Eve Blanc et la sémillante Eve Noir.  Elle est simple, mais très intelligente. Jane  est capable d’un amour réel. Non seulement elle est parfaitement équilibrée, mais encore elle connaît bien Eve Noir et surtout Eve Blanc pour qui elle est pleine de compassion. Jane connait également la fillette d’Eve Blanc qu’elle affectionne.

Si, pense les psychiatres, la personnalité de la douce et sensible Jane pouvait l’emporter sur celles des deux Eve, ce serait la solution idéale en ce cas unique de personnalités multiples.

Mais ils reconnaissent que les « apparitions » de Jane sont encore trop espacées  et à vous ignorer l’issue de cette histoire sur laquelle il s’apprête à publier un livre qui est fort attendu aux Etats-Unis.

Car les Américains se passionnent pour cette affaire, dont les détails ont été longuement publiés jusqu’en Australie, et souhaitent dans un volumineux courrier adressé à l’University Hospital, voir Jane sortir victorieuse de l’étrange lutte.

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Tandis que la femme légère (à droite) qui a dû prendre place à son foyer se prend à son tour au jeu de la vertu (à gauche).

 

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