Laignel-Lavastine et Jean Vinchon. A propos d’une observation de psycho-analyse. Extrait de la « Gazette des hôpitaux civils et militaires », (Paris), 93e année, n°733, 24 et 26 août 1920, pp. 1257-1259 .

Laignel-Lavastine et Jean Vinchon. A propos d’une observation de psycho-analyse. Extrait de la « Gazette des hôpitaux civils et militaires », (Paris), 93e année, n°733, 24 et 26 août 1920, pp. 1257-1259 .

 

Maxime-Paul-Marie Laignel-Lavastine [1875-1953]. Élève de Joseph Babinski. il s’intéresse à la neurologie, la criminologie et la psychiatrie. Internat de Paris en 1898, Médecin des Hôpitaux en 1907, agrégé en 1910. Enseignant l’histoire de la médecine, c’est très tôt qu’il s’intéressera à la psychiatrie, mais c’est seulement en 1939, en prenant la succession de Henri Claude à Sainte Anne et en occupant la chaire de Clinique des maladies mentales qui se consacra à cette discipline. Organiciste convaincu, il prendra étonnement part à la défense de la psychanalyse comme nous le constatons ici. Parmi ses très nombreux élèves on peut retenir les psychanalystes Maurice Bouvet et René Held. En 1933, il fonda la revue Hippocrate, avec le professeur Maurice Klippel. Quelques publications : Quelques unes de ses publications :
— (avec Cambessadès). Ménage délirant halluciné chronique. Article paru dans « l’Encéphale », (Paris), deuxième semestre, 1913, pp. 479-486. [en ligne sur notre site]
— À propos d’une observation de psychanalyse. Gazette des hôpitaux, 1920.
— Avec Jean Vinchon. Les symboles traditionnels et le freudisme. Article parut dans la revue « Paris médical : la semaine du clinicien », (Paris), n°40, 1921, page 151-155. [en ligne sur notre site]
— La méthode concentrique dans l’étude des psychonévroses. Leçons cliniques de la Pitié, 1927. Paris, A. Chahine, 1928. 1 vol.
— La pratique psychiatrique à l’usage des étudiants et des praticiens. Avec 19 figures. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1919. 1 vol.
— Les malades de l’esprit et leurs médecins du XVI° au XIX° siècle. Les étapes des connaissances psychiatriques de la Renaissance à Pinel. Paris, Norbert Maloine, 1930. 1 vol.
— Les symboles traditionnels et le freudisme. « Paris médical : la semaine du clinicien », (Paris), n°40, 1921.
— Avec Jean Vinchon. Une observation d’incube à la Renaissance.] in « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome premier, quatre-vingt-unième année, 1923, pp. 203-206. [en ligne sur notre site]
Et tiré-à-part : Paris, Masson et Cie, 1923. 1 vol. in-8°, pp. 203-206.
— Pathologie du sympathique. Essai d’anatomo-physio-pathologie clinique. Préface du professeur Henri Roger. Avec 105 Figures. Paris, Félix Alcan, 1924. 1 vol.
— Valeur séméiologique des rêves.] in « Journal Médical Français », (Paris), novembre 1926.
— Délire archaïque (astrologie, envoûtement… magnétisme). Article paru dans les « Annales médico-psychologique », (Paris), XIV série, 92e année, tome 2, 1934, pp. 229-232. [en ligne sur notre site]
— Précis de criminologie. La connaissance de l’homme. La biotypologie. La personnalité criminelle. Criminologie clinique. Les récidivistes. Les anormaux. Les mineurs. Avec 2 figures. Préfaces de B. di Tullio et d’Étienne de Greeff. Paris, Payot, 1950. 1 vol.
— Recherches sur le plexus solaire. Paris, Georges Steinheil, 1903. 1 vol. in-8°.

LAIGNEL0002Jean Vinchon nait à Ennemain près de Péronne en 1884, et meurt à Paris le 15 novembre 1964. Sa thèse de doctorat en médecine, ayant pour thème le délire des enfants, en 1911 devant un jury de la Faculté de médecine de Paris. Il sera un collaborateur de Gilbert Ballet, et Médecin assistant du service de psychiatrie à l’Hôpital de la Pitié de Laignel-Lavastine. Psychiatre et historien de la médecine il s’intéressera beaucoup au paranormal, au diable, à l’hypnose, mais aussi à l’art dans ses rapports avec la folie. Il collaborera avec Maître Maurice Garçon dans un ouvrage qui reste une référence : Le Diable. Il sera membre de l’Institut Métapsychique International (IMI). Quelques titres de travaux parmi les 500 publications connues :
— Délires des enfants. Contribution à l’étude clinique et pronostique. Thèse de la faculté de médecine de Paris n°388. Paris, Jules Rousset, 1911. 1 vol. in-8°, 165 p., 2 ffnch.
— Hystérie. Paris, Stock, 1925. 1 vol. in-16, 122 p.
— L’art et la folie. Paris, Stock, 1924. 1 vol. in-18, 127 p. Illustrations. Dans la collection « La culture moderne ».
— La conception de la folie chez Schopenhauer. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XXIe année, 1924, pp 488-493. [en ligne sur notre site]
— Le songe de Poliphile ou la tradition dans Freud. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 62-69. [en ligne sur notre site]
— La part de la maladie chez les mystiques. L’article que nous proposons est extrait d’une revue devenue fort rare : Pro Medico, revue périodique illustrée. Paris, 3e année, n°2, 1926, pp. 36-44. [en ligne sur notre site]
— Essai d’interprétation des phénomènes de l’incubat. Article parut dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », Paris, 1927, 24, pp. 550-556. [en ligne sur notre site]
— Les guérisseurs – Du rôle de la suggestion dans les succès obtenus par les guérisseurs (Institut International d’Anthropologie n°13 de 1928).
— Sur quelques modalités de l’Art inconscient. 1928.
— Les faux Dauphins et leurs prophètes. 1929.
— Une extatique stigmatisée : Maria de Mörl. Article paru dans les « Études carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer et Cie, 20e année, — vol. II, octobre 1936, pp. 79-80. [en ligne sur notre site]
— Le fluide de Mesmer est-il une énergie physique ou une force métapsychique. 1935.
— Le problème des stigmates et son intérêt métapsychique. 1936.
Diagnostic entre la transe médiumnique et les états similaires pathologiques. 1937.
— La psychothérapie dans l’œuvre de Mesmer. 1939.
— La part de la maladie chez les mystiques. Pro Medico, revue périodique illustrée. Paris, 3e année, n°2, 1926, pp. 36-44. [en ligne sur notre site]
Les aspects du diable
à travers les divers états de possession. Article paru dans le numéro spécial des  » Études carmélitaines » sur « Satan ». (Paris), Desclée De Brouwer, 1948. 1 vol. in-8°, 666 p. – pp. 464-471. [en ligne sur notre site]
— Les formes et les éléments de la psyché dans la conception de Jung Marcel Martiny, 1964.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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A PROPOS D’UNE OBSERVATION
de
PSYCHO-ANALYSE

par MM. LAIGNEL LAVASTINE
Professeur agrégé, chargé de cours,

JEAN VINCHON
Chef de clinique
à la Clinique des maladies mentales et de l’encéphale.

La psycho analyse et ses méthodes sont encore peu connues du public français ; néanmoins, après les critiques du début, nous assistons à un revirement de l’opinion. Des aliénistes averti, comme MM Dupré Trepsat viennent de publier dans l’Encéphale un essai inclinant dans ce sens. Nous ne voulons pas reprendre ici les objections de MM. Pierre Janet, Régis Hesnard, Bleuler ; ce dernier surtout, qui est après une période de scepticisme, à continuer néanmoins à pratiquer la méthode de Freud, a bien montré ce qu’il fallait en retenir (1). Notre but est plus modeste. Nous nous contenterons de noter une réflexion, à propos d’observations prises suivant la technique de Vienne dans le service de clinique de la Faculté de médecine de Paris.

On sait qu’il s’agit avec ces procédés d’aller chercher, dans l’inconscient, les causes déterminantes de nombreux troubles psychiques, qui vont de la psychasthénie avec ses obsessions et ses doutes, a la démence précoce, envisagée plus particulièrement sous l’aspect de la schizophrénie de Bleuler. A toutes les méthodes employées : exploration des rêves a l’aide de la symbolique, analyses psychologique et expérimentale des associations d’idées, étude des actes de la vie journalière, Freud a imprime le cachet de sa forte personnalité, si bien qu’a beaucoup d’adeptes, par-delà nos frontières, il apparaît comme une sorte de prophète, annonciateur d’une bonne parole, destinée à transformer la médecine mentale, la psychologie, l’art, la littérature et même la morale de ses contemporains.

Faute de place, nous prendrons comme exemple la plus typique de nos observations : celle d’une psychasthénique de 37 ans, atteinte de tics depuis des accidents de dents de sagesse, coïncidant avec la mort de son père et la perte de l’aisance où vivait la famille, en 1910. Marie estime femme d’une intelligence el d’une culture moyennes, mais qui a toujours été rêveuse et imaginative. Malgré ses tendances sentimentales, elle est restée vieille fille, condition favorable pour l’étude du « refoulement ».

Jusqu’à la fin d’avril 1920, Marie nous avait refusé ses confidences. A cette date, elle nous raconte, qu’au milieu de ses malheurs, elle a souffert de déceptions sentimentales : elle aimait un jeune homme qui passait sous ses fenêtres, et ses parents se moquaient d’elle. Cet amour a duré près de 5 ans. Dès le début, les tics avaient commencé et s’étaient installés peu à peu. Elle proteste vivement quand nous cherchons une relation entre ces deux faits ; pourtant, elle avoue sa coquetterie et son désir de plaire ; elle se plaint que les tics l’enlaidissent. Jamais, elle n’a parlé à ce jeune homme ; elle vivait un roman intérieur, entretenu par des apparences, qu’elle épiait jalousement : coïncidences singulières, allées et venues de tous les jours. Sa mère était très sévère et jamais Marie n’a osé tirer l’affaire au clair, se contentant d’un vague bonheur, qu’elle traduit ainsi : » Je me moque qu’il m’aime pourvu que je l’aime. J’ai rêvé à lui étant à Paris ; on se [p. 1257, colonne 2] mariait, mais je l’aimais plus en rêve qu’en réalité. Oh ! il n’y avait rien de mal dans ces rêves. Ce n’était pas à l’église, on tombait dans un fossé ; il n’y avait que lui qui me tenait dans ses bras, j’étais très heureuse ; il m’a dit : il faut descendre avec moi et je suis tombée dans le fossé. Ce rêve s’est reproduit fort rarement, mais il me rendait très heureuse. » Malgré ses efforts, elle n’a pu retrouver dans son sommeil, cette image agréable et, dans la journée, elle l’a évoquée souvent dans des rêveries entretenues par une véritable « volonté de maladie » (welle zür krankheit) qui lui a tait entrevoir dans cet état de maladie une possibilité de nouvelle attitude dans la vie, où elle s’estime incapable de pendre place depuis la ruine de ses espérances matérielles et sentimentales.

Au cours de cette confidence, l’humeur de Marie change continuellement : elle est gaie et rit impulsivement ou bien elle sanglote et cache son visage ; elle est très inattentive et se laisse distraire par le moindre événement survenu dans la salle ; ce sont de très mauvaises conditions pour l’étude expérimentale des associations d’idées. Les réponses aux mots inducteurs ne nous donnent que des mots de sens contraire, ou des réactions émotives, impulsives, sans signification verbale. Par exemple :

Chanter, après 4 secondes donne le mot : des fleurs, suivi d’un rire impulsif.

Mort, répété plusieurs fois en écho sans mot réaction.

Il faut se méfier aussi d’un grand nombre de mots réactions, empruntés par la malade distraite au milieu extérieur. Cette expérience nous a paru toujours une des plus difficiles a réaliser et, malgré son intérêt, nous avons dû, faute de temps, la faire passer souvent au second plan.

Reste l’analyse des rêves, particulièrement importante pour l’école de Freud. Nous en publions ici le journal pendant le mois de mai et le début du mois de juin, en insistant sur le côté affectif des rêves, si différent avec le même symbole et qui peut aider à l’interprétation au milieu du dédale des phénomènes « sus-déterminés », qui nous paraissent beaucoup plus complexes, beaucoup plus difficiles à appréhender dans la pratique que ne le veut l’hypothèse de Freud. Si bien que nous nous sommes méfiés de toute interprétation, à laquelle n’accédait pas la malade, dans la crainte où nous étions de la suggestionner.

1er mai : Marie a passé une bonne nuit ; elle a été pourtant anxieuse au petit jour ; dans un premier rêve, elle a vu le médecin, la figure couverte de boulons (elle a deviné le mécanisme du transfert et l’a immédiatement réalisé en rêve) ; puis au petit jour, comme souvent sa mère mourait en étouffant ; pour elle, c’est le symbole du peu d’importance des déceptions sentimentales à côté de la perte de sa famille. Dans la journée, l’émotivité a augmenté.

2 mai : Bonne nuit : une infirmière du service qu’elle connait bien est enceinte ; elle a oublié le contenu d’un deuxième rêve agréable.

3 mai : Rêve très agréable : Marie monte un escalier avec un de ses anciens élèves, un enfant ; elle marche mieux que d’habitude, mais elle n’est pas encore guérie de ses tics (auparavant elle rêvait qu’elle était complètement guérie) ; arrivée au 2e étage, elle est contrariée ; elle avait une belle robe a raies rouges ; elle l’a tachée précisément avec de la couleur pareille au niveau de ses cuisses (elle vient d’avoir ses réglés).

4 mai : Mauvaise nuit. Marie cherche anxieusement des cartes postales qu’elle ne trouve pas, elle trouve à la place des reproductions de tableaux de maîtres, elle finit par mettre la main sur les premières cartes postales cherchées au matin, elle assiste encore à la mort de sa mère. La journée est mauvaise.

7 mai : Après plusieurs nuits sans rêve, Marie dîne dans une église avec sa famille, dont sa mère morte ; le médecin passe dans l’église à ce moment ; ce rêve est agréable, mais dans la seconde partie de la nuit, on lui donne dédaigneusement un bonheur-du-jour dont on ne veut plus : elle a du plaisir mais elle est déçue de ce cadeau. Enfin, au matin, elle est encore anxieuse ; un incendie se déclaré, mais elle l’éteint rapidement.

8 mai : Elle est dans un salon avec sa mère ; une petite fille danse en chantant, avec un large ruban bleu dans les cheveux, comme un chapeau. La petite fille chante une chanson sur les [p. 1258, colonne 1] chapeaux (Marie aime à nouer ses cheveux d’un large ruban bleu).

9 mai : Pendant 8 jours, Marie ne veut plus nous confier ses rêves, rougit, est très embarrassée, quand nous lui en demandons la raison…

16 mai : Crise émotive dans la journée, à la réception d’une lettre d’une amie, chez qui il y a un monsieur qu’elle connaît bien. Dans la journée, nouvelles confidences sentimentales sur des amours antérieures à celles qui nous ont été contées plus haut.

20 mai : Nouveaux rêves : à 3 reprises différentes, elle rencontre le médecin dans l’église, à l’enterrement de sa mère ; au matin, elle nous dit que ce qui la chagrine le plus, c’est de ne pas avoir eu d’enfant.

22 mai : Rêve qu’elle a assisté à l’enterrement de sa mère ; elle n’a pas de chagrin, n’est plus anxieuse. Elle parle de ses déceptions sentimentales, dues peut-être à ce que ses parents ne l’ont pas poussée au mariage.

25 mai : Un seul souvenir d’un rêve, d’ailleurs vague. Elle se souvient seulement que le professeur lui a parlé ; elle n’était pas encore guérie.

1er juin : Après une série de rêves d’église, d’enterrement (elle est très religieuse dans ses bons moments), elle dit au matin : « Je me cherche dans tout cela. » Marie a vu dans la nuit deux troncs d’arbres en croix sur un tombeau, puis le médecin avec un uniforme du temps du premier Empire, qui était mal reçu par une vieille dame (allusion possible, pour le dernier point, à un événement de la veille).

4 Juin : Nouvelle scène onirique où intervient toujours le médecin en brillant uniforme, pendant qu’on porte Marie sur un brancard. Ce souvenir est pénible et provoque une crise de désespoir : « J’aurais mieux fait d’en finir, ce sera toujours comme cela, je ne pourrai pas travailler, je serai toujours malade. »

Pourtant l’amélioration est notable, les tics sont moins violents et alternent avec des crises de doutes, la décharge affective se faisant tantôt dans le domaine physique et tantôt dans le domaine intellectuel. Marie ne craint plus de sortir dans le jardin de l’asile et, lorsque nous l’observons à la dérobée, elle passe de longues heures assise tranquillement sur son banc. Elle a donc bénéficié dans une certaine mesure de la psychothérapie. Malheureusement, elle a toujours présentes à l’esprit les conditions difficiles où elle se trouvera à la sortie de l’asile ; elle ne désire pas cette sortie et elle parait même craindre de guérir, et comme nous ne pouvons rien contre cette situation entretenue par une volonté insuffisante, il est à craindre que l’affection se prolonge. C’est la cause évidemment de l’agitation anxieuse au moment des examens et de certaines crises de dépression passagères, notées par les infirmières en notre absence.

Dans cette observation, nous avons retrouvé tous les symboles classique du Freudisme, l’escalier, l’église, le bonheurs-du-jour, le chapeau, les fleurs rouges. Deux faits reviennent fréquemment : l’enterrement de sa mère et des promenades ou des scènes diverses en compagnie d’enfants, des visions de grossesses. Si, pour les premiers symboles, l’interprétation sexuelle n’est pas douteuse, il ne semble pas que, pour les derniers, il faille chercher autre chose que le souvenir direct qu’ils évoquent. A chaque instant, Marie nous parle du chagrin de la perte des siens et du regret de n’avoir jamais été mère. Les propos de la journée éclairent, sans qu’il soit besoin de recourir à la symbolique, les rêves de la nuit.

Quant à l’histoire des tics, elle est fort simple : Marie se sentait vieillir et craignait de devenir laide, lorsqu’un décembre 1910, après une poussée douloureuse d’une dent de sagesse, elle s’est regardé dans une glace et a surpris son premier tic. Puis ils

ont disparu pendant la maladie de son père pour réapparaître définitivement en mars 1911, alors qu’elle était à la chapelle en train de lire son évangile (2) [p. 1258, colonne 2]

Depuis, l’évolution a été parallèle aux émotions que Marie a traversées ; son état s’améliorait et elle reprenait espoir, s’aggravait et elle était découragée. Actuellement, bien qu’elle aille mieux, comme elle a dix ans de plus, elle est convaincue de la presque impossibilité de refaire sa vie et se désole d’un avenir de vieille fille, privée de l’affection de ses parents et de l’espoir de la maternité. Ce sont évidemment des circonstances particulièrement défavorables, mais surtout dans le milieu où nous observons, elles sont fréquentes et entravent nos essais de cure.

L’école de Freud nous reprocherait certainement de nous être contentés de la seule observation d’avoir réduit au minimum nos interprétations personnelles et de n’avoir pas poussé plus loin la recherche de l’histoire des tics et de leur origine. C’est qu’en France, avertis par l’aventure de l’hystérie, nous avons appris à nous méfier de l’intervention trop intime du médecin, surtout dans cette catégorie de troubles mentaux. Certaines malades nous ont ainsi réclamé d’elles-mêmes l’épreuve de la psycho-analyse, contant sans aucune pudeur des rêves érotiques où le médecin jouait une large part. Nous avons éliminé d’emblée ces femmes, véritables exhibitionnistes de leur fond mental, dont le cas n’est pas exceptionnel.

Pourtant, tel qu’il est, cet essai de psycho-analyse est intéressant’ et montre bien toute l’importance des recherches de l’école de Freud. D’autres observations sont peut-être moins riches en symboles, mais aboutissent aux mêmes conclusions, c’est-à-dire à prouver le rôle considérable de l’instinct sexuel dans l’évolution des psychoses. Mais est-ce là vraiment la cause déterminante de celles-ci ? Notre éducation organiciste s’insurge contre cette conception : les progrès de la technique ont permis de déceler des lésions anatomiques dans des affections pour lesquelles jusqu’ici le microscope ne nous avait rien appris ; il est certain que l’ère de ces découvertes n’est pas close.

Mais avant la lésion, expression morphologique du trouble, n’y-a-t-il pas une modification dynamique en rapport avec le refoulement de l’instinct sexuel, et qui, échappant encore aux méthodes actuelles d’investigation histologique, se traduit par la tendance aux obsessions, aux phobies et aux tics sur le fond d’aboulie classique ? Seules les hypothèses peuvent répondre et alors il est permis de réserver son opinion, malgré la séduction des doctrines et l’ingéniosité des systèmes. D’ailleurs, nous ne croyons pas qu’il y ait un très grand intérêt à recourir à ceux-ci, dont l’importance pratique nous échappe.

L’expérience confirme, pour nous, l’opinion de MM. Régis et Hesnard qui considèrent la psychothérapie de l’École de Vienne comme l’une des meilleures, parce qu’elle permet une connaissance très complète du malade. Mais lorsque les recherches sont parvenues à leur fin et ont tiré du conscient, pour le malade et pour nous, l’histoire complète des troubles, la guérison ne survient pas pour cela. C’est qu’elle est la résultante d’action. nombreuses et complexes, les unes physiques, les autres morales. Ces dernières mêmes sont multiples comme nos instincts, avant tout, égoïstes. Aussi Freud a-t-il insisté tout particulièrement sur [p. 1259, colonne 1] la crainte de la lutte pour la vie qui fut souvent un obstacle à ses cures. Peu importe au fond qu’elle soit en relation ou non avec la « Libido », chez nos malades d’asiles elle est constante et il faut s’attaquer à  elle comme si elle était isolée. Pour le maître qui ne  perd pas de vue tous les détails de la doctrine, cela n’a pas grande importance, mais n’y-a-t-il pas un danger pour les élèves à grouper les malades sous une seule étiquette, d’autant que l’on a toujours tendance à resserrer les diagnostics et comme à recueillir dans un miroir concave une image déformée des multiples aspects d’un psychopathe ?

Notes

(1) FREUD et BLEULER par le Dr I. ERMAKOV, assistant de la clinique psychiatrique de l’Université de Moscou, in Arch. neurol., août 1913, p. 92.

(2) D’où peut-être les nombreux rêves d’église et de chapelle, qui perdraient, en partie, leur sens érotique.

 

 

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