La stigmatisée de Kergaër. Par Georges Surbled. 1899.

RABARAMA, Stigmate (1969) ,Studio d'Arte Martini, Maderno sul Garda (Brescia,Italia)

RABARAMA, Stigmate (1969) ,Studio d’Arte Martini, Maderno sul Garda (Brescia,Italia)

Georges Surbled. La stigmatisée de Kergaër. Article parut dans la revue « Le Monde invisible », (Paris), 1899, pp.104-107.

Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1998 à 1908, soit 10 volumes. .
Quelques unes de ses publication :
— Le mystère de la télépathie. Article parut dans la « Revue du monde invisible », (Paris), première année, 1898-1899, pp. 14-24. [en ligne sur notre site]
— Le diable et les médiums. Partie 1.  Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°1, 15 décembre 1898, pp. 61-71. [en ligne sur notre site]
Le diable et les médiums. Partie 2.  Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°2, 15 janvier 1899, pp. 113-123.
— Obsession et possession.] Article paru dans la « Revue des sciences ecclésiastique- Revue des questions sacrées et profanes… Fondée par l’abbé J.-B. Jaugey, continuée sous la direction de M. L’abbé Duflot », (Arras et Paris, Sueur-Charruey, imprimeur-libraire-éditeur), n° 15, décembre 1897, pp. 46-58. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 104]

LA STIGMATISÉE DE KERGAËR

Une stigmatisée a été dernièrement signalée à Kergaër, au fond de la Bretagne (1). Son cas n’est pas absolument extraordinaire, mais présente plusieurs particularités intéressantes ; et nous croyons être agréable à nos lecteurs en reproduisant, d’après la Semaine religieuse de Quimper, le récit d’un témoin, prêtre breton d’une parfaite bonne foi :

« Le vendredi de la semaine de Pâques, je me suis rendu de Lorient, en compagnie du Dr Le G., à Inzinzac, à 6 kilomètres d’Hennebont. Nous fîmes, à pied, le trajet du bourg au village de Kergaër, distant d’un kilomètre environ ; c’est là qu’habite la « stigmatisée », Françoise Helgoualc’h, âgée de vingt-quatre ans .

« Il est bien nommé, ce village de Kergaër ; le site en est ravissant. C’est tout à fait le paysage chanté si souvent par Brizeux : des landes sauvages, de longs genêts dorés, de noirs sapins, de la bruyère, des rochers moussus, de petites vaches noires errant çà et là, tout cela éclairé par le beau soleil du bon Dieu, au commencement du printemps.

Hans Jorgensen, scupteur.

Hans Jorgensen, scupteur.

« En arrivant au village, le docteur me laisse et pénètre seul dans la ferme, afin de préparer la malade à notre visite. On laisse désormais entrer peu de personnes, pour éviter toute fatigue exagérée ; mais le bon docteur est connu et a ses entrées libres. Dix minutes environ après, il vient me chercher.

« En pénétrant dans l’unique chambre de la ferme, très vaste et très longue, je vois d’abord une rangée de lits clos, alignés les uns à la suite des autres ; puis, au fond, dans une encoignure, éclairée par une petite fenêtre, le lit de la malade, abrité par des rideaux de coutil grisâtre ; au-dessus et contre le mur un peu à gauche, une image de la Sainte Face. Je ne puis, en écrivant ces quelques lignes, dominer encore l’émotion que j’ai ressentie au premier aspect de cette pauvre fille couchée, depuis un an et demi, sur son lit de douleur… Tous les vendredis, depuis dix-huit mois, ce sont les mêmes souffrances, les mêmes plaintes et aussi la même résignation de la part de la malade. Les stigmates commencent à [p. 105] apparaître, dans la nuit du jeudi au vendredi de chaque semaine, les uns après les autres ; quand je la vis, vers 10 heures du matin, ils étaient au complet, moins une grande tache de sang que je vis moi-­même apparaître sous l’œil gauche, semblant sortir du point lacrymal.

« Le front est entouré d’une couronne qui en prend toute la largeur depuis la naissance des cheveux jusqu’aux sourcils ; cette couronne est formée de losanges très réguliers et entrelacés, que l’on croirait tracés au pinceau ; les cheveux empêchent de voir la couronne derrière la tête, mais elle existe, me dit le docteur. Une tache de sang de la grandeur d’une pièce de un franc couvre le métacarpe de chacune des mains, de même au-dessous, à la paume, correspond une tache de sang d’égale grandeur; les mêmes stigmates existent aux deux pieds.

« Il y a quelques années, Françoise Helgoualc’h avait demandé à entrer en religion, dans la Congrégation des Filles de Jésus de Kermaria ; ces religieuses portent, comme signe distinctif, un anneau simple à l’annulaire de la main droite : la pauvre fille a un anneau sanglant, avec un chaton très visible, à la main droite. Sur la joue gauche, une grande tache de sang, et près de l’œil gauche, une autre tache que je vois apparaître et grandir comme une sueur de sang, s’échappant par chacun des pores de la peau. Dans ces moments, les souffrances sont plus aiguës, nous dit la pauvre malade. Avant mon arrivée, le docteur avait reconnu une croix sanglante sur la poitrine et une tache de sang au côté.

Pietro Lorenzetti - Stigmates de saint François.

Pietro Lorenzetti – Stigmates de saint François.

« La stigmatisée se plaint presque continuellement, et il est impossible de rester insensible devant cette figure si douloureuse. Je lui dis que, le lendemain, je dirai la sainte messe à son intention, afin que le bon Dieu lui donne la grâce de supporter ses souffrances avec résignation ; elle me remercie bien simplement, en joignant ses pauvres mains ensanglantées : « Oui, je vous en supplie, priez, priez pour moi ! » Les ongles des mains et des pieds sont presque tous tombés, et j’ai vu jaillir, à la place, des gouttelettes de sang, qui arrachaient chaque fois à la patiente un cri de douleur.

« À un moment donné, elle s’écrie, à deux reprises : « Mon cœur ! mon cœur ! » en pressant sa poitrine de ses mains ; puis elle a un évanouissement, qui a duré environ une minute. Sa figure, au repos, dans cet état de syncope, est d’une régularité parfaite, et je fais le rapprochement entre ce que je vois sous mes yeux et cette gravure de l’Almanach Hachette, qui est vraiment hideuse et ne donne pas la moindre idée de la scène que j’avais sous les yeux. Pendant le quart [p. 106] d’heure que j’ai passé près de Ia malade, elle a eu deux crises de cc genre.

« Il y a. un mois environ, le Dr Le G. a vu apparaître la croix sur la poitrine ; cette croix a environ 0m,20 de longueur, l’autre branche 0m,02, comme largeur 0m,02 à peu près ; elle part de la clavicule pour aboutir à l’extrémité du sternum. À ce moment, la malade tombait comme en extase, et prenait l’attitude du Christ en croix, avec arrêt complet de la respiration pendant un peu plus de deux minutes. Le docteur me dit avoir lavé avec soin les taches de sang sur 1es mains et la poitrine, et constaté lui-même qu’il n’y avait aucune éraillure ni égratignure de la peau, aussi blanche, aussi intacte là qu’ailleurs ; il n’a pas voulu renouveler ce lavage, aujourd’hui, parce que les souffrances de la malade sont plus aiguës, le sang reparaissant un instant après. Dans la soirée du vendredi et pendant la nuit, tout ce sang se dessèche complètement et tombe comme en poussière ; tous les stigmates disparaissent.

« Un fait encore plus curieux, et aussi inexplicable que les autres : le Dr Le G. a appliqué lui-même une mousseline très fine sur la poitrine, et le morceau de mousseline a pris l’empreinte, non pas d’une croix ordinaire, mais d’un crucifix de même taille que la croix qui, de plus, apparait en relief sur l’étoffe qui est creusée et bossuée, comme frappée au marteau. Je n’ai pas vu ce fait moi­ même, mais le docteur a remis à M. le Curé de… une empreinte obtenue de cette manière ; quand nous sommes arrivés, le sang était desséché et n’a pu donner d’empreinte sur le morceau de mousseline, apporté à cette intention par le docteur.

« Depuis plus d’un an, il y a, chez la stigmatisée, suspension complète de toute alimentation quelconque, solide ou liquide, et par suite, suspension complète de toute fonction naturelle ; cependant l’amaigrissement n’est pas extraordinaire ; le corps, en parfait état de conformation, est d’une bonne constitution; à l’auscultation, faite différentes fois, le docteur n’a jamais remarqué rien d’anormal ; le pouls est très régulier, pas un seul souffle au cœur.

« Cette année, la pauvre fille a pu faire la sainte communion, à l’époque de Pâques, avec une demi-hostie, imbibée d’eau ; jusqu’ici, on craignait même qu’elle ne pût garder la sainte hostie. Elle m’a dit avoir souffert davantage, pendant la. Semaine sainte, et surtout le Vendredi saint. Je lui ai demandé si elle souffrait tous les jours. « Oui, m’a-t-elle répondu, mais beaucoup plus les jours où apparaissent les taches de sang, c’est-à-dire le vendredi, »

« Après un quart d’heure passé près de la malade, je me sentis [p. 107] tellement indisposé, que je fus obligé de quitter la chambre ; mes jambes me portaient à peine, et ce fut presque en chancelant que je gagnai la porte de sortie. Je ne sais comment analyser cette émotion, dont je ne puis encore me rendre compte.

« Une remarque que le docteur m’avait faite avant, et que j’ai constatée moi-même, c’est qu’il n’y a, chez cette pauvre fille, aucune exaltation religieuse, aucun mysticisme exagéré ; elle répond à tout, avec la plus grande simplicité. Elle doit avoir une certaine instruction, car elle parle correctement le français, avec l’accent assez harmonieux des paysans de ce pays, autant que j’ai pu en juger par des phrases, continuellement coupées d’exclamations douloureuses.

« Que dire, que penser de tout cela ? Je n’en sais rien, ni moi, ni personne ; il ne nous reste qu’à nous incliner devant les manifestations si surprenantes, d’un ordre évidemment surnaturel.

*** 

L’honorable témoin va loin et vite, plus loin que l’Église qui ne s’est pas encore prononcée sur le cas de Kergaër, plus vite que la science dont l’opinion n’est pas faite sur la nature des stigmates. Il nous permettra de ne pas nous associer à sa conclusion radicale et prématurée. On ne saurait vraiment déclarer surnaturel et miraculeux tout ce qui est nouveau et surprenant, tout ce qui dépasse l’esprit des ignorants et même celui des savants, sous peine de renoncer à la science, au progrès, à la plus élémentaire logique, sous peine de nuire gravèrent à l’Église et de compromettre son autorité ! La foi n’est pas intolérante et étroite, comme on se plait à le prétendre dans un certain camp : elle est au contraire éclairée et large. Elle ne nous oblige pas à regarder les stigmates comme une preuve décisive de l’intervention divine. Dans les cas les plus nets, l’Église ne s’est jamais prononcée sur la stigmatisation en elle-même et indépendamment des circonstances : elle n’a jamais dit d’une manière générale que ce fut un phénomène surnaturel. Comment pourrait-on dès lors l’engager dans la question de Kergaër qui vient de naître et qu’elle n’a même pas encore examinée ?

Nous nous bornerons à cette simple, mais nécessaire réserve, le problème des stigmates sacrés étant immense, et devant faire ultérieurement dans la Revue l’objet d’une étude complète.

Dr S. [Surbled]

NOTE

(1) Elle est décédée en juin.

RABARAMA, Stigmate (1969) ,Studio d'Arte Martini, Maderno sul Garda (Brescia,Italia)

RABARAMA, Stigmate (1969) ,Studio d’Arte Martini, Maderno sul Garda (Brescia,Italia)

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