La religieuse « possédée » de Grèzes. Mordus par le « diable ». — Parlant des langues ignorées.1902.

 Jean-Jacques Lequeu (1757-1826).

Jean-Jacques Lequeu (1757-1826).

La religieuse « possédée » de Grèzes Mordus par le « diable ». — Parlant des langues ignorées. Article parut dans la «  Revue des Etudes Psychiques – Publication mensuelle », (Paris), 2e série -2e année, 1902, pp. 170-173.

La suite et la fin de cet article : Encore la « possédée » de Grèzes? Article parut dans la « Revue des Etudes psychiques – Publication mensuelle », (Paris), 2e série -2e année, 1902, pp. 221-223. [en ligne sur notre site].

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

Revue des Etudes Psychiques
Publication mensuelle

[p. 170]

La religieuse « possédée » de Grèzes
Mordus par le « diable ». — Parlant des langues ignorées.

L’agence télégraphique Paris-Nouvelles communique à quelques journaux la dépêche suivante, de Laissac (Aveyron), datée du 14 juin :

Les journaux de Rodez ayant raconté des faits extraordinaires qui se passeraient à l’orphelinat de Grèzes, près de Laissac, concernant une religieuse de cet orphelinat appelée sœur Saint-Fleuret, je me suis rendu sur les lieux pour contrôler ces faits, et voici, ce que je viens d’apprendre de sources, absolument autorisées et dont je garantis l’exactitude.

Il y a depuis quelque douze ans, à l’orphelinat, une religieuse, originaire du canton de Bozouls, nommée en religion sœur Saint-Fleuret, qui est atteinte d’une espèce de folie qui fait qu’elle se croit possédée du diable et que sa supérieure, ses compagnes, les autres sœurs de l’orphelinat, et même presque tous les ecclésiastiques du pays le croient également.

Cette maladie qui, d’après les médecins, n’est qu’une déviation de l’hystérie, a eu comme prodrome une prédisposition naturelle, qui est devenue aiguë par l’influence du milieu ambiant, mais elle n’a rien de surnaturel ; c’est la résultante d’une véritable auto-suggestion.

Dans ses crises, la malade pousse des cris aigus, tellement retentissants que les paysans les entendent à une grande distance du couvent : Il lui semble dans ces moments-là, que le diable la mord ou la brûle à telle partie de son corps, et l’auto-suggestion est si forte qu’aussitôt la crise passée, on trouve à l’endroit du corps où la pauvre sœur souffrait si fort, soit une véritable brûlure sur sa peau, soit l’empreinte [p. 171] d’une mâchoire ou d’un certain nombre de dents qui viendraient de mordre.

Sœur Saint-Fleuret a l’horreur de tout objet religieux : le voisinage d’un christ, d’un 1ivre de dévotion ou d’une image pieuse la plonge immédiatement dans un accès presque rabique et, chose incroyable, elle n’a pas besoin de voir ces objets ; elle les sent, elle les devine quand on les approche d’elle si cachés qu’on les tienne, et elle se précipite. Aussitôt vers eux pour les détruire ne pouvant absolument pas les souffrir.

Rencontre monastique.

Rencontre monastique.

De plus, elle devine souvent la pensée des personnes qui lui parlent, ct elle leur répond, même dans leur langue, quelle que soit cette langue ; ainsi Mgr Lavignac, évêque in partibus, est allé la voir dernièrement ; sœur Saint-Fleuret, qui pourtant n’était pas dans un moment de crise, a commencé à lui cracher ç la figure ; puis s’étant quelque peu calmée; elle a parlé au prélat, et, finalement, comme il lui demandait en langue caraïbe si elle était fatiguée de cet entretien, elle lui a répondu aussi en, langue caraïbe : « Je le suis en effet laissez-moi tranquille et allez vous coucher. »

Quoique étant une simple paysanne qui n’a jamais reçu.1a moindre instruction, sœur Saint-Fleuret parle très bien dans ses crises le grec, l’italien, le russe, l’anglais, l’allemand, etc., et elle répond toujours parfaitement dans la langue qu’on lui parle.

C’est un sujet d’observation pathologique, réellement merveilleux.

Le cardinal Bourret envoya à Grèzes, il y a environ six ans, pour la visiter, un médecin-major di régiment, névropathe très connu, par les travaux scientifiques spéciaux qu’il a publiés sur ces singulières maladies ; le major fut stupéfait de la démoniaque de Grèzes, et il déclara que bulle part, ni à la Salpêtrière, ni ailleurs, il n’a vu une malade plus incroyablement curieuse à étudier.

Il a été fait une foule d’expériences, en présence de nombreuses personnes professant les opinions religieuses ou [p. 172] philosophiques les plus opposées, en même temps que les mieux placées pour se contrôler les unes les autres et pour rendra toute erreur ou toute supercherie impossible, et il résulte de la manière la plus rigoureuse et la plus mathématique que toujours, par suite du phénomène de l’auto-suggestion (1), la malade distingue instantanément l’eau bénite de celle qui ne l’est pas.

Elle la distingue toujours et sans jamais se tromper toutes les fois, qu’on recommence l’expérience ; elle la distingue même sans la voir, c’est-à-dire qu’il suffit qu’on en porte quelques gouttes dans un flacon, aussi caché que possible, pour que, à l’approche du liquide, la malade entre dans un état d’exaspération inimaginable ; alors, elle se précipite comme une furie vers la personne, quelle qu’elle soit qui dissimule le flacon d’eau bénite et elle veut le lui arracher pour le détruire. Si cette personne résiste, la malade, l’injurie violemment et cherche à la frapper ou à la griffer ; sa surexcitation s’élève jusqu’au paroxysme tant que le flacon reste près d’elle, et elle ne se calme que quand il a été éloigné.

Il y a quelque temps, le clergé, espérant que Dieu, dans sa miséricorde ferait· grâce à la possédée et chasserait le malin esprit du corps de la malheureuse si on l’exorcisait ou si on essayait de l’exorciser, ne fût-ce qu’en approchant avec précaution du corps de la malade une hostie consacrée, eut recours à ce moyen ; mais, à peine l’hostie consacrée avait-elle pénétré dans la chambre de sœur s’excitait, s’exaspérait et sa cabrait exactement comme quand on approche d’elle de l’eau bénite, et sa crise durant tant que durait la présence de l’hostie consacrée dans son très proche voisinage.

Un moment après, on approcha d’elle, exactement de la même manière qu’on avait approché l’hostie consacrée, une [p. 173] hostie non consacrée ; cette fois, la malade n’éprouva ni surprise, ni émotion et ne fit de mouvement d’aucune sorte.

Cc cas n’est pas unique au monde. Si l’on veut bien se donner la peine de lire, par exemple, l’histoire des religieuses possédées de Loudun, l’on y trouvera à peu près les mêmes phénomènes, de « don des langues » y compris.

Mais tout cela est fort intéressant. J’oserais même ajouter que c’est plus intéressant que, toutes les questions au moyen desquelles le Bulletin de l’Institut Général Psychologique s’efforce savamment de nous faire luxer les mâchoires.

Je ne sais ce qu’il peut y avoir de vrai dans l’étrange histoire dont Paris-Nouvelles nous fait le récit. %ais comme il est possible que les choses se soient réellement passées telles qu’on nous le raconte, et comme les savants comprennent que l’on a pas tout dit quand on s’est avisé de diagnostiquer « une déviation de l’hystérie » le fait de parler le caraïbe et d’autres langues que l’on ne connaît point, alors vous pouvez être sûr d’une chose : c’est que messieurs les psychologues se gardent bien d’étudier les phénomènes en question.

Heureusement que l’Institut Général Psychologique est là ! Il ne laissera pas échapper une occasion pareille pour tâcher de s’affirmer et, pour son coup d’essai, frapper un coup de maître. Le groupe « groupe d’études des phénomènes psychiques » n’a-t-il pas été constitué pour cela ? Alors on peu y compter.

Eh bien, qu’avez-vous donc à rire ? c’est sérieux – ou presque.

Louis Figuier. La possession. Les mystères de la Science - Autrefois -

Louis Figuier. La possession. Les mystères de la Science – Autrefois –

NOTE

(1) Evidemment la rédaction de Paris-Nouvelles ne comprend pas la signification du mot dont il se sert avec tant de laisser aller. (N. de la R.)

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