La psychopathie religieuse d’Alia. Par Alfonso Giordano. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), première année, 1881, pp. 853-856.

GIORDANOPSYCHPATHIE0001Alfonso Giordano. La psychopathie religieuse d’Alia. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), première année, 1881, pp. 853-856.

Alfonso Giordano est né et mort à Lercara Friddi (Italie) (1 janvier 1843 et 15 juillet 1915). Initiateur de la Médecine du travail en Italie, connu pour avoir été hygiéniste et humaniste.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 853]

FAITS DIVERS

LA PSYCHOPATHIE. RELIGIEUSE D’ALlA.

Alia est une commune de 5,000 habitants, la plupart pauvres paysans, située à l’Est de Palerme, près de la rivière Torto, et encastrée dans le flanc d’une montagne. .

Le Dr Alfonso Giordano (Osservatore medico, 1881) fait une peinture pitoyable des conditions matérielles et morales de cette communauté, à moitié sauvage, dont la saleté, l’ignorance et la superstition sont arrivées à un degré incroyable. Mais-laissons parler le Dr Giordano :

Il y a quelques années, dit-il, sous l’influence d’un prêtre, le P. F…, se développa une secte religieuse qui, formée exclusivement de femmes et réunie autour d’un thaumaturge de Cammerata, mort en odeur de sainteté, put étendre ses ramifications dans toute la commue et acquérir la faveur et la protection de nombreuses familles respectables.

Les pratiques de cette secte sont basées sur la religion, mais tournent au fanatisme et à la folie ascétique. Les adeptes n’ont d’autres occupations que de fréquenter les églises, et rompant avec tous les devoirs et les préoccupations de 1a vie, elles s’abandonnent sans mesure à l’ascétisme, passent leur temps à prier Dieu et s’imposent le célibat. Elles mettent un cilice, ne doivent pas embrasser les enfants ni les serrer sur leur sein, de peur d’éveiller des désirs charnels ; elles ne regardent jamais ‘en face, marchent la tête inclinée vers la terre, se gardent de retirer leur propre chemise et même de tuer quelques petits insectes de crainte de se profaner. Pour torturer leur chair, il n’est pas [p. 854] de privations qu’elles ne s’imposent et les macérations et les abstinences se succèdent sans trêve. Chaque année, à la semaine sainte, elles observent le trapasso, qui est un jeûne de trois jours (du jeudi au’ samedi) ; elles se martyrisent l’esprit et le corps en préparant des mets exquis dont elles ne doivent pasgoûter. Souvent elles se réunissent chez leur père spirituel et là, dans élans de la prière la plus ardente, elles croient sentir l’époux céleste et être transportées dans un monde surhumain. A l’occasion de fêtes, elles remplissent les rues d’images sacrées, de cris et de hurlements. Elles s’adressent surtout à saint François d’Assise, dont elles adorent la statue dans l’église Sainte-Anne et dont elles prennent la vie ascétique comme exemple.

Pâles, maigres, exténuées par les fatigues et les privations, ces malheureuses portent l’empreinte d’un état morbide évident et profond. Presque toutes sont hystériques, visionnaires, exaltées. La B. T…, la tante et la nièce P…, la fille de C…, , la C…, la fille de M. S…., la gnura M…, La M. C…., la fille de la M…., souffrent de convulsions qui

La gnura M…, la M. G…., la fille de M…, quand elles sont seules, parlent à voix haute et font des invocations. La D. M…, une religieuse a du strabisme survenu à la suite d’accès épileptiques.

La Potti est folle, le P. F…, est lui-même convulsionnaire et épileptique. Les malades ont été exorcisées inutilement par le P. F…, et parmi elles une des plus intéressantes la Giallombarda.

Ecole française, Nicole (Jean) Louviers (Eure), 1615-1650, Un exorcisme, tableau attribué à J. Nicole.

Ecole française, Nicole (Jean) Louviers (Eure), 1615-1650, Un exorcisme, tableau attribué à J. Nicole.

Un fait assez éclatant a donné le premier avis de la perversion des facultés mentales d’Alia, en conséquence de l’égarement de l’esprit religieux.

Une femme, attaquée dans son honneur, devint folle, frappa un prêtre au confessionnal, blessa le sacristain, puis montant sur le toit de l’église s’abandonna aux plus grandes extravagances qu’elle termina en se précipitant en bas pour se suicider.

Les choses en étaient là depuis deux mois environ quand, à la suite de la sécheresse prolongée de février, mars et avril, le peuple demanda à faire une procession avec la sainte croix. Quelques fanatiques sortirent de l’église Sainte-Anne sans permission [p. 855] la statue de saint François et, ivres d’enthousiasme et de joie, la transportèrent à l’église paroissiale. Sur le parcours, une dame donna au saint pour sa fille atteinte de paralysie, une paire de boucles d’oreilles ; aussitôt la statue fut couverte de dons jetés par les croyants des portes et des fenêtres. Un exalté assura que de temps en temps le visage du saint transpirait, et une foule innombrable, pleine du trouble religieux vit, elle aussi, transpirer l’image adorée, de laquelle les miracles ne furent mis en doute par personne. Rosalia Giallombarda fut l’intermédiaire entre la foule et le saint.

Cette fille, grande et robuste, âgée de 22 ans, était la fille d’honnêtes bourgeois ; elle avait été épi1eptique, et, se vantait d’avoir été guérie par 
le saint ; maintenant elle était la victime du mysticisme religieux le plus excessif. S’étant emparé d’une petite statue de saint François, elle invitait la foule à regarder comment la statue suait, rougissait, pâlissait, formait et ouvrait les yeux, faisait des signes de tête. Ensuite elle devenait la proie des hallucinations les plus étranges, qui, exaltant et fascinant les spectateurs, se communiquaient avec la rapidité de la foudre. Il faut dire que cette exaltation était précédée d’un jeûne sévère de trois ou quatre jours. Sa belle-sœur, Santa Bellina, fut surtout frappée et devint rapidement hystérique, visionnaire, maniaque, avec des accès de délire tels qu’elle voulait tuer ses enfants, dont un au berceau, et qu’on ne put les sauver qu’en les séparant de leur mère. Le père et les frères de la Giallombrosa devinrent bientôt hallucinés, virent le saint suer, se mouvoir, ou bien pendant la nuit, droit au milieu de la chambre, leur promettant la grâce divine et disparaissant.

Le P. F…, et d’autres prêtres jurèrent que la Giallombarda opérait des miracles, et en peu de temps le nombre de ceux qui de croyaient touchés par la grâce du saint augmenta d’une façon démesurée et la guérison de maladies incurables attira l’attention d’une population crédule et émerveillée. Beaucoup d’habitants des pays voisins accoururent et les rues avoisinant la maison miraculeuse se remplirent d’une foule exaltée. La police craignant des désordres et ne sachant comment arrêter ce torrent de fanatiques, fit arrêter la Giallombarda.

A la nouvelle de cette arrestation, l’agitation fut très vive, les [p. 856] autorités furent insultées et peu s’en fallût qu’un grave tumulte n’éclatât. Le curé, qui n’avait pas craint de défendre publiquement la continuation de ces scandales, dut se réfugier dans l’église pour se soustraire à la colère des bigotes qui l’avaient condamné à mort. Plus tard, il fut grossièrement insulté au milieu de la rue et un soir on lança des pierres dans ses fenêtres.

L’emprisonnement de la Giallombarda fut considéré comme un sacrilège et devint la prétexte de chants, de prières et des plus étranges histoires. Ainsi on raconta que le curé avait été, par punition, battu par le saint que l’on vit entrer pendant la nuit dans la prison de l’hallucinée.

Il va sans dire que la superstition et les pratiques religieuses ont pris un développement énorme parmi cette population crédule. Il n’est question que de mortifications, de privations, de confession générale, etc. Presque toutes les personnes atteintes de maladies graves sont affiliées à cette secte religieuse. On veut, que deux. épileptiques aient été guéries par le saint et une pauvre femme, atteinte d’arthrite déformante, fut traînée de force devant la statue du saint et tellement maltraitée, parce qu’elle n’avait pas été guérie, que son état s’aggrava. Un gamin raconta avoir vu une femme entourée d’une grande lueur qui éclairait la rue et tous voient des fantômes qui promettent d’ici peu de grands avantages à la religion et à l’Église.

M….

 

 

 

 

 

 

 

LAISSER UN COMMENTAIRE






1 commentaire pour “La psychopathie religieuse d’Alia. Par Alfonso Giordano. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), première année, 1881, pp. 853-856.”

  1. FloraLe vendredi 13 mai 2016 à 17 h 28 min

    I’ve been surfing online more than 3 hours as of late, yet I never found any inretesting article like yours. It is beautiful worth enough for me. In my view, if all webmasters and bloggers made excellent content material as you probably did, the net might be much more useful than ever before.