La notion de la mort dans le rêve. Par Lionel Landry. 1933.

LANDRYMORT0001Lionel Landry. La notion de la mort dans le rêve. Article parut dans la revue « Journal de Psychologie normale et Pathologique », (Paris), XXXe année, n°5-6, 15 mai – 15 juin 1933, pp. 639-641.

Lionel Landry [pseudonyme de André Dally] (1875-1935). Libre-penseur. Polygraphe, auteur dramatique, il fut administrateur de La Monnaie de Paris. – A participé aux Cahiers de la Quinzaine dirigés par Charles Peguy. Nous avons retenu l’ouvrage suivant, qui fait référence :
— La sensibilité musicale. Ses éléments – Sa forme. Dans la Bibliothèque de philosophie contemporaine. Paris, Librairie Félix Alcan, 1927.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.– Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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LA NOTION DE LA MORT DANS LES RÊVES

De tout temps les philosophes ont été frappés de ce que, dans nos rêves, des personnes que nous savons mortes, et dont la mort a même été l’un des faits marquants de notre existence, nous apparaissent comme vivantes. Lucrèce s’en préoccupe déjà, l’école anthropologique anglaise y voit un élément de la croyance à la survie, et, récemment, M. Émile Lubac a pris cette remarque comme point de départ d’une étude sur les niveaux de conscience (1).

On considère généralement que, si nous voyons vivants en rêve ceux que nous savons morts, c’est en raison d’une carence des centres compétents qui négligent de rappeler en temps opportun l’annonce du décès.

Deux observations récentes, dont la première m’est personnelle, m’ont conduit à me demander si la question était bien posée ;

1° Un ami que j’invite à déjeuner me répond : « Impossible ; il faut que je prenne le train à midi pour aller à Auxerre enterrer S… — Comment, il est mort ? subitement ? — Non, il était déjà souffrant depuis quelque temps. » — Une heure après je dis à une autre personne : « Vous savez que S… est mort ? — Oui, c’était ce matin dans le journal. » (Je ne l’y avais point vu.) Le lendemain matin, vers six heures, au cours d’un bref assoupissement suivant un premier réveil, je me trouve en rêve dans le bureau de S… et en sa présence. « Comment allez-vous ? — Pas très bien ; je suis souffrant depuis quelque temps. » — Je réfléchis : Vais-je lui dire que les journaux ont annoncé sa mort ? — sur ce je me réveille,

2° Une dame, à qui je raconte ce songe, me dit avoir vu en rêve une amie d’enfance, partie pour les colonies où elle était morte, et s’être écriée : « Comment n’as-tu pas prévenu ta mère que tu n’était pas morte ? »

Voilà deux espèces où, rêvant d’une personne comme vivante, on a [p. 640]néanmoins, présente à l’esprit, la nouvelle de sa mort : analysons la situation :

Quand, à l’état de veille, nous examinons le cas d’un mort apparaissant en rêve comme vivant, nous considérons : 1° l’impression onirique de la présence d’une personne ; 2° la notion réelle de sa mort. Et, inconsciemment, nous faisons le raisonnement que, si cette notion subsistait pendant le sommeil, elle aurait tôt fait, étant données sa force et sa solidité, de dissiper l’impression onirique. Si donc celle-ci persiste, c’est, pensons- nous, que la notion n’intervient pas.

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Mais dans le rêve il en est tout autrement. Notion et impression sont sur le même plan — comme elles le seraient dans la vie réelle. Supposez qu’après avoir vu annoncer dans le journal la mort d’un de vos amis, vous le croisiez bien vivant dans la rue, vous conclurez immédiatement que la nouvelle était fausse ou concernait un homonyme. C’est exactement ainsi que j’ai raisonné quand je me suis trouvé en présence de S… après avoir entendu dire qu’il était mort ; évidemment la nouvelle était fausse. De même pour la dame morte au Tonkin.

Notons que, dans les deux cas relevés ci-dessus, il s’agit d’une personne dont on n’a appris la mort que par ouï-dire ; il ne s’attache donc pas à cette notion le même degré de certitude que s’il s’agissait d’un intime dont on a suivi les derniers instants. Chose curieuse, c’est plutôt quand on évoque des morts de cette catégorie, nos parents par exemple, que le rêve qui nous les montre vivants n’est pas contredit.

Ne serais-ce point parce que, en telle occurrence, nous sommes sûrs de la mort et que par conséquent l’apparition de la personne vivante ne soulève pas la question, le tableau qui nous en est présenté se classant d’emblée comme souvenir ? (Il en serait ainsi dans tous les rêves où le réveil n’apporte pas la notion pénible que la personne est vraiment morte.) Au contraire, si la mort d’une personne est pour nous une notion purement intellectuelle, ne s’étant point réalisée matériellement, nous sommes sujets à la mettre en doute : la question se pose.

l! n’est pas certain d’ailleurs qu’en rêve la distinction entre le souvenir et la perception présente soit aussi nette, aussi immédiatement sentie que dans la vie normale. N’oublions pas que pendant certaines phases, bien étudiées maintenant, de diminution du tonus vital, les faits extérieurs sont enregistrés dans des conditions assez confuses pour que l’esprit, revenant sur lui-même, se demande s’il s’agit de perception ou de souvenirs, ou même des deux à la fois (fausse mémoire). Or cette détente, cette confusion existent au maximum dans le rêve, et le classement sur le plan souvenir, sur le plan perception, ou même le maintien sur un plan ambigu, tel que la question ne soit pas posée, y résulte le plus souvent de circonstances fortuites et insignifiantes.

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Ajoutons — la remarque n’est pas nouvelle — que la symétrie établie par le langage entre le passé et l’avenir, de part et d’autre du présent, [p. 641] est fallacieuse et tient plus du dessus de pendule que de la notion philosophique. Le présent appartient au passé, dont il est la pointe sans cesse renouvelée ; l’un et l’autre forment la matière du rêve qui, bien rarement, se rapporte à l’avenir ; les projets les plus chers n’y tiennent guère de place (et ceci doit rendre sceptique quant aux interprétations symboliques. D’une manière générale, la notion temps n’y est point précise, et cette remarque suffit à enlever beaucoup de valeur à l’observation ancienne et connue touchant l’ignorance du rêve quant à la mort des personnes apparues en songe.

Lionel LANDRY.

(1) Les niveaux de conscience et l’inconscient, Alcan, p. 40.

 

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