La méthode psychanalytique. Par Henri Claude. Le Disque vert. 1924.

CLAUDEPSYCHANALYSE0001Henri Claude. La méthode psychanalytique. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 38-43.

Charles Jules Henri Claude (1869-194). Médecin neurologue et psychiatre. Après avoir été initié à la médecine par Charles Bouchard il de vint l’assistant de Fulgence Raymond à la Salpêtrière et occupa la chaire de clinique des maladies mentales de 1922 à 1939 à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Il œuvra au développement des théories psychanalytique en France, malgré de sérieuses réserves, et créa la premier Laboratoire de psychothérapie et psychanalyse à la Faculté de Médecine de Paris. Il laissera son nom à plusieurs syndromes en neurologie.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, malgré beaucoup d’interrogations, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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LA MÉTHODE PSYCHANALYTIQUE.

La doctrine psychanalytique a fait l’objet de commentaires en général défavorables en France, de la part de personnes qui ne la jugent qu’à travers les traductions de quelques livres de Freud, et d’ouvrages de vulgarisation et de critique judicieuse, au premier rang desquels il faut placer le livre de Régis et Hesnard. Ce sont surtout les psychologues et les littérateurs qui se sont attachés à discuter l’œuvre de Freud et de ses disciples, fidèles ou schismatiques, et qui, sortant du cadre médical primitif, se sont plu à critiquer l’extension de la doctrine, notamment de la théorie du symbolisme pansexualiste, à toutes les manifestations de l’activité intellectuelle. A ces gloses, nous eussions préféré de bonnes recherches personnelles, sans parti pris, imprégnées de l’esprit d’observation scientifique. Que dire de même des discussions stériles que nous avons vues surgir dans certaines sociétés médicales. La psychanalyse y a été fort malmenée par des personnes qui n’avaient jamais eu recours à cette méthode d’investigation, qui n’avaient, en aucune occasion, été à même d’en suivre les résultats, ni tenté de la modifier, de l’adapter aux conditions des malades de notre race. Que penserions-nous d’un médecin qui, à priori, sur la relation des premiers résultats thérapeutiques publiés, aurait rejeté le traitement de la syphilis par l’arsenobenzol, ou le bismuth, sans l’essayer prudemment ? [p. 39] Pourquoi ne raisonnerions-nous pas de même lorsqu’il s’agit d’une « médication psychologique », comme dit P. Janet. Voilà pourquoi je me suis intéressé aux travaux de Psychanalyse qui ont été entrepris par MM. les docteurs Laforgue et Allendy à la Clinique des maladies mentales. Je me suis trouvé en face de cas dans lesquels le traitement rationnel par les méthodes psychothérapiques usuelles, aidées des agents pharmacodynamiques, ne me donnaient pas de résultats ; il s’agissait d’obsessions, de phobies irréductibles, de névroses d’angoisse et d’agitations anxieuses, de troubles psychopathiques complexes en rapport ave des modifications profondes de la sexualité (frigidité, homosexualité). Incapable de secourir les malades dont les situations étaient des plus pénibles et parfois acculés aux pires résolutions, j’ai tenté de les soumettre à une cure psychanalytique. J’en ai contrôlé les heureux effets dans quelques cas (je ne dis pas dans tous). Cela m’a suffi pour m’incliner à penser que plutôt que de discourir sur le fond de la doctrine, il était préférable de recourir à la méthode quand je pensais être utile à mes malades, sans risquer de leur nuire.

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Eh, mon ami, tire moi de danger,
Tu feras après ta harangue,

s’écriait le personnage de La Fontaine.

Est-ce à dire que nous généraliserons l’emploi de la méthode psychanalytique ? Nullement, et c’est là que je m’écarterai des tendances des psychanalystes. Je pense que la méthode d’analyse, avec ou sans interprétation des rêves, ne trouve son emploi, dans la [p. 40] forme orthodoxe freudienne, que dans un nombre de cas très limité. Bien souvent, chez nos malades latins, l’analyse psychologique simple, mise en œuvre par un médecin perspicace, jouissant auprès du sujet du prestige que comporte sa personnalité, obtiendra des résultats satisfaisants. Soit après quelques travaux d’approche, soit par une attaque brusquée — chaque cas réclame la mise en œuvre d’une tactique différente. Et par la suite le médecin consolidera sa cure psychothérapique par les encouragements et le réconfort qu’il apportera au malade, sans opérer le dangereux « transfert » freudien. Mais il convient aussi de reconnaître que cette méthode psychothérapique peut être inefficace chez certains malades et qu’il faut renoncer à la « médication » que nous venons d’indiquer, faite de nuances, d’allusions à mots couverts, de révélations discrètes, appuyée par des indications précises, fermes, autant que bienfaisantes et encourageantes, relatives à la conduite et au genre de vie. Il peut être indiqué de recourir alors à cette extirpation pénible et nécessaire des complexes, en faisant tomber peu à peu les résistances. On a critiqué vivement cette thérapeutique qu’on a accusée de remuer une fange qu’il eût fallu laisser reposer, d’évoquer des images avec une crudité répugnante. On ne peut nier qu’il faille en arriver parfois à ces extrémités, mais le médecin ne se trouve-t-i1 pas souvent dans des conditions où il doit vaincre bien des répugnances ? Qu’il cherche la solution d’un problème scientifique dans l’examen minutieux des viscères sur la table d’autopsie, ou qu’il fasse œuvre [p. 41] chirurgicale pour débarrasser l’organisme d’une néoformation envahissante, le spectacle n’est guère, plus beau. Il y a des moments pénibles dans l’accomplissement du devoir médical et je vois des analogies dans ces divers moments de l’œuvre du médecin, qu’il s’agisse de l’anatomiste, du chirurgien ou du psychanalyste. Mais je demande alors que cette pratique psychanalytique, si choquante par certains côtés, reste strictement dans le domaine médical et j’écarte résolument de ces investigations toute personne qui n’est pas imprégnée de la notion de responsabilité dont est pénétré le médecin digne de ce nom et qui rend si élevée, si respectable sa tâche, quelle qu’elle soit.

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Enfin, je ne dois pas celer qu’à mon avis cette méthode psychanalytique, quelque peu brutale, expose à des dangers en aggravant l’anxiété, les idées obsédantes, les scrupules, si elle n’est pas conduite à bonne fin par un technicien habile, perspicace, doué de toutes les qualités d’autorité, de tact et de conscience, qu’on doit réclamer d’un confesseur. Celui-ci devra réussir à faire accepter par un esprit bouleversé, les sacrifices les plus durs, en apportant au malade, en compensation, avec les paroles d’encouragement, une dérivation à ses préoccupations, en dirigeant son activité affective vers un autre but.

Il y a lieu de faire remarquer que, si dans bien des circonstances, l’exploration psychanalytique aura pour but de mettre en lumière les origines sexuelles de ces fameux complexes refoulés dans l’inconscient, elle ne doit pas se limiter à ce seul objectif Je pense, à l’instar [p. 42] d’Adler et de Steckel, qu’il ne faut pas laisser croire aux personnes non familiarisées avec la psychanalyse que le pansexualisme résume toute cette doctrine. Certes, la notion de la Libido trop étendue, et trop largement diffusée par Freud (et aussi mal interprétée) a provoqué une fâcheuse impression dans les esprits. Il convient, à mon avis, de dire bien haut, que si l’instinct sexuel est un des plus actifs de ceux qui sont à l’origine de beaucoup de nos sentiments et de nos actes, d’autres instincts, tel que celui de la conservation, et même certaines tendances sont susceptibles d’être l’origine des mêmes complexes et de subir le même refoulement. D’ailleurs, bien des rêves de Freud, rapportés et analysés par lui-même, mettent en relief non pas des phénomènes sexuels, mais simplement des sentiments et des tendances plus ou moins contrariés.

Il me semble donc que nous devons nous montrer éclectiques et accepter, au point de vue médical, certaines des notions non pas nouvelles, mais placées en lumière par les travaux de Freud, que nous devons par notre expérience personnelle, sans parti pris, chercher comment nous pouvons les adapter à l’étude pathogénique des psychoses et des psychonévroses, sur le terrain spécial que représente la mentalité française, et couronner cette étude par des applications thérapeutiques prudentes, mais seulement dans certains cas, soigneusement choisis. Ceci ne nous empêchera pas, comme je l’ai montré avec mes collaborateurs, de tenir compte de la constitution du sujet traité, d’étudier [p. 43] les conditions biologiques qui ont favorisé l’apparition des troubles psychonévrosiques et par des actions pharmacodynamiques ou une thérapeutique endocrinienne, opportunes, d’apporter à la cure psychanalytique, des moyens adjuvents précieux.

Dr HENRI CLAUDE.
Professeur à la Faculté de Médecine
de Paris.

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DOSTOIEVSKY (Un adolescent) :

« Ah ! mon cher, aujourd’hui cette question des enfants est tout à fait terrible. Ces petits êtres voltigent devant vous comme des oiseaux merveilleux et vous regardent avec des yeux purs. Et souvent il vaudrait mieux qu’ils ne fussent pas nés ! »

 

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