Joseph Capgras et Rogues de Fursac. Un cas de folie intermittente, myoclonie et délire de possession préminotoires des accès. Extrait du « Bulletin de la société clinique de médecine mentale », (Paris), II, 1909, pp. 246-251.

Joseph Capgras et Rogues de Fursac. Un cas de folie intermittente, myoclonie et délire de possession préminotoires des accès. Extrait du « Bulletin de la société clinique de médecine mentale », (Paris), II, 1909, pp. 246-251.

 

Joseph Capgras (1873-1950). Il fut l’élève de Paul Sérieux (1864-1947), qui lui inspira sa thèse de doctorat « Essai de réduction de la mélancolie en une psychose d’involution présénile » (1900). Il arriva à la conclusion que cette affection mentale était un syndrome, qui, à l’âge avancé, n’était que le reflet mental des processus d’involution sénile liés à des modifications organiques. Il devint un collaborateur très proche de son maître et il écrivirent de très nombreux articles en commun en particulier sur le délire d’interprétation et la folie raisonnante, qui donna lieu à un ouvrage resté célèbre : Les folies raisonnantes, Le délire d’interprétation, Paris, Félix Alcan, 1909, in-8, (2), 392 p. Mais aussi :
— Une persécutée démoniaque. Article parut dans le « Bulletin de la Société de médecine mentale », (Paris), 4, 1911, pp. 360-372. [en ligne sur notre site]
— (Avec Terrien). Délire spirite et graphorrée paroxystique. Présentation de malade. Article paru dans la revue « Annales médico-psychologiques », (Paris), soixante-dixième année, dixième série, tome premier, 1912, page 595.[en ligne sur notre site]
— (Avec J. Reboul-Lachaux). L’illusion des « Sosies » dans un délire systématisé chronique. Article parut dans le « Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale », (Paris), tome onzième, année 1923, pp. 6-16. [en ligne sur notre site]

Marie-Henri-Joseph-Pierre-Etienne ROGUES DE FURSAC (1872-1941). On sait très peu de chose de ce psychiatre dont la carrière se déroula essentiellement à l’hôpital de Villejuif. Appelé en 1932 avec ses confrères Georges Génil-Perrin (1882-1964) et Marc Trénel (1866-1932) à examiner Georges Gorguloff, l’assassin du président Paul Doumer, il démissionnera de ses fonction d’expert près des tribunaux pour protester contre l’exécution du condamné qu’il considérait comme irresponsable. On notera l’intérêt particulier qu’il portera constamment à la psychanalyse.

Quelques ouvrage publiés outre les nombreuses publication dans les revue spécialisées :
— Manuel de psychiatrie. Paris, Félix Alcan, 1903. 1 vol. in-12, VI, 314 p. — Deuxième édition revue et augmentée. Paris, Félix Alcan, 1905. 1 vol. in-8°, 3 ffnch., VI p., 351 p. — Troisième édition, Paris, Félix Alcan, 1905. — Quatrième édition. Paris, Félix Alcan, 1911. 1 vol. in-8°, 3 ffnch., IV p., 371 p. — Cinquième édition revue et augmentée. Paris, Félix Alcan, 1917. 1 vol. in-8°, 3 ffnch., VI p., 509 p. — Sixième édition revue et augmentée, avec 4 planches hors texte. Paris, Félix Alcan, 1923. 1 vol. in-8°, XVI p., 906 p.
— Les écrits et les dessins dans les maladies nerveuses et mentales. (Essai clinique). 232 figures dans le texte. Paris, Masson et Cie, 1905. 1 vol. in-8°.
— L’avarice. Essai de psychologie morbide. Paris, Félix Alcan, 1911. 1 vol. in-16. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ».
— Le mouvement mystique contemporain. Le réveil religieux du Pays de Gelles (1904-1905). Paris, Félix Alcan, 1907. 1 vol. in-12.`
— 
Un cas de lipomatose symétrique avec délire de possession. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), seizième année, 1921, p. 330. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
– La figure est extraite de l’article original, mis les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 246]

Un cas de folie intermittente. Myoclonie et délire de possession prémonitoires des accès, par MM. ROGUES DE FURSAC et J. CAPGRAS (Présentation de tracés).

La malade, dont nous communiquons l’observation, est actuellement âgée de 67 ans. Nous ignorons ses antécédents héréditaires. Elle eut son premier accès d’agitation en 1860 à 18 ans. Le [p. 247} diagramme ci-joint montre l’évolution de cette folie intermittente. Les accès furent d’abord exclusivement à forme de manie aiguë et séparés par des intervalles de cinq à sept ans ; de 1860 à 1892 il ne s’en produisit que six ; chacun durait en moyenne cinq mois.

Folie intermittente. — Début à 18 ans ; durée actuelle 50 ans.

Depuis l’âge de 50 ans les intermittences deviennent beaucoup plus courtes, elles ne dépassent guère vingt mois, et à partir de 1900 elles se réduisent parfois à trois ou six mois. Dans ces dix dernières années il y a eu neuf accès maniaques. En outre, en 1903, est apparu pour la première fois un accès à double forme : [p. 248] excitation suivie de dépression, et en 1908, pendant huit mois environ, l’alternance de périodes d’excitation et de périodes de dépression donna à la psychose l’apparence d’une folie circulaire qui fut suivie d’un retour complet à l’état normal.

Les accès maniaques sont caractérisés surtout par de l’agitation motrice et de l’excitation intellectuelle (grimaces, gesticulations désordonnées, danses, chants, déclamations, etc.), sans fuite des idées très marquée ni associations d’idées par assonnances. A ces symptômes s’ajoutent des conceptions délirantes diverses et très mobiles. Les idées érotiques prédominent ainsi que les idées ambitieuses les plus absurdes : elle dirige le soleil et les planètes, elle possède l’Océan Indien, elle descend de Napoléon Ier par Cambronne, etc… En dehors des grandes crises se montrent parfois des accès d’hypomanie : loquacité, exigences multiples, récriminations continuelles, colères fréquentes. Les périodes de dépression, beaucoup plus rares, se traduisent par une apathie extrême, du mutisme, des préoccupations hypocondriaques. Il importe enfin de signaler que cette psychose maniaque-dépressive qui évolue depuis cinquante ans, n’a entraîné aucun affaiblissement intellectuel. Cette malade, bien qu’arrivée à la sénilité, conserve, durant les intermittences, une activité psychique normale. Elle reste habituellement irascible, mais sans présenter les tendances malveillantes qui caractérisent d’ordinaire les périodiques.

Telle est brièvement résumée l’histoire de la maladie. Nous voulons insister maintenant sur les deux particularités qui nous paraissent donner à cette observation son principal intérêt. Il s’agit de deux phénomènes entièrement indépendants l’un de l’autre et qui apparaissent en dehors des grandes crises d’agitation : d’une part des secousses myocloniques, d’autre part un délire de possession transitoire.

1° La myoclonie présentée par cette malade a été observée pour la première fois en 1904. Elle consiste en convulsions cloniques instantanées, involontaires et généralisées. C’est une sorte de soubresaut de tout le corps avec rotation brusque de la tête vers la droite. Les secousses ne sont pas toujours identiques ; tantôt réduites à un frisson rapide, tantôt davantage marquées aux membres supérieurs dont les spasmes s’accompagnent de frémissements des doigts. Il ne se produit pas de déviation des yeux ni de projection de la langue, pas de perte de connaissance. On ne note aucun trouble de la sensibilité. Si les secousses myocloniques surviennent au cours d’une conversation, la malade s’interrompt un instant puis elle reprend sa phrase, quelquefois après une réflexion sur l’ennui que lui causent ces mouvements nerveux dont elle est consciente. Leur fréquence est très variable : au cours d’une même journée elles peuvent se renouveler toutes les cinq minutes pendant une heure puis cesser durant plusieurs heures. Elles disparaissent complètement dans le sommeil. Leur cause provocatrice échappe ; elles sont indépendantes de tout choc émotionnel, mais elles augmentent de fréquence et d’intensité sous l’influence [p. 249] de la moindre contrariété. Certains auteurs admettent que la myoclonie s’associe souvent à un mauvais fonctionnement des voies digestives ; remarquons à ce sujet que notre malade, quand elle a ces secousses, est atteinte de troubles dyspeptiques : inappétence, pyrosis, vomissements.

Mais le point qui nous semble le plus important à signaler, c’est le moment où survient cette myoclonie. Elle n’existe jamais dans les périodes où la malade retrouve entièrement son état normal ; elle n’existe pas davantage au cours des périodes de manie aiguë. Le plus souvent elle apparaît deux ou trois semaines avant le début d’un accès, puis cesse tant que persiste l’agitation, et reparaît quand celle-ci diminue. Ce symptôme est très net et bien connu du personnel habitué à soigner depuis longtemps cette malade : il permet de prévoir assez longtemps à l’avance à la fois le début et la terminaison de l’accès.

Pendant toute la durée de cette période myoclonique le caractère reste acrimonieux et irascible. Néanmoins l’accès d’agitation maniaque ne succède pas toujours fatalement à ces secousses myocloniques. Parfois l’accès semble avorter : il se produit alors uniquement une phase d’hypomanie pendant laquelle les spasmes surviennent à intervalles plus ou moins rapprochés. Nous avons vu également les secousses coexister avec une période de dépression sans agitation consécutive.

En somme, dans cette observation, la myoclonie, accompagnée de symptômes maniaques ou dépressifs légers, est tantôt un prodrome, tantôt un équivalent de l’accès. Dans tous les cas l’origine de ces troubles moteurs nous paraît étroitement liée à l’existence de la folie intermittente ; on ne saurait l’attribuer à une hystérie ou à une épilepsie concomitante ; notre malade ne présente aucun symptôme de ces névroses. Sans doute les auteurs qui établissent un rapport entre la folie intermittente et l’épilepsie, verront-ils dans ce cas un nouveau fait en faveur de leur théorie, mais au point de vue clinique et à l’exclusion de toute conception pathogénique, il reste malaisé de comparer ces spasmes conscients aux vertiges ou aux absences du petit mal comitial.

2° La seconde particularité curieuse de cette observation est l’existence d’un délire de possession transitoire précédant immédiatement l’accès maniaque aigu. Il ne s’agit plus ici d’un prodrome ou d’un équivalent, mais d’un véritable signal-symptôme. Il ne s’est en effet exclusivement montré qu’un ou deux jours avant la grande agitation. A ce moment la malade est déjà exubérante et très irritable : elle parle avec volubilité et déclame volontiers des vers, toujours les mêmes. Brusquement on la voit interrompre ses occupations ou son discours, lever la main et faire le geste de suivre un vol invisible ; en même temps elle prononce ces seuls mots : « l’esprit ! ». Elle se débat ensuite un instant, puis reste silencieuse et immobile et enfin soudainement c’est une explosion de cris ; elle hurle un jargon totalement incompréhensible pendant deux ou trois minutes. Quand elle a fini, elle se secoue, fait claquer sa langue, semble se réveiller et reprend ses [p. 250] occupations antérieures. Cette scène singulière ne dure pas plus de cinq minutes ; elle se reproduit, à peu près identique, sept ou huit fois dans la journée. Parfois la jargonaphasie ne se produit pas ; tout se borne à une sorte de lutte bruyante contre un adversaire invisible.

Interrogée sur ce qui vient de se passer, la malade déclare sentir d’abord un souffle qui lui révèle l’approche d’un esprit. Cet esprit — le démon sans doute — veut s’emparer d’elle. Quelquefois elle lui résiste, mais le plus souvent, dit-elle, elle est obligée de « baisser pavillon ». Alors l’esprit pénètre dans son corps, se substitue entièrement à elle, agit et parle à sa place ; elle ignore ce qu’il dit et ne sait dans quelle langue il s’exprime. C’est donc bien un délire de possession de très courte durée et récidivant. La jargonaphasie en est comparable à la glossolalie des premiers chrétiens qui, suivant saint Paul, parlaient une langue que ne comprenaient ni leurs auditeurs, ni eux-mêmes. A mesure que l’agitation augmente, ce délire de possession s’atténue et s’efface rapidement ; d’abord la malade sort chaque fois victorieuse de ses luttes avec l’esprit, bientôt elle le commande à son tour et s’abandonne alors aux idées ambitieuses les plus outrées que nous avons indiquées au début.

Quelle est la genèse de cette transformation passagère de la personnalité ? Reflète-t-elle en quelque sorte les troubles cénesthésiques qui coïncident avec l’apparition de l’accès maniaque. On serait ici réduit à n’émettre que des hypothèses. Nous ne savons pas exactement à quelle époque ce délire de possession a surgi pour la première fois. En 1903 la malade parle déjà de « l’esprit » et se croit sous la domination d’un être qui voudrait prendre possession de son corps. En 1905 elle se prétend « hantée depuis l’âge de six ans par une voix du ciel qui lui a dit : tu n ‘es pas de la terre ». Cette même voix lui a annoncé vers 1897 : « A un temps donné, je me substituerai à toi ». Peut-être existe-t-il une relation entre ces hallucinations anciennes et l’idée de possession actuelle et est-on autorisé à supposer l’évolution insidieuse dans le subconscient d’une conception délirante qui ne peut éclore qu ‘à la faveur d’un certain degré d’excitation intellectuelle.

DISCUSSION

  1. MAGNAN. — Ce cas est une nouvelle preuve que tout intermittent a sa personnalité, son geste, sa façon d’être particulière annonçant la crise. Je rappellerai par exemple ce malade qui, au début de chaque crise, se faisait raser la barbe.
  2. RITTI. — La malade a-t telle présenté des symptômes épileptiques ? J’ai observé une aliénée atteinte de folie circulaire, qui à la fin de chacune de ses phases d’excitation avait un accès d’épilepsie. Dans mon Traité de la folie à double forme, j ‘ai publié l’observation d’un circulaire qui m’a été fournie par mon collègue Christian. Le malade de cette observation avait des crises épileptiformes dans le cours de la phase d’excitation. [p. 251]
  3. TRÉNEL. — Ne peut-on pas considérer les secousses myocloniques comme un symptôme de nature épileptique.
  4. PACTET. — Ces manifestations prémonitoires de l’accès ressemblent à l’aura qu’on constate chez certains épileptiques.
  5. RITTI. — Le terme aura est, en effet, très juste. Les intermittents présentent, presque tous, un symptôme caractéristique qui annonce l’explosion de l’accès. Je connais une circulaire dont le passage de dépression à la phase d’excitation est annoncé par une véritable boulimie.
  6. DE CLÉRAMBAULT. — Dans son livre Dégénérescence et AIcoolisme, M. Legrain cite une malade dipsomaniaque qui, préalablement à chaque accès, présentait des spasmes d’un orbiculaire des paupières ; lorsque ce signe réapparaissait, le mari se disait : « Ma femme va rentrer ivre ce soir » et il ne se trompait pas.

 

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