Jean Vinchon. Du rôle de la suggestion dans les succès obtenus par les guérisseurs. Extrait de la « Revue d’anthropologie », (Paris), 1928, pp. 49-58.

Jean Vinchon. Du rôle de la suggestion dans les succès obtenus par les guérisseurs. Extrait de la « Revue d’anthropologie », (Paris), 1928, pp. 49-58.

 

Jean Vinchon nait à Ennemain près de Péronne en 1884, et meurt à Paris le 15 novembre 1964. Sa thèse de doctorat en médecine, ayant pour thème le délire des enfants, en 1911 devant un jury de la Faculté de médecine de Paris. Il sera un collaborateur de Gilbert Ballet, et Médecin assistant du service de psychiatrie à l’Hôpital de la Pitié de Laignel-Lavastine. Psychiatre et historien de la médecine il s’intéressera beaucoup au paranormal, au diable, à l’hypnose, mais aussi à l’art dans ses rapports avec la folie. Il collaborera avec Maître Maurice Garçon dans un ouvrage qui reste une référence : Le Diable. Il sera membre de l’Institut Métapsychique International (IMI). Quelques titres de travaux parmi les 500 publications connues :
— Délires des enfants. Contribution à l’étude clinique et pronostique. Thèse de la faculté de médecine de Paris n°388. Paris, Jules Rousset, 1911. 1 vol. in-8°, 165 p., 2 ffnch.
— Hystérie. Paris, Stock, 1925. 1 vol. in-16, 122 p.
— L’art et la folie. Paris, Stock, 1924. 1 vol. in-18, 127 p. Illustrations. Dans la collection « La culture moderne ».
— La conception de la folie chez Schopenhauer. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XXIe année, 1924, pp 488-493. [en ligne sur notre site]
— Le songe de Poliphile ou la tradition dans Freud. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 62-69. [en ligne sur notre site]
— La part de la maladie chez les mystiques. L’article que nous proposons est extrait d’une revue devenue fort rare : Pro Medico, revue périodique illustrée. Paris, 3e année, n°2, 1926, pp. 36-44. [en ligne sur notre site]
L’interprétation psychanalytique du rêve]. Extrait de la revue « Le Progrès médical) », (Paris), n°31, 31 juillet 1926, p. 1187. [en ligne sur notre site]
— Essai d’interprétation des phénomènes de l’incubat. Article parut dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », Paris, 1927, 24, pp. 550-556. [en ligne sur notre site]
— (avec Henri Dessille). Bouffée délirante chez une démoniaque, guérie par suggestion. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), 1928, pp. 944-957, [en ligne sur notre site]
— Les guérisseurs – Du rôle de la suggestion dans les succès obtenus par les guérisseurs (Institut International d’Anthropologie n°13 de 1928).
— Sur quelques modalités de l’Art inconscient. 1928.
— Les faux Dauphins et leurs prophètes. 1929.
— Une extatique stigmatisée : Maria de Mörl. Article paru dans les « Études carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer et Cie, 20e année, — vol. II, octobre 1936, pp. 79-80. [en ligne sur notre site]
— Le fluide de Mesmer est-il une énergie physique ou une force métapsychique. 1935.
— Le problème des stigmates et son intérêt métapsychique. 1936.
Diagnostic entre la transe médiumnique et les états similaires pathologiques. 1937.
— La psychothérapie dans l’œuvre de Mesmer. 1939.
— La part de la maladie chez les mystiques. Pro Medico, revue périodique illustrée. Paris, 3e année, n°2, 1926, pp. 36-44. [en ligne sur notre site]
Les aspects du diable
à travers les divers états de possession. Article paru dans le numéro spécial des  » Études carmélitaines » sur « Satan ». (Paris), Desclée De Brouwer, 1948. 1 vol. in-8°, 666 p. – pp. 464-471. [en ligne sur notre site]
— Les formes et les éléments de la psyché dans la conception de Jung Marcel Martiny, 1964.
— Avec Maxime-Paul-Marie Laignel-Lavastine. Une observation d’incube à la Renaissance.] in « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome premier, quatre-vingt-unième année, 1923, pp. 203-206. – Et tiré-à-part : Paris, Masson et Cie, 1923. 1 vol. in-8°, pp. 203-206. [en ligne sur notre site]
—  (avec Paul Juquelier). Les vapeurs, les vaporeux et de Dr Pierre Pomme. Extrait des « Annales médico psychologiques », (Paris), 10e série, tome troisième, juin 1913, pp. 641-656. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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Du rôle de la suggestion
dans les succès obtenus par les guérisseurs

Par M. le D’ Jean VINCH0N (Paris).

La suggestion fournit une explication facile, dès qu’il s’agit d’une guérison obtenue en dehors des voies coutumières. Mais pour beaucoup ce n’est là qu’un mot, une des multiples formules dont se satisfait l’esprit humain dans une époque peu propice à la réflexion. Définir la suggestion, essayer d’en connaître le mécanisme, ces besognes là semblent réservées au psychologue. Il y a pourtant intérêt pour le public à bien connaître la suggestion car, même à propos des guérisseurs. nous apprendrons qu’elle dépasse le cadre des choses de la médecine et qu’elle est intimement liée à la vie moderne.

Si le public invoque facilement la suggestion à propos de telles guérisons, le guérisseur, lui, la nie d’ordinaire. Il voit dans ses succès auprès des malades ou il prétend voir l’action de forces surhumaines. Tantôt c’est le fluide, hypothèse transformée en certitude par les magnétiseurs tantôt ce sont les esprits, Dieu même, que les thaumaturges font intervenir. D’autres, surtout les guérisseurs de la campagne, emploient des drogues suivant des traditions conservées dans les vieux recueils de secrets. Nous ne nierons pas l’intérêt du traitement par les simples, bien connues de certains sorciers. Mais la suggestion renforce certainement leur action et en dernière analyse les uns et les autres utilisent également la meilleure arme de leur arsenal, l’appel au goût du mystère, aussi bien dans les époques incrédules que dans les siècles de foi. Un grand nombre de ces thaumaturges se proclament médiums, intermédiaires entre les forces occultes et l’humanité souffrante qui réclame pour elle leurs actions bienfaisantes.

L’emploi de tout ce mystère laisse le médecin sceptique. C’est qu’il connaît bien les clients du guérisseur. Ce sont les siens. Ils quittent son cabinet pour l’officine secrète du marchand d’espoir, puis lui reviennent, s’ils sont déçus. Dans la pratique le guérisseur fait un tort relatif au médecin.

Une objection se présente immédiatement à l’esprit critique. Parmi ces malades, il y a un grand nombre de sujets nerveux. Chez eux le rôle de la suggestion est indiscutable. Mais quels seront ses effets chez d’autres sujets, entr’autres les tuberculeux, les porteurs d’eczémas ou d’ulcères variqueux, les femmes atteintes d’affections gynécologiques [p. 50] les cancéreux enfin ? Les guérisseurs prétendent guérir tous ces cas. Disposent-ils alors d’un pouvoir, d’un don comme ils le prétendent ? Pour répondre à cette objection, il faut abandonner la conception d’une médecine spécialisée qui traite certaines fonctions de l’organisme humain sans s’occuper des autres. Cette conception moderne est artificielle. Le bon thérapeute, même s’il est spécialiste, n’oubliera ni le poumon, ni le cœur, ni le foie, ni les reins. Il pensera toujours aux interréactions entre ces organes et le psychisme, s’il est psychiâtre. Il saura qu’une émotion pourra provoquer une jaunisse, des troubles du rythme du pouls, des modifications respiratoires. Et inversement, il se rappellera qu’une maladie du foie, du cœur, des poumons retentit sur la sensibilité. Pour lui les nerfs, le cerveau et l’intelligence demeurent à leur véritable place, commandant les organes, ou, dans les heures troubles de la maladie, commandés par eux. Ainsi les maladies organiques sont rattachées au système nerveux et au psychisme et il devient moins surprenant que le guérisseur puisse agir sur elles.

Définition de la suggestion. — Il faut maintenant définir la suggestion. Les dictionnaires apprennent qu’elle consiste dans l’action de faire naître dans la pensée, la pensée même, le désir, la volonté qui sont ainsi imposés au cerveau. L’étymologie latine du mot implique l’idée d’une action cachée, de porter sous notre moi quelque chose qui jusqu’ici ne s’y trouvait pas.

Cette définition se borne à constater un phénomène elle le limite mal, car elle pourrait être appliquée aussi bien à la persuasion. Voyons si nous pouvons faire mieux.

Le professeur Grasset séparait, à l’aide d’exemples, la suggestion de la thérapeutique par la persuasion, par les émotions, par la distraction, l’éducation, la foi religieuse. C’était là un artifice didactique, car il disait par ailleurs que ces différentes méthodes font appel à l’intelligence, dont les fonctions ne peuvent être dissociées.

Voici ses exemples : Une jeune fille muette retrouve d’un coup la parole, au moment où son amie va être écrasée par un train, pour l’avertir de prendre garde l’émotion l’a guérie. La persuasion utilise la logique pour lever des obstacles imaginaires qui arrêtent la pensée et la volonté d’un psychasthénique. La distraction apparaît dans le cas de Pascal : il oublie un mal de dents atroce en cherchant la solution du problème de la roulette. L’éducation redresse les mauvaises habitudes et les remplace par les bonnes. La foi — Grasset était croyant — peut agir aussi comme un procédé naturel de guérison. La suggestion enfin s’exerce sur un individu plongé par l’hypnose dans [p. 51] un état d’inconscience ; le médecin ou l’hypnotiseur peut alors imposer au sujet, par exemple, l’idée qu’il peut remuer son bras alors qu’il croyait que ce membre était paralysé et se comportait en conséquence. Tels sont les différents moyens classiques de la thérapeutique psychique. En réalité, le guérisseur ne les isole pas plus que le médecin. Il les emploie tour à tour, ou ensemble, suivant des proportions qui varient avec différents facteurs son tempérament personnel, celui du sujet. la maladie à guérir et surtout les conditions pratiques de l’exercice de son art. Un de ces facteurs domine sa conduite elle dépend surtout de ce mystère qui pousse de vigoureuses racines dans le cœur humain et se cache sous l’apparence du fluide magnétique ou des esprits favorables. Son but principal est d’imposer la foi dans son pouvoir en déclanchant une suite d’émotions et en plongeant le sujet, à défaut d’inconscience, dans un état d’abandon de soi-même, de demi-conscience. La foi devient le principal instrument de suggestion en forçant la conviction, là où, dans d’autres conditions, ne naîtraient que de faibles espoirs.

La définition du dictionnaire se complète d’une notion nouvelle, celle de diminution de la conscience, sous l’influence d’émotions surtout mystiques. La diminution de la conscience doit être substituée à l’inconscience, dans l’état actuel de la science, car nous connaissons mieux l’hypnose et nous savons qu’elle résulte d’un abandon volontaire du contrôle de soi-même, et diffère par là de la perte complète de conscience du coma ou de l’épilepsie.

Les études sur les noyaux gris centraux du cerveau nous ont appris qu’il existait des centres psychiques inférieurs, présidant à certaines fonctions involontaires, aux manifestations de l’émotion, au tonus des muscles. Ces centres sont-ils ceux sur lesquels agira la suggestion~ Grasset le croyait. Mais nos connaissances physiologiques de ces centres sont encore bien incertaines de plus, la suggestion met en branle, comme nous le verrons, des mécanismes psychologiques complexes. Si elle utilise ces centres elle ne les utilise que grâce à leurs connexions avec le reste de l’encéphale, avec le siège du psychisme supérieur.

En effet, le psychothérapeute qui veut employer la suggestion s’adresse bien au psychisme tout entier, quand il s’efforce de remplacer l’idée qui, selon lui, est à l’origine de la maladie, par une idée de guérison, quand il veut troubler l’idée morbide ou la corriger. Liébault de Nancy avait précisé dans ces termes les trois modes de la suggestion. En pratique, les actes de remplacer, de troubler, de corriger perdent beaucoup de leur précision en se mêlant à beaucoup d’autres, la véritable suggestion, [p. 52] celle qui produit des effets durables, étant toujours longue et exigeant pour être soutenue un traitement physique et l’observation des principes de l’hygiène.

Nous avons appris, en effet, à nous méfier des cures trop rapides. Celles-ci ne sont possibles que chez des sujets préparés par une constitution particulière, la constitution imaginative étudiée par le Pr Dupré et son école Or cette constitution, si elle facilite les guérisons d’apparence miraculeuse, expose aussi aux rechutes. Elle prédispose le sujet à être victime de ces images chargées d’un fort coefficient affectif, qui fait de lui tour à tour un malade ou un homme bien portant.

Ainsi, pas à pas, nous arrivons à une définition plus précise. La suggestion, telle que l’emploient empiriquement les guérisseurs, est l’acte d’imposer une pensée et surtout une manière d’être, à l’occasion d’une diminution de la conscience, chez un sujet plus ou moins prédisposé par sa constitution à subir cette imposition.

Le guérisseur et son chat noir – Merci à La France pittoresque.

Les moyens de suggestion. — Ces moyens appartiennent à des catégories différentes. Certains sont voulus par le guérisseur, d’autres sont indépendants de sa volonté. Un grand nombre d’entre eux sont communs aux médecins et aux guérisseurs, quelques-uns sont particuliers à ces derniers.

Parmi les moyens qui sont indépendants de la volonté du guérisseur, il faut citer d’abord les dispositions psychologiques des malades, qui les amènent à le consulter. Ceux-ci préparent sans s’en douter la suggestion curatrice. L’évolution prolongée de la maladie leur a enlevé tout espoir dans les traitements classiques qui ne les ont pas soulagés. Ils n’ont plus confiance maintenant que dans les faiseurs de miracles, ou bien leurs tendances constitutionnelles les poussent vers eux dès le début de leurs maux. Ces malades ne tardent pas à se rencontrer. De petits groupes se forment ainsi, parfois dans des cercles spirites ou occultistes. Ces groupes se réunissent aussi bien aux champs qu’à la ville, leurs éléments appartiennent à tous les milieux sociaux, même les plus inattendus. Une culture scientifique réelle, la liberté de la pensée ne sont pas plus incompatibles avec la foi dans le don de guérison miraculeuse chez certains hommes qu’avec la croyance dans les devineresses. Toute une littérature, journaux, brochures, livres, vit de ces croyants, s’alimente de leurs récits de cures merveilleuses de maladies « abandonnées des médecins », provoque leurs collaborations et leurs souscriptions.

Ces groupes, organisés ou accidentels, préparent l’action du guérisseur en fortifiant la confiance de leurs membres, ou, si on veut, en [p. 53] augmentant leur suggestibilité. Ils représentent, à l’état de types, des échantillons des foules homogènes de Gustave Lebon.

L’histoire nous montre, dans tous les siècles, ces petits groupements animés d’une passion presque mystique. Ils se réunissent, au XVIIIe siècle, autour du baquet de Mesmer ou de Cagliostro Un guérisseur languedocien vient chercher de nos jours, parmi eux, la consécration définitive de sa carrière de thaumaturge.

La littérature des guérisseurs est voulue, composée habilement par des maîtres du genre, qui connaissent admirablement toutes les roueries de la publicitémoderne. Elle n’est pas autre chose, en effet, que la publicité des guérisseurs. A leurs débuts, ceux-ci doivent se contenter de la réclame orale, faite gratuitement par les premiers malades. Mais à mesure que leurs affaires progressent, ils utilisent, en dehors de leurs publications spéciales, les annonces de journaux, les prospectus et les cartes distribués dans la rue. Toute cette publicité constitue un élément de suggestion de premier ordre.

Elle est interdite au médecin, qui conserve le souci de sa dignité professionnelle. Il ne lui est permis que de conquérir des diplômes et de se faire connaître par ses travaux scientifiques. Il est aussi astreint au secret professionnelet il ne saurait faire état de ses cures. Le guérisseur, dans sa publicité, ne tient aucun compte du secret professionnel. Il peut le faire impunément, car il échappe aux rigueurs de la loi. Quand il imprime le récit d’une guérison, il n’hésite pas à mentionner le nom, l’adresse, la profession du malade. Celui-ci ne songe jamais à protester contre cette divulgation de sa maladie, alors qu’il s’indignerait d’apprendre que son médecin en trahit le secret.

Les guérisseurs notoires conservent des fiches bien classées. Si un client de choix se présente, il les lui font parcourir, et l’engagent à aller aux renseignements, certains que le malade guéri accueillera volontiers ce client et lui donnera toutes les preuves de sa guérison. Les anciens malades deviennent ainsi des réclames vivantes et inlassables. Au moment des procès, ils accourent en fouie pour apporter leur témoignage Grâce aux poursuites de la justice, la publicité cesse d’être relativement clandestine pour s’étaler au grand jour. Deux ou trois procès, avec des amendes et des peines minimes, assurent le succès définitif du guérisseur.

Celui-ci rencontre encore d’autres collaborateurs intéressés à son succès et qui contribuent à entretenir la suggestion dans le lieu où elle s’exerce. Les loueurs d’automobiles, les hôteliers, les commerçants du pays, parfois un pharmacien, l’appuient de leur publicité personnelle. [p. 54] Ils veillent à tous les détails du voyage et il suffit d’ouvrir tel journal de la localité pour connaître tes heures d’aller et de retour et toutes les commodités qui attendent le malade pendant son séjour auprès du guérisseur Avec le temps, une organisation complète s’est installée. Le malade ne peut pas supposer un instant que son origine et son centre ne sont qu’une illusion.

Le groupe avait déjà préparé le malade à recevoir la suggestion curatrice. Cette préparation continue à chaque étape du voyage, au cours des causeries dans l’auto-car, du déjeuner à l’auberge.

La foule, qui se presse au lieu des miracles, alterne dans ses propos l’espoir et le récit des souffrances présentes. Elle s’exalte au milieu du désordre et de la bousculade favorables. Le guérisseur la traverse de temps à autre, arrêté par dix mains suppliantes, qui le rassurent sur son pouvoir et lui prouvent, une fois de plus, qu’il dispose de la confiance de son public. Les grands malades constituent des centres d’attractions. Ils reprennent à chaque moment la complainte de leurs misères et mettent les assistants au courant de l’amélioration ou de l’aggravation de celles-ci. Autour d’eux l’émotion est à son comble. Une interpsychologie à prédominance d’échanges affectifs lie tous les membres de cette foule dolente, dont les sentiments sont renforcés à chaque instant, non plus seulement par des récits, mais par le spectacle même de leur objet. Il est surprenant que dans ces conditions une cure ne soit pas suivie de dix autres et pourtant nous croyons savoir que, dans la même journée, elle reste presque toujours isolée.

L’atmosphère créée autour du guérisseur, partie par lui, partie par les malades, représente la force qui doit imposer au cerveau l’idée et la volonté de la guérison. Mais il n’impose que cette idée et cette volonté et pas toujours la guérison.

La suggestion, malgré l’influence du psychisme sur les organes, n’a qu’une action limitée et ses limites sont celles du pouvoir du guérisseur, bien que tous les moyens aient été mis en œuvre pour le reculer aussi loin que possible. Parmi ces moyens, un des meilleurs est certainement la conférence, qui ranime à intervalles réguliers l’émotion collectivede la foule. Les mots que le guérisseur dit alors sont vieux comme le monde, les prêtres d’Epidaure ne parlaient pas autrement sur le seuil du temple comme lui, ils proclamaient la primauté de l’esprit, l’affirmaient et répétaient inlassablement leur affirmation. Le guérisseur y ajoute quelques critiques du matérialisme des médecins et de leurs remèdes impuissants. Il déclare n’employer que l’aide des forces bonnes et les ressources de la nature. C’est d’elle qu’il [p. 55] tire les remèdes qu’il conseille parfois. Ou bien il annonce à son auditoire que les malades sont victimes de leurs propres erreurs, qu’il leur suffit de les connaître et de les combattre pour guérir. Lui-même n’est que l’intermédiaire entre eux et les forces bonnes, ou l’éducateur qui leur apprend une connaissance exacte de soi-même. Après la publicité, l’appel à la foi, mystique ou non, rend la suggestion encore plus puissante. La foi lève les dernières angoisses et les remplace définitivement par l’espoir. Le guérisseur, s’adressant à ses auditeurs, leur rappelle qu’ils ont déjà fait un acte de foi en venant à lui, qu’il suffit maintenant de le renouveler. Et tout les y engage. Cette foi est formulée dans des prières, composées à leur intention, et dans lesquelles les affirmations dogmatiques sont remplacées par un appel à un vague spiritualisme, D’autres fois, le guérisseur se contente de phrases lapidaires, où le malade puisera chaque soir la confiance dans la guérison, et l’optimisme qui sera désormais sa règle de conduite.

De rares guérisseurs se bornent à ces conférences collectives. La plupart reçoivent ensuite les malades individuellement dans leurs cabinets. Là, par des procédés simples, ils tentent le dernier effort qui déclanchera ou non le miracle si longuement préparé.

S’ils réussissent parfois là où les médecins ont échoué, en revanche l’observateur impartial peut constater que la proportion de leurs guérisons ne dépasse pas celle d’une consultation d’hôpital, par exemple. Mais la publicité de ces guérisons, l’éclat qui leur est donné par la multiplication des récits imprimés ou oraux, les entoure d’un lustre qui n’a rien de commun avec le succès modeste des cures médicales, connues de peu de personnes et qui n’ont comme cadre que le secret du cabinet de consultation. Un médecin, comme on dit, perce à la longue, le guérisseur connaît le succès en quelques mois.

A côté du guérisseur mystique, le plus commun de nos jours, opère de temps à autre un autre guérisseur, celui-ci simplement spiritualiste. Il est plus instruit, pourvu d’une méthode et d’une doctrine qui se rapprochent davantage de la psychothérapie classique. Au temps du magnétisme, il se proclamait l’élève de du Potet ou de Puységur dont Durville continue aujourd’hui la tradition. Flaubert qui, dans Bouvard et Pécuchet, a passé en revue toutes les lubies des bourgeois retraités de son époque, n’a pas oublié le magnétisme il nous montre ses héros chargeant de fluide le vieux poirier du jardin en l’embrassant fortement à plusieurs reprises, puis établissant sous l’arbre un banc pour les malades. [p. 56]

Un célèbre guérisseur contemporain laissait de côté le mystère et voulait faire uniquement appel aux phénomènes psychologiques. Il ne dédaignait ni la publicité, ni les affiches, ni les brochures, ni les tournées fructueuses en Amérique. Il niait être guérisseur, puisqu’il se bornait à apprendre à ses malades une connaissance exacte d’eux-mêmes. Mais il ne voulait s’adresser qu’à des groupes réunis pour des conférences et refusait les consultations individuelles. Sa conférence était toujours la même, quelque fut le pays où il parlait. Il la complétait par des expériences simples exécutées sur la scène par des auditeurs de bonne volonté. Elle tirait sa force de suggestion de la fréquence de cette répétition.

Originaire d’une ville qui avait été le siège d’une école neurologique fameuse et de nombreuses cures par l’hypnotisme, il avait repris pour son compte une partie de l’enseignement officiel, dans les premiers temps, quand il endormait les malades. Puis il s’était rendu compte qu’il obtenait les mêmes résultats en s’adressant à des collectivités. Il enseignait, au moment de sa vogue, que l’imagination était la cause d’un grand nombre de maladies, pour ne pas dire de toutes. Le malade devait en être convaincu, et répéter, pour affirmer sa confiance, des phrases simples surtout le soir, dans l’heure de demi conscience qui précède le sommeil. Ses expériences consistaient surtout à dire au sujet : « Imaginez que vous ne pouvez pas séparer vos mains et vous ne pourrez pas les séparer ». Elles réussissaient le plus souvent et démontraient au public la puissance de l’imagination. Ce guérisseur ne prononçait aucun mot qui pût le faire ranger dans la catégorie des mystiques. Mais beaucoup de ses auditeurs interprétaient dans le sens mystique l’affirmation du pouvoir de l’esprit sur le corps. Spirites, théosophes, spiritualistes orthodoxes ou non étaient nombreux dans la salle, ou l’émotion collective ressemblait fort à celle que nous avons observée chez le guérisseur mystique. Sa bonhomie, son esprit de charité assuraient par ailleurs son influence personnelle sur les malades, qui venaient, à chaque conférence, puiser à sa source le réconfort et la confiance que les petites phrases, répétées chaque soir, ne gardaient pas toujours intacts Ce dernier guérisseur ne différait de ses confrères que par des apparences. Il leur ressemblait par la similitude des moyens employés. Comme eux, il utilisait la psychologie collective, qui agit de même que l’hypnose en rétrécissant le champ de conscience et en la concentrant sur un point l’idée et la volonté de guérir. Celles-ci finissent, avec l’aide des émotions favorables, par envahir toute l’intelligence et par s’imposer. Cette forme de psychologie échappe au médecin qui soigne [p. 57] individuellement ses malades, mais elle est bien connue dans d’autres domaines. Les prêches religieux, les discours politiques, tous les appels à des foules produisent à des degrés divers, suivant les qualités de l’orateur et le lieu de son discours, les conversions qui sont analogues aux guérisons des thaumaturges. La logique n’intervient dans ces phénomènes qu’après leur production, pour les justifier devant la raison.

Les limites de la suggestion (des verrues à la tuberculose) — Le guérisseur, croit-on, laisse entendre que son pouvoir n’a pas de limites. Il peut, grâce à son don, guérir toutes les maladies Ses adversaires prétendent, au contraire, qu’il n’agit que sur des troubles psychiques, ou d’origine psychique, de l’ordre de l’hystérie.

La vérité est entre ces extrêmes. Il est certain que lorsque « le moral est bon », les maladies sont moins graves les plaies elles-mêmes guérissent plus vite. L’état sanitaire d’une armée victorieuse est meilleur que celui des vaincus. Ce fait explique les succès des guérisseurs. dans un certain nombre d’affections organiques. Nous avons souvent observé, après notre maître Laignel-Lavastine, un arrêt momentané dans l’évolution de la tuberculose, par exemple, lorsque le tuberculeux est entouré de meilleures conditions morales.

Alors qu’aucune autre cause ne peut l’expliquer, le malade mange mieux, gagne du poids. Ses organes expriment à leur manière le retour de l’espoir d’une guérison. Cet état dure trois semaines environ, puis l’évolution recommence, car les lésions n’ont pas disparu Ce que nous disons de la tuberculose peut être appliqué à d’autres maladies. Le médecin qui « sait tenir sa clientèle » le sait bien, et, sur ce terrain-là, il n’est pas inférieur au guérisseur.

Il est d’autres cas où l’action du moral sur le physique paraît plus mystérieuse. Nous voulons parler des verrues. M. le professeur Jeanselme, à qui nous avons demandé son avis sur cette question qui a été traitée magistralement par notre ami, M. Saintyves, nous a répondu par des citations de dermatologistes notoires. M. Darier admet la guérison spontanée des verrues. M. Brocq se déclare dans l’impossibilité d’affirmer que des substances comme la magnésie guérissent autrement que par suggestion. M. Thibierge n’a pas réussi à guérir des verrues par la suggestion et n’a jamais constaté de guérisons de cette sorte. Jeanselme enfin, rappelle la disparition spontanée des verrues, mais ne peut établir de rapports entre celle-ci et la suggestion. C’est dire qu’une réponse scientifique à cette question n’a pas encore été apportée. Une réponse positive ou négative aurait un intérêt capital, car elle permettrait de préciser les limites de la suggestion. [p. 58]

Conclusions. — Le médecin sera toujours accusé d’être à la fois juge et partie lorsqu’il traite du rôle de la suggestion dans les succès obtenus par le guérisseur. Acceptons cette position et constatons les faits. Il est bien rare qu’un malade vraiment incurable puisse être guéri par les procédés que nous avons énumérés. Le médecin qui veut bien réfléchir au rôle de l’esprit sur le corps et en tenir compte obtiendra les mêmes résultats que le thaumaturge. Bien mieux il pourra dépasser ces résultats, car seul il est capable d’analyser les symptômes de la maladie. Cette analyse est indispensable avant tout traitement physique ou psychique. Si elle n’est pas précédée de cette analyse, la psychothérapie tombera au rang des panacées du temps des alchimistes. Tantôt elle restera sans effet et n’atteindra pas des symptômes qui doivent être soignés par d’autres méthodes, tantôt son emploi aveugle fixera des troubles nerveux au lieu de les faire disparaître. La suggestion, dans les mains des guérisseurs, va trop souvent à l’encontre de la première règle de la thérapeutique : « Il faut d’abord ne pas nuire au malade. »

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