Jean Monteil. Un manuscrit inachevé de Grasset : Pierre Pomme et les maladies nerveuses au XVIIIe siècle. Manuscrit signalé dans la Revue Histoire des sciences médicales, 11, 2, 1977, pp. 60-62.

MONTEILVAPEURS0001Jean Monteil. Un manuscrit inachevé de Grasset : Pierre POMME et les maladies nerveuses au XVIIIe siècle. Manuscrit signalé dans la Revue Histoire des sciences médicales, 11, 2, 1977, pp. 60-62.

Ce dossier porte le n° H 721 à la bibliothèque de la faculté de médecine de Montpellier. Manuscrit signalé dans la Revue Histoire des sciences médicales, 11, 2, 1977, pp. 60-62.

Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. –Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

 

Un manuscrit inachevé de GRASSET:
Pierre POMME et les maladies nerveuses au XVIIIe siècle.

par Jean MONTEIL

La Bibliothèque de la faculté de médecine de Montpellier a reçu en don, de la famille du professeur Joseph Grasset (1849-1918), un manuscrit inachevé du maître et un dossier qui en éclaire l’élaboration (H 721).

L’ouvrage qui nous est ainsi révélé devait traiter de Pierre Pomme (1728- 1814), médecin qui se spécialisa dans le traitement des maladies nerveuses ou, comme il disait aussi, dans le langage du temps, « vaporeuses ». Entre sa biographie et l’étude de son œuvre, Grasset se proposait d’insérer une série de portraits constituant un tableau des maladies nerveuses au XVIIIe siècle : si ce tableau est très avancé et la biographie achevée, l’étude de l’œuvre se réduit à une introduction bibliographique.

L’histoire du manuscrit revit, d’autre part, dans le dossier joint, qui nous offre des notes de lecture de Grasset et une abondante correspondance, avec, surtout, un ami dont les recherches lui apportèrent beaucoup : le docteur Guillaume Martin-Raget, d’Arles (1859-1912). Grasset lui demanda, le 12 septembre 1895, quelques compléments biographiques sur Pomme : il combla son attente, avec une passion étonnante et un désintéressement admirable.

Cette correspondance nous montre Grasset pleinement engagé dans la recherche, aux vacances de 1895 et de 1896. Après un silence de deux ans et demi, désespérant de trouver le temps nécessaire, il suggère à Martin-Raget (avril, juillet 1899) d’écrire lui-même un ouvrage complet sur Pomme : de ce projet, auquel celui-ci semble avoir songé, on ne connaît aucune réalisation Nouveau silence de trois ans. Enfin, le 30 mai 1902, Grasset écrit à Martin­ Raget son intention de lui remettre, le 3 juin, tous les documents dont il dispose, avec une entière délégation pour l’achèvement.

Un document très émouvant semble être la suite immédiate de cette entrevue : un brouillon de lettre, où Martin-Gaget supplie Grasset d’achever le manuscrit dont il vient de prendre connaissance. Il y proclame l’importance historique de Pomme : « C’est un jalon, un terme à exhumer, une de ces colonnes romaines qui marquent les routes », et juge Grasset seul digne de rendre à ce « révolutionnaire médical », l’hommage nécessaire et urgent qui lui est dû. « Il faudrait », ose-t-il lui écrire, « ne plus penser qu’à cela ».

Ici s’arrêtent les documents : sans doute Grasset confirma-t-il son premier refus. Dix ans plus tard, mourait à Arles l’auteur de ce plaidoyer passionné, à qui l’ouvrage inachevé devait tant et sans qui peut-être Grasset — à supposer qu’il y ait songé — se serait fait scrupule de le publier.

L’équilibre de l’ouvrage semble avoir donné quelque souci à Grasset : nous voyons Martin-Rager, dans le brouillon de lettre cité plus haut, regretter avec lui la longueur relative excessive de la deuxième partie, qui était le fruit d’un labeur considérable. Celle-ci répondait pourtant à la conception, qu’il exprime ailleurs (1), de l’homme expliqué par l’étude de son milieu. Les portraits qu’elle trace gardent, en tout cas, le plus vif intérêt.

Mme du Deffand est, pour Grasset, l’un des représentants les plus complets du siècle. Il diagnostique chez elle une névrose dont il voit dans son « ennui à la mort « le symptôme capital. Il décrit la duchesse de Chaulnes, avec l’incohérence de tout son comportement. Il montre, chez la princesse de Lamballe, le courage effaçant les anciens symptômes de névrose. De la névrose de Mme du Châtelet il discerne un facteur favorisant dans l’insuffisance du sommeil. En Mlle de Lespinasse il voit une grande hystérique. Il remarque, chez Mme du Barry, l’alternance de gaieté factice et de noire mélancolie. Il considère Voltaire sous l’aspect de malade imaginaire, c’est-à-dire, selon lui, névrosé ; des citations, étalées sur un demi-cercle, le montrent annonçant régulièrement sa mort imminente à ses correspondants : « J’ai passé ma vie à mourir, Je meurs en détail… »

Mais le vrai sujet du livre était Pierre Pomme. Ses dates de naissance et de mort, longtemps indiquées de façon fantaisiste, ont été, pour la première fois, établies par Grasset et Martin-Raget. Issu d’une famille de médecins très considérée à Arles, il vint, dès l’âge de 16 ans (1744), étudier la médecine à Montpellier ; il est reçu docteur le 10 août 1747. Il devait se trouver, par la suite, en constante opposition avec sa Faculté d’origine.

Son premier séjour à Arles (1751-1766) établit sa réputation, qui s’étend très au-delà de la ville et de la région. Voici bientôt la première œuvre, sur un cas d’hystérie, longuement suivi, jusqu’à la guérison : Relation de la maladie de Mlle … (1754) (2). Voici le premier essai de synthèse : Essai sur les affections vaporeuses des deux sexes … (1760) (3). Voici enfin, derrière un libellé anonyme, les premiers ennemis.

 

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Pierre Pomme.

Pomme s’installe à Paris en 1766 : médecin consultant du roi, il le peut sans se soumettre à de nouvelles études. Il y connaît J. la fois la grande vogue et de féroces persécutions. Ataqué par !e Journal de médecine, il donne, dans le Nouveau recueil des pièces publiées pour l’instruction du procès que le traitement des vapeurs a fait naître parmi les médecins … (1771) (4), le texte des attaques et de ses propres réponses.

Cependant s’est levé pour lui un défenseur illustre : Voltaire, à l’article Démoniaques du Dictionnaire philosophique, le donne comme prototype de la médecine scientifique qui remplace les anciens exorcismes. Ayant rappelé un exorcisme attribué à saint Paulin, il ajoute: « Nous pouvons douter de cette histoire en conservant le plus profond respect pour les vrais miracles; et il nous sera permis de dire que ce n’est pas ainsi que nous guérissons aujourd’hui les démoniaques. Nous les saignons, nous les baignons, nous les purgeons doucement, nous leurs donnons des émolliens; voilà comme M. Pomme les traite; et il a opéré plus de cures que les prêtres d’Isis et de Diane, ou autres, n’ont jamais fait de miracles », Cet hommage public amène un échange de lettres: « Quand je vous entends célébrer mes miracles, vous me donnez envie d’en faire « , écrit Pomme à Voltaire (5), qui répond: « J’ai de la foi à votre Evangile » (6).

Pomme quitte brusquement Paris pour Arles, en février 1772, après que ses ennemis ont exploité le décès de deux clientes, la marquise de Bezons et la comtesse de Belzunce. Là-dessus, une campagne d’affiches le donne tantôt pour mort, tantôt pour expatrié, tantôt pour fou.

Son dernier séjour à Arles n’est guère interrompu que par un voyage à Paris, en 1776, pendant lequel Pomme place un épisode sinistre: le médecin particulier de Mgr de Broglie, évêque de Noyon, auprès de qui Pomme a été appelé, aurait fait intoxiquer son client (qui mourut bientôt), dans le seul dessein de déconsidérer son confrère. Selon la tradition arlésienne, bien des grandes dames de la Cour viennent à Arles consulter Pomme. Celui-ci continue à écrire: il publie, en 1782, la 5″ édition de son ouvrage le plus célèbre, qui s’intitule maintenant : Traité des affections vaporeuses de deux sexes … (7); la 6° et dernière édition paraîtra en l’an VII (8). Il joue, sous la Révolution, un rôle politique, qu’a pour la première fois élucidé le docteur Martin-Raget : il incarne la résistance d’Arles à l’extrémisme que prétend imposer Marseille. Il termine sa vie tapageuse dans un oubli dont l’ouvrage de Grasset, resté inédit, n’a pu le tirer.

Ouvrage substantiel, malgré son inachèvement, et assez riche pour inté­ resser, de l’historien de la littérature au psychiatre, un vaste public.

(1) Le Médecin de l’amour au temps de Marivaux. Etude sur Boissier de Sauvages d’après des documents inédits. Montpellier, C. Coulet ; Paris, G Masson, 1896.

(2) Arles, impr. Gaspart Mesnier.

(3) Paris, Desaint et Saillant.

(4) Paris, impr. J. Th. Herrissant père.

(5) Journal encyclopédique, 15 juin 1771, p. 63. (6) Id, 15 novembre 1771, p. 124.

(7) Paris, Impr. royale.

(8) Paris, Cussac.

 

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