Jean Lhermitte. Marie-Thérèse Noblet considérée du point de vue neurologique. Extrait des « Études carmélitaines mystiques et missionnaires », (Paris), 23eannée, vol II, octobre 1938, « Nature et Grâce. Saintété et Folie », pp. 201-209.

Jean Lhermitte. Marie-Thérèse Noblet considérée du point de vue neurologique. Extrait des « Études carmélitaines mystiques et missionnaires », (Paris), 23eannée, vol II, octobre 1938, « Nature et Grâce. Saintété et Folie », pp. 201-209.

 

Jean Lhermitte (1877-1959). Neurologue et psychiatre français. Elève de Fulgence Raymond et de Pierre Marie. Successivement chef de clinique de ce dernier à la Salpêtrière, médecin en chef de Henri Claude, il devient professeur de psychiatre en 1923. Il s’intéresse de très près aux phénomènes mystique ainsi qu’à la possession démoniaque et nous laissera de nombreux articles sur ces sujets ainsi que quelques ouvrages dont :
— La Psychanalyse. Extrait de la « Gazette des hôpitaux civils et militaires », (Paris), 94e année, n°93, 26 novembre 1921, pp. 1485-1489. [en ligne sur notre site]
— (Henri Hécaen et Roger Coulonjou) Héautoscopie et onirisme. Le problème du double dans le rêve et le songe. Article parut dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 100e année, tome II, n°3, octobre-novembre 1942, pp. 180-183. [en ligne sur notre site]
— (avec Beaudouin). Un cas de démonopathie. Etude clinique et essai d’interprétation pathogénique.] Article parut dans la revue des « Annales médico-psychologiques », (Paris), n°4, 1939, pp. 261-282. [Edité en tiré-à-part : S. l. n. d., [Paris], 1939, 1 vol. in-8°, 16 p.] [en ligne sur notre site]
— Le problème des miracles. Paris, Gallimard, 1956. 1 vol. in-8°.
— Le Problème médical de la Stigmatisation. Article parut dans les « Etudes carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer et Cie, 20e année, — vol. II, octobre 1936. [en ligne sur notre site]
— Mystiques et faux mystiques. Paris, Bloud et Gay, 1952. 1 vol. in-8°, 254 p., 1 fnch.
— Un cas de démonopathie. Etude clinique et essai d’interprétation pathogénique. Extrait des Annales Médico-psychologiques, 1939, avril, n°4. Paris, Masson et Cie, 1939. 1 vol. in-8°, 16 p. [en ligne sur notre site]
— Vrais et faux possédés. Paris, Arthème Fayard, 1956. 1 vol. in-8°, 170 p., 2 ffnch.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 201]

MARIE-THÉRÈSE NOBLET
CONSIDÉRÉE DU POINT DE VUE NEUROLOGIQUE

Nous avons étudié la vie de Marie-Thérèse Noblet d’après l’ouvrage d’André Pineau préfacé par Son Exc. Monseigneur de Boismenu (édition 1934) dans le propos d’examiner dans quelle mesure il était possible de spécifier scientifiquement les accidents, les manifestations dites diaboliques qui ont marqué dans l’existence de l’héroïne de la Papouasie.

Les phénomènes que l’auteur du livre qualifie de démonopathiques ou de miraculeux ou d’extraordinaires, doivent, à notre sens, être examinés de très près et non point jugés a priori, ainsi qu’est porté à le faire trop souvent le très respectable auteur de l’ouvrage que nous avons sous les yeux. Et d’abord, considérons la première maladie dont fut atteinte Marie- Thérèse. (page 44 et suiv.)

Celle-ci s’accuse surtout par des phénomènes généraux : vertiges, insomnies, douleurs d’entrailles mal précisées, maux de tête, inappétence, vertiges ; et l’on conseille pour remédier à ces manifestations diverses l’hydrothérapie. Ce qui peut être significatif que l’on considérait ces symptômes comme de nature quelque peu névropathique.

Quatre ans plus tard, les douleurs qui s’étaient calmées reprennent très violentes mais affectent d’autres localisations. C’est dans la gorge, dans les oreilles, dans la poitrine que la jeune Marie-Thérèse accuse des douleurs. Enfin en 1905, le mal se précise, des douleurs apparaissent dans la colonne vertébrale et une paralysie de tout le côté gauche se réalise.

On s’en vient alors consulter le Docteur Chipault, spécialiste renommé des maladies du rachis, lequel décide d’immobiliser la malade dans un corset de plâtre.

De retour à Epernay, le Docteur Guénard, médecin habituel de Marie-Thérèse, reste un peu interdit devant l’œuvre de son confrère parisien (page 48) mais conseille d’appliquer le traitement indiqué. [p. 201]

Mais malgré celui-ci, les douleurs ne s’amendent point, la malade ne s’alimente plus et le Docteur Guénard décide de lever l’appareil plâtré, ce qui semble extrêmement sensé.

Or, voici que pas plus de quatre jours plus tard, un autre médecin reprend la même thérapeutique et derechef applique un appareil plâtré sur le tronc pour l’immobiliser. La description de l’application de ce corset doit être lue (page 49) car on y voit des expressions quelque peu exagérées : « mes bourreaux… ces instruments de supplice ».

La maladie ne s’améliorant pas, Marie-Thérèse fut conduite à Lourdes par le chemin de fer. Et en entrant dans le wagon, Marie-Thérèse se disait : « Je vais marcher vers la guérison. »

A Lourdes, elle assiste à la procession du Saint Sacrement pendant laquelle ses souffrances redoublent. Mais transportée sur le brancard, Marie-Thérèse soudainement sent que, tout d’un coup, ses douleurs s’apaisent. Elle entend une voix intérieure lui dire : « Lève-toi, tu peux marcher. » Elle s’écrie alors : « Mon Dieu, mon Dieu, je suis guérie. »

L’abbé Dieudonné de son côté s’écrie : « Ça y est, elle est guérie. » La paralytique veut alors descendre du brancard car elle peut remuer les jambes.

De retour à l’hôpital, l’on constate que la paralysie des membres inférieurs a disparu et que, de plus, la sensibilité est revenue (page 62).

Observons un petit fait en passant (page 63). Le lendemain, on demande à Marie-Thérèse de soulever les jambes, elle n’en fait rien et donne ainsi une grosse émotion à l’entourage. Mais devant les mines consternées, on répète la question, et Marie-Thérèse fait mouvoir ses jambes.

Les constatations d’usage furent faites par les autorités médicales de Lourdes.

Tous les deux ans, la miraculée se rend en pèlerinage de reconnaissance à Lourdes. Mais en 1908, à peine Marie-Thérèse est-elle arrivée qu’elle est frappée d’une soi-disant crise d’appendicite violente. On veut l’opérer, elle s’y refuse énergiquement, se rend à la grotte, assiste à la procession du Saint Sacrement, et après une invocation à Notre-Seigneur et à la Sainte Vierge, la voici guérie de nouveau, soudainement.

Ainsi donc, à suivre exactement les détails fournis sur l’existence de Marie-Thérèse, deux guérisons miraculeuses lui auraient été conférées ; l’une d’un mal de Pott, l’autre d’une appendicite aiguë. [p. 202]

Sommes-nous en présence ici de véritables guérison miraculeuses ? et ne peut-on expliquer plus simplement l’interruption des phénomènes morbides. Il est permis, croyons-nous, de Ie penser.

En effet, pour ce qui est de la crise d’appendicite, tous les médecins savent combien, très souvent, le diagnostic est porté sans que réellement l’appendice soit en cause. Des douleurs dans la fosse iliaque droite, très aiguës, peuvent être dues à des des causes en dehors de l’appendicite et s’évanouir soudain pour ne plus reparaître.

La question du mal de Pott doit retenir beaucoup plus l’attention.

Marie-Thérèse a-t-elle, sans conteste, été miraculée ? Est-il besoin que nous rappelions que le diagnostic de tuberculose vertébrale est un de ceux qui sont le plus entourés de difficultés, qu’il n’est aucune affection qui soit l’occasion aussi fréquente d’erreurs même par les plus grands maîtres de la médecine et de la chirurgie ; que, à l’époque où Marie-Thérèse a été examinée (1903), les rayons X n’étaient pas d’application courante et qu’il semble qu’aucune radiographie du rachis de la malade n’ait été faite.

Faisons observer que la paralysie des membres inférieurs n’apparaît guère qu’à une période avancée de la maladie, que la paralysie est précédée d’une longue phase caractérisée par des douleurs du type radiculaire, accompagnées de faiblesse des membres inférieurs, ce qui n’a pas été le cas. Enfin, que si la motricité peut être abolie à peu près complètement (ce qui reste très exceptionnel), la sensibilité n’est pas compromise au même degré, à moins que la moelle n’ait été très fortement lésée. Et dans ce cas, on observe toujours des désordres profonds dans le fonctionnement des réservoirs : vessie et intestin, ainsi que des troubles de nutrition de la peau des fesses, du siège et des talons qui caractérisent les escarres du décubitus.

Or, nous ne relevons aucun de ces phénomènes chez Marie-Thérèse. Ajoutons que l’on signale (page 46) une paralysie de tout le côté gauche, laquelle ne s’expliquerait aucunement dans l’hypothèse d’un mal de Pott. .

En dernier lieu, signalons encore que si l’application d’un corset plâtré n’amende jamais les douleurs causées par un pseudo-mal de Pott, celle-ci soulage toujours les patients affectés par une carie tuberculeuse du rachis (mal de Pott). Et Marie-Thérèse ne fut nullement soulagée, lit-on dans l’ouvrage sur lequel nous nous appuyons. [p. 203]

Quelles conclusions tirer des remarques que nous venons d’exposer ?

Tout d’abord, celle-ci que la crise « d’appendicite » n’a pas fait sa preuve, que les douleurs abdominales n’ont pas été localisées, qu’on ne nous indique pas la survenance de vomissements, de constipation, de fièvre même, et que, par conséquent, il est beaucoup plus probable que Marie-Thérèse a souffert de douleurs d’entrailles qui n’étaient point la manifestation d’une atteinte de l’appendice.

Quant au soi-disant mal de Pott, ce que nous lisons dans l’ouvrage d’André Pineau non seulement laisse planer des doutes sur la nature réelle de l’affection, mais encore engage vivement à considérer celle-ci comme un de ces innombrables pseudo-maux de Pott dont nous voyons encore aujourd’hui, malgré l’application de la radiothérapie de nombreux exemples dont certains ont égaré le jugement de maîtres éminents.

Sans que nous soyons en mesure de l’affirmer, l’on peut admettre que le soi-disant mal de Pott diagnostiqué par le Docteur Chipault n’ait été qu’un mal de Pott hystérique : les troubles singuliers, anormaux et discordants de la motricité et de la sensibilité plaident fortement en faveur de cette interprétation.

*

Nous devons aborder maintenant le problème de la nature et de la réalité des phénomènes curieux dont Marie-Thérèse a été la victime pendant de très longues années et qui ont été jugées comme l’expression, le témoignage de l’intrusion du démon dans la vie et le corps de notre héroïne.

Ici, encore, nous devons nous demander si l’explication par l’influence diabolique des troubles singuliers offerts à l’observation par Marie-Thérèse est la seule possible et si les choses ne peuvent être comprises beaucoup plus simplement.

Les phénomènes, en apparence déroutants, que nous nous proposons de rappeler sont assez divers. Nous y trouvons les faits les plus mêlés : les traces sanglantes de coups infligés par le démon (page 131), le percement d’un pied par une longue aiguille, une poignée d’épingles jetées dans un verre dont se sert la victime, de longs évanouissements que fait cesser immédiatement l’application d’un bouquet de roses, de violettes, ou même de fleurs artificielles ; une cécité complète qui apparaît sans cause, se dissipe le jour de la Purification, reparaît ensuite pour guérir définitivement 16 jours après son incidence à la suite [p. 205] d’une « crise » accompagnée d’une longue extase : au nom de laquelle Marie-Thérèse aurait perdu conscience. A ces faits, s’ajoutent encore des crises au cours desquelles notre héroïne semble défier les lois de la pesanteur : tantôt paraissant fort lourde et impossible à soulever, tantôt, au contraire, donnant l’impression d’une légèreté incroyable ; des scènes dramatiques vécues (page 135) ; une paralysie du bras gauche persistant pendant plusieurs semaines ; des attaques de délire pendant lesquelles Marie-Thérèse s’écrie : « Jésus, dormez cinq minutes sur votre Croix, voulez-vous ? » Enfin, des paroxysmes dont la singularité ne peut pas ne pas frapper en ce que à peine la crise dont on nous dépeint les affres : les violentes palpitations de cœur, le gonflement des veines du cou, l’extinction du souffle, les râles affreux qui « apportent toute l’angoisse de la mort », —touche à sa fin, la victime sur laquelle on s’est penché avec la plus tendre et la plus anxieuse sollicitude, s’inquiète de l’entourage et demande : « Mon Père, asseyez-vous, vous allez vous fatiguer. » « C’est ainsi que l’on meurt », ajoute Marie-Thérèse.

Rappelons encore certains phénomènes bien troublants : Marie-Thérèse est prise d’une toux violente (page 337), elle sent des piqûres dans la gorge. L’infirmière regarde le verre et y constate la présence de quatre épingles. Une épingle est déglutie et retrouvée le 15 août ensanglantée à la suite de l’ouverture d’un « abcès du côté » occasionné par la migration de cette épingle à travers les organes du corps !

Des transformations matérielles se produisent (page 337). Un verre rempli d’eau de menthe se change pendant la nuit en un verre plein d’encre.

Les phénomènes plus proprement démoniaques se déroulent parfois pendant la nuit, et ceci mériterait, sans doute, des développements plus étendus. Ce que nous apprennent les récits, évidemment très sincères, des scènes où le diable entre en jeu, c’est que au cours de ces possessions, Marie-Thérèse semblait lutter contre un être invisible, qu’elle lui parlait, que surtout elle se livrait à toute une gesticulation bien propre à frapper l’imagination de l’entourage, qu’il semble enfin (mais cela n’est nullement prouvé) que Marie-Thérèse ait perdu conscience au cours de ces transes.

Rappelons encore que celles-ci s’accusaient par un désordre musculaire très particulier fait de rigidité, de contorsions, de convulsions, d’étouffements. D’autres fois, on croit assister à une de ces scènes qui faisaient le succès de la Salpêtrière du temps de Charcot (voir page 350, 351 et suivantes) dans lesquelles ici [p. 206] le médecin est remplacé par l’exorciste. Et à la fin d’une crise qui nous est dépeinte avec les plus tragiques couleurs, la victime qu’on nous dit avoir perdu conscience au cours de la crise qui vient de se dérouler, demandant à l’exorciste, les yeux d’une pureté radieuse et souriante : « Hein, on a eu chaud ? » puis plus loin : « Si vous preniez une citronnade ? »

Bien d’autres paroxysmes qui sont interprétés comme de véritables extases doivent être rapprochés des précédents dont ils possèdent la plupart des caractères. (Voir pages 364, 365 et suiv.)

Que pouvons-nous conclure des faits qui nous sont ainsi exposés avec, répétons-le, la sincérité la moins discutable.

Tout d’abord que ces « drames » se déroulent d’une manière très stéréotypée, que ce qui y apparaît de plus saillant est fait de gesticulations, de contorsions, de spasmes, lesquels ne diffèrent pas de ceux que l’on observe (ou que l’on observait surtout autrefois) dans les grandes attaques hystériques ; que la patiente, quoiqu’on nous dise le contraire, ne perdait pas conscience du monde extérieur au cours de ces crises ; enfin qu’il est singulier qu’aussitôt après la transe terminée, Marie-Thérèse reprit si facilement le cours de ses préoccupations les plus humbles sans paraître se soucier que le diable venait de la posséder, de la tenailler ou encore qu’elle venait de vivre un moment au contact de Dieu.

Avec toute la réserve qui s’impose, ce que nous pouvons dire, c’est que d’après les descriptions qui nous sont présentées dans l’ouvrage d’André Pineau, les crises de Marie-Thérèse ressemblent étrangement, pour ne pas dire davantage, aux paroxysmes qui atteignent les grandes hystériques.

Nous ne saurions trop insister maintenant sur ce point qu’il convient aujourd’hui de n’attribuer aucun sens péjoratif au terme « hystérie » ;que contrairement à une certaine école, la grande névrose de Charcot ne doit pas être tenue pour un pur artifice, pour une simulation « plus ou moins inconsciente », ce qui d’ailleurs n’a guère de sens.

L’hystérie constitue un mode spécial de réaction de certains sujets placés dans de particulières conditions, défendons-nous d’y chercher surtout, sinon exclusivement, mensonge, artifice, comédie.

Toutefois, confessons que la « grande simulatrice », ainsi que l’appelait Charcot, s’allie souvent avec l’état mental que Dupré a caractérisé par le terme de « mythomanie », que bien des hystériques [p 207]  se livrent à des supercheries, des tromperies, des mystifications uniquement poussées par une tendance plus ou moins consciente, à étonner, surprendre, intéresser un entourage un peu trop crédule.

Que dans le cas de Marie-Thérèse, la transformation de l’eau de menthe en encre pendant la nuit, les épingle découvertes au fond d’un verre, l’épingle déglutie et soi-disant retrouvée ensanglantée après l’ouverture d’un abcès du côté, pourraient être facilement interprétées dans le sens que nous indiquons.

En dernière analyse, tout en nous gardant de prétendre résoudre un problème aussi délicat en accidents et en incidents que celui que pose la vie de Marie-Thérèse Noblet, nous nous croyons autorisé à penser que « les maladies » qu’a dû traverser la future missionnaire héroïque de la Papouasie ne furent que des accidents de nature névrosique ou mieux psychonévrosique à caractère hystérique ; que, d’autre part, ce même caractère se retrouve au cours de bien des accidents dramatiques d’allure qui sont présentés comme des faits authentiques de possession diabolique.

Docteur JEAN LHERMITTE,
professeur agrégé
à la Faculté de Médecine de Paris.

 

POST-SCRIPTUM. —Des historiens experts en critique historique ayant fait toutes réserves, non pas tant sur l’historicité que sur l’interprétation des faits racontés à la louange de Marie-Thérèse Noblet, nous avons pour ce qui nous concerne, décidé de pousser à fond l’examen du problème de sa guérison « d’un mal de Pott dorso-lombaire », survenue à Lourdes en 1905 ()

A notre demande d’éclaircissements, M. le Docteur Vallet, chef du Bureau des Constatations de Lourdes, a bien voulu nous communiquer les pièces fondamentales du dossier de Marie-Thérèse Noblet. Nous avons retrouvé là comme source principale d’information, le certificat médical délivré par le Docteur Guénard d’Épernay, le 26 août 1905 (2). [p. 208]

« Nature de la maladie : Mal de Pott dorso-lombaire caractérisé par douleurs au niveau de la région (? sic), plus marquée sur apophyse épineuse saillante XI ou XII dorsale avec irradiations sur ceinture du côté gauche et par phénomènes nerveux concomitants donnant à ce mal de Pott une allure particulière.

Les phénomènes nerveux sont intermittents et peuvent intéresser plusieurs appareils. Nous avons personnellement observé de l’arythmie du cœur, des accès prolongés de toux quinteuse, de la parésie des membres inférieurs et du membre supérieur gauche.

Ces phénomènes ont été atténués ou même ont disparu depuis le port du dernier corset platré.

État actuel : le ? ? 1905 (pas de date indiquée)

Bon état général, embonpoint, quelques faux pas cardiaques.

Douleur en saillie de l’épineuse dorsale inférieure. Paraplégie spasmodique datant de trois semaines. La malade doit rester couchée.

Médecin traitant: Docteur Guénard, Épernay. »

Le Docteur Guénard a bien voulu confirmer son diagnostic ci-dessus, en soulignant toutefois que ce diagnostic de « mal de Pott »d’allure particulière(sans abcès, quoi qu’on en ait pu dire) a été discuté plutôt qu’affirmé : Marie- Thérèse Noblet ayant présenté antérieurement à son pèlerinage à Lourdes des phénomènes de paralysie qui avaient subitement disparu et des manifestations nerveuses de grande allure (toux quinteuse incessante durant quatre jours… etc.), on ne se trouvait pas là devant un cas probant. Le Docteur Guénard, ayant pris connaissance de la présente communication, nous écrit qu’il l’approuve entièrement. « Les faits —déclare-t-il —doivent être interprétés dans le sens et avec les réserves que vous indiquez. »

Le Docteur Vallet a, d’autre part, bien voulu nous écrire qu’« à Lourdes, au moment de la guérison, aucun examen somatique n’a été fait qui vaille la peine d’être relaté. Il est simplement noté, nous précise-t-il, que le 31 août 1905, pendant la procession, les douleurs deviennent plus vives et qu’elles cessent brusquement en arrivant à l’hôpital, que le lendemain le corset est enlevé, que la malade marche facilement et sans douleurs ; aucune sensibilité à la pression des vertèbres. Et c’est tout. »

Ainsi qu’il ressort des documents que l’on vient de lire, aucun fait précis et scientifique n’autorise à porter chez Marie-Thérèse Noblet le diagnostic de mal de Pott. Tout au contraire, les données que nous venons de mentionner, nous montrent, à l’évidence, que ce soi-disant mal de Pott s’entourait de caractères très particuliers, [p. 209] lesquels, d’ailleurs, avaient attiré l’attention des médecins. Est-il besoin de souligner qu’une carie tuberculeuse de la XIIe vertèbre dorsale dont on a pu supposer l’existence chez Marie-Thérèse Noblet ne détermine jamais de troubles de la motilité du membre supérieur non plus que de toux quinteuse ou d’irrégularité dans le rythme cardiaque. J’ajoute, enfin, que si mal de Pott il y avait eu et localisé à la XIIe vertèbre dorsale, c’est beaucoup moins la contracture, la spasmodicité que l’on aurait observée, mais l’atonie, la flaccidité des membres inférieurs à la compression des racines rachidiennes.

En définitive, aussi bien la symptomatologie que l’évolution de ce prétendu mal de Pott nous donnent toutes raisons de penser qu’il s’est agi en réalité d’un syndrome hystérique.

Dr JEAN LHERMITTE.

Notes

1. Cf. p. 66, n. 2. C’est à Reims et non à Rome, comme on l’écrit, qu’eut lieu le jugement canonique, le II février 1908.

2. Cf. p. 56, n. 1. Ce certificat est incontestablement la pièce maîtresse sur quoi l’on s’est basé. Cf. Dr BOISSARIE, L’Œuvre de Lourdes(Paris, Téqui 1909), p. 132.

 

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