Jean Lhermitte & Beaudoin. Un cas de démonopathie, Étude clinique et essai d’interprétation pathogénique. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 97e année, tome premier, 1939, pp. 649-666.

Jean Lhermitte & Beaudoin. Un cas de démonopathie, Étude clinique et essai d’interprétation pathogénique. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 97e année, tome premier, 1939, pp. 649-666.

 

Jean Lhermitte (1877-1959). Neurologue et psychiatre français. Elève de Fulgence Raymond et de Pierre Marie. Successivement chef de clinique de ce dernier à la Salpêtrière, médecin en chef de Henri Claude, il devient professeur de psychiatre en 1923. Il s’intéresse de très près aux phénomènes mystique ainsi qu’à la possession démoniaque et nous laissera de nombreux articles sur ces sujets ainsi que quelques ouvrages dont :
— La Psychanalyse. Extrait de la « Gazette des hôpitaux civils et militaires », (Paris), 94e année, n°93, 26 novembre 1921, pp. 1485-1489. [en ligne sur notre site]
— (Henri Hécaen et Roger Coulonjou) Héautoscopie et onirisme. Le problème du double dans le rêve et le songe. Article parut dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 100e année, tome II, n°3, octobre-novembre 1942, pp. 180-183. [en ligne sur notre site]
— (avec Beaudouin). Un cas de démonopathie. Etude clinique et essai d’interprétation pathogénique.] Article parut dans la revue des « Annales médico-psychologiques », (Paris), n°4, 1939, pp. 261-282. [Edité en tiré-à-part : S. l. n. d., [Paris], 1939, 1 vol. in-8°, 16 p.] [en ligne sur notre site]
— Le problème des miracles. Paris, Gallimard, 1956. 1 vol. in-8°.
— Le Problème médical de la Stigmatisation. Article parut dans les « Etudes carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer et Cie, 20e année, — vol. II, octobre 1936. [en ligne sur notre site]
— Marie-Thérèse Noblet considérée du point de vue neurologique. Extrait des « Études carmélitaines mystiques et missionnaires », (Paris), 23eannée, vol II, octobre 1938, « Nature et Grâce. Saintété et Folie », pp. 201-209. [en ligne sur notre site]
— Mystiques et faux mystiques. Paris, Bloud et Gay, 1952. 1 vol. in-8°, 254 p., 1 fnch.
— Vrais et faux possédés. Paris, Arthème Fayard, 1956. 1 vol. in-8°, 170 p., 2 ffnch.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p.649]

Un cas de démonopathie, Étude clinique et essai d’interprétation pathogénique, par MM. J. LHERMITTE et BEAUDOIN.

A lire les traités d’hagiographie, on ne peut manquer d’être frappé par la fréquence avec laquelle certains êtres, dont la puissance spirituelle a atteint les plus hauts sommets de la vie religieuse, ont été hantés par des phénomènes singuliers el déconcertants. Dans l’ignorance où l’on était des notions élémentaires de pathologie mentale, ces épisodes dramatiques ou simplement pittoresques ont été, en des âges où la foi n’était pas guidée par la science, attribués à l’influence du démon.

De constatation peut-être un peu moins commune qu’au Moyen-Age, les phénomènes de possession diabolique ne sont pas devenus exceptionnels aujourd’hui. Et le problème s’est posé de savoir si, à côté de la possession diabolique reconnue comme authentique par les croyants. un syndrome morbide, assez variable d’ailleurs dans ses limites et dans sa contexture et que caractérise un sentiment d’emprise et de possession par le démon, ne mérite pas d’être authentifié. A l’heure actuelle, s’il n’est aucun psychiatre qui puisse mettre en doute la réalité de la démonopathie, un grand nombre incline à penser qu’il n’est pas de possession diabolique réelle et que tous les faits où nous voyons apparaitre « l’intervention du démon » ne sont que des apparences liées à un désordre de l’esprit. Cette question, il ne nous appartient pas de la trancher ; nous rappellerons seulement que, dans des études récentes, notre collègue, Dom Sauton, le R. Père de Tonquédec, M. Gelma, se sont efforcés de trouver les critères grâce auxquels une discrimination pourrait être réalisée entre les étals de possession diabolique légitime et ceux qui ressortissent à une perturbation mentale. Si l’on voulait concrétiser, dans une formule simple, l’écart qui sépare les vrais possédés d’avec les faux possédés dont seuls nous nous occupons ici, on pourrait dire, en reprenant la pensée d’un exorciste particulièrement averti, que les possédés véridiques sont précisément les sujets qui n’accusent aucun sentiment d’emprise ou d’influence démoniaque.

Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, de ce point qui n’entre pas dans notre propos, il faut confesser que le mécanisme qui se trouve à la base du sentiment de possession nous échappe encore.

Sans doute, au reste, existe-t-il plusieurs voies psychologiques qui conduisent au délire démonopathique et l’on ne saurait, [p. 650] sans forcer les faits, chercher à établir une interprétation unique des manifestations que nous visons ici.

L’étude que nous présentons n’a nullement la prétention de donner la genèse de la démonopathie en général, mais seulement de mettre en lumière certaines conditions de cet état morbide, lesquelles nous éclairent, croyons-nous, sur le mode de développement d’un type particulier de délire de possession démonopathique. Voici d’abord l’observation résumée de la malade qui fait la base de notre étude.

Une jeune fille âgée de 28 ans. Sim. Sak … , vient nous consulter en mars 1936 pour des phénomènes étranges dont elle est hantée pendant le cours de presque toutes ses nuits. Ceux-ci ne sont pas récents, mais leur persistance n’a entrainé jusqu’ici, nous dit-elle, aucune atténuation des manifestations inquiétantes à plus d’un titre dont nous allons donner les caractères essentiels.

Dans le but de préciser le comportement de Sim. nous avons fait une enquête près du père, lequel ne quitte pas sa fille el qui est un homme intelligent, parfaitement équilibré et doué, semble-t-il, du sens de l’observation.

Au cours de la journée, la conduite de Sim. ne laisse prise à aucune critique ; la jeune fille s’occupe activement des soins du ménage, fait les courses, la cuisine, les achats ; vit en bonne intelligence avec tous ceux qui l’approchent. Toutefois, dans la journée, elle est prise parfois de crises de sommeil qui l’immobilisent sur une chaise, par exemple, tandis qu’elle se livre à la couture ou qu’elle lit.

Dès que vient la nuit, et surtout le moment de se mettre au lit, c’est bien différent. Sim. devient anxieuse, s’inquiète, ne veut pas qu’on la laisse seule. Pendant la nuit, il est réveillé par des tris, des éclats de voix. Sim. semble être en proie à des cauchemars terrifiants qui la font se lever sur sa couche, appeler, crier, tenir des propos bizarres. C’est un état étrange, poursuit-il, car, pendant ces crises, Sim. parait rêver, mais il est difficile de la tirer de son rêve ; on doit employer des objurgations vives ou la secouer par le bras.

HISTOIRE DE LA MALADE. — Déjà les renseignements fournis par le père de Sim. nous éclairent sur certains caractères très spéciaux des transes nocturnes par lesquelles se signale le comportement de notre patiente, de même que les épisodes de narcolepsie diurne apparaissent d’une significative expression. Mais il y a mieux ; et ce que nous apprend le développement des perturbations dont Sim. est le sujet permettent une précision plus grande encore . Née en 1911, Sim. [p. 651] demeure parfaitement normale jusqu’en 1922, époque à laquelle celle-ci fut prise de fièvre et de somnolence. On pensa d’abord à une fièvre typhoïde, mais transportée à l’hôpital des Enfants Malades, ce diagnostic fut rapidement réformé et celui d’encéphalite léthargique fut porté. La période de « léthargie » se prolongea pendant trois mois et la fièvre se dissipa lentement. A sa sortie de l’hôpital, Sim. avait recouvré toute sa santé physique mais son caractère était profondément modifié. Elle qui était jusque-là parfaitement équilibrée, de caractère aimable se montrait querelleuse, extrêmement irritable, encline aux grossiers mensonges, véritablement insociable, se disputant avec ses voisins, les marchands, ses amies, son père.

La situation sociale de Sim. devint intenable et l’internement fut décidé. Le 3 novembre 1927 un certificat tut rédigé par le Dr Dupouy dans les termes suivants : Encéphalite épidémique évoluant depuis trois ans. Irritabilité, onirisme, somnambulisme ancien. Perversions instinctives acquises. Verbosité fatigante. Met le désordre partout. Cris. Menaces. Opposition.

Pendant un an, Sim. témoigna une agitation telle qu’à maintes reprises on dut lui appliquer un appareil de contention et pendant plusieurs années elle ne quitta pas le Service des agitées. A plusieurs reprises on la surprit en train de s’enfoncer des aiguilles sous la peau. Toujours elle fut considérée comme insupportable.

En 1933, une sédation progressive des phénomènes apparut telle que Sim. put être changée de pavillon. Dès cette époque, Sim. commença à s’occuper et à travailler. En octobre 1933, on fait un essai de sortie sous la surveillance paternelle, mais Sim. est prise de « cauchemars » nocturnes, manifeste des crises d’onirisme, se plaint d’éprouver des sensations cénesthésiques étranges. Des crises d’anxiété se manifestent pendant la nuit.

Pendant la dernière période de son séjour à l’Asile, on relevait déjà des manifestations identiques à celles qui, plus tard, attirèrent l’attention. C’est ainsi qu’au cours d’une nuit, Sim. s’éveillant brusquement, a vu un homme près de son lit, une bougie à la main : elle se plaignait aussi d’éprouver des sensations d’enlacement qui lui donnaient à penser qu’on voulait la posséder. Souvent elle était en proie à des sensations voluptueuses qu’elle s’efforçait de chasser. D’autres fois, des « impressions d’enfantement » la prenaient qui l’irritaient. Dans le cours de la nuit, elle entendait des voix qui commentaient les impressions qu’elle ressentait ou les gestes qu’elle voyait. Une nuit, Sim. aperçut quelqu’un qui lui jeta des serpents sur son lit, elle les sentit ramper et distingua nettement leurs têtes. Des têtes rampantes la piquaient, lui injectaient du venin. Presque toutes les nuits, les mêmes scènes se reproduisent : des cochons d’Inde courent sur ses couvertures ; parfois elle ne les voit pas mais elle sent leur poids.

Enfin, dès cette époque, Sim. est envahie par le sentiment que son corps est dédoublé, que son double voyage, qu’elle est sous l’Influence d’une « puissance astrale ». [p. 652]

Antécédents héréditaires et familiaux. — La mère de Sim. est atteinte de démence précoce typique et internée dans le Service de l’un de nous (Beaudouin). Nous savons, en outre, que le frère de noire malade a succombé, jeune encore, à une tuberculose pulmonaire.

Observation clinique. — Simone prétend que, pendant la nuit, on l’hypnotise, qu’une puissance occulte lui arrache son double, qu’elle le voit, qu’elle le sent, qu’on lui jette des serpents, des mauvaises bêtes qui rampent sur elle et vont jusqu’à pénétrer dans son corps. Bientôt persuadée d’être sous la puissance d’un mauvais esprit, envoûtée ou ensorcelée, Simone s’inquiète de savoir si une influence occulte ne manifesterait pas son emprise sur elle, et, après s’être enquise, s’en va consulter un occultiste, lequel, se sentant en présence d’une jeune tille pure et dont la foi chrétienne est vive, la renvoie en lui conseillant de se rendre près du Rèv. Père de Tonquédec, le savant exorciste de Notre-Dame. Simone se rend à ce conseil, voit le Rèv. Père. lequel, tout de suite comprend qu’il est en face, non pas d’une possédée du démon, d’une malade, la console et nous l’adresse.

Simone se présente à nous comme une jeune fille extrêmement correcte dans ses propos et très soignée ; depuis sa sortie de l’asile, son comportement n’a jamais donné lieu au moindre reproche, sa conduite vis-à-vis de son père demeure non seulement régulière, mais pleine de témoignages d’affection, de dévouement et de respect. Ajoutons que les fonctions supérieures, telles que le jugement, le raisonnement, la critique ne sont pas modifiées, sauf pour ce qui concerne les phénomènes étranges qui accidentent les nuits. Agréable et même séduisante, modeste dans sa tenue et ses propos, Simone s’exprime clairement, sans nulle réticence, son langage traduit fidèlement, semble-t-il, une pensée difficile à formuler. Aussi avons-nous pu aisément recueillir de la bouche de notre malade les détails les plus circonstanciés des scènes qui se déroulent au début ou au cours de la nuit. Mais, pour demeurer sur le terrain d’une plus stricte objectivité, nous avons prié Simone de rédiger elle-même la narration des phénomènes qui la hantent et l’obsèdent au cours de son sommeil. Et ce sont les fragments les plus pittoresques et les plus significatifs que nous offrons aujourd’hui.

Mais auparavant, quelques mots d’explication sont nécessaires. Les manifestations dont on va lire la narration comprennent plusieurs ordres de faits. Tout d’abord, un sentiment d’emprise, d’envoûtement : Simone a l’impression que, dès qu’elle succombe au sommeil, ou mieux dans cette période de l’endormissement où nos sens perdent leur acuité, où nous nous désintéressons du monde réel, une Influence étrangère la domine, agit sur elle de toute la force d’une puissance extra-naturelle. Aussi, ne cesse-t-elle de répéter, au cours de ses récits surabondants de détails : « Je suis ensorcelée, envoûtée, sous l’emprise de quelqu’un. » Cette puissance « occulte » lui fait subir, comme on le verra plus loin, mille outrages, mille obscénités, mille [p. 653] tortures plus raffinées les unes que les autres, et parmi celles-ci figure le dédoublement de sa personne physique. On lui prend son double, on la dédouble, puis on lui rend ce double qui lui a été arraché, on la redouble. Et ce double, Simone le voit, le sent spirituellement et matériellement attachée à elle. Les sévices que l’on fait subir à cette image, les orgies auxquelles les puissances diaboliques se livrent sur elle, Simone les éprouve dans son corps de chair.

Enfin, la malheureuse est encore hantée pur des hallucinations de l’ouïe, de la vue, de la sensibilité générale et des sensibilités spéciales et singulièrement du sens génital, d’une part, et des illusions visuelles et auditives les mieux qualifiées, d’autre part.

Dans le but de réduire au minimum l’interprétation des faits ; nous ne nous sommes pas contentés de noter les récits et les confidences qui nous furent faits, nous avons demandé à la malade de relater, dès leur survenance, les phénomènes qui troublent ses nuits et accidentent parfois ses crises de narcolepsie.

Et ce sont quelques extraits des abondants cahiers de Sim. que nous présentons ici.

Nuit 17 mars. — « Je fermais les yeux pour dormir et j’entendais que celui qui m’a entrepris me réclamait mon double et celui qui me garde ne voulait à aucun prix le donner, disant que le Dr Lhermitte l’avait formellement défendu. Pendant ce temps, j’avais des serpents qui rampaient le long de mon corps. Je disais le Notre Père, alors tous se dirigeaient vers la fête pour sortir, mais s’arrêtaient là.

« J’al alors eu l’Idée de me lever et d’aller boire de l’eau de Lourdes que la Sœur a apportée chez nous du temps que mon frère était malade. Deux fois je me suis levée pour en boire, et, à la deuxième fois, tous les serpents avaient disparu. Je me suis donc endormie. »

Rêve. — Elle est entrainée par un groupe de fillettes, une tombe à terre comme morte, une autre sanglote : « J’ai voulu me réveiller et j’ai senti et vu que mon double tombait dans les taillis de ronces. Enfin, je me suis réveillée en pensant à cette petite que j’avais fait tomber et qui me semblait morte. Mon idée était dirigée vers elle et je me rendormais en pensant à elle. Et voilà que mon rêve se continuait. »

19 mars. — Sensations de serpents autour du corps au moment où elle veut s’endormir. Elle se lève, boit de l’eau de Lourdes, revient se coucher. Les serpents ont disparu. Elle rêve ensuite qu’elle est dans un club diabolique. « Mon réveil était sur la table de nuit, j’entendais le tic-tac répéter : elle est marquée pour toute sa vie.

« J’ai encore dormi, puis, réveillée, je voyais tout à l’envers, je ne reconnaissais plus ma chambre. »

Le 21 mars. — Rêve qu’elle est attaque par un homme ; elle le prend par les cheveux, le fait tournoyer au moins pendant deux minutes et le lance contre un mur. Puis, elle l’entend pleurer. Elle se retourne du côté droit sur le gauche. Alors, une voix lui dit : « Je [p. 654] l’avais bien dit que tu souffrirais. » Puis, cette voix m’a demandé : « As-tu toujours ton double ?

« Je me suis rendormie et, en voulant me réveiller, je ne pouvais pas ; un autre homme se trouvait à mon bas-ventre. Je l’ai repoussé.

Je me suis réveillée, et je voyais le violon de mon frère accroché au-dessus de la porte qui bougeait en forme de main et qui, j’en suis sûre, si j’avais été rendormie, serait venu vers moi pour me faire souffrir encore sous forme d’un mauvais esprit. »

Le 29 mars. — « Personne n’a pu me dédoubler, ayant placé par terre, à côté mon lit, une assiette avec trois petits morceaux de braise.

« Toute la nuit des mauvais esprits rôdaient dans ma chambre : si je fais dans le vide un grand signe de croix, je les vois s’élever en l’air. Puis, une autre partie de la nuit, je voulais m’endormir, impossible. On aurait dit qu’on m’illuminait le visage, j’ai compris que c’étaient encore les mauvais esprits. >

Nuit du 29 mars. — « Ayant ni de la braise à côté de mon lit, j’ai dormi jusqu’à une heure : j’ai entendu mon père se lever, j’ai essayé de redormir, n’y parvenant pas, j’ai compris que l’on m’avait complètement dédoublée par l’intermédiaire de papa.

« J’ai senti que l’on m’a fait une piqûre là où j’ai mal au bras et je souffrais partiellement ne pouvant me défendre contre ceux qui se sont emparés de mon double. Je me voyais étendue sur un brancard, on m’avait mis dans les mains des instruments de chirurgie, je me suis réveillée pour aller délivrer mon double. ce que j’ai fait. Il était six heures passées quand j’ai senti que l’on me redoublait, mais celui qui me redoublait a senti que j’avais des ciseaux dans la main, il m’a repris mon double et m’a découpé la partie génitale et a épanché son vice sur moi (corps astral) pendant une heure. Je sentais, lorsqu’il possédait mon corps astral, les secousses dans mon lit (corps terrestre). C’était pour me punir d’avoir mis des ciseaux à côté de moi et les tenant, Je n’ai rien senti de la jouissance, car il m’avait découpé cet endroit. Puis, il m’a redoublée. »

11 juin. — J’étais dans l’astral, mais je voulais revenir vers mon corps terrestre, mais impossible, j’étais embourbée dans le fumier, le purin, parmi les pigeons et les poules d’une ferme ; plus j’essayais de sortir de là, moins j’arrivais et je m’enfonçais davantage ; voyant cela, je me décidai à quitter mon corps astral et mon corps terrestre se réveillait, alors je disais à mes protections que je ne trouvais plus mon chemin. Elles me disaient alors : « Prie et ton corps astral reviendra. » Je priais et, en effet, il revenait, pas plus tôt rendormie, il repartait, alors je me réveillais pour dire à mes protections que j’étais encore perdue. J’ai senti une main me frapper sur l’épaule, puis je me suis vue avec le curé aux yeux bleus pâles et au nez crochu, et blond. Je lui ai dit ceci : « Dites devant Dieu que vous ne toucherez pas à moi et qu’il vous punisse si vous le faisiez. » Alors, il a récité du latin. Tout à coup, j’ai senti qu’il s’emparait de moi pour son [p. 655] plaisir. j’ai abandonné mon corps astral de dégoût et mon corps terrestre ressentait toutes les orgies qu’il faisait sur moi ; je pleurais de honte et de douleur. Il a dû même se servir de ma bouche, car je sentais comme des cheveux dans ma bouche terrestre et je savais que je n’avais plus mon corps astral. »

Nuit du vendredi au samedi (juin). — « Le diable m’est apparu, j’ai eu très peur. Le samedi soir, dans la nuit, deuxième apparition du démon. Il a osé entrer dans mon corps astral. Je priais de toutes mes forces, alors il rugissait de colère. Puis, j’ai senti son corps qui touchait le mien. Je souffrais horriblement. Il a essayé de m’enlever la chaine que je porte à mon cou terrestre, mais je retenais la médaille et la chaine en faisant pression avec mes mains, alors j’ai senti qu’il me prenait dans ses bras. J’avais peur, je sentais les ongles fourchus de ses pieds, puis, j’ai vu comme le couvercle d’un tombe qui s’ouvrait, alors j’ai appelé mes protections de toutes mes forces et j’ai senti que j’étais délivrée. »

Aujourd’hui, 17 juin. — « Pour la deuxième fois, le démon entre dans mon lit (astral] et essaye de me prendre ma chaine. Mes protections me disent : « Ne la donne pas. » Je lutte pendant dix minutes avec le démon. »

Le 18 juin. — « Avant de m’endormir, j’ai bien senti que le démon me coupait le cou, puis tous les autres membres, je sentais le sang couler en moi.

« D’autre part, pendant que ceci se passait, j’ai eu une lueur d’espoir en apercevant un coin du paradis. C’était féérique, beau. splendide, on ne peut l’expliquer. »

Nuit du jeudi. — En m’endormant, j’ai senti encore ces ignobles serpents qui me rampaient autour du cou, enfin sur tout le corps ; j’ai appelé mes anges gardiens, ils sont venus pour me défendre. Je me suis réveillée.

« J’ai eu la mauvaise idée de mettre de l’ouate dans mes oreilles car j’étais attaquée dans l’astral, j’appelais, mais je n’entendais pas les bonnes voix me diriger.

Elle rêve qu’elle se rend dans un endroit rempli de léopards, de panthères avec un éléphant, c’est la jungle ; elle est poursuivie, se sauve. Elle arrive dans un café-dancing, ses ennemis sont cachés derrière une petite colonne, alors, ne sachant plus ou aller, elle abandonne son double et se réveille.

« Je savais que je n’avais plus mon double ; ayant déjà fait l’expérience, je me suis levée de mon lit terrestre et mon double est revenu automatiquement.

« Alors, me recouchant, j’ai eu l’idée d’enlever le coton de mes oreilles, ma tête sur l’oreiller, j’entendais : saleté, saloperie. »

Samedi 11 juillet. — Elle est entrainée pat· une bande de mauvaises femmes qui veulent lui fourrer la tête dans une boite à ordures. Elle résiste, sort dans la rue, ses yeux étaient à demi-fermés. « Je disais à l’une des femmes que j’avais eu de l’encéphalite et que l’on me prenait [p. 656] pour sujet. Alors, cette femme m’a soulevé mes paupières un peu et je voyais mieux.

« Une des jeunes filles est venue me délivrer et dans mon lit fourmillent des bêtes immondes, cochons d’Inde, lapins, avec leurs poils qui me chatouillaient.

13 juillet. —  Elle avait le pressentiment qu’elle allait souffrir. « Avant de m’endormir, le diable a mis le feu au bout de mes cheveux, puis sur tout mon corps astral. Il m’a attaché les poignets très serrés, puis il a mis le feu à mon double, puis il faisait couler de l’eau tout le long.

« Je me suis ensuite rendormie, mais là les sujets du diable me firent souffrir avec leurs plumeaux, leurs brosses, leurs piquants,

« Endormie, je reviens dans ma chambre, le diable me dit, en me prenant dans les bras : « Tu ne veux pas coucher avec moi ? » Je lui ai dit : « Non », me le répétant une autre fois, je lui ai dit d’un air moqueur : « Oui, c’est cela, j’irai ! » ; alors, il la cru. J’ai dit alors : « Tu peux toujours te fouiller. » Alors, il a envoyé un de ses sujets chercher un martinet et m’en a donné des coups. Et mon corps terrestre ressentait tous les coups que mon corps astral éprouvait. »

Ensuite, le démon lui frotte les yeux, lui chatouille les oreilles avec du crin, cela l’énerve, puis lui frictionne le dos avec du carbonate. « Ça me faisait souffrir, ma peau était à vif. L’opération finie, j’ai fait au moins cinq à six fois le signe de la croix, Le diable, furieux a ordonné qu’on me· ligote à un poteau.

« J’étais donc entre les mains de ses sujets, alors cet homme me tenait et une femme m’a jeté un seau d’eau sur tout le corps. Je suis alors tombée en faiblesse, Elle m’a pris dans ses bras et m’a transportée dans un réduit. Elle m’a mis son sexe près du mien, croyant que j’allais accepter cela, elle essayait de me posséder. Alors, j’ai eu l’idée que voici : je l’ai pincée fortement à son sexe et elle a hurlé de douleur et appelant le diable. C’est moi qui avais pouvoir sur elle ? Je l’ai prise par la main et nous sommes sorties du réduit. »

18 juillet. — Il lui semble avoir un double corps astral. « En m’endormant, je vois à ma gauche un homme habillé tout de noir ; il m’a arraché mon corps astral, morceau par morceau. » Pendant ce temps, à sa droite, apparait une forme blanche qui doit être sa protection.

20 juillet. — Nuit très agitée, sommeil troublé profondément par les maléfices du démon. « Celui-ci lui a, dit-elle, lacéré tout le côté droit à l’aide de ses griffe, de ses crochets. »

« Vraiment, il abuse », nous dit-elle, « car j’en porte maintenant les marques sur le côté. »

L’examen du thorax révèle l’existence d’une éruption zostérienne avec vésicules ulcérées, occupant toute la bande radiculaire correspondant au cinquième métamère dorsal droit.

21 juillet. — « A une heure de l’après-midi, je raccommodais des bas lorsque le sommeil m’envahit. Je me couche sur le côté droit malgré la douleur occasionnée par le zona. J’étais sous une influence [p. 647] amoureuse, et, dans un moment de faiblesse, j’ai accepté cette sensation, mais aussitôt, me ressaisissant, j’ai demandé pardon à Dieu. »

27 juillet. — « Je m’apprêtais à dormir quand, à ma gauche, j’ai senti quelqu’un qui me donnait le bras, puis mon âme est partie. Dans la nuit, soudain, j’étais dans l’astral, et j’ai vu dans une glace mon corps astral ; j’ai eu un peu peur, car j’ avais de gros yeux, le gauche plus noir que le droit, puis j’avais les chevilles très fines et les cheveux longs. Alors, j’ai parlé à mon double et  il m’a souri. »

Dimanche 28 juillet. — « Vers le matin, le démon a tenté encore d’entrer dans mon lit. Alors, possédant un petit cadre représentant note Seigneur Jésus-Christ, le l’ai pris dans mes mains, le démon voulait alors s’emparer de mon âme (je ne dis pas du double), il ne pouvait l’enlever de mon lit astral, car Notre Seigneur Jésus-Christ l’en empêchait. Enfin, il y est parvenu à me sortir du lit, mais, au lieu de venir sous la forme de diable, il s’est transformé en serpent. Il a pris mon âm. Il m’a emmenée dans un salon et a abuse de moi, car il m’a possédée (mon corps terrestre l’a ressenti, puis j’ai senti quand il s’est retiré de moi. »

30 juillet. — « Le démon m’a encore donné des sensations amoureuses. voyant cela, j’ai mis le petit cadre dans mon lit, alors le démon revenu, quand il a vu le cadre, n’a pas insisté. »

Le lendemain, voici ce que Simone confie à son cahier :

Aujourd’hui à 4h1/2 du matin, 2 août. — « Le diableest venu me tenter sous forme de mouton, il m’a léché les mains, puis il est reparti. Il me gratouillait ensuite mon zona avec ses ongles crochus, et je souffrais.

« Le démon m’a versé de l’essence de térébenthine sur la tête en l’inondant. Puis, il m’a dédoublée, puis m’a rendu mon âme (double) par morceaux tout brûlants. Je souffrais lorsque mon double se recollait sur mon zona terrestre, j’entendais une sorte de grésillement. »

6 août 1936. — « Pendant la nuit, elle est doublée, son double va aux halles, puis vole pour revenir à la maison. En revenant, je ne pouvais plus voler, alors j’ai récité trois fois : « Je vous salut Marie ! », je volais mieux, mais, en volant, je perdais mes membres qui s’en échappaient sous forme de blocs de glace.

Tout en me rendant bien compte que la plupart des phénomènes singuliers qui accidentent ses nuits réalisent de véritables cauchemars, Simone ne laisse pas de croire à leur objectivité en les interprétant dans le sens que leur confère un occultisme dont elle est renseignée sur les élémentaires rudiments.

L’idée centrale du délire tient dans la conviction qu’elle a été  envoûtée, probablement par le Docteur X., qu’elle est ainsi placée sous la domination d’esprits malins, du diable, ou d’autres puissances mauvaises. Que, d’autre part, à ces influences maudites s’opposent des protections et des protecteurs dont elle entend les voix consolatrices dans le silence de la nuit.

Ces idées délirantes, qu’alimentent des illusions, des hallucinations [p. 658] multisensorielles el surtout les scènes oniriques nocturnes, n’influencent en rien, actuellement au moins, le comportement familial, social et religieux de Simone. Peut-être, à certains moments, son humeur traduit-elle un certain degré d’irritabilité, mais rien, en somme, dans sa conduite, ne laisse à désirer.

Ajoutons que toutes les fonctions psychiques fondamentales sont intégralement conservées, exception faite, bien entendu, pour la critique des phénomènes illusionnels, hallucinatoires et oniriques. Pour ce qui est de l’état physique, aucune modification morbide n’y apparaît. Les règles se produisent à des périodes régulières, et leur survenance n’influence pas le comportement psychique. Toutes les autre fonctions viscérales s’exécutent normalement. Les organes des sens ne sont pas perturbés, non plus que les fonctions de sensibilité, de motilité, de trophicité.

COMMENTAIRES. — Sans vouloir reprendre par· le menu les diverses scènes oniriques dont nous venons de rapporter la description propre de l’auteur qui les a vécues, nous désirons marquer ici ce qui apparaît particulier dans le cas de Simone et ce qui nous semble devoir être retenu.

Ainsi qu’on l’a indiqué, les thèmes oniriques de Simone sont, en réalité, très monotones, et si la rêveuse se complait à les décrire et à les redécrire en de trop nombreuses pages, la trame des rêves de Simone est faite de visions ou de phénomènes diaboliques, de compensations célestes ou angéliques, d’ascensions, dans ce qu’elle désigne du terme d’astral et surtout de dédoublement de la personnalité physique. Sans doute, il est probable que m’imagination de Simone, sans cesse en éveil, ajoute certains traits aux rêveries dont elle est tout ensemble, le théâtre et l’acteur, mais il n’est pas douteux que ces manifestations oniriques, qui nous sont dépeintes, s’entourent de contours si précis, se colorent de nuances si particulières qu’elles ne peuvent être simulées ni inventées.

Le sentiment d’emprise, de possession, de domination par une influence étrangère à la personnalité semble avoir été le premier fait en date. Déjà, lors de son internement, Simone se réveillait au cours de la nuit, voyait un homme près de son lit, une bougie à la main, prêt à la posséder : déjà aussi, Simone accusait une « puissance astrale » de la dominer, de la dédoubler, de lui « prendre son double », etc. Dès notre premier interrogatoire, Simone nous a déclaré qu’elle est, depuis de longues années, sous la domination de quelqu’un qui l’a envoûtée, sans doute, ajoute-t-elle, le Dr X… qui, l’un des premiers, lui avait donné ses soins. Ce docteur m’a envoûtée, ne cesse-t-elle [p. 659] de répéter, pour me faire souffrir. Et c’est pour échapper à cette domination, à cette emprise, que Simone est allée consulter un occuliste, lequel l’adressa au R. P. T. aux fins d’exorcisme.

Bien que, depuis le premier début de ses manifestation délirante, Simone ait quelque peu compliqué le thème primitif sur lequel elle à brodé, clic n’y a rien ajouté d’essentiel.

Comme l’observation en porte témoignage, Simone a été frappée d’encéphalite léthargique, et fut soignée pendant plusieurs mois pour cette maladie àl’Hôpital des Enfants-Malades. Si la guérison des symptômes physiques semblait acquise, du moins pour la plupart d’entre eux, la tendance à la somnolence et même les crises de véritable narcolepsie persistaient. Et encore, à l’heure naturelle, la malade est prise parfois, au cours de la journée, en lisant ou en cousant, d’un sommeil impérieux, et irrésistible.

Voici le premier fait. Le second consiste dans les perturbations qui accidente le sommeil de la nuit.

En général, très peu de temps après l’endormissement, ou au cours de celui-ci. Simone entre dans un état très spécial, sorte d’état second au cours duquel foisonnent dans son esprit des réminiscences, des visions, des auditions, des sensation, de toute nature, mais surtout des impressions voluptueuses ou leurs équivalents. C’est une sorte de rêve éveillé, nous déclare Simone ; il me suffit d’entr’ouvrir les yeux pour que les visions apparaissent.

Grâce au récit que nous a conté le père de la malade. homme intelligent et moralement fort bien équilibré, nous avons recueilli de précieuses précisions sur les états de transe que Simone présente, le plus souvent, dès les premiers moments du sommeil de la nuit. En général, on est attiré par le bruit ou les cris que pousse Simone ; celle-ci appelle, supplie, demande qu’on la des délivre, pousse de des gémissements que les voisins s’ inquiètent. Lorsque son père s’approche d’elle, Simone a les yeux ouverts ; répond aux questions mais semble ne pas voir les objets qui l’entourent ; elle parait égarée. Incertain si sa fille est en état de veille ou « d’extase », son père la réveille en la secouant rudement. Alors Simone reprend contact avec le monde réel et raconte les péripéties du cauchemar qu’elle vient de vivre.

Très souvent, Simone poursuit son rêve à l’état de veille, elle allume l’électricité, aperçoit près de son lit des personnages, les entend bavarder, discuter : parfois elle se lève pour les surprendre dans leur retraite (récit du père). [p. 660]

Pendant une longue période, ces épisodes rendirent Simone très craintive pendant les heures de la nuit ; demeurer seule le soir à la maison lui était très pénible. Elle avait toujours, nous dit son père, le sentiment très vif que quelqu’un était près d’elle, bien qu’elle ne le vit point.

D’autre part, le soir, deux personnes se tiennent près d’elle, chargées de surveiller tous ses actes, l’une rendant compte à l’autre de tout ce que Simone a fait pendant la journée.

Au cours des états singuliers dont on vient de spécifier ici caractères et que l’on pourrait qualifier de transe pour ne pas préjuger leur nature, Simone est le jouet de vivions, d’auditions et de mille autres sensations et perceptions dont la description a été donnée plus haut.

Sans y revenir, nous voudrions cependant indiquer, à grands traits, les caractéristiques très personnelles de ces étranges phénomènes.

Ce qui prime évidemment, c’est bien l’échappement, le vol, le rapt de ce que Simone appelle son « double », et qui est l’image d’elle-même. Image assez floue, tenant à la fois du corporel et du spirituel, et faite d’une sorte de matière et d’une espèce d’esprit. Lorsque les mauvais esprits se sont emparés de son double, l’anxiété apparait, et Simone trie, supplie qu’on lui rende ce double, qu’on la « redouble ». Alors. plus ou moins vite, ses protections interviennent qui obtiennent le retour de celte image, laquelle vient s’appliquer à nouveau sur le corps dont elle avait été séparée, arrachée quelques instants plus tôt. Mais parfois. ce « double » ne lui est rapporté qu’incomplètement, il lui manque tantôt un membre, tantôt un autre, l’anxiété devient extrême pour disparaitre seulement lorsque la partie manquante lui revient, portée par une barque que conduisent des hommes noirs. En somme, l’image de soi, arrachée par ce que Simone appelle les mauvais esprits, lui est restituée et s’applique exactement à la surface de sa personnalité physique. Cela est si vrai que, pendant la période où Simone, atteinte de zona, était dédoublée et perdait son double, lorsque cette image lui était rendue et qu’elle se recollait sur sa personne de chair, elle éprouvait une cuisson pénible et limitée à l’endroit de l’éruption cutanée.

Mais « le double » n’est pas seulement l’image détachée de soi, c’est aussi une partie de « l’âme » de Simone : ce double souffre, subit mille tourments que Simone éprouve par répercussion dans ce qu’elle appelle son «  corps terrestre ». Et parmi ces tourments, il faut compter aussi les sensations voluptueuses, [p. 661] amoureuses, les prises de possession lascives que lui impose le démon, l’esprit malin, le Diable. Ce double, capable de souffrir tout comme le corps terrestre, Simone peut volontairement, dans l’état de transe, l’abandonner aux mains de ses ennemi pour échapper au danger. Fait également singulier, lorsque le double l’a quittée et qu’elle se réveille. l’infidèle image lui revient presque automatiquement. Aussi, nous dit-elle, qu’elle cherche et fait effort souvent pour sortir de son rêve, pour se réveiller, afin que lui soit rendu le double arraché ou volontairement abandonné. Simone décrit ainsi : « Je savais (dans mon rêve) que je n’avais plus mon double : ayant déjà fait l’expérience, je me suis levée de mon lit terrestre et mon double est revenu automatiquement. » Et encore : « Lorsque je crois mon âme en danger, et que je suis endormie, je me réveille terrestrement, je me lève de mon lit pour que mon double revienne secrètement à moi. Je m’aperçois, en voulant me lever, que, réellement, je ne l’avais pas, car je chancelle sur mes jambes et je suis obligée de me tenir à la table de nuit. »

Cette restitution lui est ensuite assurée par « des voix » qui lui parlent à l’oreille dès qu’elle est recouchée et qui lui disent : « Qui lui a rendu son double ? » Et on lui explique qu’elle est presque guérie.

D’après la pensée de Simone, ce double est bien quelque chose de matériel, car elle a senti une fois que le double chutait dans un taillis de ronces. Davantage, Simone a pu contempler directement, au cours d’un rêve, son « corps astral », lequel n’est qu’une locution figurée du double. « J’ai vu dans une glace, écrit-elle. mon corps astral. J’ai eu un peu peur, car j’avais de gros yeux, le gauche plus noir que le droit, puis j’avais des chevilles très fines et les cheveux longs. »

Dans cette « image astrale », Simone se reconnaît, elle ne doute point que c’est son double qui est en face d’elle, mais celle image ne reproduit que des traits déformés de sa personne physique et le miroir astral se comporte un peu à la manière des glaces déformantes que chacun a expérimentées. Il s’agit donc ici d’une vision ou représentation spéculaire ou autoscopique d’une qualité particulière survenant au cours d’un état onirique.

Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, « le double », détaché de la personne physique de Simone, demeure cependant relié à l’Individu physique et psychique de celle-ci par d’invisibles liens. Les supplices, les tortures, les jouissances perverses que «  l’on » impose à son double, Simone les éprouve, dit-elle, dans [p. 662] ses sens et dans son âme. Une fois, celui qui a repris son double a découpé dans celui-ci la partie génitale et a épanché son vice sur elle pendant une heure. Elle sentait, pendant qu’« il » possédait son corps astral, les secousses dans son lit terrestre : mais elle n’a éprouvé nulle jouissance puisqu’ « il » avait découpé préalablement la région sexuelle pour la punir d’avoir mis, à côté d’elle, une paire de ciseaux.

Les visions et les phénomènes diaboliques. Ceux-ci méritent seulement d’être relevés, car leur originalité ne dépasse pas celle que l’on peut attendre d’un esprit assurément intelligent, mais d’une culture médiocre comme l’est Simone. On ne peut pas ne pas remarquer cependant l’extrême fréquence de la conjonction des sensations ou des visions de caractère érotique avec les apparitions diaboliques. Tous ces phénomènes se déroulent au cours de la transe, ou encore surviennent dans la période de la prae dormitio : parfois même, ceux-ci apparaissent, lorsque Simone est couchée, sous la forme d’hallucinations de la sensibilité, de la cénesthésie et dans des cas plus exceptionnels, sous l’apparence d’illusions auditives. Un exemple : le 19 mai 1936, Simone, étendue, ne dormant pas, éprouve l’impression que des serpents s’enroulent autour de son corps, elle se lève, prend de l’eau de Lourdes, puis se recouche. Les serpents ont disparu, mais, transportée dans un « club diabolique », elle entend le tic-tac de son réveil lui dire : « Elle est marquée pour toute la vie ».

Pieuse et quelque peu superstitieuse comme l’est Simone, l’on devine aisément les moyens de défense dont elle peut faire usage : les prières, l’absorption d’eau de Lourdes, des « grands signes de Croix dans le vide », des conjurations variées dont l’une est assez pittoresque. Dans le but de n’être pas sujette pendant la nuit aux maléfices, Simone place, près de son lit, une assiette contenant un peu de braise. Cela suffit au moins pour certaines nuits.

Les hallucinations et les illusions sensorielles. A l’étal de veille, Simone n’est pas hantée par les fausses perceptions, du moins l’interrogatoire ne permet pas de retrouver ces phénomènes. Il n’en est pas de même, soit de la période de l’endormissement, soit à celle du réveil qui succède à un rêve. A maintes reprises, Simone poursuit son rêve à l’état de veille et rattache ses images oniriques à des sensations déformée ou même les enchaîne à des images n’ayant aucun fondement dans la réalité.

Origine de la symbolisation chez Simone. Nous l’avons vu, Simone a toujours été et demeure une jeune fille pieuse et [p. 663] remplissant exactement ses devoirs d’état comme ses obligations religieuses. Aussi, par la connaissance qui lui a été donnée ou qu’elle a recueillie de ses lectures, l’appareil de démonopathie semble d’une explication assez aisée. Tous les attributs qu’elle prête à l’entité ne s’écarte pas de ce qu’une personne du milieu et de l’instruction de Simone peut connaitre.

Il n’en va pas de même pour ce qui est des phénomènes de dédoublement de la personnalité. Remarquons, d’abord, que, si notre patiente a été consulter un occultiste  puis un R. P. exorciste, ce n’est pas par eux qu’elle a pris connaissance du phénomène de dédoublement et de l’envoûtement. C’est précisément parce qu’elle éprouvait ces deux sentiments que Simone interrogea et l’exorciste et l’occultiste. Certes, ce dernier lui a sans doute communiqué quelques expressions courantes de la doctrine ésotérique qu’il professe, et c’est probablement grâce à lui que Simone parle si complaisamment de corps astral, de voyage dans l’astral ; mais, nous le redisons, si le mot a été introduit dans son esprit par le dehors, la chose y était déjà. Et la chose importe beaucoup plus que les mots par lesquels on la désigne. Est-il besoin de faire remarquer que le sentiment de dépersonnalisation, de déréalisation, de dédoublement sont couramment observés chez des malades qui ignorent les pratiques de l’occultisme du tout au tout ?

C’est pourquoi il nous parait d’un intérêt certain de comparer les conceptions de notre malade avec celles qui habitent l’esprit des primitifs. Des traits de ressemblance étranges apparaissent immédiatement. Dans l’âme primitive, écrit Lévy-Brühl, il n’existe aucune opposition foncière entre l’esprit ou l’âme et la matière ; contrairement à notre manière de penser, le principe de l’individualité corporelle et psychique n’appartient pas à l’esprit du primitif, ainsi que le montre la signification des « appartenances ». Bien plus, la notion d’un double de soi-même, d’une réplique, d’une image de soi, tout ensemble indépendante et reliée au moi par des relations permanentes et invisibles, fait partie intégrante du système psychologique des primitifs. Pour ceux-ci, le second moi, uni mystiquement à ce que nous appellerions le moi réel, vit et meurt en même temps que celui-ci. Allons plus avant : chez les Maori de la Nouvelle-Zélande, ce double (ou esprit) peut quiller le corps pendant la vie, s’émanciper au cours du sommeil et visiter, tandis que l’individu est endormi, des gens et des lieux très éloignés.

Le Waina, (ou esprit) quille le corps pendant les heures où la base physique dort (Lévy-Brûhl).

Insistons enfin sur cette notion capitale que ce double, le [p. 664] « corps astral », n’est pas considéré comme une simple représentation de l’original, entièrement distincte de lui-même : en réalité, c’est lui-même encore.

Par conséquent, ce double, ce corps astral des primitifs uni mystiquement à l’individualité réelle et vivante, peut souffrir ou jouir avec celle-ci, et toute atteinte au double atteindra, par répercussion, l’original.

Ne trouvons-nous pas, dans ce système, les éléments les plus personnels et les plus caractéristiques du thème délirant développé ?

De pareils liens de similitudes entre la pensée des primitifs et la pensée de Simone ne sont-ils pas singulièrement évocateurs ?

Pour en revenir maintenant à l’objet de cette communication, c’est-à-dire au processus de la démonopathie, nous ne pouvons pas ne pas souligner que si, dans la plupart des cas de possession diabolique morbide, l’enchainement et l’origine des idées délirantes échappent à notre prise, ici nous en saisissons, dans une certaine mesure, le mécanisme pathologique. De toute évidence, c’est à la suite du développement d’une encéphalite du type léthargique que sont écloses les idées singulières de dédoublement, d’envoûtement el de possession diaboliques que Simone nous expose dans ses écrits et par sa parole. Toute l’activité délirante se montre alimentée par des impressions, des sensations, des illusions et des hallucinations qui se réalisent exclusivement au cours de la nuit ou encore pendant les accès narcoleptiques. En vérité, il ne s’agit pas, pour Simone, d’un sommeil véritable, même narcoleptique, au cours duquel des phénomènes de ce genre sont exceptionnels, bien que l’un de nous (Lhermitte), avec R. Huguenin, en ait dénoncé la possibilité, mais plutôt d’un étal singulier, intermédiaire entre l’état morphéique et l’état de veille. Bien souvent, au cours de ces « transes », Simone garde un certain contact avec le monde extérieur ou encore se montre insensible aux excitations qui normalement eussent réveillé le sujet le plus profondément endormi. Parfois aussi, Simone nous a conté que les sensations voluptueuses ou pénibles que lui infligeait le démon, que les images et les idées qui lui hantaient l’esprit et qu’elle désirait repousser la surprenaient dans un état de conscience lucide tandis que son corps demeurait immobilisé et insensible aux ordres de sa volonté.

Il semble bien que ce ne soit point forcer les faits que d’entendre ici les phénomènes sous l’angle de la cataplexie de la nuit (die Nachtanfall). [p. 665]

En dernière analyse, nous sommes donc amenés à conclure qu’il existe, parmi les multiples processus morbides qui peuvent conduire au délire démonopathique, un type particulier dont la personnalité se manifeste dans une activité onirique, engendrée elle-même par un état morbide organique dont les effets majeurs ont été la désorganisation partielle du dispositif régulateur de la veille et du sommeil.

Avant la connaissance des méfaits de l’encéphalite épidémique, un semblable cas eût paru, sans nul doute, d’interprétation difficile ; aujourd’hui, au contraire, l’enchainement des faits se révèle en pleine lumière, ce· qui montre, si l’on en doutait, que, sur ce point, la neuropsychiatrie a marqué un progrès.

DISCUSSION

M. HESNARD — Le grand intérêt du cas analyser de façon si exacte et si brillante par M. Lhermitte est la réalisation, par une cause organique et bien définie — l’encéphalite — d’un syndrome en tous points comparable aux états que, jadis, on étiquetait uniformément : hystérie.
Il semble que l’encéphalite ait retenti sur l’équilibre neuro¬psychique de cette malade selon deux processus très distincts quoiqu’étroitement conjugués :d’une part, une poussée d’excitation sexuelle, d’exaltation instinctive de sens érotique, conditionnée sans doute par des modifications neuro-végétatives et endocriniennes ; d’autre part, une injure neurologique dont certaines séquelles conditionnent la production de ces crises oniriques, somnambuliques ou oniroïde et hypnagogiques, qui absorbent d’ailleurs toute la maladie psychique, puisque la malade est lucide et réservée durant l’état de veille.
Cette rencontre des deux processus organiquement conditionnés est tout à fait intéressante puisqu’elle nous montre qu’une malade habituellement normale, malgré le refoulement érotique qui parait être le sien, peut être livrée a des poussées érotiques de formule clinique franchement morbide par le seul fait d’une affection organique post-encéphalitique. En d’autres termes, le refoulement qui aboutit aux symptômes névro-psychopathiques peut  être, de toutes pièces, déterminé par une affection organique.

M. VIÉ —J’ai, dans mon service, une malade de 34 ans qui présente des signes physiques évidents d’encéphalite épidémique et, au point de vue mental, des états obsédants avec angoisse qu’elle qualifie elle-même d’enféromanie. Elle souffre aussi d’agoraphobie et présente des hallucinations visuelles de caractère onirique. [p. 666]

Dans l’observation que nous venons d’entendre, il est intéressant de voir les modifications survenues dans la formule psychologique de l’encéphalite. Tout se bornait, pendant l’enfance, à des troubles du caractère, instabilité et taquineries. Le délire n’a apparu que plus tard.

M. LHERMITTE. — Ce qui est surtout à noter dans ce cas, c’est l’absence de tout signe physique neurologique, malgré la nature incontestablement organique des troubles de la pensée, du sommeil et du tonus que présente cette jeune fille.

 

 

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