Jean-Joseph Brieude. Cochermar. Article de « Encyclopédie méthodique », (Paris), Tome TVII, 1798,pp. 4-7.

BRIEUDECOCHEMAR0003Jean-Joseph Brieude. Cochermar. Article paru dans l’« Encyclopédie méthodique », (Paris), Tome TVII, 1798,pp. 4-7.

Jean-Joseph Brieude (1728-1812). Médecin, agronome et géographe, il fut attaché à la Duchesse de Bourbon et au Duc d’Orléans.

 

COCHEMAR. Incubus, ephialtes, oneirodinia. (Médecine).

C’est un sentiment de pesanteur sur la poitrine, que l’on éprouve en dormant, qui fatigue autant que pourroit le faire un grand fardeau. Cet état est accompagné ordinairement de rêves effrayans, & de difficulté de respirer. Tout se dissipe par le réveil, mais il reste beaucoup de lassitude & souvent des palpitations. Joseph Lieutaud, élem. de méd. Prat.

Les nosologistes ont distingué six espèces de cochemar ; 1° – le pléthorique ; 2° – le stomachique ; 3° – celui qui provient de l’hydrocéphale ; 4° – le vermineux ; 5° – l’hypochondriaque ; 6° – l’hystérique.

Cette maladie est rarement grave, & n’est le plus souvent qu’une incommodité. D’après les divisions ci-dessus, l’on voit qu’elle dépend de différentes causes auxquelles il importe de faire attention.

I°. Le cochemar pléthorique est occasionné par tout ce qui augmente la masse du sang, ou qui le détermine vers la tête. Les vents du midi, les passions, les spiritueux, les mouvemens violents & longs, la crapule, les alimens succulens pris en trop grande quantité, en sont des causes éloignées. Il cède aux remèdes propres à diminuer la pléthore: tels que les évacuants, la saignée, la diète, le régime végétal. Cependant comme la saignée ramène la pléthore, on doit se méfier de son efficacité lorsqu’on l’emploie seule; l’on doit beaucoup plus compté sur l’abstinence & les privations. On se trouve très-bien de ne point souper, ou du moins d’avoir l’estomach libre lorsqu’on se couche. L’exercice journalier, le séjour dans les airs vifs & montueux, les délayans, sont à-peu-près ce qui réussit le mieux. On recommande aussi d’avoir la tête & les épaules élevés pendant le sommeil.

2°. Le stomachique. Les auteurs observent, que les gourmands & les gloutons, sont les plus sujets à cette espèce de maladie, sur-tout s’ils se couchent ayant l’estomac trop plein d’alimens, parce que leur volume & leur poids, gonflent & distendent ce viscère, au point qu’il comprime le diaphragme. La position horizontale, que l’on prend pour dormir, augmente cette compression. A cette cause ils en ajoutent une seconde. Ils supposent que le chyle, qui abonde pour lors dans le sang, se porte en trop grande quantité sur le cerveau. Les enfans sont presque tous voraces; par cette raison, ils ont souvent le cochemar. Leurs rêves roulent ordinairement sur les objets qui les ont le plus frappés pendant le veille. Il y en a néanmoins qui ont presque toujours des frayeurs, qui n’ont rien de commun avec les objets qui les ont affectés pendant le jour. Les émétiques, les purgatifs, la sobriété, la privation du souper, l’eau pure en boisson ordinaire, l’abstinence des alimens gras, difficiles à digérer, la manière de se coucher dans leur lit, sont à-peu-près ce qu’on peut leur conseiller de mieux. On leur donne quelquefois des stomachiques: je ne vois point cependant qu’ils puissent en avoir besoin, s’ils usent des autres moyens indiqués.

3°. Lorsque l’hydrocéphale interne, est la cause de cette maladie, il est très-difficile de connoître cette cause, à moins que quelque signe extérieur ne nous indique qu’il y a des sérosités dans l’intérieur du cerveau. L’on conseille pour lors des hydragogues, des diurétiques, le seton. Ces remèdes sont aussi insuffisans pour cette espèce de cochemar que pour la maladie qui l’occasionne.

4°. Les vers dans l’estomac, & même ceux des intestins, donnent souvent cette maladie aux enfants. Les vers irritants ces parties, la sympathie de l’estomac avec le cerveau, nous font comprendre aisément comment & pourquoi cela arrive. Les anti-vermineux, les purgatifs, les émétiques la guérissent avec autant de facilité que de sûreté.

5°. Le cochemar intermittent, dont parlent quelques auteurs, & que peu de médecins ont vu, doit être rapporté, quant au traitement, aux espèces pléthoriques, stomachiques ou hystériques. Il est plus ou moins facile à guérir suivant la cause dont il dépend.

6°. On rencontre très-souvent cette maladie chez les hystériques & les hypochondriaques, chez lesquels elle est très rebelle, quelque position, qu’ils prennent pendant le sommeil. Qu’ils observent du régime ou non, quoiqu’ils se privent de souper, ils n’en sont pas moins tourmentés par des rêves pénibles. Les vents que M. de Sauvages suppose dans les premières voies, & qui, selon lui, pressent le diaphragme de ces malades ne rendent point raison, dans tous les cas de leur oppression, ni de leurs rêves effrayans. J’en connois qui ont le ventre très-libre, qui sont peu sujets aux vents, qui sont très sobres, & qui se couchent régulièrement sans souper, lesquels sont néanmoins fatigués toutes les nuits, par des rêves fatigants avec de l’oppression. Pour moi, je crois, que leurs rêves extraordinaires dépendent uniquement de l’action sympathique des nerfs de l’estomac sur le cerveau. Cette action sympathique est très-difficile à expliquer, comme toutes les sympathies. Nous sçavons que l’estomac & les viscères qui l’entourent, sont obstrués ou dans l’atonie chez les hystériques & les hypochondriaques. mais comment concevoir que de cette atonie partielle ou totale de l’estomac, il en résulte une irritation de certaines fibres du cerveau, qui occasionne ces rêves? Il est plus prudent, à mon avis, d’observer le fait, & de ne point se permettre de l’expliquer parce que encore une fois le méchanisme de la sympathie nerveuse, nous est inconnue, malgré les progrès de l’anatomie.

Cette espèce de cochemar n’engendre pas toujours des idées noires & sombres. Elles sont souvent gaies & même lascives, quoique fatigantes, & laissant de la lassitude après le sommeil. M. de Sauvages en rapporte des exemples que j’ai eu occasion d’observer moi-même plusieurs fois chez des jeunes personnes.

Presque toutes les espèces de cochemar sont des symptômes des maladies nerveuses. Ils doivent être traités comme elles. J’ai fait à ce sujet les réflexions suivantes :

I°. La position élevée du corps & de la tête pendant le sommeil, n’est pas toujours un secours assuré.

2°. Il faut chercher à ramener le système nerveux à son état naturel. Les évacuans dans l’espèce stomachique, ni la saignée dans la pléthore, ne suffisent point; dans beaucoup de cas il faut corriger l’habitude du système nerveux, lorsque la maladie dure depuis quelque temps, & qu’elle revient souvent. On doit s’attacher à le fortifier, car ordinairement il est très-mobile.

3°. On fera toujours la plus grande attention aux fonctions de l’estomac, même dans le cas de pléthore, car il peut être pour lors affecté lui-même par sympathie.

4°. L’on doit examiner non-seulement la sensibilité du sujet & son irritabilité. Il est nécessaire en outre, d’étudier ses affections morales, surtout celles des enfans, l’on s’attacheroit à connoître les idées qui ont frappé vivement leur imagination, afin de les effacer. Les domestiques, les gouvernantes, qui en ont soin, se plaisent souvent à les effrayer par des contes de sorciers, de revenans, &c. Il y en a d’assez pervers pour souiller ces âmes pures, par des idées obscènes & lascives, qui les tourmentent pendant leur sommeil.

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Paris, BnF, Français 95, fol. 113v.

Je vais ajouter ici quelques conjectures sur le méchanisme des rêves.

I°. L’action physique du cerveau, est diminuée pendant le sommeil.

2°. Si pendant que nous dormons, une portion des fibres du cerveau est mise en activité, dès-lors l’âme a des idées, &c. elle rêve; cette activité est idiopathique & locale, ou sympathique, & vient de loin; comme lorsqu’elle part de l’estomac. Dans le cochemar, il y a des idées très-vives, très-claires, des raisonnements très-distincts, de volitions, des souffrances, des plaisirs très-sentis, des mouvemens très-violens, puisqu’il en résulte des palpitations, des suffocations, des agitations dans le pouls, des sueurs, &c.

Comment pouvons-nous concevoir que cela s’opère? I°. Je vois dans le cerveau des fibres dans un certain degré de mouvement, lesquelles pourroient bien être placées à une certaine distance les unes des autres, ou être mues dans des temps inégaux; 2°. d’autres fibres, que l’on peut supposer dans l’intervalle des premières, ont reçu des impressions moindres.

3°. Enfin il y en a, dont l’activité est nulle par rapport à l’âme, lesquelles peuvent aussi être supposées entre les premières, & même entre les secondes.

Du coté de l’âme je me représente I°. les idées vives, les raisonnemens distincts & correspondans aux mouvemens des premières fibres; 2°. les idées confuses qui correspondent aux ébranlemens des secondes fibres; 3°. des espaves vides, (que l’on me permette cette expression), qui répondent au repos relatif des troisièmes. Il me semble que l’on ne peut expliquer les lacunes d’une idée, d’un raisonnement à l’autre que par cette dernière supposition.

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Incube

I°. Nous ne concevons, & ne pouvons concevoir, que mouvement ou repos, dans les fibres du sensorium . Je n’examine pas ici, si c’est un fluide ou toute autre manière d’être de la fibre, qui détermine ce mouvement.

2°. En conséquence de l’union de l’âme avec le corps. Chaque mouvement déterminé de la fibre, doit être suivi des signes qui annoncent l’existence de l’âme, c’est-à-dire, qu’elle doit exercer une ou plusieurs de ses facultés, avoir des idées, raisonner, vouloir, &c. suivant les mouvemens des fibres du sensorium.

I°. Si le mouvement des fibres est dans un certain degré de force & qu’il y ait liaison entre elles, les perceptions, les raisonnemens, seront aussi parfaits que dans l’état de veille; s’ils ont moindres, tout sera confus, obscur: & s’ils sont encore moindres, ou nuls relativement à l’âme, elle ne donnera aucun signe de sa présence, elle n’aura aucune perception, aucune sensation, l’on sera dans le sommeil le plus calme.

Continuons la supposition. Si les fibres étoient mues, avec une certaine force, dans un certain ordre, il n’y auroit dans le rêve, ni idées confuses, ni espaces vides. Les raisonnemens seroient semblables en tout, à ceux de l’homme éveillé. C’est parce que les fibres sont mues inégalement à des distances inégales, & dans des temps inégaux, que cette même inégalité se retrouve dans l’ordre et l’intensité des raisonnemens pendant le rêve, & que nous y trouvons des idées claires, des idées confuses, des vides. En comparant l’ordre des fibres du sensorium à la touche d’un clavecin, l’on peut dire que l’âme se présente à chaque touche, qui est mise en mouvement, soit par les sens externes, soit par des impressions organiques internes, soit par la propre réflexion de l’âme. Il semble qu’elle n’existe point pour les fibres qui sont en repos, ou qui ont un mouvement trop foible pour qu’elle s’en aperçoive.

Cette explication souffre néanmoins des difficultés, car s’il faut admettre une fibre pour chaque idée simple, c’est multiplier leur nombre à l’infini. Or l’observation nous prouve presque le contraire; on a trouvé des abcès, des kystes considérables, la masse totale du cerveau, presque toute infiltrée, ou pétrifiée, sans que le malade fut privé d’aucune de ses facultés: donc il faut peu de fibres pour leur libre exercice. Ce seroit d’ailleurs une erreur de dire que l’âme existe dans chaque fibre ébranlée du sensorium, ou tout le long de la touche du clavecin, car ce seroit lui attribuer de l’étendue, & la supposer divisible.

2°. Ce n’est point le mouvement, en général, qui excite les idées, &c. dans l’âme. L’exercice parfait de ses facultés, n’est attaché qu’à une certaine quantité & à un certain mode de mouvement; hors de ce point de mouvement dans la fibre tout est nul chez elle, ou presque nul. D’abord il est certain, que le cerveau, comme organe corporel, a un mouvement qui lui est propre, lequel existe indépendamment de l’âme, sur laquelle il ne produit aucune sensation; nous en avons la preuve dans l’état de sommeil. Le cerveau vit & agit pendant que l’on dort, sans que l’âme s’en aperçoive, lorsque le mouvement est au-dessous du ton nécessaire, qu’il est confus, ou que l’habitude en a diminué les effets; le moral s’en ressent, l’âme n’a point de sensations, elle ne s’aperçoit point de ce mouvement, ou elle s’en aperçoit d’une manière confuse? Nous avons des exemples de ces vérités dans les actes d’habitudes, comme le mouvement des paupières, &c. du mouvement desquels nous n’avons aucun sentiment, ou par les approches du sommeil, lorsque nous sommes, comme l’on dit, moitié endormis; mes idées & les sensations sont pour lors confuses.

Lorsque les impressions externes ou internes sont extrêmes, l’âme n’a point ordinairement le temps de déployer ses facultés dans leur ordre naturel, elle éprouve dans le même instant indivisible la sensation et le mouvement qui en sont l’effet; sentir que l’on se brûle la main & la retirer, sont deux opérations qui ne permettent aucune idée, aucun raisonnement intermédiaire.

Ce n’est point dans le mouvement en général, mais dans un certain mode de mouvement, que consiste l’exercice le plus parfait des facultés de l’âme.

Par l’union de l’âme avec le corps elle est soumise à ce dernier; elle ne peut donner aucun signe de son existence, que lorsque les fibres du sensorium sont dans un certain degré de mouvement; elle peut par la réflexion leur imprimer ce même mouvement, comme elles peuvent le recevoir des objets extérieurs. Quel est donc ce mouvement matériel, qui peut agiter ainsi la substance spirituelle et déterminer ses modifications? Quel est donc ce souffle, cette inspiration de la substance spirituelle qui meut la fibre matérielle? Comment par la seule réflexion, l’âme peut-elle mettre ces fibres en jeu & se représenter à elle-même toutes ses connoissances. Comment cette réflexion, ce mouvement spirituel devient-il matériel? Comment ce mouvement matériel de la fibre, devient-il, ou produit-il un mode spirituel ?…

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 Incube The Challenge of Faith from Ars moriendi c. 1460
Woodblock printing Gutenberg Museum Mainz

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