Henry Meige. Sur un retable de l’église Sainte-Dymphne à Gheel. Extrait du « Bulletin de la société française d’histoire de la médecine », (Paris), tome 2, 1903, pp. 474-478.

Henry Meige. Sur un retable de l’église Sainte-Dymphne à Gheel. Extrait du « Bulletin de la société française d’histoire de la médecine », (Paris), tome 2, 1903, pp. 474-478.

 

Henry Meige (1866-1940).  Élève de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, il fut un des derniers internes. Ses talents de dessinateur le font être titulaire de la chaire d’anatomie artistique de l’École des beaux-arts de Pais en 1920, tout comme le fut Paul Richer, avec qui il a partagé plusieurs publications.
Quelques publications e collaboration avec Jean-Martin Charcot :
— Étude sur certains névropathes voyageurs. Paris, 1893.
— Leçons cliniques sur les maladies mentales et nerveuses : (Salpêtrière, 1887-1894), 1895; (par Jules Séglas, colligées et publiées par Henry — Meige).Les tics et leur traitement. Paris, 1902 (avec Eugène Feindel)
—  Tics. Paris, 1905.
— Les possédés des dieux dans l’art antique. Extrait de « Nouvelle iconographie de la Salpêtrière. Clinique des maladies du système nerveux », (Paris), tome septième, 1894, 35-64. [en ligne sur notre site]
— (avec L. Bataille). Les miracles de Saint Ignace de Loyola. Avec 2 planches hors texte. Article parut dans la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », (Paris), tome septième, 1894, pp. 318-323. [en ligne sur notre site]
— (avec Paul Richer). Les possédés de P. Bronzet. Extrait de la revue « Nouvelle iconographie de la Salpêtrière », (Paris), tome septième, 1894, pp. 258-262, 2 planches hors-texte. [en ligne sur notre site]
— (avec Paul Richer). Les possédés de l’église de sainte Dymphne à Gheel. Extrait de la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière », (Paris), tome XVI, 1903, pp. 305-318.  [en ligne sur notre site]
— Encore quelques possédés dans l’art. Extrait de la revue la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », (Paris), tome quinzième, 1902, , pp. 78-80, 1 planche hors texte. [en ligne sur notre site]
— Documents complémentaires sur les possédés dans l’art. xtrait de la revue la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », (Paris), 1894. [en ligne sur notre site]
— Les possédées noires. Paris, Imprimerie Schiller, 1894. 1 vol. in-8°, 88 p., 2 ffnch. [en ligne sur notre site]
— La procession dansante d’Echternach. Extrait de la « Nouvelle iconographie de la Salpêtrière », (Paris), Tome XVII, 1904, pp. 248-264, et pp. 322- 336.  [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajouées par nos soins.. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 474]

Sur un retable de l’église Sainte-Dymphne à Gheel
le Dr Henry Meige.

La ville de Gheel, dans la province d’Anvers, en Belgique, est une des plus prospères colonies familiales d’aliénés. C’est aussi l’une des plus anciennes.

Des documents authentiques prouvent que, dès avant le XIIe siècle, on voyait venir à Gheel des fous, des « insensé », des « innocents », des « possédés », des « ensorcelés ». Ils accouraient de toutes parts, réclamant l’intercession de Sainte Dymphne, réputée parses guérisons miraculeuses.

Primitivement, les pèlerins, aliénés ou possédés, étaient hébergés dans une annexe de l’église. Ils y occupaient pendant une neuvaine des cellules que l’on peut

voir encore aujourd’hui. Par la suite, leur nombre augmentant toujours, il fallut les loger chez l’habitant. La population de Gheel prit ainsi l’habitude de fréquenter les aliénés et de leur donner des soins. L’autorité laïque, de concert avec l’autorité ecclésiastique, édictèrent de bonne heure des ordonnances pour réglementer cette hospitalisation familiale. C’est ainsi que débuta la colonie actuelle.

Jusqu’au siècle dernier, le traitement des malades [p. 475] qui se rendaient à Gheel se borna uniquement à des pratiques religieuses. Toutes les manifestations de la folie, et surtout de la folie bruyante, tous les symptômes des névroses tapageuses, de l’hystérie principalement, étaient considérés comme des indices de la possession diabolique et l’on ne leur connaissait d’autre remède que les cérémonies religieuses, l’exorcisme en particulier. Un Collège de chanoines, installé à Gheel, avait la haute direction de cette thérapeutique spirituelle ; il s’occupait en outre du placement et de la surveillance des aliénés ; il tenait un registre journalier des visites, des cérémonies et des cures qui pouvaient se produire ; on retrouve dans ses Archives, le Liber innocentium, de très intéressants détails sur le fonctionnement primitif de la colonie de Gheel.

Les docteurs Paul Masoin et Frans Meeus, médecins de la colonie de Gheel, ont publié sur ce sujet une très intéressante brochure que consulteront avec fruit ceux qui s’intéressent au début de l’organisation de l’assistance familiale des aliénés (Annales de la Société de médecine de Gand, 1902).

Grâce à l’obligeance de mon ami, le docteur Paul Masoin, et à l’occasion du récent Congrès des médecins aliénistes et neurologistes qui s’est tenu à Bruxelles au mois d’août dernier, j’ai pu voir à Gheel, dans l’église consacrée à Sainte Dymphne, un très beau retable à plusieurs compartiments dont l’un deux est particulièrement intéressant, en ce sens qu’il représente l’exorcisme d’un des fervents de Sainte Dymphne.

Cette œuvre d’art, située actuellement au-dessus du maître-autel de l’église, remonte au commencement du xvi e siècle; elle est attribuée à un sculpteur anversois, Jean Wawe. C’est un excellent morceau de sculpture sur bois, peint et doré, qui fit autrefois, paraît-il, l’admiration du David d’Angers.

Le dernier compartiment de droite est celui qui nous [p. 476] intéresse. Il représente l’exorcisme d’une possédée en présence de l’image de Sainte Dymphne.

Retable de la sainte Dymphne, pièce maîtresse de l’art flamand du fin du XVe, début du XVIe siècle, avec plus de deux cents sculptures en chêne et des traces de la polychromie d’origine, attire tous les regards. Sa forme, sa construction et sa complétude en font un retable remarquable. Sainte Dymphne en est la figure centrale : sa vie et son martyre, sa glorification sur la terre et le triomphe de Dymphne au ciel, couronnée du Calvaire. Chaque tableau est placé sur un socle

L’exorciste, en habits sacerdotaux, tient de la main gauche un calice et présente de la main droite une hostie à la possédée qui se renverse en arrière en faisant

un geste d’horreur. Un diable grimaçant s’envole au- dessus de sa tête. Cette femme est soutenue par une des infirmières qui, d’après les Archives de Sainte-Dymphne, prêtaient leur concours aux malades venus en pèlerinage. Dans le fond, on aperçoit Sainte Dymphne, qui porte une lourde tresse de cheveux, et qui fait de la main droite un geste rituel.

Derrière l’officiant, se trouvent deux pèlerins, probablement des « innocents », venus également à Gheel en pèlerinage : leur costume, leur sourire niais, permettent cette supposition. A gauche de la composition, se trouve un autre aliéné, un agité dangereux sans doute, ou un possédé plus tumultueux que les autres, car on a dû le ligoter avec des fers, véritables instruments de torture qui lient les pieds et les mains. Il est accroupi par terre, soutenu par un assistant, et semble se tordre violemment.

Les fers qui maintiennent ses mains, ceux aussi qu’on peut voir par terre et qui étaient destinés aux pieds, se retrouvent sur un certain nombre de figurations de possédés. Je les ai déjà signalés à propos d’une tapisserie de la cathédrale de Reims et d’un possédé qui figure sur une peinture sur bois conservée à l’église de Matines et représentant la vie de saint Rombaud. On les retrouve encore dans d’autres figurations. Les Archives de Sainte-Dymphne nous apprennent d’ailleurs qu’on avait coutume de « lier par les pieds et par les mains » les aliénés dangereux.

Ce même personnage porte sur la tête un bonnet assez singulier, qui rappelle les bonnets des fous de cour, sauf qu’il n’a pas de grelots. Il est probable que [p. 477] ces bonnets servaient de signe distinctif aux aliénés qui vivaient mélangés à la population de Gheel ; d’ailleurs, il semble bien que l’on ait d’assez bonne heure donné aux aliénés une coiffure spéciale dont le bonnet des fous de cour n’est qu’une variante enjolivée.

Le malade ligoté porte une coiffure qui semble trop grande pour son crâne. Il se peut qu’il s’agisse d’une sorte de bonnet rembourré destiné à préserver le crâne des chocs auxquels le possédé se trouvait souvent exposé au cours de ses grandes attaques. Rien d’étonnant à ce qu’on ait adopté une coiffure distinctive pour signaler les aliénés qui vivaient au milieu de la population de Gheel. De la même façon, les lépreux, en ce temps-là, étaient tenus de porter un bonnet, et môme un costume spécial, outre les cliquettes qui leur servaient à la fois à attirer vers eux les âmes compatissantes, et à signaler la présence de leur mal contagieux.

On sait, d’autre part, que les ensorcelés, les possédés, destinés au bûcher, étaient coiffés d’une grosse « mitre » en carton (Calmeil). Il est môme resté dans le langage courant un souvenir de cette coutume : on dit encore vulgairement d’une personne à l’esprit dérangé qu’elle est timbrée. Or, le tymbre, en terme de blason, est représenté par la tiare ou la mitre dans les armoiries ecclésiastiques. L’étymologie du mot timbres’accorde avec la locution familière dont nous parlons.

Timbre vient de tympanum, cloche. Par métonymie, le mot timbre a servi plus tard à désigner le son que rend la cloche lorsqu’on la frappe. Plus tard encore, le nom de tymbre a été donné à certains casques, et enfin, comme nous venons de le dire, aux casques, mitres et coiffures de toutes sortes qui surmontaient les blasons. De même que l’on disait « une cloche bien timbrée, mal timbrée, fêlée », de même on a dit « une tête, une cervelle bien timbrée, fêlée ». Ces locutions [p. 478] se trouvent couramment dans les écrits du XVIe et du XVIIe siècle.

Un autre mot, d’ailleurs, le mot toqué, encore employé aujourd’hui pour désigner les personnes qui ont le cerveau dérangé, reconnaît la môme origine. Il dérive en effet du verbe toquer, toucher, frapper, et s’applique à la cloche, au timbre ou au cerveau. Il est à remarquer que le mot toque, qui sert également à désigner un mode de coiffure, était primitivement appliqué à une sorte de bourrelet qu’on mettait sous les casques ou tymbres.

 

 

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