Henri Philippon. A propos de quelques rêves célèbres. Extrait de « Visages du Monde – Le Rêve dans l‘Art et la Littérature », (Paris), n°63, 1939, pp. 68-69.

Henri Philippon. A propos de quelques rêves célèbres. Extrait de « Visages du Monde – Le Rêve dans l‘Art et la Littérature », (Paris), n°63, 1939, pp. 68-69.

Très rare revue, réservée au corps médical, et donc hors commerce. Absente de la B. n. F.

Henri Philippon (1908-1981). Journaliste, créateur d’une petite revue littéraire, La Courte Paille, qui, au fil des 12 numéros parus entre mars 1929 et février 1932, publia des textes de Max Jacob, Roger Vitrac, Henry Poulaille, ou André Salmon ; il fut aussi l’un des trois membres fondateurs en 1933 du prix des Deux-Magots.

Les [p., colonne] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images sont celles de l’article original, hors le portrait. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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A PROPOS DE QUELQUES REVES CÉLÈBRES

par

Henri Philippon.

La « manie » d’interpréter les rêves, si manie il y a et non science, a ses lettres de noblesse. Hippocrate s’efforça toute sa vie d’arracher aux rêves leurs secrets et leur consacra un livre dans lequel il explique que l’esprit veille et se transporte, pendant le sommeil, à des endroits où nous pourrions aller lorsque nous sommes éveillés. Et Il demande aux médecins de ne pas négliger les rêves de leurs malades et de tâcher de les interpréter. Hippocrate pressentait que ce secret pourrait servir dans bien des cas, la Médecine. C’est qu’il était persuadé que notre état physique a une influence profonde sur nos rêves et il n’hésitait pas à prescrire, par exemple, les moyens d’éviter les cauchemars.

Rêve, par Odilon Redon.

Pareillement, le célèbre astrologue Arthemidore d’Éphèse assure que les rêves peuvent être attribués à la quantité ou à la qualité des aliments pris pendant le jour et il prétend que les rêves d’un homme sobre et de caractère tranquille ne sont pas difficiles à interpréter.

Et voici quelques exemples célèbres. Pour illustrer la théorie d’Hippocrate, on rappelle le rêve dont parle Balzac dans « Louis Lambert ». L’importance de ce rêve ne fait de doute pour personne puisque aussi bien nul n’ignore que Balzac — et tout particulièrement dans ce livre — s’est peint sous les traits de ses héros, et qu’on ne s’avance pas beaucoup en affirmant que c’est Balzac lui-même qui a fait ce rêve. L’auteur de la Comédie Humaine raconte donc dans « Louis Lambert », qu’il arriva à son héros alors élève du collège de Vendôme, d’être à ce point préoccupé par une promenade réservée aux plus grands et aux meilleurs élèves, au château de Rochambeau, situé dans la vallée du Loir, qu’il fit… Mais laissons la parole à Balzac lui-même :

« En 1812, vers la fin du printemps, nous dûmes y aller pour la première fois. Le désir de voir le fameux château de Rochambeau nous rendis… tous sages. Rien n’empêcha donc la partie. Ni moi, ni Lambert, nous ne connaissions la jolie vallée du Loir où cette habitation a été construite. Aussi son imagination et la mienne furent-elles préoccupées la veille de cette promenade, qui causait dans le collège une joie traditionnelle. Nous en parlâmes toute la soirée. Le lendemain, après le dîner, nous partîmes à midi et demi. Quand nous fûmes arrivés sur [p. 68, colonne 2] la colline, d’où nous pouvions contempler et le château sis à mi-côte et la vallée tortueuse où brille la rivière en serpentant dans une prairie gracieusement échancrée, admirable paysage, un de ceux auxquels les vives sensations du jeune âge ou celles de l’amour, ont inspiré tant de charmes que plus tard il ne faut jamais aller les revoir, Louis Lambert me dit :

— Mais j’ai vu cela, cette nuit en rêve !

II reconnut et le bouquet d’arbres sous lequel nous étions déjà, et la disposition du feuillage, la couleur des eaux, les tourelles du château, les accidents, les lointains, enfin tous les détails du site qu’il apercevait pour la première fois.

A cette époque, nous étions tous deux Incapables de mensonges   dans les moindres actes de notre vie d’amitié… En ce moment, nous nous assîmes tous deux sous une vieille truisse de chêne ; puis après quelques Instants de réflexion, Louis me dit :

Si le paysage n’est pas venu vers moi, ce qui serait absurde à penser, j’y suis donc venu. Si j’étals ici pendant que je dormais dans mon alcôve, ce fait ne constitue-t-Il pas une séparation complète entre mon corps et mon être intérieur ? N’atteste-t-il pas je ne sais quelle faculté locomotrice de l’esprit ou des effets équivalents à ceux de la locomotion du corps ? »

Henri Michaux n’est pas seulement un poète du rêve, il le peint aussi avec un sens particulier du fantastique.

Mais, diront peut-être les sceptiques, c’est là de la littérature, ce n’est pas historique !

On peut alors leur citer le rêve que fit Mlle de Fontanges, qui est célèbre et se trouve consigné dans des ouvrages historiques dignes de foi et qui assurent que celle qui fut un temps la favorite de Louis XIV, avant cette faveur, rêva qu’après avoir erré dans une plaine aride elle s’était trouvée au pied d’une montagne quelque peu escarpée. Elle se mit en devoir d’atteindre le sommet de cette montagne et lorsqu’elle y parvint, elle se trouva brusquement enveloppée d’une atmosphère lumineuse. Oubliant sa fatigue et ravie de l’éclat qui l’entourait, et de la douce chaleur dont elle était pénétrée, elle s’arrêta un instant. Mais bientôt, un nuage noir envahit l’atmosphère et la remplit d’une odeur nauséabonde. Et les historiens qui consignent ce rêve ne manquent pas d’ajouter l’interprétation qu’en fit le directeur            de conscience de Mlle de Fontanges, un bon père franciscain dont j’ai oublié le nom. Cette montagne, lui dit-il en substance, c’est la cour où vous serez entourée d’un éclat trompeur et éphémère votre triomphe sera de courte durée et vous retomberez dans une profonde et amère obscurité.

L’histoire nous prouve que l’interprétation de ce rêve devait se révéler exacte, Et que penser du rêve de l’illustre violoniste et compositeur italien, Giuseppe Tartini, auteur du « Violon du Diable » ?

Tartini rêve une nuit que le diable s’empare de son violon et, à son chevet, lui joue un morceau d’une extraordinaire originalité. Il l’écoute attentivement et lorsque le diable a terminé et a disparu, Tartini s’éveille, saute en bas de son lit, prend son violon et répète le morceau qu’il vient d’entendre. Il avait ainsi trouvé une des plus belles pages du « Violon du Diable ».

Henri PHILIPPON,

 

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