Henri Lévy-Bruhl. Un loup-garou, devant le Parlement de Bordeaux en 1603. Extrait de la « Revue de folklore français, organe de la Société du Folklore Français », (Paris), Première année, 1930, pp. 177-185.

Henri Lévy-Bruhl. Un loup-garou, devant le Parlement de Bordeaux en 1603. Extrait de la « Revue de folklore français, organe de la Société du Folklore Français », (Paris), Première année, 1930, pp. 177-185.

 

Henri Lévy-Bruhl (1884-1964). Juriste et sociologue, fils du célèbre Lucien Lévy-Bruhl. Il est considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie du droit moderne.
Quelques publications :
— Nouvelles études sur le très ancien droit romain, 1947
— Aspects sociologiques du droit, 1955
— Recherches sur les actions de la loi, 1960
— Sociologie du droit, 1961
— La Preuve judiciaire, étude de sociologie juridique, 1964

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 177]

UN LOUP-GAROU
devant le Parlement de Bordeaux en 1603

En 1629, Bernard Automne, jurisconsulte et avocat au Parlement de Bordeaux, fit paraître à Paris, chez Robert Fouet, rue Saint-Jacques, « à l’enseigne, du Temps et de l’Occasion », la troisième édition, « composée, reveuë, corrigée, et augmentée de moitié outre les du précédentes impressions » d’un ouvrage intitulé : « La conférence du droit français avec le droit romain, en laquelle les tiltres et lois des digestes ou pandectes et du code du droit civil sont confirmés, interprétés ou abrogés par édits et ordonnances royaux, arrests des cours souveraines, décisions et authorités des plus célèbres jurisconsultes de France et autres royaumes, plusieurs belles histoires sont aussi rapportées sur les mesmes tiltres et loix ».

On trouve dans cette compilation plusieurs arrêts intéressants concernant les mœurs et les traditions populaires, notamment des affaires de sorcellerie. Je transcris ici un procès de loup-garou qui s’y trouve rapporté aux pages 462 et ss. du tome II.

L’histoire, il me semble, mérite d’être connue. D’abord en raison de son authenticité. La précision des renseignements donnés par Automne ne permet pas de douter que le procès fut effectivement jugé, d’abord devant le juge local, puis en appel devant le Parlement de Bordeaux. Le détail de la procédure n’est pas moins intéressant. On y voit l’incontestable souci de justice des différentes juridictions, qui multiplient les enquêtes, les confrontations, les expertises, notamment l’expertise médicale, où se traduit d’une façon saisissante, mi-comique mi-tragique, l’opposition de l’esprit du moyen âge et de l’esprit scientifique. Il convient de noter qu’en dépit de la sévérité de la peine prononcée le Parlement de Bordeaux paraît singulièrement plus éclairé que la juridiction locale. Enfin il y a lieu de remarquer, au point de vue des traditions populaires, combien la croyance au loup-garou devait être fortement imprimée dans les esprits pour que tous les témoignages de paysans rapportés fussent concordants, sans rencontrer à ce qu’il semble, la moindre opposition.

Henri Lévy-Bruhl.

[p. 178] Le pénultiesme May 1603 le Procureur d’Office du sieur de la Roche Chalès par deuant le luge des lieux, remonstre que plusieurs enfans estoient tuez, mangez, & les vns blessez & offencez par des malebestes, mesme vne Marguerite Poirier auoit esté assaillie par v.ne en forme de loup qu’il y a vn ieune garçon nommé Iean Crre-nier seruiteur de Pierre Combaut, qui se vante que c’est luy, & qu’il a mangé plusieurs enîans &. filles estant transformé en loup, il requiert prise de corps de peur qu’il n’échappe en autre Iuridiction, & permission d’informer le luge luy octroye tous les deux. Il informe, & fait ouyr trois tésmoins, l’un desquels est ceste Marguerite Poirier aagée ,de treize ans assaillie par vn loup ils disent tous trois que gardant leur bestail ils se sont rencontrez souuent ensemble où pareillement venoit Iean Grenier, que deuisant entre eux du danger des loups, il asseuroit n’en auoir aucunement peur, de tant que prenant vne peaw de loup sur luy, il se transformoit en loup comme eux qu’en ceste forme il tuoit & mangeoit des chiens qu’il auoit tué près son village vn chien blanc, ^uoit. mangé vn morceau de la gorge, & beu le sang, mais que la çfoair & sang des chiens n’estoit bonne comme celle des enfans qu’il estoit entré en vne maison sur le chemin de sainct Anthoifie à l’Isle, n’auait trouué personne qu’vn petit enfant dans le berceau lequel il estoit allé manger pres vne haye de iardin, & auait donné la plus part à vn loup qui estoit prés de luy, aussi auoit-il mangé d’vne fille, & qu’il auoit assailly y auoit trois sepmaines’ ou vn mois Marguerite Poirier en la prise de Toutifaut pres le village de Pulel, & que sans ce qu’elle luy donna d’vn baston sur l’echine puis s’enfuit avec son bestail, il l’auroit mangée qu’il auoit sa peau & vn pot de gresse à sainct Anthoine que Pierre Labouraut luy gardoit, fait promettre à l’vn des tesmoins l’accompagner l’aller querir, qu’il court en compagnie de huict ou neuf les Lundy, Vendredy et Samedy, & au bas de la Lune que ce Labouraut a sa maison dans la forest sainct Anthoine, noire, obscure, qu’il y est ayant une grande chaisne de fer au col, laquelle il ronge, & fait rostir plusieurs hommes, les autres bouillir dans des chaudières, les autres bruler dans des chariots et licts. Il est ouy du commencement, il veut desguiser l’affaire & dire auoir veu quelque leurjer assaillir vn enfant, mais exhorté de dire le vray, il confesse auoir assailly Marguerite Poirier transformé en loup, désigne l’arbre, le lieu & les endroicts par où il a passé, qu’il y a trois ans qu’il faict ce mestier, & depuis vn matin que Pierre del Tillaire le mena à la forest parler à vn grand Monsieur noir monté sur vn cheual noir [p. 179], lequel à l’arriuée les baisa d’vn baiser froid, leur fit ‘promettre l’aller trouuer quand il voudroit, leur fit frotter son cheual, leur promit viures et argent, leur donna à boire du vin, les marqua avec vn fer au haut de la cuisse, il redit tout ce qu’il avoit dit aux tesmoins de mot-à mot, & le confirme, & enquis sur autres maléfices se voyant pressé, .il se met à pleurer, puis confesse avoir mangé vne fille pres quelques pierrières, auoir tué le chien blanc, auoir attaqué la chienne de Dabillon, & l’eut tuée, sans que Dabillon courut après luy Tespée nuë que Pierre Grenier son père & Pierre del Tillaire ont couru avec luy, son père luy garde sa peau et gresse, l’aide à vestir & gresser, qu’ils prirent ensemble vne fille aux Grillaus.

Le luge decrete prise de corps tant contre le père que Pierre del Tillaire, & ordonne que le Procureur fera assigner par les villages ceux lesquels ont perdu leurs enfans, ou desquels les enfans ont esté blessés, & que les tesmoins nommés és charges et informations viendront pour être recolés et confrontés, ce qui est faict : le iour suiuant le Procureur faict proclamer par les villages que ceux qui auront perdu leurs enfans ou desquels ils auront esté blessés comparent. Iean & Antoine Rouliers freres comparent, disent qu’vn Samedy veille de la Pentecoste derniere, vne malebeste en forme d’vn loup, mais plus grosse et courte, la queuë courte, vint envahir leur enfant de l’aage de deux ans, estant en compagnie de deux ou trois autres qui gardoient des oisons qu’eux trauaillant à la vigne coururent au cry & le firent laisser, il leur est confronté auant estre interrogé, ne la deposition leuë, il dit que ce fut luy, lequel ce jour-là print ce petit enfant, qu’ayant demandé l’aumosne en vne maison de laquelle il designa la situation s’en allant ̃par le grand chemin Monsieur de la Forest se présente à luy au droict de ces enfans, luy donne sa peau & soudain il enuahit le plus petit dit l’endroit de la teste où il l’auait blessé en deux lieux, la situation de la vigne dont sortis les deux qui auoient recouru l’enfant, & dans quels bleds s’estoit sauué, l’un des hommes l’ayant suiui,. ils sont confrontés, et les dépositions réciproquement leuës, tant luy que les tesmoins les confirment.

Aussi Estienne Chesneau du village de la Reynerie dépose sa fille auoir esté mangée pres une pierriere audit lieu le premier Vendredy de la lune de Pasques, il est confronté ledict Grenier esclaircit le faict, il dict l’auoir prinse dans vne vigne perduë entre cinq ou six autres filles gardant les brebis, designe la situation des (lieux, les chemins, brandes, chaumes & endroicts par lesquels il [p. 180] l’auait esgorgée, traînée, & en fin mangée, sauf la teste, entrailles & pieds, ce que le pere dict estre veritable, voire accorde ce que Grenier auoit dict luy auoir faict aualler sa robbe sans la deslacer ny deschirer auant estre confronté aux autres tesmoins. Aussi il spécifie les lieux par lesquels il auoit passé allant enuahir Marguerite Poirier, & entre autres le village plus voisin où il disoit auoir passé entre deux piles de fagots, ce qui est auéré et trouué veritable, tant par tesmoignage que veuë oculaire, les confrontements parachevés, le lendemain il demande à parler au luge, dit qu’ayant songé aux exhortations qui luy auoient esté faites de dire le vray, il veut descharger sa conseience que tout ce qu’il a dit est veritable, mesmes de Pierre de Tillaire & de son pere, & que sa belle mere a quitté son pere parce qu’elle luy vit vomir des mains de petits enfans & des pieds de chien qu’ils ont couru ensemble, mangèrent vne fille aux Grillaus, dont il y a deux ans, & depuis il ne l’a mené courir avec luy, comme aussi il a esté deux ans sans courir, & n’a couru que depuis trois mois, qu’il a blessé vne fille au village de la Ronce, il designe le village, le champ où estoit la fille sous vn prunier, les lieux où il la traisna, la maison & porte de laquelle sortit vn homme auec vn long baston qui la luy fit laisser, & lequel il cogneut auoir peur, du commencement, à cause deqoy il reprint la fille par la machoire d’embas, la traisna pres vne fontaine tout le long d’vn pré, prest d’entrer dans de grands bleds pour la manger, m’lis l’homme ayant reprins cœur la luy fit quitter à grand regret, il monstre l’ongle du pouce de la main gauche fort longue, grosse & forte que ce Monsieur de la Forest luy a defendu rogner, sa marque est esprouvée par vn chirurgien & picquée fort avant, elle se trouve sans sentiment &. sans sang.

Pendant ce temps on auoit decerné lettres au luge de Coutras afin d’auoir & le pere & Pierre del Tillaire, le luge de Coutras ayant declaré vouloir leur faire le procès luy-mesme, le luge de la Hoche auec tous ses officiers le vont trouuer, menent Jean Grenier fils, portent la procedure, & l’ayant faict voir audict luge de Coutras vont tous ensemble ches le père, visitent la maison, n’y trouuent rien, ni peau ni pot de gresse, vont ches le Tillaire, pareillement n’y trouuent rien, quoy que le fils asseurast que son pere tenoit le tout dans vn petit coffre, dans lequel n’auoit rien esté trouué, & le Tillaire sur vn plancher, où aussi il n’y auoit rien. le pere & le Tillaire sont tous deux enuoyés ès prisons de Coutras pendant que les luges & officiers auec ledit fils vont visiter la maison de la belle mere laquelle estant allée asez loin à vn marché il n’est rien trouvé en [p. 181] sa maison, la visite faicte les luges confrontent le fils au pere, le pere dit que c’est vn enfant de quatorze ans idiot et hebeté, lequel seruoit de risée à tous, mesmes en ce que l’on luy faisoit dire qu’il auoit cogneu toutes les femmes que l’on luy pouuoit monstrer, & que l’occasion pourquoy il l’auoit quitté estoit qu’il l’auoit fouetté pour auoir faict bouillir du lard le premier Vendredy de Caresme, & en auoir faict manger à son petit frère, ce que le fils auoit pareillement dit par sa première audition, le Tillaire donne aussi pareils objects d’hebettement, ils sont confrontés, le fils en ce qui le concerne persiste tousiours, & asseure ce qu’il auoit dit par ses confessions quelques exhortations qu’on luy face, & tout autant de fois que l’on l’interroge, tout autant de fois le confirme, mais il varie & se desdit lors qu’il est question de son pere & du Tillaire, & est recogneu s’extrauager, & ne rien dire de certain pour leur regard, & le pere interrogé sur le délaissement de sa femme, nie s’estre quittés, mais sa femme estre contraincte se tenir ailleurs pou la conservation de sa maison, & bien qu’on luy veut usurper, dont elle en a procès, ce que la femme estant ouye confirme de mot en mot il est ordonné que le Procureur d’Office informera de la vie & mœurs du pere & du Tillaire, ce qui est faict, & par commune voix sont trouués gens de bien.

Le luge de la Roche ramene le fils, & désire s’informer b’auantage & le lendemain ordonne que le fils luy ira monstrer à l’ceil les lieux par luy descrits à ces fins outre les Officiers, il assemdle des Gentils hommes & domestiques du sieur de la Roche, & des habitants du pays, Iean Grenier fils mené premièrement au village de la Ronce, monstre le chemin, la situation du village, la terre et le prunier sous lequel il auoit saisi la fille, la fontaine pres laquelle il l’auoit traisnée, la porte de laquelle l’homme sortit auec vn baston, que voyant qu’il s’arrestoit & auoit peur il l’auoit reprise & traisnée par le pré qu’il monstre, & iusques aux bleds où il va, & y estant les habitans du village se rangent i eux, soudain il recognoit entre iceux celuy qui luy auoit faict laisser, le saisit par le poing, & dit, voicy celuy qui sortit apres moy avec le baston, cest homme est ouy particulièrement, il confirme tout ce qui auoit esté dit par Grenier fils, mesmes de la peur, & auec les autres habitans monstrent les mesmes endroits que ledit Grenier auoit montré, l’on commande au pere & habitans mener la fille en compagnie de cinq ou six autres de mesme stature & parure ce qui est faict, soudain, il la saisit entre toutes, monstre l’endroit où il l’auoit blessée : la fille est ovye, pui dépose de mesme chose [p. 182] & monstre les mesmes endroits que ledit Grenier auoit indiqué De là il les mene au village de Paulel, il monstre par où il passa entre les piles de fagots, il monstre vne grande piece de bois & brandes appelée de Toutifaut, où il y auoit vne piece de paccage en laquelle & sous vn chesne il auoit attaqué Marguerite Poirier, laquelle luy ayant donné vn coup de baston, il monstre où il recula, la routte qu’elle prit pour s’enfuir auec son bestail Marguerite Poirier est mandée, elle designe les mesmes endroits & mesmes circonstances.

Ce fait, il se met deuant, conduit toute la troupe au village de la Reynerie, & trouuant deux chemins, il designe où ils vont, prend celuy de la Reynerie, monstre le village, la situation, les terres s adiaccntes, vn clos de vignes perduês entourées de hayes & fossés, dit auoir veu vne beste en ce lieu, qui auoit pris vne fille & icellc mangée pres les pierrieres & exhorté de ne de guiser rien & de dire le vrai, il dit qu’estant au haut du clos (& monstre le lieu) ou Monsieur de la Forest s’apparut à luy, luy donna sa peau, soudain transformé il entre par vn pas qu’il monstre, vient saisir entre cinq ou six filles la plus petite qui gardoit les brebis, monstre le lieu & endroit où elle estoit, sort par vn autre pas qu’il monstre aussi, conduit par vn petit sentier de là à vne pierriere, puis descend vn valon, passe dans des brandes entre deux cerisiers, & monstre le bout d’vne nauue ou pierriere où il la mangea près d’vn vieux chesne. Le pere de la fille Estienne Chesneau & sa sœur leanne Chcsneau sont mandés, la sœur, tante de la fille va monstrer aux luges, Officiers & assistans le mesme clos, entrée, issuë, lieu où la fille auoit esté saisie, les lieux par lesquels elle auoit suiuy la malebeste, criant tousiours apres, estant fort pres auec ses deux filles, deux autres niepecs, lors que la plus petite fut saisie, le perc & deux voisins viennent qui disent le mesme, & qu’eux estant au trauail aux vignes, & ayant accouru au cry de la tante, ils auroient suiuy les mesmes lieux à la trace du sang, & trouué seulement la teste entrailles & pieds. Estant tous là & regardant ledit lieu, les filles du village y seroient survenuës, & entre autres celle qui estoit assise pres ladite fille mangée lors que ladite male beste la print, soudain Iean Grenier fils la saisit, & dit-elle estoit assise contre ceste cy lors que ie la prins, ce que ceste fille & la tante asseurent estre veritable.

Et finalement il est conduit au village de Puy Arnault, où le pere & l’oncle luy auoient fait laisser le petit enfant la veille de la Pentecoste, il monstre l’aspect de la maison où on luy auoit donné [p. 183] l’aumosne le chemin où son Monsieur se monstra à luy, l’endroict où estoient les enfans, le pas par où il entra dans le champ, auquel s’estant trompé il se reprend, & le va monstrer à vingt pas de là, il monstre la vigne & l’endroict d’icelle, par lequel le pere & l’oncle estoient venus au secours, où il l’auoit laissé, dans quels bleds il s’estoit sauué, le pere & l’oncle sont mandés querir, ils monstrent les mesmes endroicts, l’on fait venir l’enfant, il designe les deux endroicts où il l’auoit blessé, ce qui est trouué veritable. Il est ramené, & derechef ouy, il confirme toute sa deposition & confession, & que la raison pourquoy il ne l’a osé maintenir à son père ny au Tillaire, estoit la crainte d’estre par eux battu, il adiouste que toutesfois & quantes qu’il a couru, Monsieur de la Forest s’apparaissoit à luy & soudain qu’il disparaissoit, aussi il reprenoit sa forme & n’estoit changé que luy estant present.

Le luge le condamna à estre pendu & estranglè, puis son corps bruslé & mis en cendres en la place de la Roc’ e Charles, dont il appelle, & mené en sa cause d’appel, l’on passe par Coutras, qui est cause que le luge du lieu voyant qu’il auoit depuis persisté, & dit n’auoir osé maintenir sa deposition de crainte, mais qu’il la maintiendra, il est derechef confronté au pere & au Tillaire, il leur maintient constamment, voire va monstrer vn ruisseau pres la maison du pere, dans lequel il disoit le pere auoir jetté son vomissement.

La Cour l’ayant ouy par sa bouche en ses causes d’appel, & apres auoir fait esprouuer sa marque en la face d’icelle, & trouuée telle qu’estoit par le procès, & le trouuant ferme & constant en ce qui le concernoit, mais variant en ce qui concernoit le père & Tillaire, ordonne qu’auant faire droict de l’appel, le père & Tillaire seroient menés, & la procédure du luge de Coutras portée, auant laquelle signification d’Arrest le luge de Coutras auoit donné sa sentence, par laquelle il auoit condamne ledit père & Tillaire à estre appliqués à la question & torture, pour sçauoir la vérité par leur bouche, dont ils auoient appelés, & furent conduits en la Cour sur leur appel, & apres les auoir ouys en la chambre, & confrontés reciproquement les vns aux autres & le fils ores leur ayant maintenu, ores dit qu’ils ne cherchoient des filles que pour en iouyr & non les manger, mais pour son regard ayant persisté d’auoir mangé des filles.

La Cour auant proceder au jugement du procès ordonna que ledit lean Grenier fils seroit visité par deux Medecins de la presente Ville, afin que l’estat de sa personne fust cogneu, ce qui fut [p. 184] fait, & par leur rapport ils demeurent d’accord de deux choses, scauoir que l’on peut estre malade d’vne maladie appelée Lycanthropie, & que cest enfant n’en estoit point malade, mais ils estoient en diffcrent de deux autres, car l’vn soustenoit que tout le contenu au proces n’estoit que fables, quales ante focum vetula cantal anus& que sa marque n’estoit qu’vne blanchisscure de cuir advenue par quelque buette de feu sautée en cette partie, laquelle neanmoins estoit pleine de vie & de sentiment, l’autre au contraire soustenoit cela faisable, & que cest enfant le confessant en donnoit d’evidentes preuves il auoit commis ces excéspar le ministère du mauvois esprit, duquel il portoit la marque, sans sens ne sentiment en cette partie, tellement que l’on pouuoit dire comme ce vieillard dans le Formion de Terencc, lequel ayant consulté trois Aduocats sur la dissolution du mariage de son fils & laissé par eux incertain, dit « Fecisti probe, incertior multo sum quam dudum ut in con« sultatione. Dcmiphonis ex tribus Iurisconsultis unus negat, « alter adfirmat, tertius cunctatur. & in ff. 1. pediculis, par. I, de « auro & argento. Gallus deberi emblemata ait, Labeo negat, « Tubero in facto, atque adeo in incerto rem esse positam ait. » Et semble que à qui s’en voudra résoudre ne manqueront point & authorités exemples & raisons pour en tirer vne resolution, & se trouucra que le malin illudant les hommes en plusieurs façons change leur naturel & forme par opinion fantastique afin de leur faire commettre plusieurs excés, meurtres & maléfices, trompant & troublant non seulement l’entendement aux vns, mais mesmes les yeux ensemble à ceux qui les voyent leur faisant croire qu’ils sont ce qu’ils ne sont pas, aux autres rendant le corps entièrement stupide, & sans sentiment pour faire croire à l’ame ce que bon luy semble, & luy représentant ce qu’il veut qu’ils croyent, mesmes faict plusieurs choses lesquelles il leur imprime & fait croire qu’ils ont faict ce qu’eux asseurant se trouuent auoir esté veritablement faictcs, qui a faict que plusieurs anciens & modernes Naturalistes & Thcologiens ont tenu telles transmutations veritables.

La Cour a mis les appellations & ce dont a esté appelé au néant, & pour les cas rcsultans du procés, condamne ledit Iean Grenier fils à scruir l’vn des Couuents des mendiahs de la presente ville tant qu’il viura, luy faisant inhibitions & defenses de s’en departir, sur peine d’estre pendu & estranglé, sans figure de procès, où il en sera trouué hors, & en ce qui concerne le père & Pierre del Tillaire, qu’il sera contre eux plus amplement enquis au mois, & cependant que les prisons leur seront ouvertes à la charge de se representer [p. 185] lors que par la Cour sera ordonné, & lean fils condamné aux despens tant de la conduicte du proces, enuers le Procureur de la Roche la taxe réservée. lugé au rapport de Monsieur de Blanc orné de vertu & science ciuile, sur la fin d’Aoust 1603 & prononcé en robbes rouges à Bourdeaux par Monsieur Dassis, le dernier iour du Parlement 6. Septembre audit an. C’est Arrest est fondé sur ces loix nullus aruspex, & 1. 1 eorum, & 1. 5 nemo, & 1. 6. multi. Codex Justin. 1. IX, t. 18, const. 3.

Sorciers, Magiciens, & ceux qui ont communication auec le Diable sont pendus & apres bruslés en France, mesmes quelquesvns des luges opinarent à la mort en ce iugement. Toutesfois Monsieur le President Nesmond remonstra que ce ieune garçon estoit idiot, qu’il ne sçauoit sa creance, mesmes qu’il ne sçauoit point combien de iours il y auoit en la sepmaine, & partant apparoissoit que le malin esprit s’cstoit seruy de cest esprit triste, melancholique & hebeté comme d’vn instrument pour exercer sa malice contre le genre humain, lequel aduis fust suiuy estant iuste & equitable il en y a qui ont faict des liures entiers sur ce suiect, comme Del Rio, Dolier, Bodin & autres sçauans personnages les curieux les pourront voir, mon dessein n’est que rapporter les Arrests sur les loix formelles.

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