Henri Claude, Jean Cantacuzène. Note sur un essai de prophylaxie des délires spirites. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 94e année, tome deuxième, 1936, pp. 111-116.

Henri Claude, Jean Cantacuzène. Note sur un essai de prophylaxie des délires spirites. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 94e année, tome deuxième, 1936, pp. 111-116.

 

Charles Jules Henri Claude (1869-1945). Médecin neurologue et psychiatre. Après avoir été initié à la médecine par Charles Bouchard il de vint l’assistant de Fulgence Raymond à la Salpêtrière et occupa la chaire de clinique des maladies mentales de 1922 à 1939 à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Il œuvra au développement des théories psychanalytique en France, malgré de sérieuses réserves, et créa la premier Laboratoire de psychothérapie et psychanalyse à la Faculté de Médecine de Paris. Il laissera son nom à plusieurs syndromes en neurologie.
Quelques publication parmi plusieurs dizaines :
— Les états anxieux. Paris, Maloine, 1938. 1 vol. in-8°, 431 p.
— Sur un cas d’obsession génitale avec angoisse et tendance à l’exhibitionnisme chez la femme. Article paru dans la revue « L’Encéphale, journal de neurologie et de psychiatrie », (Paris), seizième année, 1921, pp. 456-462.
— A propos d’une bouffée délirante à contenu symbolique, essai d’explication biologique et psychologique d’un délire. Paris, Masson et Cie, 1923.
— (avec Adrien Borel et Gilbert Robin). Considérations sur la constitution schizoïde et la constitution paranoïaque. Genèse des idées délirantes. 1923. [en ligne sur notre site]
— (avec Raymond de Saussure). De l’organisation inconsciente des souvenirs. 1924.  [en ligne sur notre site]
— La méthode psychanalytique. Par Henri Claude. Le Disque vert. 1924. [en ligne sur notre site]
— (avec Adrien Borel, Gilbert Robin). Démence précoce, schizomanie et schizophrénie. 1924. [en ligne sur notre site]
— Le délire d’interprétation à base affective de Kretschmer et ses rapports avec le syndrome d’action extérieure. Extrait de l’Encéphale, 1928. Paris, 1928. 1 vol. in-8°, pp. 411-414.
— (avec Jean Cantacuzène). Note sur un essai de prophylaxie des délires spirites. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 94e année, tome deuxième, 1936, pp. 111-116. [en ligne sur notre site]
— Psychiatrie médico-légale. Paris, G. Doin et Cie, 1932. 1 vol. in-8°,  299 p.  – Deuxième édition entièrement révisée. Paris, G. Doin et Cie, 1944. 1 vol. in-8°, 333 p.
— Thérapeutiques biologiques des affections mentales. Paris, Masson et Cie, 1940. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 336 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – La note de bas de page a été renvoyée en fin de texte. –
 Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 111]

Note sur un essai de prophylaxie des délires spirites,
par MM. H. CLAUDE et J. CANTACUZÈNE.

Depuis sa naissance en Amérique, au milieu du siècle dernier, et son apparition en Europe vers 1852, le mouvement spirite Il pris sans cesse plus d’ampleur. Duhem, dans sa thèse de 1904, estimait qu’il y avait plus de 12 millions de spirites dans le monde et donnait, pour la France, le chiffre de 40.000 adeptes, dont plus de 30.000 à Paris. Il notait, de même, que la « presse occultique » comprenait environ 130 revues et périodiques divers, dont une trentaine en France. Ces chiffres, qui datent de plus de 30 ans, n’ont certainement pas diminué. Car, de nos jours, les moyens de publicité qui s’offrent au mouvement spirite sont encore plus importants et plus efficaces. Les pages d’annonces des grands journaux ont aujourd’hui une rubrique de « Sciences occultes », au même titre que les « Offres d’emplois », et de grandes affiches multicolores annoncent régulièrement les séances de magie, spiritisme. etc. Séances qui ne se font plus dans ces réunions ésotériques, dans ces salons aux lumières tamisées que décrivirent jadis Viollet (1) et Flammarion, mais dans des salles de conférences publiques, où n’importe qui veut payer peut entrer, et où (comme dans toute conférence « scientifique « ) les étudiants bénéficient du demi-tarif. Tout ceci, Couderc l’a très bien mis en lumière, dans sa thèse récente (2).

Il y a environ 40 ans qu’on a signalé les troubles mentaux que peuvent engendrer ces diverses pratiques. Après les observations de Séglas (1895), de M. P. Janet (l898) et de Marie (1899), d’intéressantes discussions furent suscitées ici même entre 1901 et 1904, par les communications de Trénel, Gilbert-Ballet. Dheur, Sellier et Boissier. En 1904, deux leçons de Joffroy et la thèse citée de Duhem manifestaient l’intérêt de la Faculté pour ce problème. Lévy-valensi, dans un article de 1910 (3), citait un total de 18 observations connues à cette époque, nombre qu’il faut porter à 24 si on y ajoute les cas de Bérillon (4), Trénel (5), [p. 112] Raymond (6), de Jong (7), et Bonnet (8), déjà publiés à cette date. Depuis lors, nous avons trouvé encore 16 cas dans la littérature médicale française, publiés par Capgras et Terrien (9), Dupouy et Le Savoureux (10), Dide, Pezet et Mire (11), Hollander (12), Laignel-Lavastine et Gouriau (13). Binet-Sanglé (14), Wimmer (de Copenhague) (15), Schiff (16), Vinchon et Dessoille (17), Lerroy et Rotter (18), Trelles (19), et surtout Lévy­Valensi avec Génil-Perrin (20), avec Piccard (21), et avec Ey (22). Ceci porterait à 40 le nombre de cas de délires spirites publiés en France (18). Nous ne connaissons pas tous Les cas rapportés à l’étranger, mais le sujet est à l’ordre du jour un peu partout, à en juger par les travaux de Gorriti (23), en Espagne, de Wimmer à Copenhague, de Donath (24), à Vienne, et en particulier de Junota (25) à Prague, qui a consacré aux rapports de la schizophrénie avec les délires spirites, un important ouvrage (26).

Il est contestable que ces nombreuses observations n’ont pas encore permis de fixer exactement quant au délire, le rôle pathogène des pratiques spirites. Pour certains auteurs, les idées et le vocabulaire spirite ne feraient que fournir un système explicatif des troubles hallucinatoires déjà ressentis par les malades, et un certain mode d’expression de ces explications. « Il n’y a pas de folie spirite distincte, mais une coloration [p. 113] particulière de toutes les psychoses… qui peuvent donner lieu à de troubles psycho-moteurs ». (A. Marie). C’était probablement l’avis de Joffroy, lorsqu’il disait que « la plupart des délires spirites ne sont autre chose que des délires systématisés religieux » …

Si tous les auteurs ne sont pas d’accord pour attribuer uniquement à la pratique des sciences occultes la genèse des délire spirites, tous sont cependant convaincus du rôle prédisposant de ces pratiques. Il suffit que le sujet présente un certain état de dégénérescence, de débilité mentale, parfois même simplement un état psychasthénique, une constitution particulièrement émotive, une instruction réduite combinée à une suggestibilité trop grande, ou même une suite de chagrins ou de soucis, qui affaiblissent son équilibre moral. Sur un pareil terrain « l’entraînement méthodique au dédoublement de la personnalité peut conduire très rapidement un sujet à la désagrégation la plus profonde » et les phénomènes d’automatisme s’installeront définitivement, conditionnés, sinon provoqués, par les pratiques spirites.

On comprend donc pourquoi, étant d’accord sur ce point, tous les auteurs qui se sont occupés de la question ont également affirmé le danger des dites pratiques pour « l’hygiène mentale de leurs adeptes ».

Lévy-Valensi appelait le spiritisme une « antichambre de la folie ». Duhem, dans les conclusions de sa thèse, disait que « même chez des personnes équilibrées, mais dont la culture intellectuelle ne leur permet pas de raisonner les faits, ces pratiques amènent presque toujours une sorte de trouble malsain, un certain malaise moral, que lu santé publique a toujours intérêt il ne pas voir apparaître. En présence de ces faits, il nous semble (que c’est un devoir pour le médecin aliéniste d’abord, et pour toute personne soucieuse de l’hygiène morale, de ne pas voir s’étendre et se développer les pratiques du spiritisme, aussi bien que de chercher, par tous les moyens possibles, à enrayer les progrès accomplis du mal ». C’est aussi l’avis de Capgras et Terrien, qui soulignent « l’action néfaste que peut exercer, sur les esprits déséquilibrés et hyperémotifs, l’habitude de certaines pratiques occultes ». Sollier et Boissier signalaient, de même, que « un sujet prédisposé à la vésanie, qu’une vie simplement calme ou bien dirigée, aurait maintenu indemne, ou dans un étal relativement équilibré, sera entraîné dans l’aliénation avec une extrême facilité par l’essai même peu prolongé, du spiritisme actif ». Ce qui revient à définir, avec Gilbert Ballet, « le danger [p.114] chez certaines gens à mentalité peu résistante, des pratiques du spiritisme ». Dans son article publié à Vienne, le Docteur Donath est encore plus catégorique en disant : « Je crois que nous devons, sans l’ombre d’une hésitation, ruiner, par l’interdiction légale des assemblées spirites, le culte d’une superstition honteuse pour notre temps, abétissante pour le peuple, et dangereuse pour la santé. » C’est aussi la conclusion de Couderc, en ce qui concerne l’occultisme (28).

C’est en considérant cet accord sur les dangers du spiritisme et de l’occultisme, et ce vœu sous-entendu pour une prophylaxie des troubles qu’ils peuvent engendrer, que nous pensons intéressant de faire connaître devant vous la première, à notre connaissance, des tentatives faites par voie légale pour la prophylaxie des troubles spirites.

En effet, à la suite d’un avis du Conseil Supérieur de la Santé et de l’Assistance publique, le Conseil des ministres de Bucarest a pris (en mars dernier) une décision, en conformité avec la loi unitaire roumaine, fin d’interdire « les représentations, séances et spectacles en liaison avec la magie et les sciences occultes, comme étant nuisibles à la santé publique et pouvant donner naissance à différentes maladies nerveuses et mentale. Cette interdiction porte sur les séances et démonstrations de spiritisme, suggestion, hypnotisme, télépathie, fakirisme, sorcellerie, etc … On a interdit aussi, par le truchement de la censure cinématographique la représentation des films dont les sujets ont trait à la magie etaux phénomènes occultes. Enfin, poussant encore plus loin le soucis de prophylaxie, la dite décision interdit de même la « pratique publique » de la chiromancie, psycho­graphie, astrologie et divination. Un dernier article de la décision interdit sont interdits « aux personnes non qualifiées et donc incompétentes », la publication et la vente des revues, et journaux traitant de la magie, de l’occultisme, du spiritisme, etc …

On le voit, cette décision pousse le souci de bien faire jusqu’à une généralisation qui nuira peut-être à l’efficacité de la mesure prise. On pourrait aussi se demander si certains termes ; qui dans leur essai de précision juridique manquent de précision scientifique comme cette définition de « personnes non qualifiées, donc incompétentes »), ne serviront pas à certains pour s’évader des limites de celle interdiction.

Quoi qu’il en soit, voilà le premier essai d’action officielle et [p. 115] légale portant simultanément contre les deux catégories que Joffroy distinguait parmi les médiums spirites : charlatans el malades.

Il nous faut attendre les résultats de cette intéressante tentative pour pouvoir juger de sa valeur et de son efficacité. Mais, dès à présent, nous pensons qu’un essai de statistique des délires à forme ou contenu spirite, avant et après la prise de cette mesure d’interdiction, pourrait apporter d’utiles précisions et nous permettre de juger, à l’avenir, en meilleure connaissance de cause, du rôle exact des pratiques spirites dans le déclanchement des psychoses qui leur ont été attribuées jusqu’à ce jour.

[DISCUSSION]

M. Georges DUMAS. — Sur 126 malades que j’ai observés pour une étude sur la mentalité paranoïde et le délire d’influence, j’ai fait le compte de ceux qui avaient pratiqué le spiritisme. J’en ai trouvé plus des 6 dixièmes. D’une façon générale les troubles mentaux sont éclos avant la pratique spirite. Et ce sont les confidents des malades, habituellement les concierges, qui leur ont dit de s’adresser aux spirites. Ceux-ci ont exploité les phénomènes d’automatisme mentaux, ce qui les a exagérés. Certes, il serait désirable de faire cesser cette exploitation ; mais par quels moyens ? Si les charlatans arguent qu’ils ne donnent que de conseils, ils ne commettent pas de délits. Souvent, ces charlatans sont médecins.

M. GOURIOU. — J’ai, avant la guerre, alors que, déjà médecin, je m’étais inscrit à la Faculté de droit comme étudiant, beaucoup fréquenté les spirites. Je suis même entré dans l’intimité de certains d’entre eux. J’ai pu ainsi me rendre compte qu’Ils commettent des actes vraiment délictueux au sens légal ; des escroqueries, des abus de confiance, des actes attentatoires aux bonnes mœurs. Ils prétendent matérialiser les morts et ce sont des fillettes ou des garçons qui, par leurs attouchements sur les clients crédules placés dans l’ombre, réalisent ces matérialisations. Il ne faut donc pas croire à l’inefficacité des efforts d’une campagne contre leurs méfaits. Plus inexpugnable est la situation des médecins véreux qui, avant de faire interner les malades atteints d’automatisme mental, leur ont soutiré de l’argent en acceptant de leur donner des consultations avec pratiques de thérapeutique spirite, empirant eux-mêmes la maladie avant de confier, aux médecins d’asile, le soin de la traiter réellement.

M. Georges DUMAS. — Ces faits, constatés de nos jours, nous prouvent que les mêmes pratiques destinées à pénétrer mystère de l’inconnu, existent dans le Paris du XXe siècle et existaient [p. 116] dans l’Egypte des Pharaons et la Grèce d’Epidaure. Les prêtres égyptiens écrivaient les songes que Ie fidèle leur racontait avoir eus et les expliquaient en interprétant les dessins fournis par l’écriture idéographique. C’est le procédé dont se servent les diseuses de bonne aventure de nos foires. Les prêtres d’Epidaure endormaient les fidèles sous des vapeurs d’encens. Une spirite, dont une malade observée dans les asiles de la Seine vers 1907 et connue depuis sous le nom d’Alexandra, me donna l’adresse, pratiquait une incubation à moins de frais que celle des temples païens. Elle attendait que ses clients, réunis dans sa petite chambre, autour d’un poêle chauffé au rouge, fussent assoupi par l’oxyde de carbone, Puis, d’un coup de baguette, elle le réveillait en leur demandant : A quoi pensez-vous ? Et elle interprétait l’imagerie ainsi déclenchée. C’est donc bien une nécessité psychologique pour l’espèce humaine que de rechercher dans les songes la connaissance divine ?

M. René CHARPENTIER. — Dans sa séance du 25 mai dernier, la Société Médico-psychologique a émis un vœu signalant aux Pouvoirs Publics les dangers de ces modes multiples de charlatanisme el demandant qu’il y soit mis fin. Ce vœu Il été transmis par le Secrétaire général.

NOTES

(1) Spiritisme dans ses rapports avec la folie, 1 vol., Paris, Blondel éditeur, 1908.

(2) L.-H. COUDERC. — Enquête médico-psychologique sur le pratique commerciale de l’occultisme. Thèse de Paris, E. Pichon et Durand Fardel éditeurs, Paris, 1934.

(3) Encéphale, 1910. p. 596.

(4) Archives de Neurologie, 1899. 2, p. 516.

(5) Ann. Méd.-psychol., 1901, V, p. 466.

(6) Bull. Méd., mai 1902, p. 513.

(7) Arch. de Neurol., 1904, p. 419.

(8) Bull. de la Soc. Clin, de Méd. Ment., 20 décembre 1909, p. 307.

(9) Ibid, 1912, p. 131. [en lige surcontre site]

(10) Revue Neurol., 1913, 2, p. 140.

(11) Ann. Méd.-psychol., 1920, p. 269.

(12) Encéphale, 1920, p. 65.

(13) Ann. Méd.-psychol., 1911, p. 558.

(14) Encéphale, 1923, p. 9.

(15) Ann. Méd.-psychol., 1926, II, p. 240.

(16) Encéphale, 1928, p. 244.

(17) Ann. Méd.-psychol., 1930, II, p. 217.

(18) Encéphale, 1930, p. 475.

(19) Encéphale, 1913, p. 89.

(20) Encéphale, 1928, II, p. 947.

(21) Ann. Méd.-psychol., 1931, II, p. 39 et 126.

(22) Pour les autres indications bibliographiques, surtout antérieures à 1920, voir les travaux cités plus haut de Lévy-Valensi, Dide, Duhem et Viollet.

(23) Semana medica, n°2095, 8 mars 1934, p.743-752.

(24) Semaine médicale viennoise, 1903, n°2.

(25) Soc. Psycho-neurol. de Prague, 9 février 127, (v. Encéphale, 1927, p. 404).

(26) Spiritismu a spiritisckelo. Blonzuenike Schizofreni. Prague, 1928.

(27) Ann. Méd.-psychol., XVe série, 94e année, T. II, — Juin 1936.

(28) « … il est nécessaire par de fortes condamnations, par le contrôle de la publicité, par l’éducation surtout, de remédier à ce mal dans l’intérêt du public, dans l’intérêt des débiles, des anxieux et des aliénés, qu’il convient légalement et socialement de protéger » (op. cit., p. 128).

 

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