Henri Claude. Considération critique sur la psychanalyse. Extrait du « Paris médical », (Paris), n°51, partie médicale, ,n°24 du 14 juin 1924, pp. 541-542.

Henri Claude. Considération critique sur la psychanalyse. Extrait du « Paris médical », (Paris), n°51, partie médicale, n°24 du 14 juin 1924, pp. 541-542.

 

Charles Jules Henri Claude (1869-1945). Médecin neurologue et psychiatre. Après avoir été initié à la médecine par Charles Bouchard il de vint l’assistant de Fulgence Raymond à la Salpêtrière et occupa la chaire de clinique des maladies mentales de 1922 à 1939 à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Il œuvra au développement des théories psychanalytique en France, malgré de sérieuses réserves, et créa la premier Laboratoire de psychothérapie et psychanalyse à la Faculté de Médecine de Paris. Il laissera son nom à plusieurs syndromes en neurologie.
Quelques publication parmi plusieurs dizaines :
— Les états anxieux. Paris, Maloine, 1938. 1 vol. in-8°, 431 p.
— Sur un cas d’obsession génitale avec angoisse et tendance à l’exhibitionnisme chez la femme. Article paru dans la revue « L’Encéphale, journal de neurologie et de psychiatrie », (Paris), seizième année, 1921, pp. 456-462.
— A propos d’une bouffée délirante à contenu symbolique, essai d’explication biologique et psychologique d’un délire. Paris, Masson et Cie, 1923.
— (avec Adrien Borel et Gilbert Robin). Considérations sur la constitution schizoïde et la constitution paranoïaque. Genèse des idées délirantes. 1923. [en ligne sur notre site]
— (avec Raymond de Saussure). De l’organisation inconsciente des souvenirs. 1924.  [en ligne sur notre site]
— La méthode psychanalytique. Par Henri Claude. Le Disque vert. 1924. [en ligne sur notre site]
— (avec Adrien Borel, Gilbert Robin). Démence précoce, schizomanie et schizophrénie. 1924. [en ligne sur notre site]
— Le délire d’interprétation à base affective de Kretschmer et ses rapports avec le syndrome d’action extérieure. Extrait de l’Encéphale, 1928. Paris, 1928. 1 vol. in-8°, pp. 411-414.
— (avec Jean Cantacuzène). Note sur un essai de prophylaxie des délires spirites. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), XVe série, 94e année, tome deuxième, 1936, pp. 111-116. [en ligne sur notre site]
— (avec Henri Ey). Évolution des idées sur l’hallucination. Position actuelle du problème. Extrait de la revue « L’Encéphale – Journal de neurologie et de psychiatrie », (Paris), XXVIIe année, n°5, mai 1932, pp. 361-377. [en ligne sur notre site]
— Psychiatrie médico-légale. Paris, G. Doin et Cie, 1932. 1 vol. in-8°,  299 p.  – Deuxième édition entièrement révisée. Paris, G. Doin et Cie, 1944. 1 vol. in-8°, 333 p.
— Thérapeutiques biologiques des affections mentales. Paris, Masson et Cie, 1940. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 336 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – La note de bas de page a été renvoyée en fin de texte. –
 Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 541, colonne 1]

CONSIDÉRATIONS CRITIQUES
LA PSYCHANALYSE

par

le Dr Henri CLAUDE
Professeur de clinique des maladies mentales à la Faculté de médecine de Paris

La doctrine psychanalytique a fait l’objet de commentaires en général défavorables en France, de la part de personnes qui ne la jugent qu’à travers les traductions de quelques livres de Freud, d’ouvrages de vulgarisation et de critique judicieuse au premier rang desquels il faut placer le livre de Régis et Hesnard. Ce sont surtout les psychologues et les littérateurs qui se sont attachés à discuter l’œuvre de Freud et de ses disciples, fidèles ou schismatiques, et qui, sortant du cadre médical primitif, se sont plu à critiquer l’extension de la doctrine, notamment de la théorie du symbolisme pan sexualiste, à toutes les manifestations de l’activité intellectuelle. A ces gloses, nous eussions préféré de bonnes recherches personnelles, sans parti pris, imprégnées de l’esprit d’observation scientifique. Que dire de même des discussions stériles que nous avons vues surgir dans certaines sociétés médicales ? La psychanalyse y a été fort malmenée par des personnes qui n’avaient jamais eu recours à cette méthode d’investigation, qui n’avaient, en aucune occasion, été à même d’en suivre les résultats, ni tenté de la modifier, de l’adapter aux conditions des malades de notre race. Que penserions-nous d’un médecin qui, a priori, sur la relation des premiers résultats thérapeutiques publiés, aurait rejeté le traitement de la syphilis par l’arsénobenzol, ou le bismuth, sans l’essayer prudemment ? Pourquoi ne raisonnerions-nous pas de même lorsqu’il s’agit d’une « médication psychologique », comme dit P. Janet. Voilà pourquoi, par exemple, je me suis intéressé aux travaux qu’ont poursuivis dans mon service. MM Lafforgue et Allendy et M. de Saussure. Je me suis trouvé en face de cas dans lesquels le traitement rationnel par les méthodes psychothérapiques usuelles, aidées des agents pharmaco-dynamiques, ne donnaient pas de résultats : il s’agissait d’obsessions, de phobies irréductibles, de névroses d’angoisse et d’agitations anxieuses, ou de troubles psychopathiques complexes en rapport avec des modifications profondes de la sexualité (frigidité, homosexualité). Incapable de secourir ces malades dont la situation était des plus pénibles, et parfois acculés aux pires résolutions, j’ai tenté de les soumettre à une cure psychanalytique. J’en ai contrôlé les heureux effets dans quelques cas (je ne dis pas dans tous). Cela m’a suffi pour m’incliner à penser que plutôt [p. 541, colonne 2] que de discourir sur le fond de la doctrine, il était préférable de recourir à la méthode quand je pensais être utile à mes malades sans risquer de leur nuire.

Eh, mon ami, tire-moi de danger ;
feras après ta harangue,

a dit La Fontaine.

Est-ce à dire que nous généraliserons l’emploi de la méthode psychanalytique ? Nullement, et c’est là que je m’écarterai des tendances des disciples de Freud. Je pense que la méthode d’analyse, avec ou sans interprétation des rêves, ne trouve son emploi, dans la forme orthodoxe freudienne, que dans un nombre de cas très limités. Bien souvent, chez nos malades « latins », l’analyse psychologique simple, mise en œuvre par un médecin perspicace, jouissant auprès du sujet du prestige que comporte sa personnalité, obtiendra des résultats satisfaisants, après quelques travaux d’approche, ou par une attaque brusquée. Chaque cas réclame la mise en œuvre d’une tactique différente. Et, par la suite, le médecin consolidera sa cure psychothérapique par les encouragements et le réconfort qu’il apportera au malade sans opérer le dangereux « transfert » freudien. Mais il convient aussi de reconnaitre que cette méthode psychothérapique simplifiée peut être inefficace chez certains malades et qu’il faut renoncer à la « médication » que nous venons d’indiquer, faite de nuances, d’allusions à mots couverts, de révélations discrètes, appuyée par des indications précises, fermes autant que bienfaisantes et encourageantes relatives à la conduite et au genre de vie. Il peut être nécessaire de recourir alors à cette extirpation pénible et des plus complexes en faisant tomber peu à peu les résistances. On a critiqué vivement cette thérapeutique, qu’on a accusée de mettre en relief bien des sentiments vils, honteux, de remuer une fange qu’il eût fallu laisser reposer, d’évoquer des images avec une crudité choquante. Ou ne peut nier qu’il faille en arriver parfois à ces extrémités, mais le médecin ne se trouve-t-il pas souvent dans des conditions où il doit vaincre bien des répugnances ? Qu’il cherche la solution d’un problème scientifique dans l’examen minutieux des viscères sur la table d’autopsie, ou qu’il fasse œuvre chirurgicale pour débarrasser l’organisme d’une néoformation envahissante, le spectacle n’est guère plus beau. Il y a des moments pénibles dans l’accomplissement du devoir médical et je vois des analogies dans ces divers moments de l’œuvre du médecin, qu’il s’agisse de l’anatomiste, du chirurgien ou du psychanalyste. Mais je demande alors que cette pratique psychanalytique, si brutale par certains côtés, reste strictement dans le domaine médical, et j’écarte résolument [p. 542, colonne 1] de ces investigations toute personne qui n’est pas imprégnée de la notion de responsabilité dont est pénétré Je médecin digne de ce nom et qui rend si élevée, si respectable, sa tâche, qu’elle qu’elle soit.

Enfin je ne dois pas celer qu’à mon avis cette méthode psychanalytique, quoi qu’en dise Freud, expose à des dangers en aggravant l’anxiété, les idées obsédantes, les scrupules si elle n’est pas conduite à bonne fin par un technicien habile, perspicace, doué de toutes les qualités d’autorité, de tact et de conscience qu’on doit réclamer d’un confesseur. Celui-ci devra réussir à faire accepter par un esprit bouleversé les sacrifices les plus durs en apportant au malade, en compensation, avec les paroles d’encouragement, une dérivation à ses préoccupations, en dirigeant son activité affective vers un autre but.

Il y a lieu de faire remarquer que si, dans bien des circonstances, l’exploration psychanalytique aura pour but de mettre en lumière les origines sexuelles de ces fameux complexes refoulés dans l’inconscient, elle ne doit pas se limiter à ce seul objectif. Je pense, à l’instar d’Adler et de Steckel, qu’il ne faut pas laisser croire aux médecins non familiarisés avec la psychanalyse que le pan-sexualisme résume toute cette doctrine. Certes la notion de la Libido, trop étendue et trop largement diffusée par Freud (et aussi mal interprétée), a provoqué une fâcheuse impression dans les esprits. Il convient, à mon avis, de dire bien haut que, si l’instinct sexuel est un des plus actifs de ceux qui sont à l’origine de beaucoup de nos sentiments et de nos actes, d’autres instincts tels que celui de la conservation, et même certaines tendances intéressées individuelles, sont susceptibles d’être la cause des mêmes complexes et de subir le même refoulement. D’ailleurs, bien des rêves de Freud rapportés et analysés par lui-même mettent en relief non pas des phénomènes sexuels, mais simplement des sentiments et des tendances plus ou moins contrariés.

Il me semble donc que nous devons nous mon très éclectiques et accepter, au point de vue médical, certaines des notions non pas nouvelles, mais placées eu lumière par les travaux de Freud, que nous devons par notre expérience personnelle, sans parti pris, chercher comment nous pouvons les adapter à l’étude pathogénique des psychoses et des psychonévroses, sur le terrain spécial que représente la mentalité française, et couronner cette étude par des applications thérapeutiques prudentes, mais seulement dans certains cas soigneusement choisis. Ceci ne nous empêchera pas, comme je l’ai montré avec mes collaborateurs, de tenir compte de la constitution du sujet traité, d’étudier les conditions biologiques qui [p. 542, colonne 1] ont favorisé l’apparition des troubles psychonévrosiques, et, par des actions pharmacodynamiques ou une thérapeutique endocrinienne opportunes, d’apporter à la cure psychanalytique des moyens adjuvants précieux.

 

 

 

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