Helvétius. Du rôle de la mHelvétius. Du rôle de la mémoire dans l’esprit. Extrait De l’Esprit. Paris, Durandin, in-8, 1669, Discours, t. III, ch. 3, f. 200-202.émoire dans l’esprit.

Helvétius. Du rôle de la mémoire dans l’esprit. Extrait De l’Esprit. Paris, Durandin, in-8, 1669, Discours, t. III, ch. 3, f. 200-202.

 

Claude-Adrien Helvétus [Schweitzer] (1715-1771). Philosophe et poète. Bien que classé parmi les philosophes matérialiste, semble plutôt appartenir aux sensualistes… Ses principaux travaux.
— De l’Esprit. 1758. Accepté par la censure lors de la parution, puis mis à l’index.
— De l’homme, 1773. (posthume)

Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 259]

Du rôle de la mémoire dans l’esprit (1)

par HELVÉTIUS

« Non seulement le très grand esprit ne suppose pas une très grande mémoire, mais l’extrême étendue de l’un est toujours exclusive de l’extrême étendue de l’autre.

Pour terminer ce chapitre, et pour prouver que ce n’est point à l’inégale étendue de la mémoire qu’on doit attribuer la force inégale des esprits, il ne reste plus qu’à montrer que les hommes, communément bien organises, sont tous doués d’une étendue de mémoire suffisante pour s’élever aux plus hautes idées. Tout homme, en effet, est à cet égard assez favorisé de la nature, si le magasin de sa mémoire est capable de contenir un nombre d’idées ou de faits, tel qu’en les comparant sans cesse entre eux, il puisse toujours y apercevoir quelque rapport nouveau, toujours accroitre le nombre de ses idées, et, par conséquent, donner toujours plus d’étendue à son esprit.

Or, si trente ou quarante objets, comme le démontre la géométrie, peuvent se comparer entre eux de tant de manières, que, dans le cours d’une longue vie, personne ne puisse en observer tous les rapports, ni en déduire toutes les idées possibles ; et si, parmi les hommes que j’appelle bien organisés, il n’en est aucun dont la mémoire ne puisse contenir, non seulement sur les mots d’une langue, mais encore une infinité de dates, de faits, de noms, de lieux et de personnes et enfin un nombre d’objets beaucoup plus considérable que celui de six ou sept mille ; j’en conclurai hardiment que tout homme bien organisé est doué d’une capacité de mémoire bien supérieure à celle dont il peut faire usage pour l’accroissement de ses idées; que plus d’étendue de mémoire ne donnerait pas plus d’étendue à son esprit et qu’ainsi, loin de regarder l’inégalité de mémoire des hommes comme la cause de l’inégalité de leur esprit, cette dernière inégalité est uniquement l’effet ou de l’attention plus ou moins grande avec laquelle ils observent les rapports des objets entre eux, ou du mauvais choix des objets dont ils chargent leur souvenir.

Il est, en effet, des objets stériles et qui, tels que les dates, les noms des lieux, des personnes, ou autres pareils, tiennent une grande place dans la mémoire, sans pouvoir produire ni idée neuve, ni idée intéressante pour le Public. L’inégalité des esprits dépend donc en partie du choix des objets qu’on place dans la mémoire. Si les jeunes gens dont les succès ont été les plus brillants dans les collèges, n’en ont pas toujours de pareils dans un âge plus avancé, c’est que la comparaison et l’application heureuse des règles du Despautère, qui font les bons écoliers, ne prouvent nullement que, dans la suite, ces mêmes jeunes gens portent leurs vues sur des objets de la comparaison desquels résultent des idées intéressantes pour le Public : et c’est pourquoi l’on est rarement grand homme si l’on n’a le courage d’ignorer une infinité de choses inutiles. »

Note

(1) Helvétius. De l’Esprit. Paris, Durandin, in-8, 16G9, Discours, t. III, ch. 3, f. 200-202.

 

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