Guillaume Buchan. Du Sommeil. Extrait de la « Médecine domestique, ou traité complet des moyens de se conserver en santé, de guérir & de prévenir les maladies, par le régime & les remèdes simples », (Paris), 1783, Tome 1, Chapitre VI, p. 241-249.

Guillaume Buchan. Du Sommeil. Extrait de la « Médecine domestique, ou traité complet des moyens de se conserver en santé, de guérir & de prévenir les maladies, par le régime & les remèdes simples », (Paris), 1783, Tome 1, Chapitre VI, p. 241-249.

 

Guillaume [William] Buchan (1729-1805). Médecin écossais. Il fut précurseur en matière d’hygiène des médecins afin de ne pas transmette les maladies.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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Du Sommeil.

Le sommeil ne demande pas moins à être réglé, que le régime. Trop peu dormir affoiblit les nerfs, épuise les esprits & cause des maladies. Au contraire , trop dormir rend l’esprit & le corps pesants , dispose à l’apoplexie à la léthargie & aux autres Maladies de ce genre.

Un juste milieu est la règle que l’on doit suivre.

Mais il est difficile de fixer la quantité de sommeil nécessaire à chaque individu ; Les enfants en demandent, davantage que les adultes ; les gens laborieux, que les gens oisifs ; ceux qui mangent & boivent beaucoup , que ceux qui vivent avec tempérance. Il est en outre difficile de mesurer la quantité de sommeil par le temps, puisqu’une personne sera souvent plus reposée après cinq ou six heures de sommeil qu’une autre après huit ou neuf.

On peut satisfaire les enfants, & les laisser dormir tant qu’ils le désirent : mais pour les adultes, six ou sept heures suffisent, & personne ne doit en prendre plus de huit. Les personnes qui restent au lit plus de huit heures, sommeillent plus qu’elles ne dorment. Elles sont qu’agitées : elles ne font que rêver la plus grande partie de la nuit : elles font abymées vers le matin, & cet état dure jusqu’à midi.

Le meilleur moyen de rendre le sommeil Moyen de salutaire, est de se lever de bonne heure. La coutume nonchalante de rester neuf ou dix [p. 242] heures au lit, non-feulement rend le sommeil moins avantageux , mais encore dispose les nerfs au relâchement & à la foiblesse, comme il est dit ci-devant, pag. 134 de ce Vol.

La Nature a voulu que la nuit fût le temps du sommeil. Rien de plus contraire à la santé que de veiller la nuit. C’est le plus grand des malheurs, qu’un usage aussi destructeur de la santé soit si fort à la mode. Nous voyons tous les jours combien le défaut de sommeil, dans le temps convenable, ruine promptement le tempérament le mieux constitué, par l’aspect blême & défiguré de ceux qui, selon l’expression ordinaire, font du jour la nuit , & la nuit du jour.

(C’est une observation constante , que le sommeil est plus tranquille & plus doux, tandis que le soleil est sous l’horizon : au lieu que l’air échauffe de ses rayons ne maintient pas nos sens dans un aussi grand calme. Aussi l’habitude la plus salutaire est certainement de le lever & de le coucher avec le soleil : d’où il suit que dans nos climats l’homme & tous les animaux ont, en général, besoin de dormir plus long-temps l’hyver que l’été.)

Pour rendre le sommeil salutaire, il est encore nécessaire de prendre un exercice suffisant pendant le jour, de souper légèrement, & enfin de se coucher l’esprit aussi gay et aussi tranquille qu’il est possible.

Il est vrai que l’excès d’exercice, comme sa trop petite quantité, s’oppose au sommeil. Cependant nous voyons rarement que les personnes actives & laborieuse se plaignent de ne pas reposer la nuit. Nous voyons au contraire que ce sont les oisifs & les indolent qui, en [p. 243] en général, passent de mauvaises nuits. Est-il étonnant pas que le lit ne soit pas agréable à une personne qui reste tous le jour dans un fauteuil ? Une grande partie des plaisirs de la vie consiste dans l’alternative du repos & du mouvement ; & quiconque ne connaît point le dernier, n’est point dans le cas de goûter les douceurs du premier. Un ouvrier, qui va même jusqu’à se fatiguer, goûte plus de vrais plaisirs à table & au lit, que ceux qui ne font pas d’exercice, quelques somptueux que ce soit leur repas, quelques mollets que soient leurs couchers.

C’est une vérité, même proverbiale, que petits soupers donnent grand sommeil. La plupart des personnes sont sûre d’avoir de mauvaises nuits, pour peu qu’elles fassent d’excès à souper, ainsi que nous l’avons fait voir ci-devant, pag. 202, note 9 de ce Vol. ; & si elles s’endorment, les aliments dont leur estomac est surchargé, oppriment se viscères, troublent l’esprit, occasionnent des rêves effrayant, produisent un sommeil interrompu, l’incube, &c. Mais si ces mêmes personnes ne se couchent qu’après un souper léger, ou veillent pour laisser faire la digestion de ce qu’elles ont mangé, elles goûtent les douceurs du repos & se lèvent défatiguées.

Il est vrai qu’il y a quelques personnes qui ne peuvent se coucher sans avoir pris quelques nourritures solides le soir ; mais cela ne les oblige pas de faire un grand souper. D’ailleurs, ce ne peut être que celles qui se sont d’elles-mêmes habituées à cette usage, & qui ne prennent pas une suffisante quantité d’alimentssolides dans le jour.

(On dispute beaucoup sur les avantages & les [p. 244] désavantages de la méridienne. Les uns la regardent comme importante à la conservation de la santé ; tandis que d’autres croiroient s’exposer à plus ou moins de Maladie, s’il se livroient au sommeil léger que la nature suscite au plus grand nombre des individus, vers le milieu du jour, sur-tout après le repas. Pour fixer les idées sur cet objet important, il faut se rappeler ce qu’on a déjà dit, relativement aux fruits, pag. 52 ce Vol., une inclination naturelle & constante est rarement capable de nous tromper. D’après cette vérité, il doit y avoir un grand nombre de personnes qui se trouve bien de la méridienne, parce qu’il y en a un grand nombre qui en éprouve opiniâtrement le désir et le besoin.

En effet, tous les enfants, jusqu’à l’âge de trois ou quatre ans, les vieillards, les gens de lettres, les voyageurs, les mélancoliques, ce qui sont d’un tempérament phlegmatique & pituiteux, les convalescent, les valétudinaires, surtout ceux qui tendent à l’étisie, &c., ont plus ou moins inclination à dormir, vers le milieu du jour, après le dîner ; & tous s’applaudissent d’y satisfaire : la raison ? C’est que le repos & le sommeil, quelques courts & légers qui soient, sont nécessaires à chacune de ces personnes pour bien digérer.

Les enfants très-jeunes, par exemple, à qui il faut un chyle d’autant plus parfait qu’ils ont besoin de croître, ne pourroient absolument vivre, s’il dormoient en proportion de leur faiblesse. Le peu de forces dont ils jouissent se trouvant concentrées par le repos &le sommeil, auquel les livres la Nature, sont toutes employées à la digestion. Aussi ne les voit-on [p. 245] tetter que pour dormir. Mais à mesure qu’iIs grandissent & qu’ils se fortifient, ils cessent de dormir autant de fois qu’ils tettent, & enfin ils ne dorment plus qu’une fois dans le milieu du jour. Il n’est personne qui ne sente que les convalescents, les valétudinaires, & les vieillards, qui sont, relativement au peu de forces dont ils jouissent, dans la classe des enfants, doivent avoir le même besoin de méridienne, & en retirer le même avantage.

Les phlegmatiques & les pituiteux, quoique jouissant de leur santé ordinaire, ont fi peu de ressort, sont dans une telle apathie, ont si peu de chaleur, si peu de fluide nerveux, que si le sommeil & le repos ne venoient à leur secours, ils ne pourroient absolument digérer. Ces secours deviennent également nécessaires aux vaporeux,  aux mélancoliques & aux gens de lettres ; parce que la perte prodigieuse d’esprits animaux qu’ils sont pendant la veille, épuise les organes digestifs, au point que, sans une concentration de forces, ils ne pourraient faire leurs fonctions.

De tous les hommes, ceux qui ont le moins de dispositions à la méridienne, & à qui elle seroit réellement contraire dans un grand nombre de cas, sont les bilieux et les sanguins. Les bilieux ont une somme de forces & de chaleur intérieure, que le sommeil et le repos ne seroient qu’augmenter : aussi se trouvent-t-ils beaucoup mieux de la dissipation & de l’exercice après le dîner. Ils ont, pour ainsi dire, des forces de restes ; ils peuvent les prodiguer impunément. Pour les sanguins, quoique bien moins pourvus que les bilieux à cet égard, il digèrent cependant très-bien sans le secours de la méridienne ; et la promenade lançant très-agréable. Nous [p. 246] exposeront ci-après, chapitre XI, § VI de ce Vol., les caractères physiques et moraux des diverses espèces de tempéraments.

La méridienne devient cependant nécessaire aux uns et aux autres, lorsque le sommeil de la nuit n’a été ni assez tranquille, ni assez long, ou que le soleil d’été rend l’atmosphère brûlante, comme en Italie, en Espagne &c., ou la méridienne est indispensable à tous les individus.

Mais pourquoi toutes les personnes, que nous venons de dire avoir besoin de la méridienne, ne s’en trouvent-elles pas toutes également bien ? C’est que toutes ne savent point s’y livrer.

Écoutons M. Maret , célèbre Médecin de Dijon, & Secrétaire perpétuel de l’Académie de cette Ville. Voici comme il s’exprime.

La méridienne peut nuire , si elle dure trop long-temps : il est donc nécessaire de la renfermer dans de justes bornes. Un quart-d’heure, une demi-heure, suffisent ; on doit rarement dormir une heure. D’ailleurs c’est le tempérament, c’est la quantité & la qualité des aliments qui doivent servir de règle. Plus on a de difficulté à digérer, & plus les aliments résistent à leur décomposition, plus aussi la méridienne doit être longue : au contraire , elle doit avoir d’autant moins de durée, que les aliments sont plus faciles à digérer, & que le tempérament favorise davantage la digestion. En peu de temps, l’habitude ne laissera pas d’excès à redouter dans ce sommeil. Bientôt on s’éveillera de soi-même, dans l’instant où il devra cesser. Cependant, avant que cette habitude soit contractée , il faudra se faire éveiller, mais avec précaution.

Si l’on a fait attention à la forme de l’estomac, à sa position, à la situation de ses [p. 247] orifices, &c., exposé ci-devant, note 3 du chap. II de ce Vol., on sentira qu’il ne faut pas faire la méridienne étendu sur un lit, parce que cette position horizontale forceroit la pâte alimentaire à sortir de l’estomac par l’orifice inférieur, avant que d’être parfaitement digérée. Voilà la raison pour laquelle il est dangereux-de faire de grands soupers, & de se coucher immédiatement après. La position la plus favorable pour la méridienne, est donc celle dans laquelle le corps est un peu incliné à l’horizon. Il ne faut donc pas se coucher sur un lit, & parallèlement à l’horizon, pour prendre ce sommeil ; mais, s’asseoir dans un fauteuil, ou sur un sopha, la tête haute, le corps légèrement penché en arrière, & un peu tourné sur le côté gauche.

Il faut de plus avoir attention que la circulation du sang ne soit gênée dans aucune partie du corps. En conséquence, avant de se livrer au sommeil, il faut se défaire de tous les liens dont la mode nous embarrasse. Le col de la chemise doit être libre, de même que la ceinture de la culotte, les cordons des jupons, etc. Il faut encore ôter les jarretière : alors nulle pesanteur, nulle douleur de tête, nul engorgement à craindre ; accidents qu’on a souvent attribués à la méridienne, faute d’avoir assez apporté d’attention.

Rien n’est plus capable de troubler le repos, que le chagrin. Quand l’esprit n’est pas à son aise, on goûte rarement un sommeil tranquille. Ce grand avantage de l’humanité s’éloigne souvent du malheureux qui en a le plus de besoin, tandis qu’il vient trouver celui qui est heureux & content. Cette vérité devroit engager tous les hommes à faire tous leurs efforts pour ne se coucher que lorsque leur esprit est le plus tranquille [p. 248]qu’il est possible. Il y a des personnes qui , à force de s’abymer dans des réflexions tristes & désagréables, ont tellement éloigné le sommeil de leurs paupières, qu’elles n’ont jamais pu le goûter par la suite.

La bonne conduite est la mère de la gaieté ; la gaieté est la mère de la santé, et la santé est la mère du doux sommeil. On voit donc que le sommeil tranquille ne peut se trouver où la pureté des cœurs ne se trouve pas ; parce que nous manque cette dernière, la tranquillité de l’âme, le contentement de l’esprit ne sauroient avoir lieu. Le chagrin & la tristesse dans un homme fait, ne peut être que le fruit des remords, qui jette les fibres dans le relâchement, troubles les digestions, détruisent les forces & conduisent à la destruction universelle de tout le corps.

Il n’y a personne qui ne trouve sa leçon dans le caractère de l’homme heureux d’HORACE : Mens conscia recti in corpore sano. Malheur à ceux qui, s’occupant sans cesse du beau et de l’honnête, vois le bien & font le mal ! Ils se privent par-là du plus doux des plaisirs, le souvenir d’une bonne action, dont les effets, comme ceux de tous les sentiments agréables, sont de porter dans toutes les fonctions une force, une aisance, une régularité, qui sont la base d’une santé ferme et constante. On ne peut penser qu’avec délice à la fin douce et consolante de ces hommes respectables, qui, suivant le conseil de PLINE, avoient vécu pendant toute leur vie, comme on se propose de vivre quand on est bien mal, & qui ont joui jusqu’au bord du tombeau, dans une vieille avancée, des douceurs d’une conscience sans, [p. 249] reproche, de la vivacité de leurs sens & de la force de leur génie. Le célèbre Historien PAUL JOVE ayant demandé avec étonnement à NICOLAS LÉONICÉNI, l’un des hommes de lettres les plus illustres dans le seizième siècle, par quel secret il avoit conservé pendant plus de quatre-vingt-dix ans une mémoire sûre, des sens entiers, un corps droit & une santé pleine de vigueur ; ce Médecin lui répondit que c’étoit l’effet de l’innocence des mœurs , de la tranquillité de l’esprit & de la frugalité. LÉONTCÉNI naquit à Vicenze en 1428, & mourut à Ferrare en 1524, après y avoir enseigné & pratiqué la Médecine plus de soixante ans.

Le sommeil pris dans le commencement de la nuit, est, en général, celui qui délasse & défatigue le plus : que cela soit l’effet de l’habitude ou non, c’est ce qu’il est difficile de dire. Cependant, comme les hommes sont accoutumés à se coucher de bonne heure dans l’enfance, il est à présumer que dans la suite le sommeil à cette heure leur devient plus favorable par l’habitude. Mais, que le commencement de la nuit soit le meilleur temps pour le sommeil, ou qu’il ne le soit pas, le commencement du jour est certainement le meilleur pour les affaires & pour l’exercice. J’ai vu peu de personnes se levant matin, ne pas jouir de la meilleure santé.

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