Gilbert Lely. Notes sur le rêve dans la littérature française. Extrait de « Visages du Monde – Le Rêve dans l‘Art et la Littérature », (Paris), n°63, 1939, pp. 56-57.

Gilbert Lely. Notes sur le rêve dans la littérature française. Extrait de « Visages du Monde – Le Rêve dans l‘Art et la Littérature », (Paris), n°63, 1939, pp. 56-57.

Très rare revue, réservée au corps médical, et donc hors commerce. Absente de la B. n. F.

Gilbert Lely, né Lévy (1904-1985. Poète proche des surréalistes. Auteurs de très nombreux ouvrages.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

Notes sur le rêve dans la littérature française.

[p. 56]

Nous ne mentionnerons que pour mémoire que les songes des tragédies classiques, véritables accessoires de théâtre, au même titre que les confidents et les coupes de poison. Au surplus, ces songes étaient plutôt des oracles, c’est-à-dire des ordres ou des conseils émanant de la divinité. Leur caractère religieux, véritablement pathétique dans le théâtre grec, a perdu tout son contenu émotionnel dans la tragédie française classique, sauf peut-être dans Athalie, et justement parce que l’inspiration monothéiste de ce drame avait encore une valeur mystique pour le spectateur du XVIIe siècle.

Si nous passons au théâtre romantique, le glacial artifice des songes du Cromwell de Victor Hugo et du Caligula de Dumas fils ne le cède en rien à l’inanité des songes des tragédies de Voltaire, non plus qu’à celui de sa Henriade.

Ce qui nous intéresse, dans cette étude trop brève, où nous ne pourrons que noter les principales indications d’un sujet entre tous féconds, c’est l’élément humain contenu dans le rêve. Il y a des rêves émouvants chez les préromantiques et les romantiques français (par exemple celui de Saint­ Preux dans la Nouvelle Héloïse), mais le phénomène onirique est considéré par eux comme une sorte de curiosité, non comme un instrument particulièrement précieux d’investigation de l’humain et du sens pathétique de la vie (1).

Il faut arriver à l’Aurélia de Gérard de Nerval pour trouver un poète dont la vie éveillée se double d’une vie mystérieuse engendrée par le rêve, grâce à laquelle il atteindra à la connaissance transcendante de personnalité et d’un univers dont la rampante ordonnance sociale voile la signification profonde.

Totalement ignorés pendant cinquante ans, considérés tout au plus comme curiosité littéraire par un Rémy de Gourmont, ou suintant la haine qu’appelle nécessairement sur soi toute œuvre de vérité belle et farouche, Maldoror et Poésies depuis une quinzaine d’années paraissent enfin obtenir la justice qui leur est due et prendre la place qu’ils méritent dans la littérature française du XlXe siècle. L’œuvre de Lautréamont, appareil de libération totale de l’individu, dépasse le cadre de la littérature. Elle offre une méthode permanente d’investigation de tous les problèmes humains ; livre de chevet des hommes libres, elle demeure valable dans les circonstances les plus tragiques de la vie, et sans doute elle est la seule qui pourrait être feuilletée sans ridicule une heure avant la fin du monde. Cette valeur humaine jamais égalée de la poésie de Maldoror, c’est en partie au rêve que Lautréamont la doit. Mais il apparaît que dans Maldoror le rêve n’a souvent fourni au poète que l’odeur de ce qu’il écrivait. Lautréamont a choisi, et il avait le droit de choisir, dans les richesses inconscientes suscitées par le rêve. Autre chose est, en effet, la valeur clinique du rêve, toujours féconde médicalement pour la connaissance psychopathologique du rêveur, et sa valeur poétique. [p. 57]

Le manque de discernement qui a présidé à l’exploitation des notions mises au jour par Lautréamont et par Freud se révèle dans maintes œuvres contemporaines, tant au point de vue du phénomène de dépaysement que du phénomène onirique. Certains poètes, peintres et sculpteurs, ont cru qu’il suffisait de « dépayser » n’importe quel objet pour que la connaissance poétique s’ensuivît ; ils ont cru également qu’il suffisait de raconter n’importe quel rêve pour qu’il pût donner lieu à la naissance de l’émotion poétique. Le contenu poétique, c’est-à-dire la signification humaine la plus générale, et, par là, la plus utile, est absent de ces confessions intempestives.

Tous les rêves ne sont donc pas valables poétiquement. Parmi les peu nombreux rêves de la littérature française contemporaine qui nous semblent remplir les conditions de l’efficacité poétique, je citerai les profondes et pathétiques Eaux-Mères (A quoi je me destine), de René Char (2). Dans les Vases communicants, André Breton tente de réduire l’antinomie apparente du rêve et de la réalité ; il refuse d’admettre « l’idée déprimante du divorce irréparable de l’action et du rêve ». Il y réussit magnifiquement en des pages (notamment celles du chapitre II) qui nous transmettent, enrichi, le message de l’Aurelia de Nerval.

Il est des poèmes dont il est impossible de déterminer s’ils sont ou non des rêves (et nous donnions l’exemple de Lautréamont). En effet, il existe une étrange parenté entre l’élaboration poétique et le mécanisme du rêve. « Les poètes ont partage cette sagacité du cœur qui leur permet de percevoir les émotions secrètes d’autrui et ce courage qui leur rend possible de laisser s’exprimer leur propre inconscient », a dit Freud (3). La libération de l’inconscient, à savoir la mise au jour de l’essence même de l’humain, est un phénomène commun au rêve et à la poésie. Nous citerons, pour terminer, à l’appui de cette affirmation, le cas de Max Ernst, dont les « collages » de foudres et d’oracles appartiennent à la poésie la plus agressivement durable : chez Max Ernst, le mécanisme émotionnel qui a présidé au choix des éléments de ses collages est le fait, comme dans le travail du rêve, de la libération de l’inconscient, génératrice de beauté nue et désintégrante.

Gilbert LELY.

Notes

(1) Les rêves que l’on trouve, avant l’apparition de Freud, dans la littérature française de la fin du XIXe siècle (sauf en ce qui concerne Nerval, Lautréamont et Rimbaud), par exemple le Rêve Parisien de Baudelaire et les rêves d’A Rebours et d’En Rade, de Huysmans, offrent encore, malgré leur vive beauté, ce caractère de brillante exception, tout à fait opposé à la conception du rêve dans la poésie actuelle.

(2) Le Marteau sans Maitre, 1934.

(3) Contribution à la psychanalyse de la vie amoureuse, trad. Marie Bonaparte, in Revue française de psychanalyse, tome IX, N° 1.

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