Georges Surbled. La double-vue. Extrait de la revue « La Quinzaine », Paris, 2eannée, n°40, 15 juin 1896, pp. 465-476.

Georges Surbled. La double-vue. Extrait de la revue « La Quinzaine », Paris, 2eannée, n°40, 15 juin 1896, pp. 465-476.

 

Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1898 à 1908, soit 10 volumes et La Science catholique, revue des questions sacrées et profanes… dirigée par J.-B. Jauget et dirigée par l’abbé Biguet de 1886 à 1910.
Quelques unes de ses publication :
— Le Rêve. Étude de psycho-physiologie. Partie 1. Extrait de le revue « La Science catholique », (Paris), 9e année, n°6, 15 mai 1895, pp..481-491. [en ligne sur notre site]
— Le diable et les sorciers. in « La Science catholique – Revue des sciences sacrées et profanes », 12eannée, n°8, n°15 juillet, 1898, pp. 673-685, et 12eannée, n°9, n°15 août, pp. 794-804.[en ligne sur notre site]
— Le mystère de la télépathie. Article parut dans la « Revue du monde invisible », (Paris), première année, 1898-1899, pp. 14-24. [en ligne sur notre site]
— Le diable et les médiums. Partie 1. Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°1, 15 décembre 1898, pp. 61-71. [en ligne sur notre site]
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Le diable et les médiums. Partie 2.  Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°2, 15 janvier 1899, pp. 113-123. [en ligne sur notre site]
— La stigmatisée de Kergaër. Article parut dans la revue « Le Monde invisible », (Paris), 1899, pp.104-107. [en ligne sur notre site]
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Obsession et possession.] Article paru dans la « Revue des sciences ecclésiastique- Revue des questions sacrées et profanes… Fondée par l’abbé J.-B. Jaugey, continuée sous la direction de M. L’abbé Duflot », (Arras et Paris, Sueur-Charruey, imprimeur-libraire-éditeur), n° 15, décembre 1897, pp. 46-58. [en ligne sur notre site]
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Crime et folie. Extrait de la revue « La Science catholique », (Paris), 15 octobre 1900, p. 997-1005. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 465]

LA DOUBEL-VUE

On ne parle de tous côtés, à propos de Mlle Couédon, que de voyantes, de voyants doués du don de secondeou de double vue. Il nous a paru intéressant d’étudier cette question au point de vue exclusivement scientifique.

La double vueou seconde vueest une faculté extraordinaire qui est connue depuis longtemps et ne saurais être mise en doute. La question est de savoir si elle est ou si relève de l’ordre suprasensible : quoi de plus obscur, quoi de plus difficile à résoudre ! Ce qu’on peut affirmer d’abord, c’est que cette singulière puissance ne dépend pas de la volonté humaine : elle naît inopinément chez un sujet, s’y développe avec ou sans son consentement, et n’est pas susceptible de transmission héréditaire. Certains pays sont célèbres par leurs voyants : on peut citer, entre autres, l’Écosse. Mais toutes les latitudes ont connu la double vue, et l’antiquité rapporte des faits positifs de vue à distance : : tels sont eux attribués à Socrate par Platon, ou l’auteur, quel qu’il soit, du Théages, à Apollonius de Tyane par Philostrate, etc.

La télépathie, dont tout le monde parle, n’est donc pas une science récente : c’est simplement une dénominalion nouvelle que les modernes ont attribuée à la double vue, connue des anciens.

Qu’est-ce que la télépathie ?

C’est la transmission instantanée des pensées et des sentiments d’un esprit à un autre esprit sans l’intermédiaire des organes des sens.

L’Angleterre s’est particulièrement intéressée à la télépathie. Des sociétés savantes se sont consacrées à l’étude des faits, et [p. 466]  nous avons l’important ouvrage de MM. Gurney, Myers et Podmore : Phantasm of lite living, qui en relate déjà plus d’un millier.

Tous ces faits sont-ils probants ? Nous nous gardons bien de le dire. Beaucoup, insuffisants ou obscurs, prêtent à la critique ou laissent un doute dans l’esprit. Il y a d’abord ceux qui se rattachent à la catégorie des pressentiments, et qui doivent être rigoureusement éliminés comme peu sûrs : ce sont les plus nombreux.

Le Dr Ollivier (du Huelgoat) raconte qu’au cours d’une visite de nuit, sa femme, restée à la maison, eut l’idée instinctive d’un malheur arrivé à son mari. Et, de fait. à cette heure même, le praticien éprouvait un accident de voiture et revenait blessé à la maison.

Tout le monde connait ce genre de pressentiment, le plus souvent mauvais, mais chacun ne se le rappelle que quand il s’est trouvé vérifié. Ce n’est alors qu’une pure coïncidence. Que de fâcheux pressentiments l’imagination nous suggère et qui tombent à faux ! Ils effleurent à peine l’esprit, et sont vite oubliés. Mais, si l’événement deviné se réalise, la sensibilité lui donne des proportions énormes, et la mémoire s’en nourrit avec avidité.

L’historien du général de Sonis, Mgr Baunard, rapporte un trait singulier qui ressemble à un avertissement. Le général avait une sœur carmélite à Coutances. Voici ce qu’elle lui écrivait peu de jours après la bataille de Loigny, où le héros fut couvert de gloire et de blessures.

Chose singulière, durant la nuit si cruelle que tu as passé sur le champ de bataille…, je fus réveillée en sursaut par une main qui paraissait vouloir me faire lever. Toute surprise, je me soulevai et me tins assise, croyant que c’était une des novices qui était malade et qui venait me demander quelque chose. Je demandai : « Qui est là ? » N’ayant pas de réponse, et assurée que personne n’était dans notre cellule, je pensais à vous tous, mes frères chéris, à vos chers enfants. J’eus l’impression d’un danger, mais c’était Albert qui se présentait à mon esprit. Toi. mon Gaston, je te croyais invulnérable. Le lendemain, je dis à notre mère prieure ce qui m’était arrivé, ajoutant : « Certainement, un malheur est arrivé à quelqu’un [p. 467] des miens —Dans ce temps-ci, me répondit-elle, on doit s’attendre à tout. Il faut prier (1). »

L’esprit de la religieuse est naturellement entendu vers la guerre et les champs de bataille, et, dans la circonstance, son pressentiment a pu se trouver confirmer par l’événement. Mais il est autre cas où la vision est plus frappante, où se produit une véritable clairvoyance, comme une apparition, qui semble échapper à toute explication : lelivre de MM. Gurney, Myers et Podmore en fournit une abondante gerbe, au milieu de laquelle nous choisirons le suivant.

Une dame Tauton (observation 69), au théâtre, voit entre l’orchestre et elle son oncle W… couché dans son lit et l’appelant. La vision dure une minute. Quelques jours après, une lettre annonçait la mort de l’oncle : lors du décès coïncidait exactement avec celle de l’apparition.

L’histoire rapporte des faits encore plus concluants que la critique s’est longtemps refusée à admettre, et auxquels la science nouvelle donne un regain d’actualité.

La duchesse Philippe de Gueldres, veuve de René II, religieuse à Sainte-Claire de Pont-à-Mousson, vit, pendant son oraison, la malheureuse bataille de Pavie ; « Ah ! mes sœurs, s’écria-t-elle, en prière, pour l’amour de Dieu ! Mon fils de Lambesque est mort, et le Roi (François Ier) prisonniers ! » Des courriels ne tardèrent pas arrivé à Nancy avec la nouvelle du triste événement, survenu le jour même que la princesse je l’avais vu.

Un fait analogue a été tiré par dom Calmet (2) des Mémoires de la reine Marguerite ; « ma mère(Catherine de Médicis) étant dangereusement malade à Metz et ayant autour de son lit le Roi (Charles IX), ma sœur et mon frère de Lorraine, et force dames et princesses, elle s’écria, comme si elle eût vu donné la bataille de Jarnac : « Voyez comme ils fuyent ! Mon fils à la victoire. Voyez-vous dans cette haye le prince de Condé mort ?» Tous ce qui étaient là croyais qu’il rêvait. Mais, la nuit d’après, M.Losses, lui en apporta des nouvelles. « Je [p.468] le savois bien, dit-elle, ne l’avois-je pas veu devant hier ? »

Si la double vuen’est pas contestable, à certaines heures, chez quelques profanes, elle est évidente chez nombre de saints ; et notre littérature chrétienne réserve une ample moisson à ceux qui voudront y chercher des faits télépathiques. Nous nous contenterons d’en cité un, et nous l’emprunterons à la vie du curé d’Ars.

Une jeune personne étais à Ars pour une retraite. Le matin, à 6 heures, le saint curé Vianney, l’apercevant, s’approche d’elle et lui dit : Mon enfant, allez-vous en vite, on vous attend chez vous…comme elle avait commencé sa confession au missionnaire, elle lui rapporte les paroles qu’elle vient d’entendre. Elle reçoit l’ordre de partir immédiatement et la recommandation d’écrire à son arrivée. Quelques jours après, cette pauvre enfants apprenaient à son directeur qu’une sœur, qu’elle avait laissée bien importantes, était morte, à 4 heures du matin, au moment même où M. Vianney lui dit : « Vous êtes ici ?… Partez, partez vite ! On a besoin de vous dans votre famille (3)

De tels faits, que l’on pourrait multiplier à l’infini, prouvent l’existence de la double vue. Les anciens les ont rapportés au magnétisme ; mais il est important de remarquer qu’ils s’observent exclusivement chez les sujets normaux, éveillés ou seulement plongés dans le sommeil naturel. L’hypnoseest donc hors de cause, ce qui simplifie avantageusement le problème. En 1837, un magnétiseurs connu, Berna, fit devant une commission de l’Académie des expériences relatives à la transposition de la vue : elles échouèrent piteusement, et Burdin aîné ne craignit pas d’offrir un prix de 3,000 francs à la personne qui aurait la faculté de lire sans le secours des yeux et de la lumière. Les concurrents affluèrent, mais le prix ne fait pas décerné.

Si le magnétisme est impuissant à donner la double vue, il n’est pas toujours inutile à la formation des sujets, comme en témoigne l’observation suivante du Dr Liébeault, de Nancy, qui nous paraît capitale.

J’avais fait la connaissance, dit Notre vénérable confrère, d’une [p. 439] famille française de la Nouvelle-Orléans venue pour affaires à Nancy, parce que son chef, M. … m’avait amené sa nièce Mlle B… pour que je la traitasse par les procédés hypnotiques. Elle était atteinte d’une anémie légère et d’une toux nerveuse contractées à Coblentz , dans une maison d’éducation où elle était professeur. Je parvins facilement à la mettre en somnambulisme, et elle fut guérit en deux séances. La production de cet état de sommeil ayant démontré à la familleG.. et à Mlle B…  qu’elle pourrait facilement devenir médium (Mme G… était médium spirite), cette demoiselle s’exerça à évoquer, à l’aide de la plume, les esprits, auxquels elle croyait sincèrement, et, au bout de deux mois, elle fut une remarquable médium écrivante. C’est elle que j’ai vue de mes yeux tracer rapidement des pages d’écriture qu’elle appelait des messages, et cela en des termes choisis et sans aucune rature, en même temps qu’elle tenait conversation avec des personnes qui l’entouraient. Chose curieuse, elle n’avait nullement conscience de ce qu’elle écrivait ; « aussi, disait-elle, ce ne peut être qu’un esprit qui dirige ma main, ce n’est pas moi. »

Un jour, c’était, je crois, le 7 février 1868, vers 8 heures du matin, au moment de se mettre à table pour déjeuner, elle sentit un besoin, un quelque chose qui la poussait à écrire (c’était ce qu’elle appelait une transe), et elle courut immédiatement vers son cahier, où elle traça fébrilement, au crayon, des caractères indéchiffrables. Elle retraça les mêmes caractères sur les pages suivantes, et enfin, l’excitation de son esprit se calmant, on ut lire qu’une personne nomme Marguerite lui annonçait sa mort. On supposa aussitôt qu’une demoiselle de ce nom qui était son amie, et habitait comme professeur le même pensionnat de Coblentz où elle avait exercé les mêmes fonctions, venait d’y mourir. Toute la famille G… compris Mle B… virent immédiatement chez moi, et nous décidâmes de vérifier, le jour même, si ce fait de mort avait réellement eu lieu.

Mlle B … écrivit à une demoiselle anglaise de ses amies qui exerçait aussi les mêmes fonctions d’institutrice dans le pensionnat en question : elle prétexta un motif, ayant bien soin de ne pas révéler le motif vrai. Poste pour poste, nous reçûmes une réponse en anglais, dont on me copia la partie essentielle, réponse que j’ai retrouvée dans un portefeuille il y a à peine quinze jours, et égarée de nouveau. Elle exprimait l’étonnement de cette demoiselle anglaise au sujet de la lettre Mlle B…, lettre qu’elle n’attendait pas si tôt, vu que le but ne lui en paraissait pas assez motivé. Mais, en même temps l’amie anglaise se hâtait d’annoncer à notre médium que leur amie commune, Marguerite, était morte le 7 février, vers les 8 heures du [p. 470] matin. En outre, un petit carré de papier imprimé était inséré dans la lettre : c’était un billet de mort et de faire-part. Inutile de vous dire que je vérifiai l’enveloppe de la lettre, et que la lettre me parut venir réellement de Coblenlz. Seulement j’ai eu depuis des regret. C’est de n’avoir pas, dans l’intérêt de la science, demandé à la famille G… d’aller avec eux au bureau télégraphique vérifier s’ils n’avaient pas reçu une dépêche télégraphique dans la matinée du 7 février. Lascience ne doit pas avoir de pudeur ; la vérité ne craint pas d’être vue. Je n’ai comme preuve de la véracité du fait qu’une preuve morale : c’est l’honorabilité de la famille G… , qui m’a paru toujours au-dessus de tout soupçon.

Cette observation si détaillée et si précise est du plus haut intérêt. Le Dr Liébeault, qui l’a communiquée aux auteurs anglais et qui la rapporte dans un de ses livres (4), ne craint pas de la déclarer « renversante », et s’étonne à bon droit de l’odieuse conspiration du silence qui se fait dans le monde scientifique autour de tels phénomènes observés, non seulement par le distingué professeur de Nancy, mais par MM. Ochorowitz, Dussard, Gibert, etc. « Doit-on reculer, s’écrie-t-il justement, devant un coup d’œil sur ces quelques faits de communication de pensée à distance, sous prétexte qu’à cause de leur rareté, ils peuvent bien être survenus par coïncidence ou par le motif qu’ils ont été mal observés ? Enfin doit-on les nier d’emblée comme étant impossibles, ainsi que le font les esprits outrecuidants qui, de prime-saut, rejettent ce qui dépasse leur petites connaissances ?… En matière scientifique, il faut tout contrôler, même ce qui parait absurde. Que de fois n’a-t-on pas vu des savants rejeter des faits de grande importance. et qui en ont été ensuite bien et justement humiliés ! On ne peut qu’applaudir et que souscrire à de telles paroles. La science accepte la vérité partout où elle se trouve, et d’où qu’elle vienne, même quand elle paraît étrange, illogique, même quand elle renverse les théories les plus anciennes et s’oppose aux idées les mieux assises. M. le Dr Liébeault, en revendiquant ses droits à l’encontre des physiologistes sectaire qui veulent l’emprisonner dans l’étroit matérialisme, nous [p. 471] donne la large et vraie mesure de l’esprit scientifique, et s’honore lui-même.

Malheureusement, notre savant confrère a voulu devancer la science en donnant dès aujourd’hui une explication matérielle des communications psychiques, le mécanisme télépathique, et s’ il s’est égaré dans une voie où la raison n’est pas moins méconnue que les faits. Voici l’étrange explication que nous propose le vénérable doyen de l’école de Nancy :

En attendant d’autres expériences, pour confirmer les faits déjà connus de communication de pensée à distance, je ne crains pas déjà d’émettre l’hypothèse probable que, si, dans certains cas organiques, les sens et le cerveau de l’homme reçoivent des impressions plus vive et élaborent des opérations intellectuelles plus complexe que d’habitude, ses organes peuvent bien, dans les même états, surtout chez quelques sujets très sensitifs, être susceptibles de fonctionner avec une délicatesse plus qu’on ne l’a soupçonné encore. Par exemple, si l’on admet, avec quelques esprits non prévenus, que les vibrations transmises par contact, entre endormeurs est somnambules, sont non seulement saisies, mais comprises par ces derniers, on ne va pas être éloigné de croire que, connu pour un grand nombre de phénomènes physiques accepter de tous, des ondulations, vrais prolongement de ces vibrations, ne puissent se transmettre par l’air, puis être ensuite ressenties et interprétées à de grandes distances par des sujets éminemment nerveux. Et l’on doit être d’autant plus porté à cette croyance, si les sujets en expérience sont habitués à être endormie par un même hypnotiseur, ou si il y a entre eux et lui de la sympathie, des attractions de caractère… Il est reconnu que les pigeons voyageurs transportés au loin retrouvent leur demeure sans qu’on sache bien que comment ; que des chiens, des chats, des ânes, etc., on la même faculté ; que des animaux, beaucoup moins haut placés dans la chaîne des êtres : l’abeille, la tortue, le saumon, etc., sont doués d’un même pouvoir, et l’on refuserait à l’homme, dont on sait combien les sens et l’intelligence arrive parfois à un grand degré d’exaltation et de pénétration, on lui refuserait la faculté élevée d’être apte à recevoir des communications suggestives venue de lieux éloignés et provoqués tacitement par action mentale ?

Quand les cas spéciaux que j’examine, il y a certes rien d’impossible que, à de grands éloignements,  il n’y ait eu, sans qu’il se voient[p. 472] même sentis impressionnés, de la part des somnambules et des médiums, une réception par les sens d’ébranlement de l’air, et ensuite une interprétation intellectuelle ; et si dans un cas de transmission de pensée (cas de Coblentz), la communication s’est faite à une distance de 250 kilomètres, n’est-ce pas aussi que les ondulations transmises étaient renforcées chez l’un des sujets par une disposition sensitive exceptionnelle, et chez l’autre par un état émotif excessif, celui qui s’est exprimé par la pensée au dernier moment de l’existence ? Quand on sait que des forces inférieures en qualités aux forces pensantes : forces attractives, lumineuses, caloriques, électriques, etc., pénètrent à des éloignements incommensurables, dans toutes les directions et à travers les interstices des globe célestes, remplissent les espaces et les mondes, c’est bien le moins  que la pensée humaine, cette puissance que nous sommes si loin de connaître, puisse, par certaines ondulations à travers l’atmosphère, se transmettre d’une personne qui expriment cette pensée à une autre qui, à son tour, sympathiquement, en ressent les signes transmis et les interprètes ensuite (5).

Il y a dans cette page un sentiment très juste : c’est qu’on ne connait pas toutes les ressources de la nature, et qu’un jour nous amènera peut-être l’explication scientifique, rationnelle de la télépathie. Malheureusement, ce jour n’est pas arrivé. On peut adhérer au sentiment du Dr Liébeault sans accepter aucunement son interprétation physiologique ou plutôt physiquedes faits. Que l’action des esprits à distance soit possible, nul n »y contredit ; mais il est impossible d’accepter à la suite de notre auteur et même de concevoir des ondulations de la pensée humaine à travers l’atmosphère, des vibrations d’esprits, etc. un abîme sépare le monde des esprits de celui des corps. Cet abîme est-il comblé par la substance nerveuse dont l’activité spéciale ferait une transition facile et naturelle des forces physico-chimiques aux forces mentales ? Nullement, et les derniers travaux de la science ne laissent aucun doute sur ce point. La force nerveuse est d’ordre vital et n’a aucune ressemblance avec les simples forces cosmiques. C’est en vain que certains savants nous parlent de « mécanisme nerveux ». Nul [p. 473] n’a vu ces vibrations et ces ondulations des tubes et des cellules qu’ils décrivent de confiance . L’opinion qui assimile l’influx nerveux au courant électrique ou à quelque autre agent physique a pu séduire un instant, mais est aujourd’hui absolument controuvée. Il est établi que l’activité nerveuse, même dans ses modes les plus simples, même dans le mouvement « réflexe », se distingue par des caractères à part qui révèlent manifestement une cause supérieure (6)

La force nerveuse échappe donc aux explications physico-chimiques : elle ne se réduit pas un ébranlement moléculaire ou à une ondulation des nerfs. Par suite elle me sort par des éléments qui lui sont propres et elle n’est pas de nature à parcourir le monde sur l’aile du vent et au gré des hommes.

Le Dr Liébeault n’est pas seul à croire aux vibrations cérébrales, à la force neurique rayonnante, mais le terrain est glissant, et la plupart des auteurs qui le suivent dans cette voie versent dans le spiritisme en a mettant un fluide impondérable, éthéré, spirituel, etc. Ici les induction et les analogies battent leur plein, mais les faits vérifiés manquent, et la science perd de ses droits. On n’a jamais constaté expérimentalement la transmission d’un fluide quelconque à une grande distance sans l’aide des sens et des nerfs, sans le secours d’un conducteur matériel approprié. Rien ne défend de croire que la science de l’avenir révélera le fluide sympathique, cause matérielle des communications spirituelles ; mais, en attendant c’est heureuse découverte, notre devoir de savants est de rester sur la réserve et dans une prudente expectative. Mieux vaut se taire que d’imaginer une théorie avec les faits connus, mais est en opposition avec les données de la science actuelle

Admettons cependant, par hypothèse, que l’explication matérielle de la double vuesoit enfin trouvée. Toute cause suprasensible sera-t-elle par la même écartée ? Nullement : car il est établi que la double vue n’appartient pas à la constitution organique, individuelle des sujets, quelle leur arrive inopinément, sans effort, et que ces manifestations sont rares, exceptionnelles, [p.174] Ajoutons qu’elle échappe à l’action troublante de l’hypnose. Sous quelle influence cette faculté se produit-elle ? Voilà ce qu’il faudrait encore établir et ce qui permettrait d’affirmer qu’un agent étranger intervient, se surajoute en quelque sorte à la cause naturelle, et s’en sert pour arriver à ses fins.

Quoi qu’i I en soit, il faut se garder, en face des mystères de la nature, d’invoquer prématurément les causes extrasensibles, il faut craindre d’en abuser à plaisir. Les explications actuellement fournies par les savants pour rendre raison de la double vuene sont pas acceptables, mais il ne résulte pas de cette constatation imposée par l’évidence la conclusion fort grave que la double vue est d’origine surnaturelle. Comme nous le disions naguère à propos d’une autre énigme de la science, « avec un tel raisonnement, le champ du surnaturel serait en proportion inverse de celui de nos connaissances : immense à l’origine, il reculerait peu à peu devant les lumières de la science. Or, le surnaturel n’est pas en opposition avec la raison, et le miracle ne saurait naître de notre ignorance (7). » Le mécanisme de la double vue n’a pu être encore révélé ; mais, de ce qu’il nous échappe actuellement, il ne s’ensuit nullement qu’il nous échappera toujours. La porte reste ouverte aux hypothèses nouvelles, aux progrès de la science, et, qui sait ? à l’explication cherchée.

En attendant, cette explication manque : elle ne se trouve ni dans la physique ni dans la physiologie. Faut-il la demander, sans plus ample informé, à une cause surnaturelle ? Nous ne Ie pensons pas d’une manière générale.

Une critique sérieuse ne permet pas d’attribuer à une origine suprasensible tous les cas de télépathie signalés. La plupart, disons-le nettement et pour répondre à la vérité des faits, n’ont rien de surnaturel, et tiennent, soit à une pure coïncidence, soit à une conjecture raisonnable. Mais tout en faisant une large, une très large part à ces causes fortuites, en excluant d’ailleurs les laits erronés volontairement ou non, il reste des cas qui déroutent manifestement la science et réclament une explication ordre supérieur. [p. 475]

Nous citerons comme particulièrement instructive l’observation du Dr Liébeault relatée plus haut. S’agit-il d’une simple ·coïncidence ou d’un fait surnaturel ? L’alternative se pose, mais n’est pas de longue durée pour le penseur attentif. Sans doute un heureux hasard a pu faire concorder la mort de l’institutrice de Coblentz avec l’idée de cette mort surgissant spontanémentdans l’esprit de son amie ; mais combien cette coïncidence est bizarre et improbable ! Au contraire l’état psychique de Mlle B… se révèle dans une nudité saisissante : sa pensée n’est ni libre ni spontanée, elle est inconsciente en quelque sorte, automatique, sons la dépendance d’une force étrangère. La question se complique —et s’éclaire en même temps —par la présence d’un nouveau et important facteur. Nous avons affaire ici à un médium, et nous nous trouvons en face de la curieuse doctrine du spiritisme, qui a passionné autrefois l’opinion et qui reprend faveur aujourd’hui, grâce aux merveilles de l’hypnotisme.

Il y a des gens qui admettent complètement et sans réserve tous les faits de clairvoyance et de double vue que l’on met au compte des « esprits » ; il en est d’autres qui les nient entièrement, d’avance et sans examen, considérant le magnétisme animal comme une erreur, et le spiritisme comme une amusante mystification. L’occultisme ne mérite

Ni cet excès d’honneur ni cette indignité !

Nous estimons qu’il est prudent et raisonnable de se tenir à égale distance des extrêmes, et nous croyons que l’examen sérieux et impartial des phénomènes étranges que révèle la pratique des médiums ne permet ni une foi aveugle ni un scepticisme complet.

Le spiritisme présente des faits avérés, incontestable, qui dépassent certainement le domaine des forces naturelles et annonce un pouvoir supérieur ; et, si ces faits ne paraissent pas toujours démonstratifs, n’entraînent pas de suite la conviction, c’est qu’ils sont assez rares, et surtout enveloppés, obscurcis est dénaturés par beaucoup d’autres que le charlatanisme et l’ignorance accumulent autour d’eux. Les médiums, les [p. 476] plus sûrs, les plus renommés, se distinguent par le nombre et la force des absurdités qu’ils énoncent : mais il est incontestable que certaines de leurs révélations sont surprenantes, inexplicables et que la double vue est plus d’une fois leur lot. Ils obéissent alors, exceptionnellement, à une inspiration étrangère mais restent d’ordinaire abandonnés à leurs propres ressources : toutefois, ayant été par hasard favorisés d’un secours extrasensible, ils prennent leur rôle au sérieux et y entrent si bien (par autosuggestion, qu’ils ne doutent plus d’eux-mêmes, se considèrent comme des inspirés, des voyants, et forgent mille mensonges, mille contradictions pour soutenir quand même leur personnage et grandir leur réputation.

L’annonce exacte et détaillée d’un événement survenu à une grande distance, sans qu’aucun indice extérieur ait pu le révéler, voilà qui, en dehors de toute coïncidence, accuse une cause surnaturelle. Nous ne pouvons pas naturellement savoir ce que nous n’avons jamais appris ; nous ne pouvons pas, avec les seules forces de notre esprit et de notre volonté franchir instantanément les espaces cosmiques et connaître sur l’heure ce qui se· passe au-delà des monts et des mers. El il faut, en pareille circonstance avouer notre impuissance et croire quelquefois avec les spirites, à une inspiration étrangère, à l’intervention d’un « esprit ».

Mais de dire quelle est la nature de ces esprits, de définir leur rôle dans l’économie universelle, de découvrir leur diabolique malice on leur angélique bonté, c’est ce qui n’appartient pas à la science profane, mais ce qui revient à la théologie et à l’Église.

Dr SURBLED.

Notes

(1) Vie du général de Sonis, p. 336.

(2) Dissertations sur les apparitions, 1746, art. 31, p. 98.

(3) Vie, T. II, p.507.

(4) Thérapeutique suggestive, p. 277-279.

(5) Op. cit. p.279-281.

(6) cf. notre livre Le problème cérébral, Masson, 1892.

(7) Les Stigmates selon la science, Science catholique, décembre 1894.

Références des images :

1 – Dominique Philippe.

2 – René Magritte – Double vue.

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