Georges Heuyer. Le deviennent de la pensée et contribution à l’étude organique de l’automatisme mental. PARTIE 1. Article paru dans Article paru dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome deuxième, quatre-vingt-quatrième année, 1926, pp. 321-343.

HEUYERDEVINEMENT0001Georges Heuyer. Le devinement de la pensée et contribution à l’étude organique de l’automatisme mental. Partie 1. Article paru dans Article paru dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome deuxième, quatre-vingt-quatrième année, 1926, pp. 321-343.
Article en 2 partie. La seconde est en ligne sur notre site.

Outre l’importance épistémologique, Heuyer fut à l’origine du concepts de « Devinement de la pensée », nous trouvons dans ce mémoire une description clinique d’un cas de possession diabolique, attachée au syndrome d’automatisme mental.

Georges-Jean-Baptiste Heuyer (1884-1977). Médecin, professeur à la faculté de médecine de Paris, membre de l’Académie nationale de Médecine. Il est le fondateur en France de la pédopsychiatrie. Bien qu’il ne fut lui-même ps psychanalyste, il fut le premier à introduire la psychanalyse dans le milieu hospitalier avec Eugénie Sokolnicka, pis Sophie Morgenstern. Ses travaux sont orientés sur la pédopsychiatrie. Quelques une de ses publications :
— Enfants anormaux et délinquants juvéniles : nécessité de l’examen psychiatrique des écoliers. Thèse de doctorat en médecine. Paris, G. Steinheil, 1914. 1 vol.
— Psychiatrie sociale de l’enfant. Cours du Centre de l’Enfance professé du 15 octobre eu 15 décembre 1950, Paris et Londres. Paris, Centre International de l’Enfance, 1951. 1 vol.
— Les Bourreaux domestiques, 1928.
— Les Troubles du Sommeil chez l’enfant. 1928.
(avec A. Lamache). Le mentisme. Extrait de la revue « L’Encéphale », (Paris), vingt-quatrième année, 1929, pp. 325-336. [en ligne sur notre site]
— Psychoses et crimes passionnels, 1932.
(avec Alexandre Lamache). Le Mentisme,  1933.
— (avec Sophie Morgenstern). La Psychanalyse infantile et son rôle dans l’hygiène mentale.  1933

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original., mais avons corrigé plusieurs fautes de composition. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 321]

LE DEVIMEMENT DE LA PENSÉE

ET CONTRIBUTION A L’ÉTUDE DE L’ORIGINE ORGANIQUE DE L’AUTOMATISME MENTAL

Par G. HEUYER

INTRODUCTION

Les tendances psychiatriques ont actuellement une double orientation.

D’une part, à la suite de Freud, et sous l’inspiration de la psychanalyse, un certain nombre d’auteurs français et étrangers recherchent dans l’étiologie des maladies mentales en général et de la psychose hallucinatoire chronique en particulier une origine acquise.

C’est en fonction de troubles affectifs survenus dans l’enfance à la suite d’un trauma le plus, souvent sexuel que se développent chez l’adulte, par le mécanisme de la fixation ou de la régression à l’enfance, les psychopathies et les psychoses. La mode est à l’origine psychogénétique des maladies mentales. Les ‘Psychose;; seraient des maladies acquises, et leu’ contenu idéique serait le symbole du trauma affectif qui remonterait à l’enfance et qui serait psychogénétique (1).

La psychanalyse et les méthodes qui en sont dérivées donnent une technique qui permet de pénétrer davatage dans le psychisme des délirants et des déments et pour expliquer le contenu des vésanies. La psychanalyse appliquée à l’étude des maladies marque un effort vers la constitution d’une psychiatrie scientifique où la classi­fication symptomatique tend à être remplacée par une classification étiologique. [p. 322]

D’autre part, la notion des constitutions morbides due à Dupré, a été aussi génératrice de théories qui tendent à expliquer l’éclosion et le développement des maladies mentales et particulièrement des délires chro­niques. Les tendances héréditaires qui, se manifestent précocement chez l’individu et persistent pendant toute la vie sans se modifier dans leur essence constituent la personnalité du sujet et leur caractère morbide se retrouve dans la psychose ultérieurement apparue.

Cette conception de la valeur nosologique des cons­titutions est à la base de la distinction qui a été établie par certains auteurs (2) entre deux grandes catégories de maladies mentales : les psychopathies organiques et les psychoses constitutionnelles.

Dans les premières sont rangées les maladies mentales bien définies, incontestablement liées à des lésions transitoires ou permanentes du système nerveux cen­tral, de l’encéphale. Ce sont des psychopathies accidentelles à lésions toxiques ou infectieuses, précises et dont l’origine agénésique, dysgénésique, involutive ou destructrice ne laisse aucun doute. Dans les psychoses constitutionnelles se groupent les psychopathies qui attendent en vain leur anatomie pathologique. Ces psychoses apparaissent indemnes de toute lésion céré­brale. Contrairement aux affections à lésions cérébrales connues, elles ne sont pas acquises et ne naissent pas accidentellement ; elles sont liées à un état originel et héréditaire ; certaines d’entre elles se retrouvent sous la forme similaire chez les ascendants et les descendants. « Elles se révèlent au commencement de la vie psychique individuelle et ne sont que l’exagéra­tion d’une manière d’être primitive, fixe et perma­nente de la personnalité » (A. Delmas).

Cette conception d’es psychoses lésionnelles et des psychoses fonctionnelles a paru à beaucoup d’auteurs [p. 323] être une formule d’attente (3). C’est ainsi que la place de la psychose hallucinatoire chronique dans cette classification a paru incertaine. On ne connait pas actuellement l’anatomie pathologique de la psychose hallucinatoire chronique. Toutefois M. de Fleury, Delmas la rangent parmi les psychoses accidentelles toxi-infectieuses dont l’origine lésionnelle « ne laisse pas de doute » (M. de Fleury). Au contraire d’autres auteurs admettent que les tendances paranoïaques seraient à base de certaines psychoses hallucinatoires chroniques et que les hallucinations ne seraient qu’une exagération des préoccupations délirantes du malade.

Quoiqu’il en soit, dans cette opposition entre la théorie des psychoses acquises à la suite d’un choc affectif de l’enfance et la thèse des déséquilibres psychiques constitutionnels qui aboutissent par le jeu normal de leur évolution à des psychoses chroniques, s’usent actuellement les efforts de la plupart des psychiatres.

Cependant en dehors de ces deux conceptions qui se disputent la faveur de la mode psychiatrique, tend à s’affirmer le retour à la tradition anatomo-clinique de la psychiatrie française. Les « discussions sur l’origine psychogénétique des maladies mentales et sur la nature constitutionnelle des psychoses fonctionnelles parais­sent devoir retarder les progrès de nos connaissances dans l’étiologie et la pathogénie des psychoses. La psychogénèse des maladies de l’esprit d’une part, la distinction entre les psychoses lésionnelles et les psychoses fonctionnelles d’autre part ramènent la psychiatrie aux discussions byzantines d’il y a 40 ans. De la période où l’on étudiait l’hystérie, où l’on décri­vait les folies hystériques, il reste le souvenir d’une rhétorique éloquente et d’une littérature pittoresque. L’épidémie d’encéphalite a fait plus en deux ans pour rétrécir le domaine trop cultivé de l’hystérie que les discussions interminables entre l’école de la Salpêtrière et l’école de Nancy. [p. 324]

La recherche des causés purement psychologiques des maladies mentales met celles-ci sur un plan différent des maladies générales. Or celles-ci et celles-là n’ont-elles pas des causes communes : infections, intoxications, dystrophies héréditaires ? Toute découverte, comme celle de l’encéphalite, qui fait rentrer certaines maladies mentales dans le cadre commun des maladies générales, fait plus pour le progrès de la médecine, que les théories psychologiques les plus ingénieuses et les classifications les plus séduisantes. Pour notre modeste part nous pensons que tous les efforts qui sont faits pour démontrer l’origine organique des maladies mentales sont conformes à la tradition anatomo-clinique de la médecine française.

C’est pourquoi nous avons accueilli avec faveur la notion de l’automatisme mental, décrit par de Clérambault comme le noyau fondamental des psychoses chroniques (4). Nous rappellerons qu’au point de vue clinique, le syndrome d’automatisme mental comporta tous les faits d’automatisme moteur, sensitif et idèoverbal que sont les gestes forcés, les inhibitions, les hallucinations psychomotrices, la prise, l’écho, le devancement, la substitution de la pensée l’énonciation des actes. Les hallucinations auditives et visuelles avec extériorisation spatiale, les hallucinations psychiques par hyperendophasie (Séglas) sont des éléments de l’automatisme mental, éléments fréquents mais non nécessaires. Quelquefois le syndrome est réduit à un sentiment d’étrangeté, de transformation de la personnalité et de perplexité que complètent épisodiquement d’autres éléments du syndrome.

Le syndrome d’automatisme mental est l’élément initial fondamental générateur des psychoses hallucinatoires chroniques, dites psychoses systématisées progressives. L’idée qui domine la psychose, n’est est pas la génératrice, bien que la psychologie commune l’indique et que la psychiatrie classique la confirme. [p. 325]

Le noyau des psychoses est dans l’automatisme, l’idéation est secondaire (de Clérambault).

Le syndrome d’automatisme mental est selon la conception de Clérambault, de nature organique. Il n’a rien de psychogène, il est l’expression d’un désordre anatomique, d’une lésion histologique ou d’un trouble physiologique. « Le cerveau moud de la pensée. » Nous avons dit (5) dans le même sens : Le cerveau malade produit automatiquement dans certaines circonstances une pensée qui s’extériorise et n’est plus reconnue du sujet.

Cette notion d’une pensée extériorisée et non reconnue du sujet nous parait analogue à l’illusion des amputés. Cette illusion a la valeur de l’extériorisation d’une sensation ou plus exactement d’un ensemble de sensations, d’une véritable perception ; elle est l’ébauche d’une véritable hallucination, d’une perception sans objet.

Entre une hallucination sensorielle telle que l’illusion des amputés et la prise de la pensée ou une hallucination psychique, reproduction abstraite sans image sensorielle, visuelle ou auditive, on peut rencontrer tous les intermédiaires, comme existent tous les passages entre la sensation élémentaire et l’abstraction de la pensée mathématique.

Le triple automatisme moteur, sensitif et idéo-verbal « englobe tous les types d’hallucinations déjà -connus et est plus compréhensif que le terme d’hallucinations » (de Clérambault). Il constitue un ensemble de symptômes dont la matière et la combinaison sont organiques. Il forme le noyau des psychoses hallucinatoires chroniques. Mais son apparition mécanique détermine des réactions idéatives qui constituent des délires et dont la nature dépend de la personnalité psychologique et constitutionnelle du malade. Cette partie idéative de la psychose n’est pas elle-même tout à fait consciente ; elle est élaborée partiellement dans [p. 326] l’inconscient par un- processus tout mécanique et prend aussi l’aspect d’une idéation parasitaire, et automatiquement extériorisée (de Clérambault).

Ainsi dans cette conception vraiment neuve et originale des psychoses hallucinatoires chroniques, l’idéogénisme ou le psychogénisme sont déchus de leur rôle primordial des créateurs de la psychose. A la base de celle-ci se trouve le noyau de l’automatisme mental d’origine organique, de structure et de fonctionnement

mécaniques. Les processus psychologiques, dont beaucoup d’éléments élaborés dans l’inconscient sont eux-mêmes mécaniques, fournissent les thèmes des délires. Mais les délires ne se suffisent pas à eux-mêmes. Ils ne traduisent que la réaction personnelle du sujet en présence du syndrome d’automatisme mental qui s’impose à lui, comme l’expression d’une maladie organique.

A cette conception de la nature organique de l’automatisme mental, on peut objecter que la preuve n1est pas faite ; que les lésions anatomiques, d’ordre histologique, n’ont pas été démontrées.

Mais, comme nous le verrons au cours de ce travail le syndrome d’automatisme mental, avec son cortège d’idées délirantes organisées de persécution ou d’influence a été décrit dans, certaines psychopathies ou affections neurologiques, dont la nature organique est certaine : paralysie générale, tumeur cérébrale, épilepsie. L’automatisme mental hallucinatoire, qui se manifeste à l’occasion de ces affections organiques et qui se traduit par un délire à contenu variable, est, sur un autre plan, la manifestation du même désordre physiologique et de la même lésion histologique. C’est à titre de contribution à l’étude de l’origine organique de l’automatisme mental que nous avons entrepris ce travail.

Son point de départ fut la rencontre d’un symptôme qui, à notre -connaissance, n’a pas encore été décrit et que nous avons observé chez cinq malades. Nous l’avons décrit avec notre élève et ami Lamache sous le nom devinement de la pensée. Encadré, en général, des [p. 327] autres symptômes de l’automatisme mental, il nous a semblé devoir être inclus dans ce syndrome. Après avoir fait la séméiologie du devinement de la pensée, nous rapporterons quelques observations prises dans le service de l’Infirmerie Spéciale de la Préfecture de Police dans lesquelles le syndrome d’automatisme mental s’est manifesté au cours d’une affection comme l’épilepsie dont la nature organique n’est pas douteuse ou comme la syphilis dont l’action sur le développement de l’automatisme mental peut être prouvée par l’évolution ou par le traitement.

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Nous montrerons comment ces faits sont corroborés par d’autres publiés antérieurement par d’autres auteurs, et restés épars dans la littérature. Devenus plus fréquents au fur et à mesure des recherches, ils finissent par constituer dans leur ensemble un faisceau d’arguments impressionnants en faveur de l’origine organique de l’automatisme mental.

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CHAPITRE 1. — Le devinement de la pensée

Nous avons eu l’occasion d’observer chez six malades un symptôme qui n’avait pas encore été signalé et que nous avons écrit avec notre élève et ami Lamache sous le nom de « devinement de la pensée ». Ce symptôme consiste dans l’affirmation délirante de la faculté de connaître la pensée d’autrui.

Il nous parait plus simple et plus démonstratif de rapporter d’abord les observations des malades que nous avons examinés et que nous avons certifiés à l’Infirmerie Spéciale de la Préfecture de Police.

OBSERVATlON I. — J… Hélène, 29 ans. Arrêtée pour vagabondage, elle fut amenée à l’Infirmerie Spéciale Pour des idées de persécution. Elle est surveillée par des ouvriers qui la suivent à bicyclette. Ses interprétations morbides ont un thème éroticomaniaque. Elle est aimée par un directeur d’usine à Choisy. Elle ne l’aime pas, mais aidé d’une femme qui s’est, vendue il lui, « vendue au bourreau », [p.328] il dirige la conspiration et tend à faire disparaître son ancien amant. C’est par jalousie qu’on veut détruire celui-ci, afin de la prendre elle-même de « force ». On a obligé son ami à l’abandonner ; mais elle veut le protéger malgré tout.

Ebauche d’automatisme mental. — Mentisme hypnagogique : le soir, ressassement des souvenirs de la journée, des personnes vues, des propos entendus, Rêves symboliques : la femme du bourreau est vue sous forme constante de vipère, l’homme sous forme de monstre.

Prise de la pensé. — On lui prend, sa pensée et on lui transmet des pensées étrangères ; elle est en communication constante avec ses persécuteurs qui savent tout ce qu’elle pense et ce qu’elle fait. Enonciation des actes.

Faculté de deviner la pensée d’autrui. — Elle connaît, par intuition et par transmission de pensée, le plan de ses persécuteurs et peut ainsi le déjouer. Pour que le plan échoue, il suffit qu’elle passe devant ses ennemis : « Il y a un an qu’elle fait cela jour et nuit. » Récemment elle a été renversée en tentant de passer devant une automobile où ses persécuteurs avaient pris place. Et c’est à la suite de cet accident et des propos incohérents qu’elle tint au commissariat de police qu’elle fut envoyée à l’Infirmerie Spéciale.

A noter l’absence d’hallucinations auditives qu’elle ne présenta pas non plus dans la suite quand, nous avons eu l’occasion de la revoir dans le service de M. le Docteur Sérieux. Elle n’avait de l’automatisme mental que les phénomènes subtils. Au point de vue intellectuel, Hélène est une débile mentale d’ont l’instruction est rudimentaire. Elle ne présente aucun signe neurologique, mais a des stigmates dentaires qui peuvent faire penser à une hérédo-syphilis, Ses extrémités sont cyanosées. Quand elle fut amenée à l’Infirmerie, elle était dans un médiocre état général, amaigrie, fatiguée. Misérable et sans ressources, elle se nourrissait depuis plusieurs jours de pain et de café.

OBSERVATION II. — G… Julie, 42 ans. Automatisme mental avec idées, de possession, d’influence et de persécution. Interprétations délirantes mal systématisées sur un thème d’une énorme et absurde métempsychose. Des personnages disparaissent, absorbés par les « anthropophages ». Ceux-ci sont [p. 329] des individus dont l’esprit est allé habiter dans le corps des bêtes et est devenu carnassier. Devenus anthropophages, ils sont capables de dévorer d’autres hommes et de les restituer ensuite. Elle-même a senti qu’elle était dévorée et que son esprit était au pouvoir des anthropophages.

Automatisme mental très complet. On prend et on répète sa pensée. On dit tout ce qu’elle fait. Hallucinations auditives : elle entend des bruits et des monosyllabes. Hallucinations psychomotrices surtout d’ordre génital. On l’oblige à se masturber. On l’excite pour la forcer à avoir des rapports sexuels même avec des gens qu’elle ne connait pas. Troubles cénesthésiqnes. Elle éprouve des malaises indéfinis, des souffrances. Elle énonce quelques illusions visuelles, des visions de personnages divers, de pseudo-apparitions de la Vierge, des saints.

Faculté de deviner la pensée d’autrui. — Elle-même est capable de deviner la pensée des autres. Elle a « l’intuition des âmes par la grâce de Dieu ». Ce devinement de la pensée dont elle est capable est en effet un moyen de défense qui lui est donné, une manifestation de la providence divine.

Ses idées de possession anthropophagique ont en effet une signification mystique. Les anthropophages sont des démons, mais Dieu la protège ; elle a la certitude de cette protection et le devinement de la pensée en est une preuve.

Errante et vagabonde, elle fut amenée à l’Infirmerie Spéciale.

OBSERVATION Ill. — D… Blanche, 40 ans, Amenée à l’Infirmerie à la suite de scandale dans sa maison : pousse des cris la nuit, appelle au secours, demande pardon ; elle-même demande à voir le médecin de la préfecture de police.   .

Bien orientée, elle est un peu excitée ; parle avec une loquacité incoercible.

Automatisme mental. — Prise, écho, devancement, embrouillage de la pensée. Enonciation des actes : « Il sont toujours là. Je n’ai pas causé et on dit ma pensée. Il voient tout ce que je fais, ils savent tout sans que je le dise. On sait partout où j’ai été. Ce matin ils ont répété : «  tu viens de te débarbouiller ».

Hallucinations auditives. — Propos souvent grossiers : [p. 330] ils ne sont pas très polis ; ils disent : « Oh ! la vache, la putain ! » Ils font aussi des compliments sur ses yeux : « Elle a de beaux yeux ».

Ils parlent entre eux, parlant toujours d’elle en la flattant. Elle entend des bruits de cloche, des cris, des voix plus ou moins nettes,

Hallucinations olfactives et gustatives. — On lui a envoyé de mauvaises odeurs, des odeurs de soufre, elle a toujours dans la bouche un goût de médicament, de soufre.

Hallucinations psychomotrices, — Hétéro-impulsions multiples. On la force à faire ce qu’elle ne voudrait pas faire. Elle est déplacée dans son lit, elle dit par force des phrases qu’elle n’a pas pensées.

Quelques hallucinations psychiques. — dans la tête on lui dit : tu feras ceci, tu feras cela.

Troubles de la cénesthésie. — On la pique sur tout le corps ; on lui fait comme des «  pétillements sur 1e corps, particulièrement aux pieds ». Au cou, elle sent comma un collier.

Pas de manifestations génitales.

Mentisme hypnagogique sous forme d’illusions visuelles, d’un véritable cinématographe : au moment de s’endormir, elle voit défiler devant ses yeux fermés, des scènes animées, rapides, avec des hommes et des femmes vêtus de vêtements très colorés, verts, rouges, jaunes et bizarres ; des oripeaux, des faces de carnaval.

Ce mentisme hypnagogique prend quelquefois une forme auditive : elle entend des musiques, des cris, des chants, du bruit en général. En même temps ils parlent d’elle indirectement entre eux, ou quelquefois directement : Blanchette, tu deviens vieille, tu ne peux plus faire l’amour. Ah ! vous avez fait l’amour cette nuit. Il s’ennuie auprès de sa Blanchette », etc.

Devinement de la pensée. — Elle-même peut deviner la pensée d’une femme, sa persécutrice principale. Elle aussi pressent certains événements, l’arrivée à la maison de son ami, le passage dans la rue d’un jeune homme avec qui elle a eu des relations. Elle a la certitude qu’elle devine juste. Cela lui arrive brusquement ; elle a l’impression de la vérité.

Interprétations délirantes. — Depuis trois jours elle comprend que c’est le magnétisme. Elle a lu certains livres autrefois et n’aurait jamais cru que c’était possible. Elle [p. 331] est au pouvoir d’une bande de 4 personnages. Il y a son ami, une marchande des quatre saisons, le marchand de vins qui est son propriétaire et sa femme. Il y aurait aussi l’amant de la marchande de légumes, et même une vieille, mais ces deux personnages sont sans importance.

Elle a remarqué que toute la maison la regardait drôlement et que les voisins devaient être contre elle : « Je ne voudrai tout de même pas passer pour avoir la folie de la persécution ».

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Les 4 personnages ont un empire sur elle. Elle se sent en leur pouvoir. Elle craint pour sa vie. Peut-être fait-on ces manigances parce qu’elle doit donner une signature au notaire, pour la vente de la maison de sa mère décédée. On la pousse à boire au lieu de la retenir.

Son ami aurait installé quelque chose dans le sommier car le sommier fait toujours un petit bruit métallique ; son ami passe la main en dessous et tripote quelque chose dans les ressorts, elle se sent alors transportée.

On doit certainement entrer dans la chambre. Endormie, elle en a conscience.

Elle n’aurait jamais cru son ami capable d’une pareille action. Il était en apparence très gentil pour elle. Elle ne peut pas comprendre : « Est-il possible ! Je n’en reviens pas ! On dit que les femmes sont trompeuses ! Faire de telles simagrées, être aussi faux et paraître une telle sainte Nitouche ! » Son ami était autrefois un ours, maintenant il l’amène au cinéma : c’est étonnant. De même la propriétaire est en apparence aimable. Ils sont tous très aimables, mise à part la vulgarité de leur langage, pour l’amadouer. »

Quelques idées de jalousie : elle pense que son mari a des relations avec la marchande de légumes.

Hier on voulait lui faire boire une certaine bouteille qu’elle a refusée. On doit lui faire boire certaines choses pour qu’elle ait la bouche aussi mauvaise.

Crises épileptiques. — Crises nocturnes avec convulsions cloniques. Perte de connaissance complète. S’agite et pousse des cris pendant toute la crise. Morsure de la langue : tache de sang sur l’oreiller. Au réveil courbature et céphalée. Elle a eu 5 ou 6 crises en tout, Son ami a assisté aux crises et les lui a racontées. De plus ces crises ont été vérifiées à l’asile lors d’un séjour antérieur et sont indiquées dans le dossier.

Alcoolisme chronique. — Vin rouge et blanc. Tremblement digital et lingual. Visage vultueux. Zoopsies et cauchemars. Pouls : 76. [p. 332]

Réactions anxieuses. Fugue. A porté plainte au commissariat de police contre ses persécuteurs.

Avait été internée antérieurement, du 2 février au 13 mars, pour hypomanie avec sensations anormales interprétées comme influence. Appoint éthylique.

Commentaires. — Cette observation, outre l’importance qu’elle présente au point de vue qui nous occupe : devinement de la pensée faisant partie d’un syndrome d’automatisme mental, comporte un autre intérêt sur lequel nous insisterons plus loin : il s’agit d’un automatisme mental chez une alcoolique épileptique, donc au cours d’une maladie organique. De plus elle offre une remarquable dissociation entre les deux éléments de la psychose chronique ; 1° le noyau nasal d’un automatisme mental qui est ici au complet, y compris le mentisme hypnagogique ; 2° les idées délirantes surajoutées, contingentés et accessoires, dues à des interprétations pauvres, incertaines et variables.

OBSERVATION IV. — D… Eugénie, 21 ans. Débilité mentale et épilepsie. Les crises convulsives ont débuté il y a 7 ans ; elles ont été maintes fois vérifiées, et leur nature épileptique a été mentionnée dans des certificats rédigés au cours d’internements antérieurs.

Automatisme mental hallucinatoire. — Elle entend des injures ; on lui parle dans la tête. On prend sa pensée. Illusions visuelles : voit des personnages qui la menacent.

Devinement de la pensé. — Peut connaître, elle aussi, la pensée d’autrui. Non seulement elle peut connaître la pensée, mais elle a le pouvoir de guérir.

Cette malade est une mythomane suggestible. Elle avoue aimer raconter des histoires. On pourrait penser qu’elle invente de toutes pièces ce don du devinement de la pensée. Mais, tandis qu’elle varie dans toutes ses créations imaginatives, qui ont d’ailleurs souvent un caractère onirique, elle affirme toujours dans les mêmes termes qu’elle peut deviner la pensée. Cela lui vient tout d’un coup, par intuition. D’autre part le devinement de la pensée s’encadre parmi les autres symptômes de l’automatisme mental ; de même qu’on lui prend sa pensée, elle devine celle d’autrui.

Désordre des actes : impulsions suicide post-paroxystiques. Après une crise convulsive elle fit une tentative de submersion, Antérieurement, en 1922 et 1924, la malade avait été internée deux fois dans des conditions analogues.

Il n’existe aucun signe neurologique. Mais son réflexe [p. 333] oculo-cardiaque est inversé (R. O. C. = 76-100). Cette épileptique, en dehors de ses crises réagit comme une sympathicotonique.

Commentaires. — Cette malade comme la précédente est un exemple d’automatisme mental avec devinement de la pensée chez une épileptique.

OBSERVATlON V. — Joao M…, de V…, 50 ans. — Paranoïa. Idées délirantes de persécution à mécanisme prédominant d’interprétation. Il se plaint d’être la victime de la Franc-Maçonnerie. On l’espionne, on le suit, on lui fait des grimaces. On le diffame. On veut le faire passer pour fou. A la base de toutes les persécutions qu’on lui fait subir il y a des questions d’argent. Il y a 4 ans, il a eu des difficultés avec le président de la Commission du Tourisme au Portugal pour une reddition de comptes. Depuis cette époque, il n’a pas eu un moment de tranquillité. On le poursuit partout, au Portugal, en Allemagne, en France. Les politiciens du Portugal, les médecins et les magistrats de tous les pays où il passe sont ligués contre lui.

Automatisme mental. — Hallucinations auditives qui sont seulement épisodiques et qui ont rarement le caractère de voix articulées. Ce sont des sifflets, des injures. Il est probable qu’on prend sa pensée, mais, sur ce sujet il est très réticent. Toutefois, il dit qu’il a fait des études scientifiques qui lui permettent de croire à la possibilité de la transmission de la pensée. Lui-même, dit-il, « a une intuition extraordinaire », il devine la pensée d’autrui. Il sait ce que pensent ses interlocuteurs, ami ou, plus souvent, ennemi, Il en est assuré, il l’affirme avec véhémence.

Quand nous l’examinons à l’infirmerie, J. est dans un état d’excitation intense. Il gesticule, proteste ; d’un ton hautain, il récrimine contre ceux qui l’ont arrêté : orgueilleux, réticent, quérulent et menaçant, il montre son caractère paranoïaque. C’est à la suite d’excentricités et de scandales multiples qu’il fut amené à l’Infirmerie Spéciale. A Lisbonne il eut un duel à coups de poing avec un homme politique qu’il accusait de l’avoir provoqué. A Cologne, il tira des coups de revolver dans la rue sur des enfants dont il entendait les injures et les moqueries. Il fut quelque temps interné en Allemagne dans une maison de santé. A Paris depuis deux mois, il a eu des altercations avec un concierge, un garçon d’hôtel. Il a craché au visage d’une fille de salle. Portant habituellement un revolver il menace de s’en servir. [p. 334]

OBSERVAT’JON VI. — Ph… Catherine, 50 ans, a été arrêtée à son domicile parce qu’elle a voulu s’introduire chez sa propriétaire pour la corriger et lui prendre de l’argent qu’elle l’accuse de détenir indûment, Amenée à l’Infirmerie Spéciale, elle a l’aspect d’une maniaque. Excitée, loquace, expansive, euphorique, souriante, caustique, d’humeur et d’attention variables, elle a une certaine conscience de son état morbide ; depuis 3 semaines elle se sent excitée. Immédiatement elle déclare qu’elle est excitée parce que sa propriétaire l’a fait souffrir du froid et de la faim.

Ses idées de persécution paraissent d’abord avoir une origine interprétative prédominante. Sa propriétaire garde l’argent des secours qu’elle doit recevoir de la mairie. Toutefois elle déclare n’avoir aucune preuve de cette distribution de secours. Elle reconnaît facilement qu’elle n’en a trouvé nulle part une indication, aucune voix non plus ne lui à appris. D’un bout à l’autre de l’interrogatoire il sera impossible de mettre en évidence des hallucinations auditives.

Mais spontanément elle affirme sa certitude dans sa participation aux secours de la mairie, parce que, dit-elle, elle a deviné la pensée du maire.

Elle n’a pas besoin d’en apporter de preuves, puisqu’elle est capable de deviner la pensée d’autrui.

A cette affirmation de sa faculté de deviner la pensée d’autrui, elle sourit avec satisfaction. Elle n’a pas besoin de le voir, ni d’entendre, elle sait tout, par « son imagination ». « Elle est très intelligente » et elle voudrait bien que tout le monde le fût autant qu’elle.

Cette divination de la pensée n’est pas l’équivalent d’une hallucination psychique ; elle n’entend nulle voix intérieure.

Quand elle devine la pensée des gens, « cela lui vient tout d’un coup, par une sorte d’inspiration » ; et à plusieurs reprises elle répète : « Cela me vient tout d’un coup comme cela ». Elle ne cherche pas à l’expliquer. Elle nous parle une foi, d’une « intuition ».

Comme exemple de pensée qu’elle a pu deviner, elle raconte comment elle a pu sauver la vie du commissaire de police que allait être tué par un médecin, Brusquement à 3 heures du matin, elle eut l’intuition qu’un médecin qu’elle n’avait pas vu, allait tuer le commissaire qu’elle ne connaissait pas. Elle ne pensait à rien mais « cela lui est venu tout d’un coup dans la tête, et c’est la vérité ».

Pour prévenir le commissaire, il n’y eut ni écho, ni transmission de la pensée, Elle sait que le médecin vient souvent chez sa propriétaire. Elle ne l’a jamais vu, elle [p. 335] n’a jamais essayé de vérifier si réellement il venait ; c’est inutile ; elle sait qu’il vient en auto ; elle en est absolument certaine.

Le commissaire vient aussi chez sa propriétaire. Elle l’a vu une seule fois vers les 6 heures il la regardait par la fenêtre ; il a les cheveux blonds, il riait et ne parlait pas ; il aime beaucoup la regarder travailler. Souvent il l’entend parler et rire avec la propriétaire.

Or, elle-même à l’habitude de parler haut toute seule ; elle a dévoilé de cette façon les intentions hostiles du médecin Et dit-elle, il est probable que le commissaire l’a entendue, ou peut-être est-ce la propriétaire qui a l’ouïe très fine et qui avait entendu Catherine parler dans sa chambre, est allée avertir le commissaire qui a pris ses précautions.

Depuis, elle a deviné d’ailleurs que le commissaire est amoureux d’elle ; il aime beaucoup la regarder travailler ; elle ne l’a vu qu’une fois, mais elle n’a pas besoin de le faire ; elle sent qu’il la regarde ; elle sent qu’il approche. Il n’y a là aucune sensation spéciale. Sur une partie quelconque du corps, elle sait qu’il approche et qu’il aime à l’a regarder.

Là-dessus elle interprète, invente et brode. Elle affirme que c’est pour la récompenser d’avoir prévenu le commissaire de police du grand danger qu’il courait que le préfet de la Seine lui a fait envoyer un secours.

Ce n’est pas la seule occasion où elle a pu deviner la pensée d’autrui A plusieurs reprises, elle affirme qu’elle a pu deviner la pensée de l’un de nous « J’ai vu l’autre jour que vous saviez que j’avais mal dans le ventre » ; « vous avez vu ma sœur vendredi chez le Dr S. » Quand on nie, elle sourit d’un air entendu, ne se trouble pas, et dit qu’elle est certaine. Rien n’ébranle sa conviction.

Elle déclare qu’elle a toujours été capable de deviner la pensée, mais qu’autrefois elle n’y faisait pas attention, elle croyait que c’était normal. D’ailleurs ce devinement ne lui a jamais été d’aucune utilité dans la vie.

Cette inspiration lui arrive toujours quand elle est seule, surtout le soir ; elle ferme tout chez elle, car elle a peur qu’on l’entende quand elle parle seule tout haut. En s’endormant le soir elle réfléchit, elle ressasse tous les faits de sa vie : au cours de ce mentisme hypnagogique, elle pense tout ce qui lui est arrivé, à ce qui pourrait lui arriver ; elle ne rêve pas la nuit, dans son sommeil et c’est en général au petit jour que l’inspiration vient. [p. 336]

Elle s’annonce par un trouble cénesthésique ; c’est « comme une sensation bizarre dans le ventre ; c’est comme un grand vent, puis cela fait froid et lui donne des sensations qui ne sont pas désagréables ; « cela lui fait drôle ». Puis « c’est comme si quelque chose crevait, cela passe dans le dos et monte au cerveau ». L’inspiration lui vient dans toutes les conditions, même si elle est émue ou tourmentée. « Elle ne peut pas expliquer, car elle ne peut rien dire ; cela lui arrive d’un seul coup ; c’est comme cela et c’est vrai ».

Encadrant ce symptôme essentiel de divination de la pensée, existent des interprétations multiples. Quand une auto passé dans la cour, elle affirme que c’est l’auto du commissaire de police, ou celle du médecin qui vont aussi chez sa propriétaire.

Elle a nié pendant longtemps toute hallucination auditive. Cependant, une fois, elle déclara qu’en passant dans la rue, elle entendait qu’en répétait tout ce qu’elle avait dit tout haut chez elle ; qu’on répétait aussi ce qu’elle avait fait. Un jour, au-dessous de chez elle, on a crié très fort « fumier » par trois fois. Elle ajoute : « Il faut croire que c’était chez ma propriétaire ».

Or, ces hallucinations auditives ont été confirmées ultérieurement. Elle a expliqué à sa compagne de chambre que « tout ce qu’elle entendait venait par un, tuyau qui faisait communiquer avec un quartier voisin ». D’ailleurs, dans ses confidences à sa voisine, elle distinguait elle-même les voix qu’elle entendait et la divination de la pensée dont elle avait la faculté et qui venait par une sorte d’inspiration.

D’après les renseignements que nous avons pu obtenir, Catherine a toujours été une paranoïaque méfiante, depuis longtemps fâchée avec sa sœur. Elle vivait seule depuis la mort de son mari en 1907, puis de son fils tué à la guerre.

Elle eut l’an dernier une période de dépression avec idée de suicide. Actuellement, elle présente des signes de néphrite chronique hypertensive et azotémique ; elle a du clangor aortique sans bruit de galop, une tension artérielle, maxima : 25. Minima : 18. Indice ; 6. Dans l’urine ni albumine, ni sucre, mais urobiline en grande quantité. Urée du sang : 0,76. Pouls : 100. R. O. C., inversé : 120. Réflexe solaire normal.

A noter que le 10 mai, elle a eu des accès d’agitation motrice avec énervement, instabilité, impossibilité de rester en place, mouvements brusques et saccadés, des récriminations, [p. 337] « cela recommence comme à Nogent », sans d’ailleurs vouloir donner d’autres explications à ces questions, qui cachaient sans doute des hallucinations.

Au cours de cet accès d’agitation la tension était très élevée : tension artérielle T. A. 28 1/2 -18. Une saignée de 500 gr. calma l’accès.

Commentaires généraux. — Ainsi les malades dont nous rapportons les observations présentent un symptôme particulier ; ils affirment qu’ils sont capables de deviner la pensée d’autrui. Ce devinement de la pensée est accompagné d’autres symptômes de l’automatisme mental : prise et écho de la pensée, énonciation des actes, hallucinations auditives et psychiques, etc. On peut se demander si ce symptôme qui n’avait pas encore été signalé n’est pas, chez nos malades, un fait d’interprétation morbide, ou le résultat d’une hallucination ou d’une création imaginative du sujet.

Nous ne le croyons pas.

D’abord il n’offre pas la tendance explicative, réfléchie, systématique de l’interprétation. Quelquefois certains persécutés déclarent qu’ils sont capables de deviner la pensée d’autrui, mais ce n’est pas le symptôme du devinement de la pensée tel que nous l’avons décrit. Il s’agit seulement d’une interprétation morbide du sujet qui, d’après les gestes, les jeux de physionomie de son interlocuteur affirme qu’ils sont l’expression de la pensée de celui-ci et qu’ils permettent de la deviner. Sous cette forme même le devinement de la pensée, expression d’une interprétation délirante, n’a pas été signalé. Nous l’avons observé une fois dans l’observation suivante que nous résumons.

OBSERVATION VII. — Joséphine, 36 ans. Idées délirantes de persécution de mécanisme purement interprétatif. Depuis plusieurs années, on la suit, on l’espionne, on l’empêche de trouver des places. On tient de mauvais propos sur elle. Elle voit partout des allusions, notamment dans les journaux. Mauzice Prax, un chroniqueur du Journal, parle d’elle. On l’accuse de tout, même d’aimer les femmes ; on ne le lui dit pas directement. Mais on lui fait comprendre par des [p. 338] gestes qu’elle a des mœurs suspectes. Elle-même est capable de deviner la pensée, par interprétation. Elle devine la pensée par les gestes, les regards. Il n’existe aucun élément du syndrome d’automatisme mental, pas de prise de la pensée, pas de troubles psycho-sensoriels. Il y a 3 ans, après l’absorption d’éther elle eut un épisode onirique ; une sensation d’étouffement, puis de mort, de départ dans l’éternité, de communication avec Dieu. L’intoxication dissipée, rien ne persiste de ce sentiment de communication divine. Cette malade excitée, gesticulante, loquace s’était présentée spontanément au Commissariat de Police pour se plaindre de ses persécuteurs.

Ainsi, dans cette observation, le devinement de la pensée se présente sous une forme tout à fait différente de ce qu’il est dans les 6 observations précédentes. Il est chez Joséphine le produit de la réflexion, une explication des gestes, des regards surpris par le persécuté ; il en déduit les pensées que peuvent avoir ceux qui l’approchent et qu’il observe. Nous verrons que le vrai devinement de la pensée qui est dans le syndrome d’automatisme mental l’homologue de la prise de la pensée, se déclanche selon un mécanisme tout à fait différent.

Le devinement de la pensée n’est pas le produit d’une hallucination auditive avec extériorisation spatiale ou d’une hallucination psychique avec hyper-endophasie. L’hallucination auditive et l’hallucination psychique qui sont des éléments de l’automatisme mental accompagnent le devinement de la pensée, mais ce n’est pas par une hallucination que le malade connaît la pensée d’autrui. Le devinement de la pensée et l’hallucination sont des processus équivalents ; de même origine ; celui-là n’est pas contenu dans. celle-ci.

Il ne nous semble pas que le devinement de la pensée soit un jeu imaginatif, une fabulation du malade. D’après Delmas (6) chez certains maniaques le sentiment de leur force, leur euphorie, leur besoin d’expansion, leurs tendances imaginatives exaltées, les inclinent vers des inventions de ce genre ; leur affirmation de deviner la pensée d’autrui ne serait qu’une [p. 339] fabulation, une création subjective destinée à exprimer la satisfaction que leur dorme le sentiment de leur puissance et de leur supériorité intellectuelle.

Or, chez les maniaques, à notre connaissance, l’idée du devinement de la pensée, n’a pas été signalée. Nous l’avons pourtant rencontrée une fois chez une malade examinée à l’Infirmerie Spéciale et dont l’état psychique était complexe. Il s’agissait d’une malade qui se présentait comme une maniaque, excitée, expansive, instable, tour à tour joviale et irritée, et dont le délire à thème érotomaniaque comportait le devinement de la pensée. Elle affirmait que par intervalles elle était capable de deviner la pensée d’autrui, mais à la condition qu’elle fût aidée par la pensée de son amant. Or elle présentait en même temps des hallucinations psychiques un sentiment d’influence et de prise de la pensée de la part de cet amant. Nous, m’avons pu suivre suffisamment cette malade pour rapporter son observation de façon assez complète pour qu’elle soit démonstrative. Mais il nous a paru qu’il ne s’agissait pas d’une manie pure, mais d’une manie qui comportait un délire d’influence symptomatique, c’est-à-dire une forme particulière d’automatisme mental au cours de la manie comme dans les cas que nous avons signalés antérieurement avec Logre (7). Ainsi le devinement de la pensée ne serait dans cette observation qu’un élément de l’automatisme mental Il n’avait pourtant ni la spontanéité, ni la brusquerie qui sont les caractères même de sa production dans les cas que nous avons rapportés.

En règle générale le devinement de la pensée n’est pas une fabulation. Il na point la richesse, l’agrément, la variété, la multiplicité des produits habituels de l’imagination morbide. Ce n’est pas non plus un fait de médiumnité. Le malade n’est pas l’intermédiaire d’une volonté étrangère ou supérieure qui lui transmet sa pensée. Il est [p. 340] quelquefois inspiré par Dieu qui lui donne le pouvoir de deviner la pensée, mais le malade ne reçoit pas comme un médium la connaissance de la pensée d’autrui par un intermédiaire divin. C’est quelquefois « par la grâce de Dieu » que le malade peut acquérir le pouvoir de deviner la pensée, mais c’est directement qu’il a la connaissance de celle-ci.

Enfin le devinement de la pensée n’a rien de commun avec le transitivisme de Wernicke, dans lequel le malade a le sentiment que le monde extérieur est chargé et que l’entourage est aliéné.

Ainsi dans tous les cas que nous rapportons il ne s’agit ni d’une interprétation, ni d’une hallucination, ni d’une fabulation.

Le mécanisme du devinement de la pensée est d’un autre ordre. La certitude délirante du sujet se produit d’une façon brusque, automatique, irréductible et incoercible. Une de nos malades nous disait que « cela lui venait tout d’un coup, comme une inspiration ». La connaissance directe qu’il a de la pensée d’autrui n’est acquise ni par un raisonnement, ni par inspiration, ni par hallucination, mais par intuition. Trois sur six de nos malades l’ont exprimé spontanément. « Intuition des âmes par la grâce de Dieu » disait l’une d’elles. De Clérambault a décrit l’intuition comme un des éléments de l’automatisme mental.

Ainsi au point de vue séméiologique le symptôme du devinement de la pensée doit compter parmi les faits idéo-verbaux de l’automatisme mental : prise, répétition, devancement, substitution, embrouillage de la pensée, énonciation des actes, symptômes qui en totalité ou partiellement sont, d’ailleurs, concomitants. Il y a transposition apparente des phénomènes. Le malade de même qu’on lui prend sa pensée, peut capter par une intuition brusque la pensée d’autrui. Il y a identité du mécanisme. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de la même pensée extériorisée et non reconnue du sujet.

Le contenu de cette pensée devinée est en général en rapport avec les préoccupations habituelles du [p. 341] malade. Celui-ci devine chez ses persécuteurs des idées hostiles. Mais le contenu peut être indifférent. Le malade affirme quelquefois qu’il connaît la pensée du médecin qui l’interroge. Catherine (Obs. VI) devine que le commissaire, qu’elle ne connaît pas et n’a jamais vu, veut lui rendre visite, est amoureux d’elle et que le maire lui envoie de l’argent. Par contre ce que pense d’elle sa propriétaire lui est hostile. Ainsi le contenu de la pensée devinée peut être agréable ou désagréable. Cette tonalité indifférente du symptôme est intéressante, car elle est habituelle à l’automatisme mental. Celui-ci, comme l’a démontré de Clérambault, a une teinte neutre. Il ne contient pas en lui-même l’idée de persécution. Celle-ci n’est formulée que si le malade est un paranoïaque. Nous rapporterons plus loin des observations caractéristiques dans lesquelles, malgré un automatisme mental très complet, il n’y a aucune idée de persécution, c’est ce qui se produit à l’état pur dans les hallucinoses, telles que Dupré (8) les a décrites, ou syndrome d’automatisme mental sans délire, tels que nous en avons rapporté antérieurement une observation (9). Dans l’observation IV le devinement de la pensée existe apparemment isolé et s’il y a des idées de persécution dues aux dispositions paranoïaques du sujet, il est impossible d’établir des relations de cause à effet entre celles-ci et celui-là. Le contenu de la pensée devinée n’est pas obligatoirement désagréable. Il ne révèle pas toujours des intentions hostiles. Celles-ci n’existent que si le malade présente des dispositions paranoïaques qui conditionnent le délire secondaire de persécution.

La réaction affective du malade qui constate sa faculté de deviner la pensée d’autrui est habituellement euphorique. Il est satisfait et fier de sa faculté exceptionnelle. Il y voit la preuve de son intelligence subtile. Cette euphorie quelquefois accompagnée d’une [p. 342] expansion joviale peut faire croire à un état maniaque alors qu’elle n’est qu’une réaction normale du sujet devant les constatations de son étrange pouvoir. De plus, quand il est persécuté, il possède ainsi un moyen d’être renseigné sur les intentions de ses persécuteurs et peut leur opposer des moyens de défense (Obs. I).

Dans le diagnostic des psychoses, le symptôme du devinement de la pensée nous parait présenter un certain intérêt. Dans notre observation (IV) la malade était très réticente, elle niait toute hallucination. D’après son comportement on pouvait croire qu’il s’agissait d’un état maniaque avec fabulation. Or le symptôme de devinement de la pensée, qui dominait le tableau clinique nous a permis d’affirmer l’existence de l’automatisme mental confirmé par la révélation ultérieure et certaine des hallucinations auditives.

Nous sommes persuadés que ce symptôme, jusqu’alors jamais signalé, et actuellement rarement recherché, existe plus souvent qu’on ne peut le croire et peut rendre des services dans le diagnostic des psychoses en mettant sur la piste d’un automatisme mental. Tout récemment chez une malade que nous avons examinée avec M. Séglas et dont nous ne pouvons rapporter ici l’observation, le comportement, les réponses, le contenu du délire donnaient l’impression d’une psychose interprétative chronique. Cette malade méfiante et réticente, internée une fois en Allemagne, ne voulait pas parler de ses hallucinations. Mais orgueilleusement elle énonça avec précision le symptôme du devinement de la pensée. Cet aveu permit d’entamer le bloc de ses réticences. Au cours de l’interrogatoire, le devinement de la pensée fut complété par l’aveu de de la prise de la pensée, d’hallucinations auditives et psychiques, c’est-à-dire par tous les autres éléments de l’automatisme mental, qui permirent d’affirmer l’existence d’une psychose hallucinatoire chronique, Il s’agissait d’un délire chronique datant de 15 ans au moins, arrivé à la période de néologismes, et les conséquences médico-légales qui avaient en vue l’interdiction [p. 343] de la malade étaient différentes de celles qui avaient pu être envisagées s’il s’était agit d’une psychose interprétative. Or ce fut le devinement de 1a pensée qui nous permit de déceler tout l’ensemble de l’automatisme mental.

Au point de vue médico-légal, le devinement de la pensée dans l’observation (I) a déclanché le désordre des actes de la malade et l’accident d’automobile qui fut la cause de son envoi à l’Infirmerie Spéciale. Le symptôme que nous décrivons présente donc une certaine importance puisqu’il est capable de diriger les actes et la conduite des malades.

Enfin nous attirons l’attention sur le fait que trois de nos sujets étaient atteints d’affections organiques, Catherine (Obs. VI) était une urémique hypertendue et azotémique. Blanche et Eugénie (Obs. III et IV) étaient des épileptiques. Nous aurons l’occasion dans les chapitres ultérieurs de rappeler ces faits qui viennent à l’appui de l’origine organique de l’automatisme mental auquel se rattache le symptôme du devinement de la pensée.

(A suivre),

NOTES

(1) Voir FREUD. — Introduction à la Psychanalyse. Payot, l922. RÉGIS et HESNARD. — La psychanalyse, Alean, 2e éd., 1923.

(2) M.de —  Psychose et anatomie pathologique. Soc, psych., juin 1922.

(3) A. DELMAS. — Psychopathies organiques et psychoses constitutionnelles. Soc. psychol., octobre 1922,

(4) DELMAS et BOLL. — La personnalité humaine.

(5) DUMAS, CHARPENTER, CLIPPER, HARTBNBERG. JANET. MEIGE, A. THOMAS, etc. — Voir discussion à la psych., octobre 1922.

(6) De Clérambault. — Les psychoses hallucinatoires chroniques. Soc. clin. Méd. Ment., décembre 1923, janvier 1921.

(7) HEURTER et LAMACHE. — Les délires d’Influence symptomatique. Méd. franç. mai 1925.

(8) — Discussion à la Soc. Psych,. oct. 1924.

(9) LOGRE et HEUYER. — Idées d’influence dans la Manie (Congrès de Strasbourg).

(10) DUPRÉ et GELMA. — Psyché. 1910 et Encéphale. 1910. t, II, p. 492.

(11) HEUYER et LAMACHE. -— Automatisme mental datant de 20 ans. clin. Méd. ment., janvier 1926.

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1 commentaire pour “Georges Heuyer. Le deviennent de la pensée et contribution à l’étude organique de l’automatisme mental. PARTIE 1. Article paru dans Article paru dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome deuxième, quatre-vingt-quatrième année, 1926, pp. 321-343.”

  1. Li ChevalierLe dimanche 26 mars 2017 à 11 h 31 min

    Eclairant!