Georges Dumas. Qu’est-ce que la psychologie pathologique ? Article paru dans la revue « Journal de psychologie normale et pathologiques », (Paris), 1915, p. 73-87.

DUMASPSYCHOPATHOLOGIE0001Georges Dumas. Qu’est-ce que la psychologie pathologique ? Article paru dans la revue « Journal de psychologie normale et pathologiques », (Paris), 1915, p. 73-87.

Georges Dumas (1866-1946). Médecin, psychologue, philosophe, fidèle disciple de Théodule Ribot, spécialiste des émotions. Il est chargé de cours à la Sorbonne et en 1912 professeur titulaire de psychologie expérimentale et pathologique. Il fonda des instituts à Buenos Aires, Santiago du Chili et à Rio de Janeiro l’Institut franco-brésilien. Avec Pierre Janet, à qui il succèdera à la Sorbonne, il fonde la Journal de psychologie normale et pathologique en 1903. Il est surtout connu pour son Traité de Psychologie (1924) en 2 volumes et son Nouveau Traité de psychologie en 10 volumes (1930-1947), tous deux réunirent de prestigieux collaborateurs. Nous renvoyons pour sa biographie et sa bibliographie aux nombreux articles sur la question. Nous n’en retiendrons que quelques uns :
— Les états intellectuels dans la mélancolie. Paris, Félix Alcan, 1895. (Thèse de médecine). 1 vol.
— La tristesse et la joie. Paris, Félix Alcan, 1900. 1 vol.
— Odeurs de sainteté. Article paru dans le «Journal de Psychologie», quatr!ème année, 1907, pp.456-459 La Revue de Paris, 1907, pp. 531-552.
— Les loups-garous. Article paru dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris), 1907. pp. 225-239, puis, quelques mois après, dans « La Revue du Mois », (Paris), 2e année, n° 16, tome III, quatrième livraison, 10 avril 1907, pp. 402-432. [En ligne sur notre site]
— Comment on dirige les rêves. Article paru dans «La Revue de Paris», (Paris), XVI année, tome 6, novembre-décembre 1909, pp. 344-366. [En ligne sur notre site]
— Comment les prêtres païens dirigeaient-ils les rêves ? « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), cinquième année, 1908, pp. 447-450..[En ligne sur notre site]
— Contagion mentale. Revue philosoohique. 1911.
— La contagion de la mélancolie et des manies. Revue philosoohique. 1914.
— La contagion de la folie. Revue philosoohique. 1915.
— Troubles Mentaux et Troubles Nerveux de Guerre. Paris, Félix Alcan, 1919. 1 vol.
— Le surnaturel et les dieux d’après les maladies mentales. (Essai de théogénie pathologique). Paris, Presses Universitaires de France, 1946. 1 vol.
— La vie affective. Physiologie. – Psychologie. – Socialisation. Paris, Presses Universitaires de France, 1948. 1 vol.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé plusieurs fautes de typographie.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 73]

QU’EST-CE QUE LA

PSYCHOLOGIE PATHOLOGIQUE

« La méthode pathologique, dit Ribot (252), tient à la fois de l’observation pure et de l’expérimentation. La maladie en effet est une expérimentation de l’ordre le plus subtil, instituée par la nature elle-même, dans des circonstances bien déterminées et avec des procédés dont l’art humain ne dispose pas ; elle atteint l’inaccessible. D’ailleurs, si la maladie ne se chargeait pas de désorganiser pour nous le mécanisme de l’esprit et de nous faire mieux comprendre ainsi son fonctionnement normal, qui donc oserait risquer des expériences que la morale la plus vulgaire réprouve. » La psychologie pathologique nous apparaît ainsi comme jouant vis-à-vis de la psychologie expérimentale le même rôle que la physiologie pathologique vis-à-vis de la physiologie expérimentale, à cette différence près que, le domaine de la psychologie expérimentale étant beaucoup plus limité que celui de la physiologie expérimentale, elle a d’autant plus besoin de l’étude complémentaire des cas pathologiques.

Le principe de cette méthode, celui qui permet et légitime ses généralisations, c’est le principe de l’identité foncière du normal et du pathologique.

On prouve en général cette identité de deux façons : 1° en montrant qu’il n’y a pas de cas absolument normal, d’esprit absolument sain. Claude Bernard a écrit : « Ce qu’on appelle état normal est une pure conception de l’esprit, une forme typique idéale, entièrement dégagée des mille divergences entre lesquelles flotte incessamment l’organisme, au milieu de ses fonctions alternantes et intermittentes ». Et Ribot qui cite ses paroles (A. 63) ajoute : « S’il en est ainsi pour la santé du corps, combien plus encore pour la santé de l’esprit. [p. 74] L’organisme psychique, plus complexe et plus instable que l’organisme physique, laisse difficilement fixer une norme ».

2° On montre, d’autre part, que les troubles pathologiques, même dans les cas extrêmes, ne sont jamais que des variations en hyper, en hypo, ou en para, c’est-à-dire des exagérations, des diminutions ou des perversions des fonctions normales et se relient par des transitions insensibles aux variations légères de l’état normal.

L’application de la méthode pathologique à la psychologie n’a pas besoin d’être légitimée ; elle a fait ses preuves et nous nous bornerons à marquer ici ses principales directions.

Pour ne pas nous égarer dans la caractéristique de ces directions, comparons-les avec les directions de la physiologie pathologique ; nous avons ici une science déjà formée, qui dans toutes les maladies organiques, trouve des points d’application pour sa méthode.

Or cette science est l’étude des fonctions altérées ; elle décrit ces altérations, en indique le mécanisme et la cause ; et ces altérations ne sont pas autre chose que les réactions fonctionnelles de l’organisme sous l’influence de la cause toxique, infectieuse, traumatique, qui détermine la maladie; mais ces réactions peuvent être envisagées sous deux aspects assez différents suivant que nous essayons d’analyser et de coordonner des symptômes particuliers à une maladie déterminée ou que nous étudions un trouble fonctionnel déterminé à travers des maladies différentes, pour le connaître dans sa généralité, sa variabilité et sa complexité.

Par exemple, si je fais la physiologie pathologique du diabète, je décrirai d’abord et j’expliquerai ensuite par la modification du milieu sanguin les divers symptômes salivaires, cutanés, nerveux, etc. ; et pour n’en prendre qu’un dans le nombre, la polydypsie, je montrerai que la tension osmotique du sang chargé de glucose suffit à provoquer les manifestations vasculaires, sécrétoires, respiratoires, nerveuses et psychiques de la soif.

D’autre part je puis me proposer de faire la pathologie de la soif et, dans ce cas, j’étudierai à travers des maladies différentes les manifestations morbides de la soif. Je verrai que la soif morbide des cholériques tient aux excrétions aqueuses abondantes qui déterminent indirectement l’élévation de la tension osmotique du sang ; si j’étudie [p. 75] les soifs morbides des brightiques et des éclamptiques, je verrai que les éléments de désassimilation rejetés dans le sang ne sont pas éliminés par les reins et qu’ils augmentent la tension osmotique du sang ; si je considère la fièvre, je verrai que l’hyperthermie qui donne soif est encore une des causes de l’exagération de la tension osmotique, et j’arriverai ainsi à formuler les lois générales de la soif morbide qui me permettront d’éclairer le mécanisme de la soif normale, mécanisme analogue où les variations de la tension osmotique sont plus difficiles à saisir parce que moins marquées.

Mais quand on fait la physiologie pathologique d’une maladie déterminée, on peut établir une distinction de fait entre les réactions morbides, suivant qu’elles sont des processus pathogéniques secondaires aboutissant à la formation de lésions nouvelles ou suivant qu’elles contrebalancent les effets de la cause morbifique en favorisant la réadaptation de l’individu aux conditions nouvelles d’existence qui lui sont faites. La physiologie pathologique a bien connu cette distinction puisqu’elle distingue des lésions proprement dites les lésions compensatrices qui en neutralisent les effets.

Ainsi les lésions valvulaires du cœur élèvent la pression dans les veines et l’abaissent dans les artères, ce qui revient à dire qu’elles finissent par déterminer des congestions passives, des œdèmes, des hydropisies, des thromboses, des hémorragies, avec tout le cortège des troubles fonctionnels de ces lésions ; et ce sont là de simples conséquences de la lésion primitive.

D’autre part les lésions valvulaires du cœur peuvent être neutralisées, pour un temps, quelquefois pour un temps très long, pourvu qu’elles soient compensées. « La compensation, comme le dit Dieulafoy (I, 694) est une sorte de suppléance, due à la dilatation des cavités du cœur et à l’hypertrophie de ses parois. Prenons l’insuffisance aortique comme exemple : le ventricule gauche est soumis à un excès de pression par le surplus de l’ondée sanguine rétrograde et sa fibre musculaire, dont le travail est exagéré, subit une notable hypertrophie. Grâce à ce mécanisme de compensation qui existe à des degrés divers suivant les orifices malades, les lésions vasculaires peuvent rester inoffensives et silencieuses pendant une période dont la durée varie avec le genre et le siège de la lésion. »

Nous arrivons ainsi à distinguer dans la physiologie pathologique [p. 76] deux formes différentes avec une subdivision pour la première, ce qui nous donne le classement suivant :

1° Systématisation des symptômes dans une maladie donnée, que ces symptômes traduisent la maladie (a) ou qu’ils la contrebalancent (b) ;

2° Étude d’un même processus à travers plusieurs maladies différentes (c).

Et nous allons retrouver ces trois formes dans la psychologie pathologique.

  1. a) On peut faire la psychologie pathologique de l’aveugle, du sourd, du tabétique, en montrant quelles sont les conséquences défectueuses de la cécité, de la surdité, de l’anesthésie superficielle et profonde, etc. Toutes les fois qu’on fait de la simple symptomatologie, on fait déjà de la psychologie pathologique descriptive et, quand on coordonne, quand on subordonne, quand on systématise les symptômes, quand on montre le lien psychologique qui les unit, on fait de la psychologie pathologique explicative. En ce sens la psychologie pathologique pourrait être définie une symptomatologie soit descriptive soit explicative et systématique. Lisons par exemple dans les leçons cliniques de Séglas les chapitres consacrés à la mélancolie ; quand Séglas constate et décrit les symptômes de la mélancolie qu’il tient pour fondamentaux : 1° la production d’un état cœnesthésique pénible, 2° l’arrêt des fonctions intellectuelles, 3° le trouble morbide de la sensibilité morale qui se traduit par de la dépression douloureuse, il fait de la psychologie pathologique qui ne se distingue pas de la symptomatologie ; mais lorsqu’il explique la douleur morale des mélancoliques par la cœnesthésie pénible et par les troubles de l’exercice intellectuel, il fait de la psychologie pathologique explicative et il en fait encore lorsqu’il présente le délire mélancolique comme une tentative d’interprétation de l’état d’anéantissement et de douleur morale où le malade se trouve plongé.

Tout de même, quand il décrit des persécutés hallucinés sensoriels et des persécutés hallucinés moteurs, il fait de la psychologie pathologique descriptive ou de la symptomatologie ; et il fait de la psychologie pathologique explicative lorsqu’il explique les altérations [p. 77] légères de la personnalité chez les premiers par le rôle peu considérable joué par les sens externes dans la constitution du moi et le dédoublement des seconds par le rôle capital du sens musculaire dans la constitution du moi.

  1. b) On peut encore faire la psychologie pathologique de l’aveugle, du sourd, du névropathe, de l’aliéné en étudiant les réactions par lesquelles s’organise chez lui la suppléance, la compensation et l’adaptation de la personnalité à l’infirmité et à la maladie.

Chez le tabétique, par exemple, quand la lésion des cordons postérieurs provoque de l’hypo-esthésie tactile, articulaire, tendineuse, l’orientation subjective ne se fait plus chez le malade. Dans la station debout il ne sent plus avec la même netteté le sol sous ses pieds et les tractions opérées sur les tendons et les muscles du cou-de-pied et de la jambe ; il règle alors son équilibre par la vue en maintenant son corps parallèle à tous les objets verticaux qui l’environnent, et l’adaptation est si progressive que l’intéressé ne la soupçonne pas ; il en a quelquefois la révélation subite en fermant un moment les yeux ou en s’embarrassant dans la chemise qu’il enlève, lorsque la suppression un peu prolongée des sensations visuelles vient le faire vaciller tout à coup.

L’adaptation de l’aveugle se fait suivant la même loi et l’infirme utilise alors, pour se diriger, et se conduire des renseignements qui lui viennent du tact, de l’ouïe, de l’odorat et que les normaux laissent dans le subconscient parce qu’ils n’en ont pas besoin. Qui n’a entendu parler du fameux sens des obstacles que tant d’aveugles s’attribuent si volontiers et dont ils localisent en général sur le front et sur les tempes les organes de réception ?

  1. Lamarque (1), qui a étudié ce sens des obstacles en 1912, était arrivé à cette conclusion que les aveugles sentent les obstacles parce qu’ils perçoivent à leur approche sur le front, les tempes, ou la région intermédiaire, les légères variations qui résultent, dans la pression de l’air, de la présence de ces obstacles, ou bien encore parce que l’oreille apprécie les altérations produites par ces obstacles dans la résonnance des bruits environnants. [p. 78]

Pierre Villey pense que ce sens se ramène non pas à l’interprétation de données tactiles mais à l’interprétation de données olfactives et surtout de données auditives ; il ajoute que si l’aveugle localise sur le front et les tempes son prétendu sens, c’est probablement parce qu’il sait bien que cette région aurait à souffrir particulièrement de l’obstacle s’il n’était pas évité.

Mais malgré ce désaccord sur les données sensibles que l’aveugle utilise, le phénomène d’adaptation reste le même dans son mécanisme ; le tact et l’ouïe d’après Lamarque, l’odorat et l’ouïe d’après Villey sont l’objet chez l’aveugle d’analyses et de perceptions nouvelles grâce à des éléments de repère que le clairvoyant laisse inutilisés et dont il ne prend même pas conscience tant il est bien servi par le sens de la vue.

Mais c’est surtout dans l’affectivité de l’aveugle, dans le sentiment de la nature et de l’art qu’on le voit adapter sa sensibilité à des 1 données représentatives que le clairvoyant ignore ; il jouit des odeurs, des saveurs, des contacts, il les interprète et, hors du monde visuel, il se construit un monde d’impressions très riches et très variées dont notre pensée, toute pénétrée de lumière, a peine à se faire une idée. Voici un fragment de lettre d’aveugle que j’emprunte au livre de Villey (257) et où on verra un exemple de ce genre d’adaptation : « Enfin nous avons dépassé les dernières habitations ; un air plus libre et plus léger circule ; aucun obstacle n’arrête le frais courant qui descend de la montagne et qui nous arrive comme un ressouvenir de la pureté des brises de là-haut. Le chemin se poursuit, à travers les prés, ombragés, par intervalles, d’arbres fruitiers dont on distingue aisément les variétés aux parfums particuliers qui s’échappent de leurs branches : l’odeur des fruits mûrs remplace à peu près celle des fleurs ; les gazons courts où déjà les pieds froissent des feuilles mortes n’exhalent plus qu’une senteur tiède, indécise ; c’est bien l’automne où tout se tempère et tout s’adoucit. »

L’adaptation des psychasthéniques et notamment des tiqueurs se fait par des procédés de défense, des paratics, que Meige et Feindel ont analysés et qui consistent dans des gestes et des stratagèmes destinés à débarrasser le malade de son tic ou à en atténuer les inconvénients. Ces procédés antagonistes qui réussissent surtout dans les premiers temps sont le résultat d’une série de raisonnements, que les tiqueurs [p. 79] poursuivent avec leur logique spéciale et ils sont d’abord tout à fait volontaires, mais ils finissent bientôt par s’exécuter involontairement, automatiquement. « Des gestes de la main pour masquer les grimaces, écrivent Meige et Feindel, des déplacements du chapeau ou de la canne pour atténuer les secousses de la tête, le dossier d’une chaise pour reposer son nez, des cols énormes pour immobiliser son cou, M. G. n’est jamais à cours de paratics. N’a-t-il pas inventé de tenir entre ses dents une plaque d’ivoire attachée par une ficelle à son pantalon ?

« Tous les tiqueurs assurément n’ont pas ce luxe de subterfuges, tous n’ont pas l’esprit inventif et ne songent pas à livrer bataille à leurs tics. » Cependant « certaines formes de tic sont accompagnées d’une façon presque constante d’un procédé de correction inventé par le tiqueur ».

Bien que les impulsions des psychasthéniques n’aient pas leur origine dans les raisonnements du malade mais sortent plus directement de son expérience et des exigences de son affectivité, elles présentent un caractère tonique et compensateur par rapport à la dépression du malade, qu’il s’agisse d’une impulsion à boire, à s’intoxiquer ou d’une impulsion sadique, fétichiste, homicide, et l’on pourrait expliquer de même ce besoin de souffrance tonique que l’on rencontre assez souvent chez les mélancoliques anxieux et dépersonnalisés.

On peut faire des remarques analogues chez bien des aliénés et particulièrement chez certains malades atteints de psychose hallucinatoire chronique, à forme de persécution.

Séglas, qui a fait une analyse de leurs moyens de défense, y classe d’abord les réactions bien connues (changements de domicile, fortification de l’appartement, refus partiel ou total de certains mets, dénonciation aux autorités, etc., etc.), auxquelles l’aliéné se livre pour se soustraire à ses ennemis ou se mettre en garde contre eux. Mais il insiste surtout sur des réactions moins connues de défense que le malade exécute de lui-même ou qu’il subit passivement et qui peuvent être de ce chef classées en actives et passives.

Dans le premier cas, le malade se livre à des exorcismes, à des conjurations verbales, il emploie les formules écrites ou les mimiques spéciales pour se débarrasser de ses ennemis : dans le second cas on [p. 80] voit naître chez lui soit des conceptions délirantes de protection soit des hallucinations auditives antagonistes qui jouent par rapport aux hallucinations auditives et aux conceptions délirantes de persécution un rôle de compensation et d’apaisement.

C’est surtout chez les démonopathes et les persécutés religieux que se manifeste ce dernier genre de défense et de réaction ; les saints prennent naturellement la défense du démonopathe contre le diable. La réaction défensive est, comme le remarque Régis (392), prédéterminée par la nature même du délire : tandis que le malade est tenté, violenté par Satan, il est réconforté, dirigé par Dieu, la Vierge, le Saint-Esprit.

Je pourrais multiplier les exemples mais je crois que ceux-ci suffisent pour donner une idée précise de ce qu’il convient d’entendre par psychologie pathologique de réadaptation et de tous les degrés que ses processus comportent depuis la réaction automatique et inconsciente jusqu’à la réaction consciente et volontaire.

  1. c) L’étude des mêmes troubles fonctionnels à travers des maladies nerveuses ou mentales différentes est la forme de la psychologie pathologique qui a été la plus cultivée en France au cours de ces dernières années.

Dans l’ordre de la pathologie nerveuse, nous pouvons rattacher à cette méthode le beau livre de Grasset sur les maladies de l’orientation et de l’équilibre. Grasset a étudié les lésions de l’orientation et de l’équilibration à travers nombre de maladies nerveuses comme le tabes dorsal, le tabes spasmodique, la maladie de Friedreich, les maladies du cervelet, les maladies spéciales de l’appareil labyrinthique, les hémorragies, les ramollissements, les tumeurs, la sclérose en plaques, l’artério-sclérose du mésocéphale, etc., etc., et, de ces lésions, il a tiré une conception physiopathologique de l’appareil de l’orientation et de l’équilibre, c’est-à-dire une théorie générale du fonctionnement de cet appareil à l’état normal et à l’état pathologique.

C’est également à cette méthode que se rattachent la plupart des travaux de Ribot et de son école ; à travers les maladies nerveuses, les névroses, les maladies mentales, notre maître a étudié les troubles de la mémoire, de la volonté, de l’attention, de la personnalité, et nous avons suivi sa méthode lorsque nous avons étudié nous-même [p. 81] la joie, la tristesse et l’expression des émotions. Pour donner un exemple précis ouvrons les « Maladies de la volonté » ; nous voyons que Ribot a étudié le défaut d’impulsion dans la folie du doute, les intoxications, la mélancolie, l’excès d’impulsion dans l’épilepsie, l’hystérie, les impulsions obsédantes, l’anéantissement de la volonté dans l’extase et le somnambulisme hystériques, et, de toutes ces lésions analysées dans leurs diverses formes, il a tiré, comme Grasset pour l’équilibre, une physiopathologie de la volonté.

De même, quand il a étudié les états morbides de l’attention, il a cherché les hypertrophies de l’attention dans l’hypochondrie, l’obsession, l’extase, les atrophies chez les maniaques, les idiots, les imbéciles, les faibles d’esprit et les déments et il a tiré de cette analyse une physiopathologie de l’attention.

Comme il le remarque lui-même, un même travail peut se faire avec des résultats plus ou moins heureux dans toutes les fonctions mentales.

On peut faire, grâce aux hallucinations que l’on rencontre dans l’alcoolisme, la psychose hallucinatoire, la démence précoce, une physiopathologie de la perception ; on peut faire, grâce aux troubles de l’association que l’on rencontre dans la paranoïa, l’excitation maniaque dépressive, la confusion mentale, une physiopathologie de l’association des idées, en montrant quelles lois régissent cette fonction dans ses formes synthétiques, anarchiques et automatiques. Et sans doute, il est indispensable que le psychologue qui se livre à des études de ce genre ait des connaissances cliniques pour situer chaque trouble analysé dans la maladie dont il relève et en pénétrer exactement, par là même, le mécanisme et les conditions ; mais il devra s’élever ensuite au-dessus de cette connaissance et dépouiller pour ainsi dire les troubles de leur individualité clinique pour les considérer plus abstraitement, en formuler les lois générales ainsi que le fait Ribot, et atteindre, par cette généralisation, les lois mêmes de la fonction normale. Si nous n’insistons pas davantage sur cette forme de la psychologie pathologique c’est qu’elle est pratiquée couramment en France, et nous renvoyons, pour les exemples, à la partie du traité de physiopathologie de Grasset qui concerne les fonctions psychiques de réception, d’élaboration et d’émission.

  1. d) Si l’on calque la psychologie pathologique sur la physiologie [p. 82] pathologique on devra s’en tenir aux trois formes précédentes, mais tandis que les faits de pathologie organique sont objectifs, n’ont pas de dedans et ne peuvent être considérés que dans leurs variations quantitatives, les fonctions altérées que la psychologie pathologique étudie ont un contenu, et ce caractère permet de les étudier non seulement dans leurs conditions objectives mais par le dedans. On peut concevoir, de ce chef, une psychologie pathologique qui, au lieu de considérer les faits cliniquement, d’après leur mécanisme ou leurs conditions originelles, les considère d’après le contenu même des délires et des idées délirantes ; il y a en effet des idées dont le contenu peut nous instruire sur les causes morales d’un délire ou sur la nature et le jeu profond des instincts perturbés, et c’est une forme de la psychologie pathologique tout à fait différente de la précédente. Régis et Hesnard l’ont définie très exactement (E, VIII, 4) en disant qu’au lieu de procéder par l’analyse des formes classiquement étudiées des psycho-névroses, par exemple de leurs caractères cliniques, évolutifs, etc., etc., elle procède surtout par une exploration du contenu des systèmes psychiques, idées et sentiments particuliers du malade.

Cette méthode n’est pas nouvelle et Régis et Hesnard ont pris soin de noter que plusieurs aliénistes et psychologues l’ont déjà appliquée chez nous ; c’est ainsi, font-ils remarquer, que Vallon, Marie, Legrain, Sérieux, Dromard, Séglas, Dupré, Gilbert Ballet et bien d’autres ont insisté sur le symbolisme des délires considérés comme des réalisations de tendances plus ou moins conscientes de la personnalité ; Janet surtout a bien mis en lumière, par son analyse des idées fixes hystériques, l’importance des souvenirs traumatiques subconscients dans l’hystérie et, par son analyse des obsessions et des phobies, il a montré que c’étaient des symboles par lequel le malade se traduisait à lui-même son sentiment subjectif d’insuffisance et d’incomplétude ; c’est bien là au premier chef de l’observation par le dedans, mais Freud et son école ont voulu formuler pour cette méthode des règles spéciales et ils en ont considérablement généralisé l’application. Nous ne pouvons suivre les freudistes dans les résultats systématiques et souvent très contestables auxquels ils sont arrivés et nous devons nous contenter d’indiquer leurs idées directrices. [p. 83]

« La psychologie qui se dégage des œuvres de Freud, écrivent Régis et Hesnard (E, VIII, 4, 361), et à laquelle on pourrait avec raison donner le nom de psychodynamisme, présente ceci d’original qu’elle est une conception de la vie psychique, considérée comme un système sans cesse en évolution de forces antagonistes, composantes et résultantes. Toutes les métaphores par lesquelles Freud exprime sa pensée psychologique sont empruntées au vocabulaire des sciences physiques et mécaniques. »

Les forces qui gouvernent le cours et la direction de nos pensées sont en général inconscientes ou subconscientes ; ce sont des instincts, des tendances, des désirs et des vœux latents qui se traduisent par des systèmes composés d’éléments représentatifs, moteurs, affectifs et que les freudistes appellent des complexes.

C’est le coefficient affectif qui mesure la force du complexe. Parmi ces complexes, un certain nombre viennent se manifester sous une forme directe, sans défiguration à la conscience normale ; ce sont les complexes de l’amour maternel, sexuel, filial, de l’ambition, du mysticisme, etc., et ils déterminent les faits d’inclination et de passion vulgaires. De même, chez les névropathes et les aliénés, on voit se manifester souvent à travers les délires, les obsessions, les impulsions, des complexus de grandeur, de persécution, de suicide, d’hypocondrie.

Mais au-dessous de ces complexes manifestes Freud en a découvert beaucoup dérivant les uns des autres et traduisant sous une forme plus ou moins symbolique et déterminée les excitations de l’instinct sexuel normal ou pathologique suivant les cas.

En face de ces complexes qui traduisent le règne des tendances et des instincts se dresse la personnalité formée elle aussi de complexes mais de complexes adaptés à la réalité, façonnés par les nécessités morales et sociales et représentant par rapport aux complexes précédents une puissance de censure et de répression.

Tant que la censure et la répression s’exercent d’une façon suffisante pour que l’adaptation morale et sociale ait lieu par l’action de la volonté et surtout de l’habitude, la personnalité reste normale ; mais, dès que le refoulement ne se fait plus ou se fait imparfaitement ou se fait à contre-temps et avec excès, les instincts maintenus jusque-là dans le subconscient font irruption dans la [p. 84] conscience claire, et c’est très exactement ce qui se passe dans les états comme le rêve et les psychonévroses.

Dans l’ouvrage très remarquable qu’il a publié sur les rêves, Freud explique très ingénieusement comment les désirs refoulés par la censure à l’état de veille reprennent l’offensive pendant le sommeil des fonctions supérieures de contrôle et de refoulement ; mais ne pouvant se réaliser d’une façon complète et simple sans réveiller la censure et avec elle le dormeur, ils se soumettent à des transformations, à des symbolisations qui les rendent méconnaissables tout en les traduisant.

D’où la nécessité de distinguer, dans l’analyse du rêve, entre le contenu manifeste qui est le tissu de fantaisies incohérentes dont nous ne gardons au réveil qu’un vague souvenir et les pensées latentes du rêve qui se dissimulent sous cette apparence fantasmagorique. C’est en ce sens que Freud a pu dire que tout rêve est la conséquence d’un vœu (Wunscherfüllung) et il estime que ce vœu est la plupart du temps d’origine sexuelle.

On retrouve les mêmes éléments d’explication dans la psychopathologie des névroses et des psychoses telle que Freud et ses élèves la conçoivent et l’exposent depuis une quinzaine d’années : dans les psychonévroses comme dans le rêve, il y a refoulement des tendances et empêchement à leur réalisation réelle ; les tendances reparaissent alors dans la conscience de l’homme éveillé, comme dans la conscience du dormeur, en tant que substituts déformés et méconnaissables des complexes réprimés. De là les interprétations freudistes de la névrose d’angoisse qui résulterait d’une excitation génésique trop refoulée ; de l’hystérie qui transformerait en symboles somatiques les complexes de la libido refoulée ; de la démence précoce dont le contenu sexuel et symbolique constituerait une vie psychique de rêve dissimulée sous des apparences démentielles plutôt qu’une déficience réelle par altération anatomique de l’organe.

Régis et Hesnard, qui ont exposé cette psycho-analyse, en ont fort bien montré les exagérations et discuté le principe ; ils ont fait voir en particulier que, même en admettant le mécanisme du refoulement, il était difficile d’admettre que ce refoulement insuffisant ou excessif fût la cause des psychonévroses que nous tendons de plus [p. 89] en plus à chercher dans des causes anatomo-pathologiques qui sont manifestement antérieures au refoulement.

La psycho-analyse appliquée à l’étude des psycho-névroses serait donc destinée à être descriptive plus qu’explicative et, même sous cette forme, il y a de grandes réserves à faire sur le mécanisme invoqué comme sur la réduction de tous les complexes subconscients à des complexes sexuels ; mais, toutes réserves faites sur la méthode et les résultats, il y a là une direction à laquelle on doit faire crédit, ne fût-ce qu’à cause des ouvrages très intéressants auxquels elle a déjà conduit, tels que le livre de Freud sur « la signification des rêves » et le livre de Bleuler sur la démence précoce.

Nous sommes donc amenés à ajouter une forme nouvelle, psychoanalytique, aux trois formes précédentes, et nous avons ainsi quatre formes ou quatre chapitres de psychologie pathologique qui peuvent, par des chemins différents, nous conduire à la connaissance des lois de l’esprit, bien portant ou malade.

Il resterait à montrer comment chacune de ces quatre formes peut donner matière à des inférences ou à des généralisations dont la psychologie normale fait son profit.

De la description et de la coordination des symptômes dans la mélancolie, du rapport du délire avec la douleur et l’angoisse on peut tirer toute une psychologie de la tristesse normale ; de la distinction des persécutés sensoriels qui ne sont pas dédoublés et des persécutés qui le sont quand ils ont des hallucinations musculaires, on peut tirer des conclusions générales sur l’apport respectif des sens spéciaux et du sens musculaire dans la constitution du moi.

Dans la réadaptation des infirmes sensoriels ou mentaux et en particulier des aveugles on peut puiser des informations précieuses pour l’analyse qualitative et quantitative de ces données auditives et tactiles que nous laissons d’ordinaire inutilisées dans notre subconscient et que l’aveugle utilise ; nous voyons, par ce même exemple, comment des sentiments esthétiques et autres qui nous paraissent si profondément liés à la vue peuvent s’en séparer et s’accommoder facilement d’autres liaisons représentatives, et nous touchons du doigt, dans le phénomène pathologique de la compensation, une des lois les plus générales de notre vie psychologique.

La psychologie pathologique, qui étudie un même trouble [p. 90] fonctionnel à travers plusieurs psychoses différentes, se trouve, par là même, mieux placée encore que les formes précédentes pour nous renseigner sur le normal ; les lésions en hyper, en hypo et en para qu’elle étudie ne sont telles que par rapport à une fonction normale dans le mécanisme de laquelle elles nous font pénétrer, et la forme de la psychologie pathologique qui les étudie nous les présente déjà, de par sa méthode, avec une abstraction et une généralité qui facilite toutes les généralisations du pathologique au normal.

Enfin la psychologie pathologique de Freud, si jamais elle était confirmée, ne manquerait pas d’apporter à la psychologie normale, en même temps qu’une conception systématique et générale, de nombreuses conceptions de détail. Nous avons vu que Freud étend à la vie normale la théorie générale du refoulement qu’il a cru vérifier dans les psychonévroses ; dans ce cas, la vie psychique normale serait comme la vie psychique morbide le résultat d’un conflit entre la censure et les instincts refoulés, avec la différence qu’il y aurait, chez le normal, un refoulement suffisant et pour ainsi dire adapté, à la fois conforme aux exigences de la personnalité consciente, morale et aux exigences de la nature et de l’instinct ; mais il ne s’en est pas tenu à des généralités : « Freud lui-même, écrivent Régis et Hesnard, a précisé quelques-unes des applications de sa doctrine à la psychologie normale, dont une très intéressante à la psychologie de l’esprit comique dans les procédés duquel il retrouve, par la méthode psycho-analytique, un mécanisme analogue à celui qui préside à la production des rêves et aux différentes manifestations des complexes (condensation, ellipse, déplacement affectif, allusion symbolique, etc.). La plaisanterie, le trait d’esprit est une allusion, un exposé indirect, incomplet, parfois entièrement déformé d’une idée cachée et plus ou moins consciente de l’auteur en rapport avec une tendance affective qui cherche à s’y réaliser d’une façon économique et détournée : désir d’injure, vengeance, érotisme surtout. » Il y a également une psychologie religieuse qui se tire de la psychologie de Freud; il y a même une esthétique et une critique littéraire qui la prennent pour point de départ et il y a aussi une morale qui s’en dégage, morale courante et moyenne si l’homme se contente de transactions passagères avec l’instinct sexuel, morale austère si l’homme [p. 91] s’exerce à dériver, à sublimer et à canaliser vers des formes d’action supérieure l’instinct sexuel qu’il refoule ; mais il est bien évident que l’intérêt particulier de ces applications ne doit pas nous dissimuler le caractère hypothétique du freudisme.

G. DUMAS.

Note

(1) G. Lamarque était un élève de l’École Normale, de la promotion de 1911, (section de philosophie) qui donnait à ses maîtres les plus belles espérances. Il a été tué à l’ennemi.

 

 

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