G. Lavallée. Traitement orthopédique ou cure radical ? Extrait de la revue « Le concours médicale, journal de médecine et de chirurgie. », (Paris), 57e année, n°8, 24 février 1935, pp. 583-585.

G. Lavallée. Traitement orthopédique ou cure radical ? Extrait de la revue « Le concours médicale, journal de médecine et de chirurgie. », (Paris), 57e année, n°8, 24 février 1935, pp. 583-585.

 

Nous n’avons trouvé aucune donnée bio-bibliographie sur ce médecin. Pour toute présentation nous reproduisons une phrase de son introduction : « … et la mission prend fin sur un bûcher, au fond d’une prison, ou bien, très naturellement, dans l’oubli universel. Tel est le sort que je souhaiterais volontiers à la plus récente et la plus insupportable prophétesse des temps présents : la psychanalyse ! »

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – L’images a été été rajoutée par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 583, colonne 1]

TRAITEMENT ORTHOPÉDIQUE OU CURE RADICALE ?

Ne vous frottez pas les yeux, ô lecteur ! Vous êtes bien, en dépit de ce titre, à la rubrique professionnelle : il ne sera question ni de mal de Pott ni de coxa-vara !

Au reste, les malades considérés ne sont pas de notre clientèle : il s’agit des peuples ! N’avons-nous pas déjà assez de mal et de déboires avec les individus ?

Des peuples, oui !, que de sourcilleux réformateurs se sont donné, pour tâche de purifier. Il ne manque pas d’exemples que de tels apôtres aient connu les plus fâcheux destins : ceux qu’ils prétendaient prêcher n’ont pas foi dans les promesses de salut ; et la mission prend fin sur un bûcher, au fond d’une prison, ou bien, très naturellement, dans l’oubli universel. Tel est le sort que je souhaiterais volontiers à la plus récente et la plus insupportable prophétesse des temps présents : la psychanalyse !

Depuis, en effet, qu’elle a connu l’immense fortune que l’on sait, l’ambition lui a poussé de régenter les hommes ; et, du domaine de la psychiatrie où elle se cantonnait originellement, elle s’est mis en tête de pénétrer, fût-ce avec effraction, dans les plates-bandes de la criminologie. L’y voici installée ? aussitôt elle envahit les cours de justice et rend des ordonnances. Halte-là !

Si l’on se donne le mal (et nous n’y sommes pas encore !) d’arracher la justice aux influences pernicieuses de la politique, est-ce pour la laisser tomber en quenouille entre les mains d’experts, fussent-ils psychanalystes ? Ce sont de dogmatiques et larmoyants personnages : ils achèveraient d’émasculer les jurys déjà si lamentablement dépourvus de virilité devant la, faconde frelatée des avocats.

Qu’on en juge par la doctrine !

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*    *

Dépouillée d’une phraséologie redondante et qui fleure d’une lieue le cuistre, elle se réduit, en ce qui concerne les criminels antisociaux, à ceci :

Ou bien ce sont des criminels « organiques », des fous avérés : ils relèvent alors, cela va sans dire, du traitement psychiatrique et de l’Asile.

Ou bien ce sont des criminels occasionnels, « par intention inconsciente », coupables de ce qu’on appelle en langage ordinaire délits par imprudence, inattention, défaillance passagère du pouvoir de contrôle ; ou coupables de délits commis sous l’influence d’une contrainte extérieure, en cas de légitime défense. Il ne peut être question de répression pénale ! [p. 583, colonne 2]

Ou enfin il s’agit de déséquilibrés, anxieux, hyperémotifs, passionnels, schizoïdes, pervers, en un mot tous les inadaptés sociaux qui absorbent bien, de l’aveu du Docteur Genil-Perrin à qui j’emprunte ces données, (1) les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de l’activité des magistrats et des experts.

Ces sujets, pour les psychiatres et les médecins légistes, sont des produits de la dégénérescence héréditaire ou acquise. Pour les psychanalystes leur conduite antisociale reconnaît une origine « psychogène », et le point de départ doit se chercher clans les « traumas psychiques infantiles ».

Traumas psychiques ? Qu’est-ce que ces traumas-là ?

Il n’en manque pas ! Dès l’âge le plus tendre notre pauvre existence en fut meurtrie. On peut le dire maintenant : « nous l’avons en dormant, Madame, échappé belle ! » Énumérons dans l’ordre : le trauma de la naissance (respiration, froid), le trauma de la dentition et du sevrage, le trauma de l’institution du contrôle anal (méfiez-vous du contrôle anal ! il n’a l’air de rien, et c’est pourtant lui qui fait d’un enfant au berceau un avare ou un généreux, un obstiné ou un versatile). Il y a encore le trauma de l’installation de la marche et du langage, le trauma œdipien, de la seconde enfance (ce terrible « complexe » par lequel le plus modeste petit garçon souhaite posséder sa maman). J’en passe : c’est à donner le frisson !

Alors vous, les chanceux qui avez miraculeusement échappé à tant d’embûches, aurez-vous le détestable courage de tenir rigueur à un criminel puisque son crime n’est que la lointaine mais directe répercussion d’une éruption laborieuse des œillères ou d’un face-à-face mouvementé avec le complexe d’Œdipe ?

« Non ! vous ne serez pas de brutaux et incompréhensifs justiciers 1 Vous vous pencherez, pleins de tendresse, sur ces victimes du sort. D’autant que (veuillez noter ce point) elles valent en réalité mieux que vous ! Oui ! je n’hésite pas à le proclamer, il faut pour être criminel une qualité d’âme particulièrement affinée ! Cet homme qui est devant vous c’est une conscience ! et une conscience chatouilleuse ! Il avait commis quelques actes qu’avec votre grossière morale vous jugeriez être des peccadilles. Mais lui, il était bourrelé de remords ! Il se déclarait au dedans de lui coupable ; il aspirait au châtiment ! Et s’il a tué sa concierge (pourquoi [p. 584, colonne 1] aussi s’est-elle trouvée là ?) c’est pour être plus sûr d’être châtié. Mon client est un saint devant qui je m’incline bien bas ! ».

(Je supplie le lecteur de croire que je n’ai fait que traduire rigoureusement la pure doctrine. Qu’il veuille bien vérifier dans les ouvrages techniques.)

En conséquence de quoi les psychanalystes renoncent délibérément à la répression pénale. Ils admettent seulement la réparation civile du préjudice causé pour les cas de criminalité non intentionnelle ou occasionnelle ; pour les délits dont les auteurs paraissent devoir rester dangereux ils envisagent la ségrégation de ceux-ci dans le but de les traiter et les mettre hors d’état de nuire. Ils rejettent la notion morale de responsabilité et réclament la sentence indéterminée avec individualisation de la sanction.

Et voilà ! Il faudrait être bien mal chanceux ou le plus dénué des imbéciles pour courir quelque risque à comparaître devant des Tribunaux imbus de telles idées ! Qui ne trouverait un « trauma » à invoquer ? Qui ne se posera en victime ? Madame Lefebvre elle-même, cette redoutable belle-mère du Nord, meurtrière de sa bru, dont les lecteurs n’ont peut-être pas perdu le souvenir, voit son crime parfaitement expliqué et « pathogénisé », si j’ose m’exprimer ainsi, dans une revue de psychanalyse. Je conseille aux amateurs de littérature ésotérique de lire ce morceau de choix ! Les tireuses de tarots et les rédacteurs de la « clef des songes » viendront profitablement s’y ravitailler en symboles. Ils y trouveront la formule classique (?) paraît-il et fondamentale (??) : « Fèces = Or = Pénis = Enfant ! » Les belles-filles apprendront qu’elles narguent gravement l’inconscient de leurs belles-mères en liant une sauce blanche avec un œuf. Enfin les automobilistes (confrères garde-à-vous !) sauront que la promenade en automobile avec une personne équivaut, dans l’inconscient, à la possession sexuelle de cette personne !

Est-il Dieu possible ? Il faudra être bien jeune et très prodigue pour oser encore, monter en autobus !

Si ces fantaisies étaient seulement risibles ce ne serait que demi-mal ! Mais le Docteur Genil Perrin, qui avoue sans ambages ne pas croire à la psychanalyse, révèle qu’elles commencent à inspirer les réformes pénales. En quels pays ? j’aime mieux croire qu’il ne s’agit pas de la France !

Voit-on notre pays adjoindre à ses juges timorés, à ses jurys sentimentaux, à ses avocats mélodramatiques des experts férus de psychanalyse ? autant vaudrait fermer tout de suite les Palais de Justice et faire l’économie d’une institution dont les « épices » nous reviennent assez cher !

Il n’y a déjà plus d’enfants vicieux : ils sont [p. 584, colonne 2] tous malades ! Admettons que les criminels sont des malades plus avancés. Plaignons-les ! soignons-les ! Et inscrivons dans les chroniques du temps que 1935 se fait remarquer par une singulière maladie épidémique dont la formule pourrait s’écrire : Talons de chèques = députés marrons — juges élastiques = bas de laine percés. Ne serait-ce pas pour l’année une formule aussi fondamentale que l’autre ?

Laissons les disciples de Freud à leurs équations, et enfermons-les à double tour dans leurs laboratoires. Au moins leurs doctrines ne seront plus dangereuses que pour eux-mêmes.

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Selon les psychiatres et les médecins légistes normaux (je veux dire classiques) tous les inadaptés sociaux qui peuplent les prétoires sont des spécimens de la dégénérescence héréditaire ou acquise. Dégénérés héréditaires une part de la culpabilité n’est pas à leur compte ; par contre dégénérés acquis (tous les intoxiqués et, au premier rang, les alcooliques) ils sont fautifs deux foi : de leur dégénérescence d’abord, de leur délit ensuite.

Que la Société tienne compte de cette distinction, rien de plus légitime ; en toute justice elle doit atténuer le châtiment des premiers et redoubler celui des seconds.

Et, en outre, se protéger contre les récidives des uns et des autres. A cet effet je persiste, pour ma part, à espérer en la valeur éducatrice de la peine. L’enfant qui approche ses doigts d’un poêle rouge saura à l’avenir qu’on s’y brûle ; l’édification de notre personnalité repose tout entière sur des expériences de cet ordre.

Mais il est un autre genre de récidives contre lesquelles la Société se trouve dangereusement désarmée : ce sont les méfaits de la descendance. De l’aveu des psychiatres ces êtres vont léguer à leurs enfants un « terrain antisocial » sur lequel pourront végéter toutes sortes de penchants et s’élaborer de multiples réactions dommageables à la, collectivité.

Cette doctrine étayée sur l’observation, les travaux de Madame Vera Dantchakof sur « Les bases de la sexualité (2) » lui apportent un fondement scientifique. L’éminente biologiste a pu prouver, suivant l’expression du Professeur Fauré-Frémiet, du Collège de France, qui a écrit la préface du livre, qu’« une lignée cellulaire ininterrompue relie tous les êtres successifs ; de ce « germen » doué en quelque sorte d’un potentiel d’immortalité se détachent aux premiers stades du développement de l’œuf d’autres lignées aboutissant aux cellules constituantes des tissus et des organes… La masse somatique de [p. 585, colonne 1] l’individu apparaît comme un milieu de culture périssable qui assure temporairement l’entretien et la perpétuité de ce « germen ».

Voici donc localisé l’habitacle des mystérieux facteurs de l’hérédité. Ce sont les cellules sexuelles différenciées par une curieuse sélection protoplasmique dès les premières divisions de l’œuf. Ce germen recèle chez les inadaptés les mauvais instincts : c’est un ferment de crimes qui fera lever à son heure la pâte inerte et déclenchera les gestes antisociaux.

Punir un délinquant de cette sorte et puis, au terme de sa peine, le remettre purement et simplement en liberté, c’est, du point de vue de la société, commettre le même impair que d’appliquer un peu de pommade sur un chancre et abandonner ensuite la syphilis à elle-même. Logiquement il faut détruire les germes !

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Alors ? Eh bien oui ! nous voici ramenés, par des travaux de biologie pure, à cette exorbitante prétention de la Société qui, en divers pays, a déjà trouvé son expression légale : la stérilisation des criminels et des dégénérés.

A cela les défenseurs de l’individu opposeront que la lignée germinale dérive après tout de deux [p. 585, colonne 2] éléments conjugués, l’ovule et le spermatozoïde, et que, des deux, l’un peut être bienfaisant et compenser les méfaits de l’autre. Peut-être ; mais si, d’autre part, (et c’est une éventualité fréquente suivant Lidbetter dont je relatais les travaux il y a quelque temps) un milieu social frelaté se plaît à accoupler deux êtres déficients le produit a chance d’ajouter les tares de l’un aux tares de l’autre et de doubler son potentiel de criminalité.

D’autres, en dépit des règles générales, ne manqueront pas d’évoquer l’épileptique César, le pied-bot Byron, l’hérédo-alcoolique Edgar Poe, l’hérédo-tuberculeux Chopin, et de soutenir que ce ne serait pas un mauvais marché d’admettre sur terre quelques centaines voire quelques milliers de dégénérés pour risquer de rencontrer parmi eux l’un de ces quatre-là !

Sans doute ; mais pour la belle et parfaite ordonnance de la termitière aucun d’eux né devrait avoir vécu.

Hélas ! à quoi se résoudre ? La terre ne serait pas moins belle (ni la France moins Française !) n’ayant pas connu César, ses commentaires et sa campagne des Gaules ; mais il nous manquerait quelque chose de bien précieux si nous n’avions entendu ni Byron ni Chopin !

G. LAVALÉE.

Notes

(1) Psychanalyse et et criminologie, Docteur Génil Perrin Librairie Félix Alcan.

(2) Librairie Félix Alcan.

 

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