Freud et le problème des rêves. Contribution à l’étude objective de la pensée. Par Nicolaï Kostyleff. 1911.

Henri Matisse (1869-1954) - Le Rêve.

Henri Matisse (1869-1954) – Le Rêve.

Nicolaï Kostyleff. Freud et le problème des rêves. Contribution à l’étude objective de la pensée. Article parut dans la « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), trente-sixième année, tome LXXII, juillet-décembre 1911, pp. 491-522.

Nous savons peu de chose sur Nicolaï Kostyleff. Les historiens de la psychanalyse, le méconnaissent ou l’ignorent, sauf M. Olivier Douville. Nous savons, grâce à lui, qu’il fut professeur à l’Ecole des Hautes Etudes, et qu’il lança une enquête sur les mécanismes psychiques de l’inspiration poétique, qui fut très suivie des lecteurs

Nous avons retenu quelques unes de ses publications :
— Les derniers Travaux de Freud et le problème de l’hystérie. In « Archives de neurologie », (Paris), janvier-février 1911,
— Etude critique. Freud et le traitement moral des névroses. In « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), 1911.
— Freud et le problème des rêve. Contribution à l’étude objective de la pensée. In « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), volume 72, 1911. [en ligne sur notre site]
— La psycho)analyse appliquée à l’étude objective de l’imagination. In « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), volume 73, janvier-février 1912. [en ligne sur notre site]
— Nouvelles recherches sur le mécanisme cérébral de la pensée. In « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), volume 73, janvier-février 1912.
— Sur la formation de complexus érotique dans le sentiment amoureux. In « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), juillet à décembre 1915.  [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 491]

FREUD ET LE PROBLÈME DES RÊVES
CONTRIBUTION A L’ÉTUDE OBJECTIVE DE LA PENSÉE

On connait les remarquables études de S. Freud sur l’hystérie et le traitement moral des névroses (1). Nous les avons analysées ailleurs comme pouvant fournir des contributions indirectes à l’étude objective de la pensée (2). Mais Freud ne s’en est pas tenu au domaine de la pathologie. Ses recherches l’ont fréquemment amené à s’occuper des problèmes généraux de la vie mentale, surtout et d’une manière particulièrement intéressante, de la question des rêves. Ce sont ces derniers que nous voudrions remettre en vue.

Le sort en a été jusqu’à présent peu heureux. Opérant avec des données éminemment fugitives, peu familières même aux psychologues rompus en introspection, se laissant aller aux conclusions et hypothèses les plus hardies, il devait soulever trop d’objections pour que son effort pût directement porter. Son œuvre capitale sur ce sujet, Interprétation des rêves, parue il y a une dizaine d’années (3), a soulevé plus de bruit que d’appréciations vraiment utiles. Mais aujourd’hui, grâce aux progrès de la psychologie objective, à la lumière des recherches sur le mécanisme des images mentales, elle se présente sous un jour nouveau et particulièrement intéressant.

Disons tout de suite, pour indiquer l’intérêt de ces recherches que l’auteur reconnaît quatre moments principaux dans la formation du rêve ; 1° la condensation des données psychiques (Verdichtung) ; 2° le changement de leur valeur pour l’individu (Verschiebung) ; 3° le changement de leur forme dans le sens d’une [p. 492] représentation plastique (Rücksicht auf Darstellung), et 40 la recomposition secondaire (secunddäre Bearbeitung). Si nous ajoutons maintenant que chacun de ces moments est illustré par des matériaux empruntés à l’observation propre de l’auteur, aux témoignages de ses amis et de ses malades, on comprendra l’intérêt psychologique de ce travail. Intérêt de premier ordre, car les matériaux sont amassés avec une patience et une précision remarquables ! Mais avant d’arriver à la partie synthétique de l’étude, rappelons aussi brièvement que possible, la voie où elle s’engage au début, voie purement expérimentale et marquée d’obstacles que l’auteur ne cherche nullement à déguiser.

Il commence par l’analyse de quelques rêves pris dans sa propre expérience et paraissant de portée plus ou moins générale. Le premier qu’il désigne comme « rêve de la maladie d’Irma », avait pour antécédent un traitement psycho-analytique de cette jeune personne, amie intime de la famille, atteinte de phobies hystériques avec quelques symptômes concomitants. Le traitement n’avait pas pu être mené à bout aussi bien par suite du départ pour la campagne qu’à cause du refus de la malade d’accepter un conseil donné par lui. La veille du rêve, l’auteur avait vu un ami, le docteur Otto qui avail été dans le même pays qu’Irma et, questionné à son sujet, avait répondu : « Elle va mieux, mais pas encore tout à fait bien. » Cette réponse avait agacé Freud qui crut y sentir de l’ironie ou un reproche. Resté seul, il se mit à rédiger l’anamnèse de la maladie d’Irma pour le remettre au Dr M. dont il voulait connaître l’avis. Dans la nuit, après ce travail, il eut le rêve suivant :

« Nous sommes dans une grande salle, dit-il, remplie d’invités, parmi lesquels se trouve aussi Irma. Je la prends de côté, pour lui faire des reproches de ne pas avoir accepté mon conseil. Je lui dis : « Si tu as encore des douleurs, c’est bien de ta propre faute. » Elle me répond : « Si lu savais, comme j’ai mal en ce moment â la gorge, au ventre et dans tout le corps ; je me sens serrée et étouffée. « Le prends peur et la regarde de plus près. Elle à l’air pâle et gonflé. Je me demande avec angoisse si elle n’a pas quelque affection organique. Je la mène vers la fenêtre et demande à voir sa gorge. Elle résiste un peu, comme font les femmes qui ont des fausses dents. Je me dis en moi-même : ce n’est pourtant pas son cas. Là dessus elle ouvre la bouche et je vois [p. 493] une tache blanche avec des cicatrices blanc-gris près de formations particulières ressemblant aux fosses nasales. J’appelle vite le Dr M. qui l’ausculte à son tour et confirme mon impression. Le Dr M. a un aspect différent de ce qu’il est d’habitude ; il a l’air pâle, il boite et il n’a pas de barbe… Mon ami Otto se trouve aussi à côté de nous et un autre ami, Léopold, auscultant la malade sur tout le corps distingue une infection générale… Le Dr M. dit: « Il n’y a pas de doute, elle est infectée, mais cela ne fait rien : là-dessus va venir une dysenterie et le poison s’en ira… » Nous savons tous très bien, quelle est la source de l’infection : Otto lui avait fait une injection de propyl, propylen… triméthyl (la formule chimique de ce dernier est comme imprimée devant moi). Des injections de ce genre ne se font pas facilement… La pointe a pu aussi être sale. »

Ce rêve est, en effet, intéressant et représentatif. Rien qu’à le décomposer en ses éléments constitutifs, on découvre le mécanisme de sa formation. Le cadre de son action était emprunté aux impressions du moment. Freud habitait alors avec sa famille, dans une villa de construction bizarre où il y avait une très grande salle. Quelques jours plus tard devait être la fête de sa femme, où ils attendaient pas mal de visites. Le rêve anticipait sur cette situation. Il la représentait comme un fait accompli. Ici nous reconnaissons déjà un des moments essentiels de sa formation : la transformation des données mentales dans le sens d’une représentation plastique. Mais ce qui est encore plus intéressant, ce sont les personnes qui agissent dans ce cadre. Irma elle-même a l’air pâle et gonflé ; elle se plaint de douleurs dans le ventre et à la gorge ; elle hésite à ouvrir la bouche, comme si elle avait de fausses dents. Aucun de ces traits ne lui est propre. Elle est généralement fraiche, même rose, elle a la bouche en parfait état ; elle se plaint non pas de douleurs, mais de maux de cœur. A y réfléchir un peu, Freud reconnaît facilement que ces traits se rapportent à d’autres personnes. En ce qui concerne la bouche, il se rappelle avoir eu une impression de ce genre en examinant une jeune gouvernante. Le mal de gorge le fait penser à une amie intime d’Irma qu’il avait trouvée un jour dans la même position, près d’une fenêtre, en train de se faire examiner par le même Dr M. Une troisième personne avait bien cet air pâle et gonflé qui lui avait inspiré une curiosité professionnelle et le souhait de ne pas l’avoir parmi ses malades, [p. 494] car elle n’avait pas l’air commode et devait opposer de la résistance. On voit la superposition des images, le mélange des impressions… On dirait que dans le rêve, par suite d’un affaiblissement de la synthèse il se forme comme des personnalités mixtes. Il suffit d’une légère analyse pour qu’une image se confonde avec une autre, une troisième, etc., empruntant à chacune des traits nouveaux. Il en est de même pour d’autres personnages et aussi pour les événements de ce rêve. Le Dr M. est en effet souvent pâle, mais il ne boite pas et porte la barbe. Par contre, Freud se rappelle subitement que la figure du rêve ressemble à son frère ainé qui, en effet, était rasé et dont il venait de recevoir des nouvelles où il était question d’un accès d’arthritisme et de claudication. Nouvelle fusion d’images ! Passons maintenant aux événements du rêve. « Dans la gorge d’Irma il voit une tache blanche et des cicatrices près des fosses nasales. » Triple convergence de souvenirs ! Souvenir de la scène où figuraient l’amie d’Irma et le Dr M., souvenir d’une infection diphtérique qu’avait eue la propre fille de Freud, et souvenir des piqûres de cocaïne qu’il s’administrait lui­ même dans la région des fosses nasales. « Il appelle vite le Dr M. » Allusion à un accident pénible où il s’était maladroitement servi d’un remède et avait dû demander en hâte le concours de ce même praticien. « Le Dr Otto avait fait une injection de propyl, propylen… triméthyl. » Ici, les rapports deviennent encore plus nombreux. Otto avait lui-même raconté que pendant son séjour dans le pays d’Irma, il avait été appelé près d’un malade pour lui faire des injections. D’autre part, un ami intime de Freud avait été victime des injections de cocaïne que celui-ci lui avait donnée pour un usage interne. Le propyl faisait penser à l’amyl et à une liqueur, présent de ce même Otto, qui sentait l’amyl d’une manière bien suspecte. Le triméthyl avait été signalé à Freud comme un élément des échanges sexuels qui d’après lui ont une action directe sur les névroses. L’action du rêve révélait donc un processus de condensation aussi nettement que la personnalité des sujets.

Mais ce n’est pas tout. Si le rêve ne révélait que des fusions de ce genre, il aurait été un produit du hasard. Cependant la connaissance que chacun a de ses propres rêves, comprend déjà le soupçon d’un facteur déterminant. Telle est aussi l’idée de Freud qui cherche plus loin dans le tableau et découvre le fait suivant. [p. 495]

La situation des trois médecins, des Drs M., Otto et Léopold, lui parait fort significative. Elle donne tort à Otto, relève vis-à-vis de lui l’autorité de Léopold, abaisse le Dr M. jusqu’à un jugement tout à fait absurde et, par contre-coup, dégage la responsabilité propre de Freud, en ce qui concerne la valeur de son traitement. Cette situation est manifestement l’expression plastique d’un de ses secrets désirs : de défendre sa méthode en confondant ses contradicteurs. Si Irma est atteinte d’une infection diphtérique, la psychoanalyse n’y est pour rien. Ce n’est donc pas la faute de Freud mais bien celle d’Otto qui a mal fait l’injection. Otto est convaincu de légèreté, ce qui console Freud de la réponse qu’il avait reçue la veille, et le Dr M., qui lui est également suspect de scepticisme à l’égard de la psycho-analyse, montre aussi son incompétence. Le facteur déterminant du processus, conclut Freud, est ici un désir plus ou moins constant chez lui, ravivé encore par la conversation avec Otto. On porte un désir plus ou moins conscient dans la journée et, la nuit, il se manifeste sous forme d’un rêve. Telle est, chez lui, la première approximation de ce phénomène.

Gaetano Previati - Notturno.

Gaetano Previati – Notturno.

Un coup d’œil sur les matériaux amassés lui permet de constater qu’un grand nombre de rêves répondent exactement à cette conception. Tels sont, d’abord, la plupart des rêves chez les enfants. Tels sont, chez les adultes, les rêves qui répondent à un besoin organique (Bequemlichkeitstraüme) ou à un devoir immédiat. On rêve, par exemple, d’une boisson, lorsqu’on est tourmenté par la soif ; on se voit uriner dans le rêve ; ou bien lorsqu’on se propose de se lever de bonne heure, on se voit déjà levé et parti pour la destination indiquée. Freud cite, à ce sujet, des exemples très caractéristiques, mais nous nous abstiendrons de les reproduire ici, car nous avons devant nous des matériaux autrement intéressants et difficiles. D’autres rêves semblent en contradiction directe avec ce schéma : ou bien ils semblent absurdes ou bien leur sens est éloigné de tout ce qu’on peut désirer, comme par exemple dans les rêves pénibles ou dans les rêves d’épouvante.

Nous voici devant le point le plus mystérieux du problème. Freud ne le méconnaît nullement, mais ayant étudié un grand nombre de ces rêves, il juge la difficulté moins grande qu’elle ne paraît de prime abord. Disons tout de suite que dans les rêves les plus absurdes il découvre un sens caché et, dans les uns, comme dans [p. 496] les autres, un désir déguisé. Celle dernière conclusion ne sera pas partagée de tout le monde. Nous ne la partageons pas non plus. Il nous semble que l’impulsion peut partir de tout état affectif et non seulement du désir. Une frayeur ressentie à l’état de veille, une impression quelque peu violente, un mouvement de colère ou de dépit, bref, tout phénomène émotionnel resté sans décharge semble un facteur analogue à celui que présente un désir. Mais, ne fût-il applicable qu’à une certaine catégorie de rêves, le schéma de Freud serait tout de même bien intéressant. Laissons donc de coté, pour le moment, les rêves d’un caractère opposé, et cherchons, dans les matériaux cités à l’appui, la justification de cé dernier.

Voici un autre rêve qui, sans être opposé à l’expression d’un désir, en est éloigné par le caractère indifférent et imprécis du contenu. L’auteur voit son ami R. qui dans le rêve, est son oncle. Il éprouve pour lui une grande tendresse. Puis vient une interruption et une seconde image où les traits de R. s’allongent et on voit ressortir vivement sa longue barbe blonde. Effet habituel, dira-t-on, de l’incohérence des rêves ! Pour Freud, ce n’est pas un effet de l’incohérence, mais bien de la condensation et du changement de valeur qui se produit dans les données psychiques. Pour le comprendre, il faut savoir qu’il avait eu la veille la visite de cet ami qui attendait, ainsi que lui-même, sa nomination au professorat. R. venait lui faire part d’une démarche infructueuse qu’il avait faite au ministère et de la conviction qu’il en avait emporté que le principal obstacle à leur nomination était leur religion. Tous les deux étaient israélites. Mais R. n’était à aucun degré apparenté à Freud et, loin d’avoir une barbe blonde, était noir de cheveux. Que signifiait cette transformation ? A réfléchir un peu, Freud s’aperçoit qu’un de ses oncles avait une barbe blonde et que les traits allongés de R. présentent une ressemblance curieuse avec ceux de cet oncle. Ce mélange a pour lui une signification très précise. L’oncle en question avait été condamné pour une affaire frauduleuse. Cet événement, qui remontait à son enfance, avait produit sur lui une très vive impression. Il avait entendu plaindre l’oncle qui, au dire de son père, n’était pas un escroc, mais une « tête faible ». Le rêve, donnant à l’ami l’apparence de cet oncle, exprimait un jugement: que l’ami est aussi une « tête faible ». Freud va même plus loin. Admettant la possibilité de désirs inconscients ou, plutôt, réprimés par la conscience, il [p. 497] affirme que le rêve exprimait un désir : que la nouvelle ne fût pas vraie, que l’obstacle à la nomination de R. ne fût pas dans sa religion, mais dans ses capacités. Et ce n’est pas encore tout. Ce rapprochement le fait penser à un autre collègue, N., qui causant sur le même sujet, avait dit que pour lui, en plus de la religion, il y avait encore un obstacle: une plainte qui avait été déposée contre lui et qui, quoique ayant été reconnue comme un essai de chantage, avait soulevé au ministère une certaine prévention. « Le rêve, dit Freud, donne une expression plastique à ces deux pensées. Mon oncle Joseph représente mes deux collègues, l’un comme une tête faible, l’autre comme un criminel. Par là il répond à mon secret désir notamment que notre commune religion ne soit pas un obstacle au professorat. »

L’expression plastique est évidemment loin d’être aussi claire. Elle paraît même obscurcie par un élément spécial qu’on ne comprend pas tout d’abord : par la tendresse extraordinaire que Freud éprouve pour R. « Pour mon oncle Joseph, dit-il, je n’ai jamais éprouvé aucune tendresse ; quant à R., je l’aime beaucoup, mais si je m’avisais de lui témoigner un sentiment aussi vif, cela l’aurait naturellement surpris. La tendresse pour R., de même que la barbe blonde de celui-ci, semblent devoir leur relief au « changement de valeur » qui se produit dans les données psychiques. Mais tandis que pour la seconde de ces données le changement est tout à fait accidentel, pour la première, au dire de Freud, il y a une cause organique : la résistance du « moi » à accepter l’image, résistance qui a pour résultat de la « défigurer » (Traumentstellung). « Il me répugne, naturellement, dit Freud, de dénigrer mes amis et, comme réaction contre cette pensée, il se produit une exagération de la tendresse. »

L’interprétation de ce rêve va, peut-être, trop loin. Le passage de l’idée au désir repose sur l’hypothèse d’une activité inconsciente du « moi » qui nous parait bien peu certaine. Mais, que ce soit dans un but ou dans l’autre, pour exprimer un désir ou simplement pour faire revivre une impression, la formation du rêve semble très bien saisie. Il semble tout à fait plausible qu’un rêve d’apparence absurde ait un sens caché si on le considère comme une image, d’une part, « condensée », d’autre part, « déformée ».

Prenons un troisième exemple. Je rêve, dit Freud, que je suis [p. 498] l’auteur d’une monographie sur une certaine plante. Celle-ci est ouverte devant moi à l’endroit d’une table en couleurs. Je vois, attaché à la table, son spécimen de la plante desséché comme dans un herbier. Dans la journée qui avait précédé ce rêve, il avait effectivement vu, à la devanture d’un libraire, une étude sur les cyclamens, mais sauf en ce que les cyclamens étaient les fleurs favorites de sa femme, ceci ne pouvait pas l’avoir très intéressé, car il n’avait jamais été fort en botanique. Par contre, le mot monographie avait pour lui une valeur toute spéciale. D’une part, il avait toujours eu une passion pour les monographies et, au temps de ses éludes à la Faculté de médecine, cette passion l’avait même entrainé à faire des dettes chez un libraire, d’autre part, il avait lui-même écrit une monographie sur la cocaïne, travail qui avait contribué à l’application de celle-ci comme anesthésique. La manie des monographies lui rappelle soudainement une conversation qu’il avait eue la veille avec son ami, le Dr Kœnigstein, qui lui reprochait justement d’avoir certaines manies. Cette conversation l’avait même très vivement remué. Par suite, le rêve ne serait de nouveau qu’une réponse à son secret désir, désir de justification vis-à-vis de Kœnigstein et désir, encore plus obscur, de voir reconnue la valeur de son travail sur la cocaïne. Mais la représentation plastique aurait été de nouveau déformée. La notion de la manie serait tout à fait disparue, tandis que l’image parfaitement indifférente d’un travail de botanique aurait pris un relief tout à fait injustifié.

Ce rêve comprend aussi des phénomènes de condensation, curieux et finement notés, mais nous n’allons pas nous arrêter là-dessus, car les trois premiers moments, la condensation, le changement de valeur el la représentation plastique semblent assez éclairés par les exemples précédents. Il nous reste à relever le quatrième moment qui se présente à l’observateur, celui qui fut désigné comme recomposition secondaire du rêve. Freud remarque avec raison que malgré l’apparente absurdité de certains rêves, ils s’écoulent aussi facilement que s’ils étaient le produit de l’imagination, la plus lucide et, à côté de cela, qu’il y intervient quelquefois une sensation d’étonnement, un jugement sur leur contenu ou la conscience que « ce n’est qu’un rêve ». Ce dernier fait l’induit à conclure que le « moi » ne reste pas tout à fait indifférent au travail du rêve. Le « moi » est à coup sûr affaibli, obnubilé par le sommeil, mais il [p. 499] doit contribuer à en combler les lacunes. Le cours régulier du rêve et la connexion des parties les plus bizarres seraient donc aussi le résultat d’un « travail secondaire » du « moi ».

En ce qui concerne ce quatrième moment, les exemples semblent superflus. Chacun se rappelle à coup sür avoir eu des impressions de ce genre, avoir reconnu qu’il rêvait et, Belon que le rêve fût jugé agréable ou désagréable, l’avoir continué ou interrompu. Quelque mystérieuse qu’elle paraisse, cette intervention du « moi » est aussi justement notée que les trois premiers moments de la formation des rêves et l’analyse des matériaux semblent justifier pleinement les premières conclusions de Freud.

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Les matériaux de Freud sont très intéressants, l’interprétation qu’il leur donne, très suggestive, mais il se laisse entraîner trop loin. Dès qu’on le suit un peu dans les détails de l’analyse, on est rebuté par l’arbitraire de ses conclusions. On le verra du reste plus loin, lorsqu’il s’agira de rêves quelque peu différents. Pour le moment il vaut mieux interrompre l’examen des matériaux et indiquer la manière dont il cherche à les synthétiser.

Le fait est que la seule observation ne suffit pas pour expliquer des phénomènes aussi complexes. Il ne suffit pas de constater, ici, une condensation, là, un changement de valeur, ailleurs, une intervention du « moi » dans les données psychiques. Pour expliquer ces résultats, il faut les ramener à quelque loi générale de l’être, les rattacher à quelque faculté, physique ou mentale de l’organisme. Ne fut-ce que pour une certaine catégorie de rêves, un essai de synthèse était nécessaire. Cela ne veut pas dire qu’il fût facile. Le passage des données internes aux données de la connaissance objective ne peut jamais être direct. Il comporte toujours un changement du point de vue. Aussi voyons-nous Freud recourir à un procédé auxiliaire : à une comparaison imagée. Il prévient que les données psychiques ne doivent pas être prises dans un sens spatial, mais pour exprimer leur rapport, il se sert de la notion d’un espace psychique. C’est-à-dire, pour être plus exact, il parle d’une ordination comparable à celle qui se produirait dans un « espace psychique ». En réalité, dit-il, l’ordination peut être purement temporaire ; [p. 500] les phénomènes qui se succèdent peuvent se produire en des régions distantes du cerveau ; nous n’affirmons rien sur leur localisation anatomique. Mais, comme le processus est difficile à saisir, nous sommes obligés de nous servir d’un schéma spatial.

Nous avons tout lieu de croire, dit-il, que le mécanisme de la vie psychique se compose de plusieurs instances. Représentons-nous celles-ci pour plus de clarté, dans une succession linéaire. Nous obtiendrons alors le schéma suivant.

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 Tout commence par le phénomène de perception pour aboutir à une réaction motrice. « L’appareil psychique est construit sur le modèle du réflexe. » Nous prenons donc, comme première instance, le plan marqué par la lettre P. (perception), et, comme dernière, celui de la lettre R. (réaction). Mais la perception n’aboutit pas toujours à une réaction immédiate ; d’autre part, elle ne se conserve pas longtemps. Nous devons admettre une instance spéciale où se conservent les traces de la perception qui peuvent, comme on sait, entraîner des réactions ultérieures. Désignons-la par la lettre M. (mémoire). Une observation quelque peu prolongée nous enseigne que celle-ci ne peut pas se réduire à un seul plan. Les traces mnésiques font partie de groupements variés et totalement indépendants les uns des autres. Nous devons admettre des plans spéciaux pour les associations par coexistence dans le temps, par contiguïté spatiale, par ressemblance, etc. Désignons-les par les lettres M1, M2, etc. Ce schéma, soit dit en passant, a déjà toute l’insuffisance des formules statiques devant la complexité de la vie mentale. Combien de plans faut-il admettre pour épuiser toutes les formes de l’association ? Quelle est la force qui peut diriger les perceptions nouvelles vers les traces qui se conservent dans un plan plutôt que vers celles qui restent dans un autre ? Mais quelque insuffisante [p. 501] quelque naïve que soit la construction de ce schéma, nous la poursuivrons tout de même, car l’auteur ne s’en sert qu’à titre d’analogie et les défauts qu’on y trouve, serviront à nous éclairer le problème.

A la distinction de ces divers plans de l’appareil psychique, Freud ajoute une remarque bien judicieuse:: notamment que les perceptions, passant à l’état de souvenirs, perdent leurs qualités sensorielles. La mémoire ne peut les évoquer qu’imprécises et décolorées.

La phase réceptive du processus que nous venons d’examiner, nous est assez bien connue. Nous sommes renseignés là-dessus par l’observation interne et par l’étude physiologique des sensations. La phase réactive, prenant commencement dans les sources profondes de la mémoire ou de l’association, est moins accessible à une élude directe. Cependant nous en avons déjà trouvé un trait essentiel par des recherches connexes. L’étude des névroses nous a montré que les réactions ne proviennent pas toujours de souvenirs conscients et que ceux-ci subissent une action critique du « moi » qui les accepte ou les repousse dans l’inconscient. Nous avions même comparé cette action à une espèce de censure (4). Se basant sur cette observation, Freud introduit dans le schéma deux instances nouvelles : l’inconscient et le subconscient. Ceux-ci sont séparés par la censure ou activité critique du cerveau. Tout ce qui passe cette barrière, devient susceptible de manifestation consciente sous forme de mouvement ou de pensée. Tout ce qui est arrêté par la censure, ne peut aboutir qu’à des réactions inconscientes, normales. ou pathologiques.

Quel doit être, comparé à ce schéma, le mécanisme du rêve ?

Ce dernier, répond Freud, reste privé de manifestation consciente. Par contre, le rêve possède quelque chose qui n’appartient plus aux données les plus claires que la conscience : les qualités sensorielles de la perception. Un coup d’œil sur le schéma, conclut Freud, doit nous persuader que le mécanisme du rêve ne peut consister que dans le retour du courant vers le mécanisme de la perception.

Le phénomène du retour, ajoute-t iI, ne présente en lui-même rien de nouveau. La pensée la plus claire retourne souvent en [p. 502] arrière, vers le trésor des souvenirs, mais elle ne dépasse pas la limite qui les sépare de la perception. Dans le phénomène du rêve, le retour va plus loin, presque aussi loin que dans l’hallucination. Et puis ce qui le distingue de l’évocation mnésique, ce sont les transformations déjà notées sous le nom de changement de valeur et de recomposition des matériaux.

Est-ce une explication du rêve ? Freud est le premier à répondre d’une manière négative. Pour lui, dans ce problème, il ya encore trop de données inconnues. La base anatomique du processus lui paraît encore tout à fait incertaine, mais dans le schéma indiqué il voit la clef logique de la solution. Il croit fixer par là l’ordre des phénomènes comme ils devront être étudiés un jour en rapport avec la structure et les fonctions du cerveau.

Du point de vue de la psychologie objective, telle que nous l’ayons esquissée dans les recherches précédentes (5), cet essai prend une tout autre signification. Le schéma linéaire tombe de lui-même, les phénomènes mentaux n’ayant plus de caractère statique ni dans la perception ni dans la mémoire. Au lieu de plusieurs régions séparées, nous n’avons devant nous que la différence des réactions qui s’accomplissent dans le même réseau de fibres nerveuses. Dans un cas, elles ont une origine périphérique, dans l’autre, une origine interne ; dans certaines conditions elles se rattachent au complexe momentané du « moi », dans certaines autres, elles restent isolées. Du point de vue de la psychologie objective, ce n’est plus une simple analogie, c’est une formule précise de portée aussi bien physiologique qu’anatomique : Les évocations du rêve ont le même mécanisme que celles de la mémoire et de l’association mentale, mais contrairement à celles-ci, ne se limitant pas à la phase centrale de réflexes, elles vont jusqu’à reconstituer le processus initial de la perception.

Ce retour, analogue à celui qui se produit dans les hallucinations, reste encore bien mystérieux. Faut-il admettre, ici comme là-bas, une communication de mouvement aux appareils mêmes de perception, à la rétine, par exemple, et aux milieux auriculaires ? Ou bien, ce degré n’est-il atteint que dans l’hallucination, les rêves ne comprenant qu’un rétablissement plus complet des réflexes cérébraux ? [p. 503]

Entre la perception et le souvenir, il peut y avoir bien des formes intermédiaires. Il est assez rare qu’on visualise les objets en les évoquant dans la mémoire. Pour la plupart des gens l’évocation est toute verbale ct la fonction de la mémoire se limite à l’activité des centres verbe-moteurs. Les rêves, tenant le milieu entre le souvenir et la perception initiale, ne seraient-ils pas le produit d’un rétablissement plus étendu, moins intense du côté des fonctions verbo-motrices, mais comprenant en revanche les réflexes visuels ? De toute manière, il y a là un retour vers la perception et l’élude de Freud a le mérite incontestable de l’avoir saisi par les moyens seuls de l’introspection. Chez Freud, ce phénomène a une forme naïve et grossièrement schématisée, mais du point de vue de la psychologie objective, il acquiert un sens tout à fait précis.

Naturellement, tout ce qui s’ajoute, chez lui, comme développement de cette thèse, a besoin d’être modifié dans le même sens. Ainsi, par exemple, il se demande pourquoi cette régression est impossible à l’état de veille, pourquoi notre rêverie n’atteint jamais la vivacité sensorielle du rêve, et conclut que, de jour, l’appareil psychique trouve un obstacle dans la continuité des courants nerveux qui s’écoulent dans la direction de P. à R. Le sommeil les supprime et ouvre la voie aux régressions. Tant qu’on a le schéma linéaire de Freud devant les yeux, celte explication paraît plausible. On a beau reconnaître avec lui certains retours de la pensée, une régression complète jusqu’à la région P. paraît trop difficile. Mais du point de vue d’une conception dynamique le mécanisme est tout autre. Le « retour » n’est plus une régression, mais un rétablissement, ce n’est pas un retour vers la région originaire, mais un retour vers la forme originaire. Que ce soit une perception, un souvenir ou un rêve, la direction des réflexes reste le même. On ne peut donc pas dire que l’influx nerveux se trouve ici en opposition. Les souvenirs et les associations qui ont une origine centrale, se produisent facilement à côté des perceptions directes. S’ils n’atteignent pas la vivacité sensorielle du rêve, cela ne peut pas tenir à la collision avec un courant contraire, mais doit se rapporter à la concurrence des courants parallèles. Les souvenirs optiques, par exemple, ne s’épanouissent pas jusqu’à la plénitude de la perception, parce qu’ils se produisent simultanément avec des perceptions nouvelles. Quelque imprécises que soient ces dernières, elles [p. 504] occupent une partie des voies nerveuses. Pour qu’un souvenir atteigne l’intensité d’une vision, il faut un retranchement du monde extérieur qui ne se produit normalement que dans le sommeil. Ainsi, dans l’état de veille, l’obstacle à la formation des rêves consiste bien dans la continuité de l’influx nerveux, mais qui, loin d’être opposé, est parallèle à l’évocation mnésique.

Max Ernst.

Max Ernst.

Une modification encore plus profonde doit se produire dans le mécanisme interne du rêve. Il ne suffit notamment pas que l’obstacle extérieur soit supprimé. Pour que la régression se produise dans un sens plutôt que dans un autre, il faut admettre une détermination interne et ici, comme nous l’avons vu, Freud suppose le concours des désirs infantiles. Admettons, pour l’instant, avec lui, que le rêve présente la réalisation d’un désir. Il convient lui-même que les cas où ce dernier est clair, immédiat et récent, sont relativement très rares. Le rêve qui réalise un désir de la veille, ne se rencontre généralement que dans l’enfance. Chez les adultes, la vie mentale est trop complexe, les doutes, les soucis, les hésitations sont trop nombreuses pour que le désir puisse passer ainsi, directement, dans le rêve. Chez eux, les désirs datent généralement de plus loin, se présentent sous une forme déguisée et nécessitent, pour se convertir en rêve, quelque renforcement organique. Ce dernier ne peut venir; d’après Freud, que d’un désir infantile, de même nature, se conservant dans l’inconscient,

«  Ces désirs inconscients, conclut-il, je les considère, d’après les données fournies par l’analyse des névroses, comme restant toujours actifs, toujours prêts à se manifester et à transmettre leur intensité aux impressions nouvelles. »

De notre point de vue cette formule prend de nouveau une signification sensiblement différente, Ce qui reste des réactions antérieures, ce sont les dispositions motrices qui ne se limitent pas aux seuls phénomènes affectifs. Tout réflexe qui s’opère, consolide les voies où il passe et facilite le retour des réactions analogues. Cette loi se rapporte aussi bien aux images tout à fait neutres, qu’à celles qui déterminent un complexe volitif; Outre cela la consolidation des réflexes dépend encore de certaines conditions accessoires qui peuvent donner aux impressions neutres l’avantage sur les désirs les plus marqués. Ainsi, par exemple, il arrive parfois qu’un nom bizarre s’imprègne dans la pensée et [p. 505] revient au bout de plusieurs années, lorsque les désirs contemporains sont depuis longtemps effacés. Il arrive aussi que les détails d’un événement se conservent dans la mémoire, tandis que les faits principaux se perdent dans l’incertain. Les causes de ces phénomènes n’apparaissent pas encore toutes, mais on peut dire avec assurance que la consolidation dépend aussi bien de la fraicheur sensorielle du sujet que des mouvements de son attention. La première explique bien la persistance des souvenirs qui datent de l’enfance, la seconde, la mémoire de certains détails extérieurs et futiles, et l’une jointe à l’autre suffisent pour donner l’avantage aux impressions passagères sur des actes graves et réfléchis. Si on se place à ce point de vue, on reconnaîtra sans hésiter que le renforcement peut venir non seulement des désirs infantiles, mais encore de tous les souvenirs qui se trouvent ainsi consolidés, et qu’il peut aller à toutes les impressions restées sans décharge suffisante.

Quc les souvenirs infantiles y jouent un rôle considérable, nous ne songeons pas à le contester. Ce n’est que trop naturel, étant donnée la fraicheur des voies sensorielles chez l’enfant. Mais dire que c’est toujours un désir et que ce désir est le principal moteur du rêve qui se produit trente ans plus tard, nous paraît une exagération. Nous croyons que les rêves, loin de présenter toujours la réalisation d’un désir, présentent souvent le retour d’une impression quelconque restée sans décharge et renforcée par des souvenirs simplement associés. Cette hypothèse les rendrait beaucoup moins cohérents que chez Freud, ce qui, du reste, nous paraît plus près de la réalité. Nous y reviendrons tantôt en indiquant la signification que prennent certains rêves considérés par Freud comme des images symboliques ou des désirs déguisés. Pour le moment, bornons-nous à constater que la notion du « renforcement » ainsi modifiée, semble aussi importante que celle du « retour ».

Il nous reste maintenant à dire quelques mots de la « censure » qui prend aussi une tout autre signification. Chez Freud, c’est un fait empiriquement constaté, mais mystérieux entre tous. C’est une fonction dont on n’entrevoit même pas une définition plus rapprochée. Dans le schéma qu’il dresse, c’est une espèce de barrière qui sépare deux régions problématiques. De notre point de vue elle prend un sens tout à fait précis, celui d’une dissociation des réflexes cérébraux. [p. 506]

Nous savons que les réflexes ont une tendance à l’association, mais que celle-ci n’arrive pas toujours à se réaliser. Ainsi, par exemple, deux réactions violemment opposées ne restent pas associées dans la mémoire. Une impression pénible a beau coïncider avec une impression agréable, la mémoire ne les évoque pas simultanément ou, du moins, avec la même vivacité. L’une des deux cède devant l’autre et finit par s’effacer. De même, lorsqu’il y a un conflit de sentiments, ils ne restent pas simplement associés dans la conscience. Le plus faible finit par s’effacer, par sombrer dans l’inconscient. On dirait que notre système nerveux possède une faculté de contraction qui lui permet de couper court aux développements asthéniques de son activité.

Eh bien, ce que l’observation interne désigne sous le nom de « censure », doit se ramener à un processus de ce genre. Cette faculté ne doit pas se borner aux phénomènes de la vie sensorielle; elle doit être la même à l’égard des réactions neuro-psychiques. On peut être aussi sensible à une pensée injuste ou blessante qu’à une sensation désagréable ou douloureuse. Certaines images peuvent être incompatibles avec le complexe momentané du « moi ». Il doit se produire alors un phénomène analogue à celui que nous avons signalé plus haut : un arrêt du processus associatif.

Tel est, pour la psychologie objective ; le mécanisme de l’acte qui dans l’étude de Freud est désigné comme « censure » du «  moi ». Les détails de ce dernier sont encore très peu précis. Nous ne saurions pas dire s’il est simplement négatif, consistant dans une suspension directe de l’influx nerveux ou s’il est le contre­coup d’un acle positif, d’un effort de concentration dirigé sur un autre objet. De toute manière il y a là un phénomène de dissociation se rattachant tout droit aux données de la psychologie objective.

Nous avons vu que le rêve présente, en résumé, le retour d’une impression restée sans décharge. Cette formule répond tout à fait aux rêves relativement simples qui se rencontrent dans l’enfance. Chez l’enfant, il suffit qu’un désir se heurte à quelques obstacles pour qu’il se reproduise sous forme d’un rêve. L’inhibition interne suffit pour lui donner la force du retour. Chez l’adulte, par suite de l’usure de l’appareil sensoriel, les impressions sont beaucoup moins vives. L’inhibition seule ne suffit déjà pas. Il leur faut, [p. 507] comme nous l’avons vu, un renforcement par quelque impression antérieure et, comme on voit maintenant, une dissociation préalable du « moi ».

Ces deux conditions sont-elles indispensables pour chaque rêve ? Nous ne saurions l’affirmer d’une manière catégorique. Tout dépend, en fin de compte, de l’intensité des phénomènes sensoriels. Une impression renforcée par des souvenirs infantiles, semble pouvoir se reproduire sans avoir été expulsée de la conscience. En d’autres cas, où le renforcement est plus faible, la dissociation peut devenir une condition « sine qua non ». Nous sommes pour tout cela bien moins catégoriques que Freud et, nous contentant de saisir les voies générales du rêve, ne prétendons pas encore à fixer tous les moments de sa formation.

 

De ces formules générales revenons maintenant aux matériaux amassés par Freud et voyons la position qu’il prend vis-à-vis des énigmes du rêve. Jusqu’à présent nous n’avons examiné que des rêves relativement clairs, ceux qu’on pourrait appeler « à l’appui des conclusions de Freud ». Arrêtons-nous maintenant aux rêves d’un caractère opposé, qui semblent parler contre sa théorie et que l’auteur explique comme ayant un sens déguisé. Tels sont les rêves pénibles, les rêves contraires au sens moral comme par exemple ceux qui représentent la mort des parents ou des proches, et enfin les rêves, très nombreux, de pure imagination, qui semblent sans rapport avec la vie réelle.

Les rêves pénibles sont bien fréquents ; ils s’accompagnent d’un sentiment d’angoisse connu de tout le monde. En voici quelques exemples. Une jeune fille, patiente de Freud, avait été très affectée par la mort de son petit neveu, le fils de sa sœur, qu’elle aimait beaucoup et avait, pour ainsi dire, élevé. Un jour, elle voit en rêve l’autre petit-neveu également mort, couché dans le cercueil et entouré de bougies allumées, comme l’avait été le petit Otto. Elle accourut chez Freud tout émue, lui demandant si elle pouvait avoir un désir aussi monstrueux. De question en question celui-ci arrive à établir que la jeune fille avait eu un roman dans la maison de sa sœur qui, pour une raison ou une autre, avait fait rater le mariage. Depuis lors son amoureux évitait d’y retourner et ne le faisait que dans de grandes circonstances. Ainsi, elle l’avait vu à l’enterrement du [p. 508] petit Otto. Ce récit fait conclure à Freud que malgré le caractère pénible du rêve, celui-ci répondait à un désir caché, peut-être même inconscient : de revoir le jeune homme, fut-ce dans une circonstance analogue.

Autre exemple. Une jeune femme rêve qu’elle veut préparer à souper, mais ne trouve chez elle qu’un peu de saumon fumé. Elle veut descendre pour acheter quelque chose, mais se rappelle qu’il est dimanche et que les marchands doivent être fermés. Elle veut téléphoner à quelqu’un, mais s’aperçoit que le téléphone ne fonctionne pas. Il en résulte naturellement une sensation de vive contrariété. Ici l’interrogatoire donne les résultats suivants. Le mari de la jeune femme, un vigoureux et corpulent boucher, lui avait déclaré la veille qu’il engraissait trop et se mettrait dorénavant au régime. D’autre part, une amie qui sollicitait une invitation à souper, avait provoqué celle pensée : « Pas de sitôt, pour que tu te remplumes encore davantage et achèves de séduire mon mari. » Enfin, elle-même qui était friande de petits pains au caviar, défendait au mari de lui en donner.

De ces multiples refus de nourriture Freud conclut que le rêve répondait aussi aux désirs de la jeune femme.

Enfin, voici un troisième exemple où le désir semble venir d’encore plus loin.

Un ami de Freud, avocat de profession, rêve qu’il rentre chez lui avec une dame à son bras. A sa porte il remarque une voiture fermée. Un homme sort de cette voiture, se présente comme agent de police et montre un mandat d’arrêt contre lui. Il répond en demandant la permission de mettre ses affaires en ordre, A la question quel pouvait être le motif de son arrestation, l’avocat répond que dans le mandat il était accusé d’infanticide. Questionné plus loin sur la manière dont il avait passé la soirée, il convient avoir été chez sa maîtresse, une femme mariée dont le mari était absent. Il aurait même passé toute la nuit auprès d’elle et aurait eu ce rêve le matin après avoir pratiqué plusieurs fois le « coïtus interruptus ». « Vous craigniez naturellement de lui faire un enfant », dit Freud et conclut tout de suite que le rêve réalise le désir de supprimer l’enfant, le présentant comme un fait accompli.

Voilà, pour les rêves simplement pénibles. On conviendra facilement que le désir se manifeste ici d’une manière bien contournée. [p. 509]

Jamais à l’état de veille la pensée de l’avocat, comme aussi celle de la jeune femme, n’aurait pris une direction aussi peu en harmonie avec le motif principal, n’aurait cherché la réalisation du désir dans une scène de mort ou dans la ruine de toute l’existence. Si c’est l’effet d’un travail cérébral déterminé par le désir, ce travail nous parait bien compliqué.

Dans une autre catégorie de rêves où l’impression pénible s’élève jusqu’à l’épouvante, Freud renonce à chercher la réalisation d’un désir immédiat, les rattachant aux premières manifestations du désir sexuel. Ainsi, par exemple, un jeune homme de vingt-sept ans, atteint d’une grave névrose, lui raconte qu’entre l’âge de onze et de treize ans il avait plusieurs fois rêvé d’un homme qui le poursuivait avec une hache. Il voulait fuir, mais se trouvait comme paralysé, avec la sensation, si caractéristique pour le rêve, de rester collé sur place. L’analyse révéla le souvenir d’une agression qui avait été racontée par l’oncle de l’enfant et paraissait avoir fortement frappé celui-ci. Mais Freud ne s’en tint pas là. Ayant questionné le malade sur les violences qu’il pouvait se reprocher vis-à-vis de son frère et sur les actes de même nature dont il pouvait avoir été témoin, il conclut que ce dernier avait intercepté une visite nocturne du père dans le lit conjugal et affirme que le rêve répond au désir naissant de réaliser une situation sexuelle.

Ce cas-là ainsi que le précédent servent bien à illustrer la vue générale de Freud sur les rêves d’épouvante. Il les considère, en général, comme ayant une origine sexuelle : chez les enfants, comme le résultat des premiers éveils de l’instinct, chez les adultes, comme une conséquence des altérations de celui-ci, principalement du « coïtus interruptus ». La sensation d’angoisse qui fait partie du mécanisme sexuel, aurait une tendance à se reproduire dans les images qui ont une valeur affective analogue. Ce serait donc la réalisation d’un désir inconscient ou, du moins, tout à fait confus.

Dans la catégorie suivante on passe des désirs inconscients aux désirs complètement oubliés et qui paraissent monstrueux ou impossibles. Nous parlons des rêves qui représentent la mort des parents ou des proches. Ces derniers sont trop communs pour qu’il soit nécessaire de citer des exemples. Dans cette catégorie-là Freud distingue deux groupes : les rêves où la mort n’intervient que d’une manière accessoire, servant à l’expression d’un désir [p. 510] tout différent, comme, par exemple, dans le cas de la jeune fille qui avail vu son petit neveu couché dans un cercueil, et ceux où rien d’analogue ne peut être découvert et l’image macabre semble avoir une détermination bien à elle.

Picasso - Femme qui rêve à Venise (1900).

Picasso – Femme qui rêve à Venise (1900).

Les premiers sont généralement caractérisés par l’absence de toute émotion douloureuse ; on assiste à l’événement, comme si c’était une scène quelconque, et l’on s’étonne même parfois de sa propre indifférence. Les seconds s’accompagnent par contre, de sensations poignantes, de gémissements, de larmes et semblent mille fois plus répondre à un souci ou à une crainte du dormeur, qu’à un désir de sa part.

Eh bien, même ces rêves-là, Freud les considère comme étant la réalisation d’un désir. Il affirme que l’homme peut garder de sa première enfance des désirs naïvement égoïstes visant la disparition de ses proches. Pour l’enfant, dit-il, la mort a un sens très peu profond, celui d’une simple disparition. Aussi, voit-on souvent les enfants souhaiter la morl d’un petit frère ou d’une petite sœur qui vient leur faire concurrence. Ils sont de même à l’égard des parents, parlant de leur mort comme si c’était une absence momentanée. De ces observations il conclut à la reviviscence de désirs infantiles, sans se demander d’où viennent alors les émotions douloureuses qui les accompagnent dans le rêve ni comment un désir aussi confus peut trouver l’expression plastique conforme à la mentalité d’un adulte. On comprend notamment qu’une image récente ou familière trouve un renforcement dans les souvenirs obscurs de l’enfance, mais non pas qu’un souvenir obscur s’épanouisse de lui-même en une image nouvelle. N’est-il pas plus simple d’y voir, au lieu d’un désir infantile, une préoccupation actuelle renforcée de souvenirs plus ou moins éloignés ?

Là encore l’explication de Freud nous parait trop artificielle.

Jetons enfin un coup d’œil sur les rêves qui semblent éloignés de tout désir, parce qu’ils se développent presque sans rapport avec la réalité. N’est-ce pas même les plus curieux, les plus caractéristiques des rêves, ceux qui induisent le plus à les attribuer à une fonction spéciale du cerveau ? Revivre le passé d’une manière plus intense et même déformée ne serait pas un phénomène bien distinct de la mémoire. Mais entrer dans une vie imaginaire, agir dans un cadre inconnu ou accomplir des actes fantastiques, suppose une [p. 511] faculté différente et vraiment mystérieuse. Ici l’interprétation de Freud devient tout à fait subjective, car il considère la plupart de ces images comme des données symboliques, tout en ramenant le schème général de rêve à la réalisation d’un désir.

De ces rêves-là, son étude nous donne des exemples bien curieux. Dans un cas le dormeur voit entre deux beaux palais, dans un l’enfoncement, une petite maison dont la porte est fermée. Sa femme le conduit jusque-là, presse un peu sur la porte, et il se sent glisser rapidement dans l’intérieur par une courette à pente très escarpée. Ici, dit Freud, la symbolique est nettement sexuelle. Quiconque a un peu d’expérience dans l’analyse des rêves, reconnaîtra tout de suite que la pénétration dans un espace étroit entre deux beaux édifices, avec pression sur une porte fermée, présente l’essai d’un coït par derrière. Cette hypothèse se confirme par l’aveu du dormeur qu’une jeune fille entrée la veille à son service, avait éveillé chez lui une idée de ce genre. Il relève, à côté de cela, que la jeune fille était de Prague et que la petite maison entre deux palais fait aussi penser au Hradschin qui se trouve dans cette ville.

L’interprétation sexuelle devient, du reste, de règle dès qu’il s’agit d’images symboliques. Les désirs sexuels, dit Freud, sont ceux qui se trouvent le plus souvent expulsés ou réprimés et qui reviennent le plus fréquemment sous une forme symbolique. Certains symboles prennent même une signification permanente. Ainsi, d’après lui, le fait de s’arracher une dent dans le rêve doit être interprété comme une impulsion à l’onanisme. Ce cas-là peut être illustré par l’exemple suivant.

Un malade de Freud se voit à l’Opéra, à une représentation de Fidelio. Il est assis près de L. qui lui est très sympathique, dont il voudrait même faire son ami. Soudainement, il s’envole, traverse tout l’orchestre comme une flèche et une fois arrivé au bout, s’arrache deux dents avec la main.

Le dormeur en question avait des tendances homosexuelles prononcées, mais fortement réprimées. Le vol à travers l’orchestre symbolise, d’après Freud, l’idée qu’il va être repoussé et même jeté dehors. Alors, de désespoir il se met à onaniser, comme cela lui est déjà arrivé dans un cas analogue.

Voici un rêve d’un symbolisme plus complexe. Le dormeur se voit arriver en grande compagnie dans la rue où se trouve une modeste [p. 512] auberge (ce qui n’est pas vrai). Dans cette auberge a lieu une représentation théâtrale ; il est tantôt public, tantôt acteur. Finalement on dit qu’il faut changer de costume pour rentrer en ville. Une partie du personnel est envoyée au premier, tandis que l’autre reste s’habiller en bas. Il se produit une querelle. Ceux qui sont en haut, se montrent furieux de ce que les autres ne sont pas prêts et ne les laissent pas descendre. Son frère est en haut, tandis que lui-même est en bas et il rage contre ce frère d’être ainsi pressé. La suite devient confuse et ne s’éclaircit qu’au moment où il est dans la rue en train de la remonter tout seul vers la ville. Il monte péniblement et avance à peine. Un vieux monsieur se joint à lui et se met à jurer contre le roi d’Italie. Vers la fin de la montée il marche de nouveau beaucoup plus facilement.

La sensation de l’effort avait été tellement vive que le narrateur affirmait l’avoir ressentie même après le réveil.

La rue et la représentation théâtrale avaient un certain rapport à la réalité, car le dormeur avait eu une liaison avec une femme de théâtre qui habitait dans cette rue, mais tout le reste, y compris l’auberge, était un produit de sa fantaisie. Le rêve pouvant avoir une détermination multiple, c’est-à-dire pouvant présenter plusieurs images fondues en une seule, Freud croit discerner, dans la montée de la rue, l’image du fardeau qu’était devenue cette liaison (analogie avec la montée de l’escalier dans Sapho d’Alphonse Daudet) dans l’occupation simultanée des gens « en haut » et « en bas », l’image des rapports lesbiens, dans la situation réciproque des deux frères, l’allusion au fait que l’un d’eux était déchu de son rang, etc., etc. Le pivot de cet enchevêtrement était pour lui le désir de se débarrasser de la liaison.

Kinuko Y. Craft.

Kinuko Y. Craft.

Voici, enfin, un rêve dont le cadre est emprunté à la vie réelle, mais l’action prend un caractère tout à fait fantastique. « Je me vois, dit Freud, car c’est lui-même qui l’a rêvé, la nuit dans le laboratoire de Brucke. On frappe légèrement à la porte, je l’ouvre et laisse entrer le Pr Fleischl (décédé) avec plusieurs inconnus. Fleischl me dit quelques mots et prend place à sa table habituelle. Ici se produit une interruption, puis je vois mon ami F. dans une rue de Vienne en conversation avec un autre ami D, (lui aussi décédé). Je me joins à eux et nous nous asseyons tous les trois, dans un local incertain, à une petite table, mes deux amis se faisant vis-à-vis et moi, du côté étroit [p. 513] de la table. F. parle de sa sœur et dit : « Au bout de trois quarts d’heure elle était morte. » Puis il ajoute quelque chose comme : « Cela, c’était la limite ». Comine P. ne le comprend pas, F. se tourne vers moi et me demande à quel point je l’ai mis au courant de ces histoires. Là-dessus moi-même, pris d’une émotion très particulière et voulant dire que P. ne peut rien savoir parce qu’il n’est plus en vie, réponds à F. : « Non vixit. » En le disant je suis parfaitement conscient de l’erreur qu’il y a à employer ici le passé, mais la phrase s’impose d’une manière irrésistible. Puis je regarde P. d’une manière pénétrante, je le vois pâlir, je vois ses traits s’effacer, ses yeux devenir d’un bleu transparent, et il disparait comme de la fumée. Je me l’appelle alors que Fleischl n’était également qu’une apparition et me réjouis à la pensée qu’un revenant peut être écarté par la volonté du vivant.

Ici la trame du rêve présente, d’après Freud, un curieux mélange d’actions symboliques, de réminiscences et de jugements intercalés. Commençons par dire qu’au moment de ce rire, Freud était justement préoccupé par la santé de l’ami F. Ce dernier venait de subir à Berlin une grave opération et les premières nouvelles étaient de telle sorte que Freud n’aurait pas hésité à le rejoindre s’il n’était retenu par sa propre indisposition qui rendait le voyage impossible. La sœur unique de F. était morte après une courte maladie et comme sa santé à lui ne paraissait guère plus résistante, on pouvait craindre pour lui une issue analogue. Ajoutons à ceci que dans les nouvelles envoyées à Freud, il y avait une recommandation qui l’avait pas mal agacé : de n’en parler à personne. Il la jugeait d’autant plus blessante qu’elle paraissait justifiée, car il s’était jadis rendu coupable d’une indiscrétion. Les paroles de F. dans le rêve concernant l’issue de la maladie (chez sa sœur) et les renseignements qu’il aurait donnés à P. étaient donc en rapport direct avec ses préoccupations de la veille. L’action la plus fantastique du rêve, l’anéantissement de ce pauvre P. avait trait à un souvenir plus ancien. De même qu’un regard de Freud avait suffi pour anéantir P., de même il avait été jadis anéanti (mais au figuré) par un regard du vieux Brucke. Ce dernier avait eu vent que Freud venait en retard au laboratoire et l’ayant un jour guetté, l’avait foudroyé du regard inoubliable de ses yeux en courroux. Maintenant, ce passage du rêve ne relevait pas seulement d’une réminiscence. Étant dirigé contre P. il prenait une [p. 514] valeur symbolique. P. avait été très ami de Freud, mais il lui était arrivé un jour de soulever son ressentiment, notamment en souhaitant la mort d’un collègue dont il attendait la place, à côté de Freud, dans le même laboratoire. Freud ajoute même, à ce sujet, qu’il y avait pensé quelques jours auparavant, en assistant à l’inauguration du buste de Fleischl sous les arcades de l’Université. Il s’était dit à cette occasion que P. y aurait eue aussi sa place, s’il n’était pas mort si jeune, et que cette mort l’avait puni de l’avoir souhaitée à un autre. Ce raisonnement lui rappelait celui de Brutus sur le tombeau de César dans le drame shakespearien : « Comme César m’aimait, je le pleure ; comme il était brave, j’honore sa mémoire ; mais comme il était ambitieux, je l’ai assassiné. » Comme Brutus, dont il avait du reste joué un jour le rôle, Freud foudroie P. pour ses mauvais désirs.

Une réminiscence tout à fait inattendue se rattache aux mots : « non vixit ». Freud s’était longtemps creusé la tête pour savoir pourquoi il avait dit « non vixit » au lieu de « non vivit », se rendant du reste compte de l’erreur qu’il commettait. Finalement il s’est rappelé avoir été frappé par ces mots sur le monument de l’empereur Joseph II. On y voit notamment cette belle inscription: Saluti patriae vixit non diu, sed lotus.

Arrêtons-nous ici dans l’analyse de ce rêve. Ce qui a déjà été dit, suffit amplement pour illustrer l’activité créatrice de celui-ci. Nous reconnaissons parfaitement que la régression produit ici des résultats tout à fait nouveaux. Quant à la conclusion finale de Freud que rôle du moteur appartient à un désir inconscient, dans l’espèce, au désir d’affirmer sa propre existence vis-à-vis des collègues disparus, elle paraît aussi conventionnelle et arbitraire que dans les cas précédents. Nous ne voulons pas dire qu’elle ne soit pas possible ! Elle parait simplement peu prouvée et tout en reconnaissant que n’importe quel rêve peut être rattaché à un désir aussi général, trouvé après coup, nous constatons qu’une détermination de ce genre ne ressort pas de l’analyse.

La conclusion qui s’impose à nous est même directement opposée à celle-ci. Les rêves que nous venons d’exposer nous frappent surtout par la variété de leur contenu, et la synthèse de Freud nous parait bien étroite à cet égard. Nous y voyons une raison non pas de les réduire à un schéma unique, comme celui du désir, mais [p. 515] d’admettre les formes les plus variées de la régression sensorielle, depuis la régression du désir, comme on l’observe chez les enfants, jusqu’à la régression des images les plus fugitives sous le seul effet d’un renforcement fonctionnel.

Pour le comprendre, il faut se rappeler le rôle de ce dernier dans le mécanisme des réflexes cérébraux. Il faut se rappeler le fait que certains mots et certaines images d’importance tout à fait secondaire s’imprègnent dans la mémoire el se conservent pendant des années, tandis que d’autres qui nous seraient très utiles, ne peuvent pas être retenus. Ce fait qui longtemps a paru inexplicable trouve son explication dans les conditions physiologiques de fonctionnement des réflexes. Un réflexe qui s’opère, consolide la voie par laquelle il passe et facilite la reproduction des vibrations du même rythme. Ceci a trait non seulement aux réactions produites par le même excitant, mais encore à toutes celles qui leur sont analogues. Ce qui les rapproche, peut être subjectivement peu marqué, cela n’empêche pas que la réaction ultérieure éveille les traces des réactions précédentes et se trouve, dans une certaine mesure renforcée par celles-ci.

Dans les premières années de l’enfant les images s’imprègnent selon leur propre force, c’est-à-dire selon leur puissance émotive ou la fréquence de leur présentation. Mais un jour on s’aperçoit qu’il n’en est plus de même. On constate notamment que cela dépend bien plus du terrain sur lequel elles tombent. Du reste, à y réfléchir un peu, on trouvera cela tout naturel. Chez l’adolescent, le système nerveux du cerveau n’est plus ce qu’il était auparavant. Des milliers de réflexes y ont déjà laissé leurs traces et ceux qui se produisent après, trouvent les centres nerveux diversement préparés. Certaines images trouvent des renforcements inattendus, tandis que d’autres ont moins de prise que jadis. C’est que l’effet des répétitions est diminué par la fatigue, et la puissance émotive s’émousse dans le courant ininterrompu des sensations. Le monde extérieur frappe beaucoup moins notre sensibilité, tandis que des faits insignifiants éveillent les traces des réactions antérieures. Chez l’adulte, ces phénomènes ne font que s’accentuer. Les impressions qu’il reçoit sont de moins en moins vives, les résidus de l’expérience antérieure de plus en plus nombreux. Peu d’images semblent entièrement neuves, peu de faits vraiment émouvants. La [p. 516] plupart ne se conservent dans la mémoire que dans la mesure où ils se raccrochent au passé. Le renforcement fonctionnel, notons-le bien, n’est pas toujours, subjectivement, aussi saillant. La ressemblance échappe souvent à notre sens externe ou ne s’indique que d’une manière bien vague. On ne sait pas pourquoi tel nom semble bizarre, plaisant ou disgracieux, pourquoi telle chose fait penser à telle autre, pourquoi telle image produit l’impression du déjà vu. Le rapprochement qui se trouve à la base de ces phénomènes est souvent inconscient, mais cela n’en diminue pas la portée et n’empêche pas qu’il soit la source de la symbolique qui marque, de divers côtés, le développement de la pensée humaine. Freud a fort justement relevé l’intérêt psychologique du bon mot, de la plaisanterie, qui généralement repose sur des rapprochements inconscients (6). Parmi ses adeptes, Riklin (7), Abraham (8), Rank (9) et Maeder (10) ont fait des recherches analogues sur la psychologie des fables et des légendes. Ils concluent que certaines images qui chez tous les peuples ont le même sens, proviennent d’un rapprochement de ce genre. Ainsi, par exemple, le serpent qui, à commencer par l’histoire biblique d’Adam et Ève, se rencontre dans un nombre infini de fables et de légendes symboliserait partout le membre viril. Le héros qui se trouve doué de toutes les qualités et sort vainqueur de mille aventures, symboliserait la notion naïve du « moi ». Sans aller aussi loin, ni affirmer que les produits de l’imagination populaire sont entièrement dus à un processus inconscient, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaitre que certaines images ont un double sens qui peut en avoir déterminé le choix. En effet, comme l’observe fort justement Freud, les objets tirés en longueur : bâtons, branches d’arbres, clefs qui ouvrent toutes les serrures, etc., font penser au membre viril ; toutes les ouvertures, bottes ou coffrets, font penser à l’organe génital de la femme. Prenons d’autres exemples, en dehors de la symbolique sexuelle. La laideur physique produit un effet analogue à celui de [p. 517] la laideur morale ; c’est, pourquoi les sorcières sont toujours vieilles et laides, les gnomes et les géants généralement des êtres malfaisants. L’hésitation entre deux actes ressemble à celle qu’on éprouve entre deux routes ; c’est pourquoi le héros est souvent représenté pensif à la croisée de deux chemins. Quelque considérable que soit l’apport de la création personnelle, certaines images reviennent chez tous les peuples de la terre. Elles s’imposent au conteur par le seul effet de renforcement fonctionnel, de même que plus tard, dans la poésie lyrique, s’imposent les métaphores et, dans la conversation courante, les mots d’esprit et les quolibets.

Dans une de ses premières formules de psychologie objective Bechterew définit la conscience comme modification du réflexe par l’expérience extérieure du sujet (11). Cette modification a un sens très large. Elle va de l’identification complète à la reconnaissance générique, en passant par les formes les plus vagues de rapprochement. On peut reconnaître un individu ou un objet pour les avoir déjà vus, on peut les juger simplement comme appartenant à une catégorie logique, mais on peut aussi, entre ces deux extrêmes, éprouver une série de sensations imprécises résultant d’un rapprochement de ce genre. Chez un homme cultivé ce dernier prend les formes les plus variées. Voici venir un rapin à la mode de Montmartre ou du quartier Latin, avec un chapeau à bords plats et une culotte de velours. La réaction, si elle ne comprend pas l’identification complète : »c’est Paul ou c’est Jacques », peut s’exprimer en paroles : « bizarre, pittoresque, Murger, prix de Rome, 1840, etc., etc. « Ces paroles se rapportent à des renforcements psychiques aussi imprécis que fugitifs, mais dont la portée fonctionnelle ne saurait être mise en doute. Si, quelques heures plus tard, je pense à ma promenade, l’image de cet individu a quelques chances de surgir dans ma mémoire, tandis que des apparitions plus imposantes, mais d’une estimation simplement générique, de superbes automobiles, des hommes importants et cossus, des immeubles somptueux se seront évanouis sans retour. Parmi les femmes que j’aurai rencontrées, s’il en revient une dans ma mémoire, ce ne sera pas toujours la plus jolie, mais de nouveau une qui aura touché quelque fibre secrète de ma sensibilité. Elle aura éveillé soit un [p. 518] résidu des sensations esthétiques, soit le souvenir d’une sensation particulière qui pour moi a une portée émotive, voire même nettement sexuelle. Le paysage même, pour produire un effet durable, devra éveiller les traces des impressions passées. Il devra paraître romantique, sentimental ou bien pénétré d’une harmonie qui mette en jeu les facultés esthétiques de l’œil. Certes, un grand spectacle de la nature comme la Jungfrau ou la chute du Rhin, frappera sans éveiller aucun souvenir, de même qu’un visage d’une beauté toute nouvelle peut se graver d’une manière immédiate, mais de telles impressions sont rares, tandis que notre conscience est peuplée d’images insignifiantes qui se montrent presque aussi tenaces grâce au renforcement précité.

Si telle est l’importance du renforcement fonctionnel dans la vie mentale à l’état de veille, s’il agit d’une manière aussi directe sur le cours de nos pensées, sur notre mémoire et notre imagination, on devine quelle doit en être l’action sur la régression sensorielle qui se produit dans le rêve. Elle doit être telle que, chez l’adulte, nous n’hésiterons pas à la placer au même rang que les facteurs affectifs. C’est-à-dire, à la thèse de Freud que le rêve présente la régression d’un désir renforcé par des souvenirs infantiles, nous substituons celle autre beaucoup plus large : dans les cas le rêve ne présente pas la régression d’un étal affectif, il se forme aussi facilement d’images ramenées au hasard du renforcement fonctionnel.

Chez l’adulte, les désirs ne sont pas moins vifs que chez l’enfant, mais ils se perdent dans le remous des sensations et des idées. Il en est de même pour d’autres états affectifs. Un événement peut le frapper de douleur ou d’admiration bien plus qu’il ne frappera un enfant, mais il réagit aussi plus fortement là contre, il le raisonne beaucoup plus et son cerveau se trouve chargé d’un bien plus grand nombre d’impressions. C’est ce qui explique le fait qu’un homme qui toute la journée s’est occupé de la réalisation de son désir, disons par exemple de son mariage et d’une affaire qu’il a en train, rêve la nuit de choses tout à fait futiles et incohérentes. Pour que le désir revienne dans le rêve comme chez l’enfant, il faut que la mentalité du sujet soit relativement simple. Les femmes qui sont des impulsives et s’adonnent à un intérêt momentané à l’exclusion de tous les autres, présentent souvent de ces cas-là. Il leur arrive plus souvent de rêver aux chapeaux. ou aux robes [p. 519] qu’elles ont essayés dans la journée, qu’il n’arrive à un homme de rêver à l’œuvre qui absorbe toutes ses forces ! C’est que le désir de ce dernier n’est presque jamais simple. Il traîne après lui tout un cortège de doutes, d’obstacles, de prévisions pessimistes qui peuvent en empêcher la représentation plastique et donner l’avantage à une image quelconque renforcée au hasard d’un rapprochement accidentel.

La reconnaissance de ce fait : de la régression mécanique des images, indépendamment de tout facteur affectif, change naturellement beaucoup la conception générale du rêve. La recherche du désir déguisé perd sinon toute signification, du moins la plus grande partie de son intérêt. Qu’importe, dans un rêve aussi complexe que le dernier ou l’avant-dernier, l’intervention d’un désir plus ou moins confus ? Les éléments représentatifs de ces rêves sont à ce point autonomes qu’ils ne peuvent, certes, pas avoir cette seule et unique origine. Admettons, pour l’instant, que le rêve, qui a pour sujet la représentation théâtrale à l’auberge, a quelque rapport au désir déjà ancien du dormeur de se libérer de sa liaison. L’arrivée dans la rue où se trouve l’auberge, les scènes qui se passent à l’intérieur tantôt dans le public, tantôt parmi les acteurs, la côte qu’il monte ensuite en compagnie du vieux monsieur qui jure contre le roi d’Italie, ces images-là ne se rattachent pas au mécanisme du désir. Ce n’est pas comme dans le cas, cité par Freud, où un de ses enfants, n’ayant pas pu aller jusqu’à la montagne qui était le but de leur excursion, en avait rêvé dans la nuit, ni comme il arrive aux femmes de rêver à un chapeau qu’elles avaient essayé la veille. Les images qui forment ici la plus grande partie du rêve, présentent le retour de quelques impressions renforcées par des souvenirs inconscients. Qui sait, le sujet était peut-être passé dans une rue qui ressemblait à celle où avait habité sa maîtresse ? Cette rue revient deux fois dans son rêve, au commencement et à la fin. Le souvenir de sa maîtresse était naturellement associé à celui des représentations théâtrales, car elle était une femme de théâtre. L’altercation entre les gens d’en haut et ceux d’en bas a évidemment un sens symbolique. Elle évoque quelque scène qui se rapproche mystérieusement de quelque survivance du passé. A-t-elle trait à la différence dans la position sociale des deux frères ou bien, comme le pense Freud, à [p. 520] l’évocation des rapports des biens ? Nous ne saurions nous prononcer là-dessus. En tout cas, l’image du fardeau qui symbolise le désir de se libérer de la liaison, ne vient qu’après tout cela et tout porte à croire que l’évocation de ce désir a été une conséquence d’évocations précédentes, et non pas la cause efficiente du rêve. Autrement dit, ce dernier se présente comme une série de régressions sensorielles dues à des renforcements psychiques et simplement nuancées de la reviviscence d’un désir.

Il en est de même pour le rêve qui commence au laboratoire de Brucke. Un certain désir s’y manifeste, peut-être, vers la fin, notamment d’affirmer sa propre existence vis- à-vis des collègues disparus, mais ce désir est plutôt un produit du rêve que le rêve n’est un produit de ce dernier. Ce désir natît des visions précédentes du rêve. La première, la scène du laboratoire de Brucke, est le produit de quelque souvenir relatif à Fleischl. Freud, avait-il vu quelque portrait de celui-ci, quelqu’un qui ressemblait à lui et qui travaillait comme lui au laboratoire ? La seconde résultait évidemment des préoccupations que lui causait la santé de P. Ici nous reconnaissons nettement la régression d’un état affectif. La scène où ils sont assis à une petite table, est quelque souvenir de café. Enfin, l’anéantissement de P., d’un effet si opposé aux sentiments de Freud à son égard, est probablement le résultat de la représentation plastique qui, parfois, dans le rêve, produit des effets si surprenants. Telles sont les scènes où on s’envole dans les airs, où on parle à des morts, etc., etc. Au bout de cette série de régressions naît un désir assez confus, qui certainement ne peut être pris pour le principal moteur de rêve.

Nous dirions la même chose de celui que Freud considère comme étant l’expression la plus claire de sa théorie, du rêve qui a pour sujet la maladie d’Irma. La réponse ironique de son ami Otto et le travail d’anamnèse qu’il avait fait ensuite, avaient probablement préparé l’apparition d’Irma dans son rêve. Celle-ci une fois parue, la scène de l’auscultation s’en suivait tout naturellement, étant une de celles qui sont les plus familières au médecin. Du reste, Freud signale lui-même les renforcements ‘qu’elle pouvait trouver dans les souvenirs qui se rapportent à d’autres malades. Les jugements qu’il attribue aux autres médecins représentent bien la conviction d’avoir raison vis-à-vis des autres, mais [p. 521] conclure de là que cette conviction se montait jusqu’à un désir et que ce dernier avait actionné tout le cours du rêve, nous paraît tout à fait injustifié.

Henri Matisse (1869-1954) - Le Rêve.

Henri Matisse (1869-1954) – Le Rêve.

Du reste, la logique du rêve semble trop limitée pour cela. Freud lui-même a très bien reconnu que le rêve ne reproduit jamais un fait comme possible, ni comme attendu, mais comme actuellement donné. Le désir ne peut y figurer que sous une forme déjà réalisée. C’est pourquoi nous ne saurions voir une expression directe du désir que dans les rêves relativement simples, comme ceux que nous avons signalés chez les enfants. Une succession d’images ne peut être ramenée à ce schéma.

Si on se tourne maintenant vers les traits généraux du rêve qui ont été relevés au début de cette étude, on verra que le changement introduit dans la formule de Freud n’enlève rien de leur valeur. La condensation des données psychiques, le changement de leur valeur pour l’individu et le changement de leur forme dans le sens d’une représentation plastique, loin d’être en contradiction avec le rôle que nous attribuons au renforcement des données sensorielles, y trouvent une base encore plus étendue. Les phénomènes de condensation et de représentation plastique reposent sur le principe même d’un tel renforcement. Si dans le rêve, deux physionomies se fondent en une seule, c’est que l’une a évoqué le souvenir de l’autre et s’est trouvée renforcée par celle-là. Si une notion générale et vague comme celle d’une perversion sexuelle a trouvé son expression symbolique (p. 511), c’est qu’elle a été renforcée par un rapprochement inconscient. Quant au changement de valeur pour le sujet, il y trouve aussi sa vraie raison d’être. Il n’y a que la formation automatique du rêve qui puisse faire comprendre le relief d’un détail insignifiant, comme celui de la barbe blonde dans le second rêve de Freud (p. 496).

En résumé, du point de vue de la psychologie objective, l’œuvre si inégale de Freud prend une signification qui annule tous les jugements portés sur elle jusqu’à présent. Les défauts qu’on lui a reprochés : la naïveté du schéma linéaire, le parti pris de ramener tous les rêves à la régression d’un désir, et l’arbitraire d’une foule de conclusions qui en résultent dans les analyses particulières, s’effacent maintenant devant l’importance du fait capital qui a été reconnu par lui : du processus d’une régression sensorielle. Ce [p. 522] dernier trouve dans la psychologie objective, c’est-à-dire dans les conditions du fonctionnement des réflexes, une base physiologique qui répond à toutes les variétés du rêve, Les renforcements que reçoivent les réflexes dans chaque cerveau quelque peu développé, expliquent toutes les constellations de ce dernier. L’hypothèse accessoire du désir et les conclusions arbitraires qui s’y rattachent, tombent d’elles-mêmes, tandis que le fait d’avoir reconnu ce phénomène par les moyens de l’observation interne reste le mérite incontestable de Freud.

Nous le jugeons d’autant plus grand que d’une part il ouvre la voie à l’étude expérimentale du rêve et, d’autre part, apporte une confirmation nouvelle à la conception motrice des phénomènes mentaux. Voici, en effet, après les perceptions directes, après les souvenirs et les idées sous leurs formes les plus variées, les visions du rêve qui viennent à leur tour se rattacher au même schéma… Ajoutons à ceci, pour terminer, que les observations plus anciennes en date sur l’influence des facteurs physiques, tels que les sons, les odeurs, ou, d’autre part, les digestions difficiles pendant le sommeil, ne se trouvent plus en contradiction avec le schéma proposé. Les réflexes, se reproduisant au gré des renforcements cérébraux, doivent donner prise à toutes les impulsions motrices, aussi bien externes qu’internes et semblent s’offrir par là, d’une manière particulièrement intéressante, aux efforts de la psychologie expérimentale.

N. KOSTYLEFF.

NOTES

(1) Breuer und Freud, Studien über Hysterie, 2e èd., Vienne, Deuticke, i1909. Sigm. Freud, Sammlung kleiner Schriflen zur Neurosenlehre, Vienne, Deuticke, 1er vol. 1906, 2e vol. 1909.

(2) Voir Journal de Psycho. norm. et path., mars-avril 1911.

(3) Sigm. Freud, Die Traumdeutunq, Vienne, Deuticke, 1900.

(4) N. Kostyleff, Freud el le traitement moral des névroses, Journ. de Psychol., mars-avril et mai-juin 1911.

(5) N. Kostyleff, Les travaux de l’école de psychologie russe, Revue philosophique, nov. 1910

(6) Freud, Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten, Wien, Deutlcke, 1905.

(7) Riklin, Wunscherfùllung und Symbolik im Mürchen. Schriften zur angewanten Seelenkunde, herausgegeben von Prof. S. Freud, Deuticke, Heft. II.

(8) Abraham, Traum und Mythus, lbid., Heft. IV.

(9) Rank, Der Mythus von der Geburt des Helden, Ibid., HeIL. V.

(10) . Maeder, Die Symbolik in den Legenden, Märchen. Gebräuchen. und Träumen, Psycho-Neurol. Wochenschr., n° 6, 7.

(11) W. Bechterew, La Psychologie objective (en russe), Introd., p. 23.

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