Frederick A. Weiss. Les forces constructives dans les rêve. Extrait de la revue « Psyché – Revue internationale des sciences de l’homme et de psychanalyse », (Paris), 5eannée, n° 49, novembre 1950, pp. 777-792.

Frederick A. Weiss. Les forces constructives dans les rêve. Extrait de la revue « Psyché – Revue internationale des sciences de l’homme et de psychanalyse », (Paris), 5eannée, n° 49, novembre 1950, pp. 777-792.

 

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[p. 777]

Les forces constructives
dans les rêve

Par le Dr Frederick A. Weiss.

Le rêve est la « voie royale » vers l’insconscient (1). Où cette voie conduit, dépendra nécessairement de ce que nous nous attendons à trouver à sa terminaison, — c’est-à-dire de notre conception du caractère des émotions inconscientes —. Si l’on considère que l’inconscient contient seulement des désirs irrationnels qui cherchent une satisfaction libidinale, agressive ou destructrice, alors les rêves ne sauraient exprimer davantage. Un inconscient qui ne récèle pas de forces rationnelles el constructives ne saurait, par définition, exprimer des forces constructives dans des rêves. Karen Horney met l’accent (2) sur l’existence et sur l’activité inconsciente des forces constructives qui se trouvent également chez les névrosés. Ces forces, qui meuvent le patient vers une santé affective et vers une croissance authentique sont affermies et mobilisées au cours de l’analyse.

Paul Bjerre, un psychanalyste suédois qui suivit Freud dans son chemin de l’hypnose à la psychanalyse, donne une description pertinente du choc produit par un concept de motivation inconsciente exclusivement irrationnel et destructif (3) [p. 778]

« … Cela signifie que plus nous réussissons à pénétrer tous les phénomènes de surface et atteindre l’essentiel de la vie psychique, c’est-à-dire la vie dans son ensemble, plus souvent nous rencontrons des puissances qui nous sont hostiles, et plus nous devenons finalement une faible proie entre leurs mains. Au Moyen-âge ces puissance, étaient appelée des démons. Nous, nous les appelons des instincts. Cette différence dans les termes a peu d’importance… Il est vrai que nous pouvons élever la structure de la conscience sur le sol volcanique de l’inconscient. Nous pouvons vivre et agir dans cette structure, mais nous ne pouvons jamais nous sertir en sécurité. Et ce qui est pire, nous ne pouvons jamais nous sentir libres et satisfaits. Par mille chemins détournés, les instincts refoulés influencent notre conduite, nous troublent, nous arrêtent. et produisent des maladies. »

Bjerre rejette cette vue pessimiste de la vie psychique. L’expérience analytique de-même que l’expérience de la vie tout court montre qu’il y a « des forces utiles, créatrices, positivement agissantes dans l’inconscient. Les rêves sont une de leurs plus importantes expressions. »

Dans son livre : «  Le rêve en tant que processus curatif de la pyché » (4), Bjerre étudie les manifestations cliniques de ce phénomène. Il commence par comparer notre réaction à un traumatisme psychique avec un traumatisme physique : Un homme a subi une insulte. Immédiatement une réaction débute en lui. Même si aucun mouvement, aucun mot, même pas un changement de couleur, ne trahit ce qui se passe en lui, des forces inconscientes sont mobilisées pour neutraliser les effets de cette insulte. Le traumatisme psychique exerce sur la psyché un effet analogue au traumatisme physique sur le corps. Si une esquille se glisse sous l’ongle, le sujet prend immédiatement d’une façon consciente des mesures systématique pour l’enlever. En même temps, cependant, des force, naturelles spontanées, entièrement indépendantes de nos intention conscientes, sont mobilisées pour arrêter le saignement, pour prévenir l’infection et conduire à la guérison.

De même, des forces constructives existent dans notre inconscient. Leur action ressemble à l’activité de l’artiste, qui, de l’abondance accumulée de matériel chaotique, crée un poème, [p. 779] un symbole, un drame ou un tableau. Ce processus créateur, qui mène du chaos à l’intégration, de la mort au renouvellement, a lieu également dans l ‘activité onirique. Les rêves ont une « fonction biologico-synthétique » dont le but principal est « l’assimilation » des expériences émotives.

La tension d’être éveillé maintient notre attention fixée sur les objets qui nous préoccupent sur le moment. Pendant la relaxation du sommeil, notre perspective s’élargit soudain, et nous devenons conscients de sentiments et d’expériences qui furent ignorées ou refoulées. L’ouverture et la reprise des sources vitales du passé ont une signification curative particulière.

Dans le rêve, le conflit entre le passé et le présent, entre la mort et le renouvellement, s’intensifie. Voilà pourquoi nous rencontrons souvent des symboles de mort et de renaissance qui voisinent côte à côte dans le même rêve.

Le processus guérisseur du rêve mène le patient par douze stades successifs de développement affectif. Ils ne sont pas distinctement séparés l’un de l’autre, mais peuvent se condenser dans chaque rêve singulier. Le processus onirique commence par :

  1. Formation Créatrice (« Gestaltung ») :

Ici le rêve procure au rêveur une image condensée symboliquement, soit de lui-même, soit de son conflit fondamental. Cette auto-présentation peut déjà s’accompagner d’un sentiment de libération. Être confronté par son problème réel est une expérience secourable et la condition préliminaire nécessaire à une solution constructive.

  1. Liaison :

Ici le rêve actualise des expériences du passé plus ou moins « oubliées ». Ce processus sert non pas à les répéter passivement (dans une « répétition-obsession »), mais à les lier activement au présent pour promouvoir la croissance de l’individu.

La liaison a deux fonctions : la première est d’entraîner les expériences non-intégrées du passé dans le « flux de la vie » et de les élaborer. La seconde est d’actualiser les expériences [p. 780] constructives du passé pour surmonter les refoulements et les inhibitions du présent.

(Cette mobilisation des expériences constructives du passé devient un facteur thérapeutique de haute valeur dans l’analyse. Rien n’est plus encourageant pour le patient que lorsqu’on lui fait prendre conscience de l’existence et de l’activité de source constructives en lui-même).

  1. Eveil :

L’ « éveil » se réfère ici comme Bjerre le dit, non seulement au réveil de la sexualité refoulée. Ceci est un but. trop limité. Le patient doit être éveillé à une prise de conscience plus profonde non pas tant de ses instincts que de son individualité, de son « meilleur moi » (nous dirions : son « moi réel » et de la signification de sa vie. Dans ce groupe de rêves d’éveil, Bjerre met le rêves qui avertissent le patient contre un danger imminent. Le patient se concentre sur les dangers venant de l’extérieur, des autres, tandis que nous observons souvent des rêves, ayant un sens thérapeutique qui avertissent le rêveur contre le danger issu de lui-même, de ses propres tendances névrotiques.

  1. Décision :

Dans les rêves de ce type une décision est prise entre deux choix. L’un est accepté comme réalité, tandis que l’autre est rejeté comme impossible. (Nous dirions : le choix est fait entre un essai de solution névrotique et une solution saine).

Bjerre assure correctement que les décisions importantes dans nos vies sont prises non pas par une soumission à la cour suprême d’un surmoi, mais guidées par les forces constructives en nous-mêmes. Les rêves du type décision revêtent parfois, un caractère de prédiction (nous l’expliquerions par le fait qu’ils révèlent au rêveur les directions caractérielles significatives qui moulent son style de vie et font son « destin »).

Les trois stades suivants, Objectivation, Séparationet Négation, ont pour fonction « d’éliminer le matériel non assimilable ». Selon Bjerre la vie affective est possible seulement lorsque le [p. 781] passé meurt et lorsque nous pouvons nous libérer des morts. La notion de refoulement égare souvent parce qu’elle ne distingue pas assez entre le refoulement plus ou moins destructeur et le refoulement des forces constructives en nous-même causé par une confusion émotionnelle.

Ce concept —que les forces constructives (affection, saine affirmation lu moi, désir de se réaliser) sont aussi souvent refoulées chez le névrosé —est très important cliniquement et s’accorde avec la théorie constructive des névroses de Karen Horney.

Le premier stade du processus d’élimination psychologique est :

  1. Objectivation :

Quelque partie malsaine de nous-mêmes nous sépare du reste. Elle acquiert la qualité d’un objet détaché et peut maintenant être traitée comme tel. Dans leurs rêves, les alcooliques rencontrent fréquemment des ivrognes dans les rues. Selon Bjerre, cela signifie qu’ils projettent et objectivent leur besoin de boire et tentent de le séparer de leur moi. Tant qu’ils demeurent des faibles victimes de leur pulsion, ils sont pour ainsi dire identiques avec elle. Par l’objectivation dans le rêve cette identification est dissoute. Le « moi-alcoolique », et le « moi-réel » devient séparé et la cassure finale entre les deux est rendue ainsi possible.

  1. Séparation :

Ce stade du processus onirique réfléchit la tentative de se libérer d ‘une expérience troublante ou douloureuse. Dans le langage du rêve ceci est souvent exprimé par le fait de mettre la personne ou le facteur qui apportent le désordre à une distance convenable ou par le fait de s’éloigner d’eux.

Ici Bjerre place les rêves où nous créons une distance entre nous-mêmes et une personne envers laquelle nous avons des sentiments d’hostilité, en rabaissant notre ennemi et en nous élevant nous-mêmes à un degré grotesque. De notre point de vue d’analyse caractérielle, nous expliquerions un pareil rêve en termes quelque peu différents : non pas comme un pas en avant dans [p. 782] la direction de la santé affective, mais comme l’expression d’une tendance névrotique au triomphe vengeur et à la glorification de soi-même.

  1. Négation :

Ce stade représente le sommet de la phase de l’élimination. (Ce qui est mort doit être enterré. Là où le passé est un obstacle au futur, le passé doit être surmonté . » La mort de ces éléments qui doivent mourir est souvent symbolisée par des représentations de violence. Le rêve pousse quelqu’un dans un abime, le rend témoin d’une exécution, le noie avec son navire dans l’océan ou le tue dans un accident de train ou de voiture.

Les rêves de ce type ne sont dons pas toujours des expériences de violence, d’agression ou de sadisme. Ils symbolisent souvent la mort « d’émotions qui méritentde mourir ». La mort d’une personne peut représenter la mort d’une émotion malsaine en nous qui est à cette personne (nous dirions : la fin  relation névrotique, —par exemple d’une dépendance morbide).

La négation réussie des force inhibitrices de vie, (nous dirions forces-retard), est souvent accompagnée d’un sentiment extatique de vitalité accrue et de libération. Le passé ne barre plus la route, et la route est ouverte maintenant à l’avenir. Les rêves qui reflètent cette expérience sont inclus dans le stade suivant de l’ :

  1. Élévation :

Dans les rêves de ce type, nous voyons disparaître le mur qui se trouve entre nous-mêmes et notre but. Les perspectives sont ouvertes qui étaient invisibles avant. Les rêves d’élévation sont quelquefois induits par l’effet exaltant d’une grande œuvre d’art.

Cet état constructif de l’élévation doit être distingué de l’état nullement constructif de la pseudo-extase qu’un sujet tente d’induire artificiellement en lui-même lorsqu’il souffre du choc d’émotion dépressive. Cette pseudo-extase représente simplement une tentative de fuir la vérité et la réalité et est au service d’un besoin d’intoxication émotionnelle qu’on trouve d’une façon caractéristique chez l’alcoolique. Il sent à la fois le besoin de [p. 783] l’élévation et son incapacité de l’atteindre par son propre effort. J’ai observé des rêves de ce type de pseudo-extase chez quelques patients qui avaient des fortes tendances à vivre imaginairement expériences traumatisantes ou humiliantes, ou après des séances analytiques qui avaient mené à une prise de conscience trop difficile à accepter pour le patient.

La libération du passé paralysant peut emprunter des formes différentes. Une phase importante est le stade suivant :

  1. Identfication :

Nous sommes enclins à nous identifier, dit Bjerre, avec l’être humain qui a souffert plus que nous ou celui qui est plus fort que nous. Nous éprouvons le besoin de sentir une communion intérieure avec des personnalités qui deviennent le symbole de notre propre croissance. Le rêve emploie souvent des personnalités historiques pour exprimer des pulsions affectives du rêveur. Parmi elles, Bjerre met spécialement l’accent sur les pulsions vers la puissance, la gloire et la reconnaissance.

En ce qui me concerne, je ne crois pas que le mécanisme d’identification ait toujours une signification constructive. Les célébrités qui apparaissent dans les rêves sont encore souvent des condensations de tendance névrotique et des essais de solution névrotique. On doit définir leur signification réelle dans chaque analyse individuelle. Ainsi par exemple, l’apparition de Franklin D. Roosevelt dans les rêves de certains de mes patients symbolisait le besoin de dépendance de sujets qui cherchaient une autorité bienveillante et qui inspire de la confiance. Chez d’autres, au contraire, l’image de Franklin D. Roosevelt pouvait être interprétée comme une image constructive. Elle signifiait par exemple : on peut être paralysé et cependant être un grand homme pleinement reconnu.

Le travail onirique atteint progressivement le but de l’assimilation dans les trois derniers stades.

  1. Ré-évaluation :

A une nouvelle expérience exigeant une réadaptation radicale, nous répondons souvent par la défense et l’angoisse. Nous le [p. 784] faisons fréquemment, même s’il s’agit d’une expérience fondamentalement bonne et constructive. Une femme effrayée par la grossesse, comme si c’était une terrible catastrophe, peut la ressentir plus lard comme la libération de ses sentiments profondément cachés, et, comme une croissance authentique de sa personnalité, une ré-évaluation à l’achèvement d’une perspective nouvelle. Ce qui apparaissait auparavant dangereux, apparait maintenant comme pouvant être conquis. Ce qui apparaissait auparavant mal et causait un sentiment de culpabilité (névrotique) est vu maintenant dans une lumière nouvelle, et les sentiments de culpabilité s’évanouissent. Le stimulus pour un rêve de ré-évaluation vient quelquefois d’une remarque faite par l’analyste ou d’une prise de conscience née chez le patient pendant l’heure analytique.

Un type important de ré-évaluation est l’abandon d’un bouc émissaire auquel on avait reproché tous les malheurs de sa vie. Cela peut être très douloureux d’abord, mais cette douleur mais pas vaine. Nous appellerions ce phénomène l’abandon d’une extériorisation qui bloque la voie à tout changement constructif.

La ré-évaluation ne suffit pas. La douleur demeure souvent après que l’aiguillon est enlevé. Un processus pénétrant doit suivre. C’est le stade de la :

  1. Transformation du sentiment : (« Umstimmung ») :

Bjerre considère que ce stade est le centre de tout son concept. La transformation du sentiment peut se faire lentement, pas à pas ou d’une manière soudaine. Les expériences traumatiques, telles que les conflits avec les parents qui avaient créé une hostilité profonde refoulée, pauvre demeurée non assimilées pendant des années et avoir, donc, un urgent de cette transformation de sentiment. Le dépassement de cette vieille hostilité peut-être symbolisée dans le rêve où les vieilles tensions avec le père réapparaissent et sont résolues. (Nous dirions : des rêves où la relation du patient à l’autorité est libérée de son ambivalence et des éléments obsessionnels).

La description par Bjerre de la transformation du sentiment correspond d’une façon étroite au phénomène de la prise de conscience affective de base en opposition à la compréhension [p. 785] purement intellectuelle. Le résultat en est une diminution de la séparation de notre vrai moi qui rend possible l’acceptation authentique de nous-mêmes et des autres.

Le dernier stade du processus onirique est l’ :

  1. Assimilation :

Nous avons vécu une expérience difficile à assimiler. Nous avons pris conscience de sentiments que nous n ‘avons pas compris auparavant. L’assimilation est plus que l’acceptation et la négation. Nous pouvons accepter une expérience par intelligence ou par opportunisme, mais alors elle demeure en nous comme un corps étranger enkysté. Une assimilation affective exige un sacrifice, l’abandon de quelque chose qui avait possédé antérieurement une valeur spéciale pour nous. (Nous, nous dirions : l’abandon de notre image idéalisée, de notre prétention névrotique et de nos buts névrotiques). La caractéristique d’une assimilation réussie est le fait que l’expérience assimilée entre dans le « flux de la vie » si complètement qu’il ne nuit plus au processus du renouvellement intérieur.

Le concept de Bjerre de l’assimilation se rapproche de ce que nous appellerions « intégration ». Mais toute sa notion se soucie trop de l’assimilation des expériences traumatisantes et pas assez de l’intégration de la structure caractérielle du patient. De même, son but d’assimilation ne comprend pas la capacité de former des contacts sains avec les autres. Parmi des exemples d’assimilation réussie, il cite des gens qui devinrent capables de vivre dans un état que nous décririons au mieux comme un « détachement réussi ».

D’une tentative de comparer les stades de Bjerre dans le processus onirique avec notre propre théorie de la dynamique des rêves, il suit :

  1. La formation créatrice = la présentation du moi et le conflit de base.

2.-3.-4. La liaison, l’éveil et la décision = les stades de la mobilisation des forces constructives et le commencement de la prise de conscience du moi réel.

  1. Objectivation = prise de conscience de la structure névrotique. [p. 786]
  2. Séparation = confrontation du moi névrotique et du moi réel.
  3. Négation = le dépassement des forces-retard.
  4. Élévation = sentiment de la libération intérieure.
  5. Identification = la diminution de la dissociation du moi réel.
  6. Ré-évaluation = l’abandon des projection.
  7. Transformation du sentiment = prise de conscience affective, le déplacement du centre de gravité vers le moi.
  8. Assimilation = l’abandon des prétentions névrotiques et des buts névrotiques, l’acceptation authentique de soi-même, l’intégration.

ÉVALUATION, CRITIQUE

Le travail de Bjerre représente une contribution importante au développement de l’interprétation des rêves.

  1. II souligne l’existence et l’activité des forces constructives dans le rêve.
  2. II dépasse le concept de l’accomplissement du désir, l’orientation centrée sur la sexualité, et le caractère du symbolisme contenu clans les théories antérieures sur les rêves.

3° II considère les rêves comme des tentatives de solution. Mais notre but est un concept de rêves qui forment une partie intégrale de la psychologie dynamique de la structure caractérielle totale et qui permettent un usage plus constructif dans la thérapie psychanalytique. Cependant, l’hypothèse de Bjerre souffre encore de plusieur insuffisances fondamentales :

  1. L’accent partial qu’il met sur les forces de guérison donne à son système un aspect téléologique et vitaliste. Les rêves ne sont ni exclusivement névrotiques comme Freud paraît le supposer, ni exclusivement guérisseurs comme l’affirme Bjerre. Freud (5), entièrement logique avec sa théorie selon laquelle chacun [p. 787] est engagé dans un conflit entre les instincts et le moi ; et où le rêve est une expression de ce conflit universel, écrit : « L’homme sain ; aussi, est.. quelquefois virtuellement un névrosé. Mais le seul symptôme qu’il semble capable de développer est le rêve.

Tandis que Freud considère le rêve un sentiment névrotique, même chez l’individu sain, Bjerre le voit comme un sentiment de santé, même chez le névrosé. Chaque concept ne considère qu’un côté de la question. Les forces constructives qui se meuvent vers la santé et les forces-retard qui tendent à maintenir la pseudo-structure névrotique agissent toutes les deux chez le même individu. Leur interaction trouve son expression dans les rêves. Seule cette notion dialectique nous permet de faire un usage constructif des rêves dans la thérapie analytique.

  1. Bjerre exagère le rôle du passé. Il voit le conflit entre le passé et le présent. Cependant, le passé entre dans le conflit non pas en tant que passé, mais en tant que force émotionnelle dynamique qui fait partie du présent. Seule l’analyse de ce facteur dynamique ouvre la voie à une solution constructive du conflit.
  2. Le but thérapeutique de Bjerre demeure limité. C’est l’assimilation d’expériences traumatiques et non pas l’intégration de la structure caractérielle.
  3. Le concept dynamique d’une structure caractérielle totale, qui manque dans le système de Bjerre, offre une base thérapeutique sûre pour l’interprétation des rêves.

RÊVES ET CARACTÈRE

Le rapport étroit entre le caractère et les rêves fut observé avec une clarté remarquable par Schopenhauer (6) :

« Dans les rêves une force cachée dirige tous les événements… Cette force ne saurait être fondamentalement que notre propre volonté qui, cependant, dans ce cas, n’entre pas dans notre[p. 788] conscience … Dans ses rêves, chacun agit en harmonie complète avec son caractère. »

Aujourd’hui, nous ne voyons plus la structure caractérielle névrosée comme le résultat inévitable d’un conflit instinctuel, mais bien comme une manifestation d’une croissance affective déformée. Dans un milieu affectif sain grandit un moi fort el solide —pour former plus tard le noyau d’une personnalité libre et spontanée, capable de réaliser cette possibilité et d’établir un contact constructif avec les autres. Sur le terrain stérile d’un milieu affectif malsain —malsain à cause du manque d’affection, de l’abandon, du rejet, de l’humiliation ou à cause de la trop grande protection, de trop grandes attentes et du favoritisme —c’est un moi faible qui se forme. Comme défense contre l’angoisse fondamentale, il développe des tendances obsessionnelles névrotiques et une image idéalisée irréelle. Cette structure de défense bâtie pour la survivance affective et pour la protection contre le conflit intérieur représente le pseudo-moi. Le névrosé se sépare de plus en plus de son moi réel, qui est l’unique source de la vraie force et de la croissance.

Deux séries de forces opèrent chez le névrosé : 1) les forces-retard, qui agissent pour maintenir le statu quodu pseudo-moi, qui paralysent le moi réel et qui créent le désespoir ; 2) les forces constructivesqui fortifient le moi réel. Elles diminuent l’angoisse et l’obsession, relâchent progressivement la structure de la défense rigide et libèrent l’énergie (qui était liée dans cette structure) pour la croissance constructive.

Après avoir vécu avec cette structure névrotique pendant des années, le patient, malgré la peine, la fatigue, le malheur, et les symptômes psychosomatiques, malgré l’appauvrissement de toute sa personnalité, ressent le pseudo-moi névrotique comme le seul moi disponible. L’imitation de la vie qu’il vit est la seule vie qu’il est capable de concevoir.

RÊVES —LES ENTRAINEURS DES FORCES
CONSTRUCTIVES

C’est souvent dans les rêves que le patient prend d’abord conscience de l’existence en lui-même d’un autre moi plus sain qui, quelque faible qu’il soit, peut croître ; et d’une autre vie saine [p. 789] qui, quelque lointaine qu’elle apparaisse à présent, pourrait être réalisée. Ainsi les rêves deviennent souvent les entraineurs des forces constructives.

Les rêves peuvent être considérés comme des tentatives de solution d’un conflit intérieur. Kelman (7) a montré comment, au cours de l’analyse, les efforts névrotiques et irrationnels vers une solution se transformaient en efforts sains et constructifs.

Même avant que les rêves ne reflètent des tentatives de solution définie, ils peuvent accomplir une fonction préparatoire hautement constructive. Un groupe de rêves, souvent faits au début de l’analyse, présentent le moi et le conflit de base.

Ces rêves, qui ressemblent à ceux du stade de la « formation créatrice » de Bjerre, nous donnent un tableau symbolique et condensé de nos opinions sur nous-mêmes : comment nous nous surestimons ou nous nous dévaluons ; notre relation envers les autres ; nos tendances d’effacement ou de revendication ; la situation précaire dans laquelle nous nous sommes mis. Ils dramatisent souvent noire conflit de base, ou, du moins. un aspect de ce conflit.

Après nous avoir mis face à face avec notre statu quomalsain, ces rêves posent le problème qui nous préoccupe et nous font prendre conscience de la nécessité de changer. Ils laissent saisir souvent le mécanisme d’échec ou d’annulation de nos tendances névrotiques :

Un patient vindicatif rêve qu’il pousse un rival qui le précède vers un barbelé électrifié. Cependant ce n’est pas le rival qui reçoit le choc électrique mais le rêveur lui-même.

Une jeune fille soumise qui, pendant des années, avait profilé des avantages dérivés d’une extrême dépendance de sa mère, rêve : « Je suis invitée dans une maison amie. Je suis assise dans la cuisine. Il y a une immense statue d’une femme et mon amie lui dit de lui servir du café. Elle le fait et rend même d’autres services. Je m’écrie : « N’est-ce pas merveilleux ! » A ce moment la statue tombe sur moi et m’écrase à moitié ». [p. 790]

Unhomme qui a vécu presque exclusivement d’une manière imaginaire avec une représentation idéalisée et grandiose de lui-même et qui s’est efforcé d’éviter toute responsabilité active qui aurait pu mettre en danger cette représentation, rêve : « Je donne mon pénis à ma femme et je me sens soulagé par cela. Pendant qu’elle le tient entre ses mains, je le vois se déssécher. Je commence à craindre qu’il ne pourra plus me servir lorsque je le remettrai de nouveau sur moi-même ». A l’époque du rêve le patient reconnut la tendance d’échec de son attitude irresponsable, passive, dépendante.

Un type plus dynamique d’un rêve d’auto-présentation dramatise le conflit en montrant une image divisée : le moi réel contre le pseudo-moi. Ces rêves généralement apparaissent plus tard dans le stade « entre-les-deux » de l’analyse, lorsque le patient se rend compte déjà que le statu quoest devenu intenable, mais n’aperçoit pas encore le chemin vers un changement constructif. La juxtaposition de ces deux moi mène souvent à des essais de solution plutôt mécaniciste qui consistent dans l’éloignement ou le meurtre du pseudo-moi. De tels rêves, correspondant à la phase d’élimination de Bjerre, sont constructifs partiellement, parce qu’ils témoignent du fait que l’image de son pseudo-moi névrotique se cristallise chez le rêveur.

Un artiste, qui a mené une vie basée sur les prétentions d’un « homme du monde » et sur des prétentions de succès, conclut de rêves de gloire hollywoodienne qu’il était de son devoir inévitable de tuer Humphrey Bogart. Il le fait dans le rêve sans aucune émotion forte. Il reconnut par la suite que sur le chemin qui menait à son moi réel il devait se débarrasser « du Bogart en lui-même ».

Le fait que les forces constructives commencent à surmonter les forces-retard d’inertie et de désespoir s’exprime dans les rêve qui montrent que la croissance et le changement sont possibles. Ces rêves-là sont accompagnés par une diminution soudaine de l’angoisse parce qu’ils reflètent la prise de conscience qu’il existe une issue au dilemme névrotique. Ils peuvent consister uniquement en un tableau général de croissance.

Un patient, qui était très sceptique sur la possibilité de changer intérieurement, rêve d’une tulipe et ajoute : « La chose intéressante dans cette plante était son pouvoir de régénération ». [p. 791]

Ou bien ce type de rêve peut dramatiser le processus de changement lui-même

Un patient qui, à cause d’un intense besoin de dépendance, avait évité toute responsabilité active et avait mené une vie extrêmement passive, éprouve les limitations de cet état et le changement par l’analyse dans le rêve suivant : « Un nègre aveugle est gardé en prison avec ses pieds enchainés. Il vit une existence très restreinte, bien que pas trop malheureuse. Un jour, il tombe sérieusement malade et doit être mené chez le médecin. Il est étendu la face contre la table. Le médecin lui donne une sorte de traitement ostéopathique et lui explique pendant ce temps qu’il fait revivre et relâcher certains muscles. A mesure que le traitement continue, le prisonnier devient plus clair dans sa couleur, la vue lui revient et il devient moi. Je me sentis libre ».

Ce rêve reflète encore un concept magique et passif de l’analyse, mais le patient a vu l’appauvrissement de sa vie par la névrose. Il sent que le changement est possible, qu’un prisonnier peut devenir libre et qu’un aveugle peut retrouver la vue. Ainsi le rêve exprime et stimule l’espoir. (Incidemment l’emploi du changement de couleur comme symbole dans le rêve, révèle que même nos émotions inconscientes ne sont pas immunisées contre le conditionnement culturel).

Le changement intérieur constructif le plus important, la diminution de la séparation du moi réel, se révèlent dans un rêve et peuvent même être mises en mouvement par lui.

Une femme, sous la pression d’une image idéalisée et parfaite d’elle-même, est pleine d’un violent mépris d’elle-même et se trouve très divisée. Elle s’est rejetée au point de tenter plusieurs fois le suicide. Elle a une profonde rancune d’être une femme et rejette le « corps et le sexe ». Il a suffi simplement de mentionner ces mots pendant l’analyse pour qu’elle montre de fortes réactions de dégoût. Maintenant elle rêve :

« Je me trouvais auprès d’un berceau où reposait une petite fille qui était en train de s’éveiller. J’eus un sentiment très étrange. Je l’aimais beaucoup et cela ne m’effrayait pas. Je la soulevai, la tins dans mes bras et l’aimai beaucoup. Je lui demandai si elle n’avait pas mouillé son lit et elle me dit que non. Mais je sentais que cela m’était indifférent qu’elle l’eût fait ou non. Je la pris dans, la salle de bain, et là, elle commença à uriner et remplit un grand vase jusqu’au bord. Ce qui était remarquable. Je l’embrassai partout, depuis le front jusqu’à la partie inférieure du corps, et finalement même ses organes sexuels. Il y a un an, j’aurais voulu la tuer simplement parce qu’elle était une fille. Je me serais sentie horrifiée et [p 792] dégoûtée. Mais elle avait beaucoup de personnalité. Passive, mais non démodée. J’avais un nouveau sentiment de bonheur ».

Ce sentiment de bonheur que la patiente éprouve dans son rêve reflète ce changement affectif fondamental que Bjerre appelle « transformation de sentiment ». L’amour qu’elle sent pour la fillette, même si cette fillette n’est pas « sage », montre une diminution dans les exigences extrêmes qu’elle avait d’elle-même. Que la fillette « remplit le vase jusqu’au bord », montre encore quelques restes de son besoin de perfection, mais le fait qu’elle embrasse le corps de la petite fille « jusqu’aux organes sexuels » indique le commencement de l’acceptation du « corps et du sexe ». Son acceptation de l’enfant « bien qu’elle fût une petite fille » et son expression qu’« elle avait beaucoup de personnalité », fait de ce rêve un « entraîneur » sur la voie d’une acceptation authentique de son moi réel.

Dans les rêves qui concernent la situation analytique, nous pouvons observer également le travail des forces constructives qui changent le rôle du patient du passif à l’actif. Les rêves où les patients se voient couchés sur une table d’opération, quittant le cabinet du médecin avec des bouts de linge attachés à leurs vêtements comme s’ils venaient de quitter la blanchisserie, comme des élèves dociles ou des prisonniers rancuniers, se transforment plus tard dans des rêves où le patient devient un associé actif de l’analyste dans le processus analytique. Il est d’une importance thérapeutique décisive de savoir qu’il y a des forces constructives disponibles même chez le patient le plus névrosé. C’est à l’analyste qu’il incombe de les mobiliser. Dans le processus de la mobilisation intérieure et de la croissance réelle, les rêves peuvent être classés parmi nos meilleurs collaborateurs.

Dr Frederick A. WEISS.

Notes

(1) FREUD, On Psychoanalysis, Am. J. of Psychologv. vol. XXI, 1910.

(2) HORNEY, Our lnner Conflicts, New-York : W. W. Norton et C°, 1945.

(3) BJERRE, The Way to and from Freud, Psychoanalytic Review, vol. XII, 1925.

(4) BJERRE,Das Traümen als Heilungsweg der Seele, Zurich: Rascher, 1936.

(5) FREUD, General Introduction ta Psychoanalysis, New-York: Garden City Publishing C°, 1920. (Introduction à la Psychanalyse, Payot).

(6) SCHOPENHAUER, Parerga und Paralipomena, Leipzig: Brockbaus, 1850.

(7) H. KELMAN,, A New Approcach to Dream lnterpretation, Am. J, of Psychoanal., vol. IV, 1944.

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