Félix Chapiseau. La Sorcellerie et la Diablerie. Extrait de « Le folk-lore de la Beauce et du Perche », Paris, J. Maisonneuve, 1902, pp. 197-240.

CHAPISEAUDIABLERIE0003Félix Chapiseau. La Sorcellerie et la Diablerie. Extrait de « Le folk-lore de la Beauce et du Perche », Paris, J. Maisonneuve, 1902, pp. 197-240.

Ce volume forme : Les Littératures Populaires de toutes les Nations. Traditions, légendes, contes, chansons, proverbes, devinettes, superstitions. Tome XLV.

Félix Chapiseau (1857-1927). Ecrivain, folkloriste et instituteur.
Autres publications :
— Au pays de l’esclavage. Mœurs et coutumes de l’Afrique centrale d’après des notes recueilles par Ferdinand de Béhagie. Préface par Gaston Dujarric. Paris, J. Maisonneuve, 1900.
 — Les Bêtes. Leur instinct. Leur langage. Paris, J. Peyronnet & Cie, 1926.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 197]

CHAPITRE IV.

LA SORCELLERIE ET LA DIABLERIE.

1. — De la Sorcellerie en général.

De nos jours, il n’y a plus guère que les très vieilles gens qui croient aux sorciers, qui se rappellent et racontent sur eux des histoires extravagantes autant qu’effrayantes. Il a fallu, pour détruire ces stupides croyances en la sorcellerie, la Philosophie du XVIIIe siècle et la Science du XIXe. Ces erreurs absurdes avaient si profondément plongé leurs racines dans les mœurs populaires qu’il suffirait de gratter légèrement la mince couche de civilisation que possèdent [p. 198] certains de nos paysans pour en retrouver des traces indélébiles. Ce n’est plus, il est vrai, cette terreur superstitieuse que le nom de sorcier inspirait autrefois. Non. Ces quelques rares ignorants ne vivent pas avec la préoccupation constante des sorciers. Les horreurs auxquelles se livrèrent les sorciers ne les hantent nullement ; non plus d’ailleurs que les longues persécutions et les cruels sup­plices qu’ils subirent. En un mot, la terreur a disparu, mais l’influence reste… Ils en parlent rarement, mais ils y pensent quelquefois.

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Félicien Rops.

Ces croyances à la sorcellerie et à la diablerie (car pas de sorciers sans un pacte avec le démon) s’affaiblissent chaque jour. Dans quelques années, elles n’existeront plus. Il est utile de signaler quelques vestiges qui subsistent encore « ridicules aujourd’hui » ces traditions funestes ont été un fléau épouvantable pour nos populations beauceronnes et percheronnes.

Les Bohémiens (montreurs d’ours, meneurs de loups) et les bergers étaient tous, ou à peu près tous, considérés comme sorciers. Ces gens-là allaient à l’école du diable. Ils [p. 199] faisaient avec lui un pacte qui leur procurait un pouvoir surnaturel. Ils avaient un livre appelé grimoire, dans lequel ils pouvaient lire le passé, le présent et l’avenir de tous les êtres vivants. C’est à l’aide de ce grimoire qu’ils apprenaient à jeter des sorts, à évoquer les esprits. Jeter des sorts, c’était envoyer la maladie et même la mort à un ennemi, à un membre de sa famille ou à ses bestiaux.

Par contre, certains sorciers avaient le pouvoir de déjouer les sorts ; on avait recours à ceux-ci pour réparer le mal fait par ceux-ci.

Nous ne voulons pas nous étendre ici sur ces philtres ou breuvages, préparés par les soi-disant sorciers, dans le but de donner de l’amour à un homme pour une femme, ou réciproquement ; de tuer les hommes, les femmes, les bestiaux : c’étaient là de véritables empoisonnements. Nous nous bornerons à raconter quelques exploits de la sor­cellerie et de la diablerie, sous lesquels se cache toujours plus ou moins de supercherie. Si en quelque hameau isolé, il reste encore [p. 200] des vestiges de cette crédulité, ils se trouveront atteints par cette divulgation : les journaux et le temps feront le reste.

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Dans tous les temps, chez tous les peuples, les bergers ont occupé leurs longs loisirs du jour à étudier les plantes, et leurs nuits à observer les astres. La superstition et l’ignorance populaires prêtaient à leurs connaissances empiriques et à leurs observations astronomiques une crédulité dont ils abusèrent parfois. Ces humbles pasteurs furent souvent regardés comme des sorciers capables de guérir certaines maladies, mais, par contre, de jeter des sorts. De là, leur autorité sur les esprits simples qu’ils exploitèrent pendant plusieurs siècles.

La Beauce a eu aussi ses sorciers, et, si leur règne était passe avec notre génération, le temps était si proche et le souvenir de leurs maléfices si vivace encore lorsque nous étions enfant, qu’il ne se passait guère de veillées sans que quelques-unes de leurs [p. 201] pratiques superstitieuses fussent racontées.

Ces traditions de sorcellerie et de diablerie n’offrent rien de particulier ni d’original. Elles ressemblent à celles de toutes les provinces de France avec des variantes qui se ressentent du tempérament des ancêtres. Dans le midi, elles conservent la trace des fictions imagées des Sarrazins ; en Bretagne, elles planent dans les landes féériques ; dans le nord, elles se ressentent des idées superstitieuses des Franks et des Saxons ; chez nous, elles ont gardé l’empreinte du vieux sol gaulois.

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Les Beaucerons et les Percherons de la première moitié du XIXe siècle ont transmis, sans altération notable, a notre génération, le souvenir de faits inouïs relatifs à la sorcellerie. Chaque commune a ses traditions et ses légendes sur ce sujet ; elle a soit un coin ombragé de son territoire, soit un vieux château féodal, ou une bicoque abandonnée, ou le cimetière silencieux qui sont les lieux [p. 202] fréquentés par les fantômes ou les sorciers. On voyait des sorciers partout : les grands bois, les carrefours éloignés, les carrières profondes étaient, par eux, de préférence, choisis pour leur réunion nocturne — leur sabbat, — le vendredi de chaque semaine. Là, se perpétraient des crimes innombrables, des profanations horribles, au milieu des danses échevelées. Certains vieillards prétendent avoir assisté, de loin, une seule fois, à ces orgies où des enfants étaient mangés ou servaient à d’abominables pratiques !

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Pendant les heures de sabbat, les sorciers avaient le droit de tout faire : mais le nom de « Dieu » ni celui de « Saint » ne devaient jamais être prononcés. Les victuailles, les vins fins étaient servis en abondance sur les tables ; ces produits, les sorciers les obtenaient, par le pouvoir du diable, des arbres, des plantes, qu’ils transformaient à leur gré. Avant de se rendre au sabbat, les sorciers devaient s’oindre le corps d’une certaine graisse dont la composition leur avait été enseignée par le diable. D’aucuns disent que cette graisse s’obtenait en faisant bouillir un [p. 203] enfant nouveau-né, coupe en morceaux. Recueillie et conservée dans des vases, elle était bénie par des prêtres, sorciers eux-mêmes, qui récitaient des prières à rebours.

Telles étaient les idées de nos ancêtres sur la sorcellerie. Voyons, maintenant, quels étaient les pouvoirs attribués aux sorciers ?

 

I. Le Pouvoir des Sorciers.

Mendiants ou bergers, montreurs d’ours ou meneurs de loups, tous ces thaumaturges étaient des sorciers, des jeteurs de sort ou de maléfices. Notre contrée avec plusieurs espèces de sorcier parmi lesquels nous citerons les caillebotiers, les courtiliers, les grêleurs, les noueurs d’aiguillettes, les envoûteurs.

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On appelait caillebotiers, ceux qui possédaient l’art diabolique de faire tarir à leur profit — tout le lait des vaches. Leur pouvoir s’étendait même, dit-on, jusqu’aux nourrices, Mais ils exerçaient de préférence leurs pratiques contre le bétail qu’à leur gré ils faisaient maigrir. [p. 205]

Il nous a été impossible de connaître exactement les procèdes employés par les caillebotiers dans leurs ensorcellements. Ils traçaient, paraît-il, certains signes avec le doigt à la porte des étables et prononçaient des paroles diaboliques. Les effets du sortilège se faisaient sentir peu après ; car, dès qu’une établée avait reçu un sort, les vaches, les chèvres n’avaient plus de lait et dépérissaient à vue d’œil.

Fort heureusement divers moyens existaient pour rompre le charme, ou, suivant l’expression locale, pour déjouer le sort du cailleboticr. Il suffisait de conduire les bêtes maléficiées à la foire voisine, et de les faire marchander par trois maquignons différents, pour les faire revenir à leur état normal. Lorsque, par hasard, ce procédé restait inefficace, le maitre ou la maîtresse de la maison allait, le matin, dès son lever et à jeun, dans l’étable, réciter l’évangile de saint Jean, cela pendant neuf jours. Si enfin les résultats de la neuvaine étaient nuls ou insuffisants, on avait recours au panseux de secret qui, nous l’avons vu précédemment (chapitre III), [p. 206] guérissait bêtes et gens, au nom de Dieu ou au nom du diable.

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L’œuvre ténébreuse des courtiliers était encore plus à craindre que celle des caillebotiers. Non seulement les désastres qu’ils accomplissaient étaient plus terribles, mais il n’existait aucun moyen de les réparer. Les courtiliers, avec leur souffle seulement, desséchaient les plantes, arrêtaient la végétation des arbres et des jardins, annihilaient les blés et les raisins.

Personne ne vit jamais de courtiliers et cependant tout le monde croyait à leur pouvoir. On aurait pu remarquer que les malheurs qu’ils étaient censé causer coïncidaient avec les années, où, en été, se produisaient de brusques et fréquentes alternatives de pluie et de soleil, causes véritables et naturelles de ces fléaux ; mais on était au temps du surnaturel, et les sorciers, seuls, étaient capables de tels forfaits ! [p. 207]

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Des êtres malfaisants, qu’on appelait des grêleurs, avaient le pouvoir de faire des nuées et de déchaîner des orages de grêle sur une contrée. Ces sorciers opéraient ainsi : ils battaient, avec de longues perches, l’eau de certains étangs ou marcs ; des vapeurs s’élevaient, des nuées épaisses se formaient, qui s’en allaient tomber, en grêle, au gré du caprice des sorciers : c’était, à la veille des moissons, toute une contrée ravagée, anéantie. La mare de la Grande- Lüe, à Pezy (E.-et-L.), fut, d’après la tradition, plusieurs fois, le lieu où s’évertuèrent les grêleurs.

En ce temps-là, heureusement, les cloches avaient la vertu de couper les nuées. C’était alors une coutume générale de sonner les cloches pendant l’orage, et l’on était persuadé que leurs voix bénies préservaient la paroisse de la grêle et de la foudre. Aussi lit-on fréquemment cette inscription sur les cloches un peu anciennes : « Vivos voco mortuos plango, fulgura frange. » (J’appelle les vivants, je [p. 208] pleure les morts, je brise les foudres).

Dès qu’un orage suspect semblait, à l’horizon, s’avancer vers la paroisse, le sonneur mettait la cloche en branle pour déjouer le maléfice du grêleur. Plus d’un sonneur a payé de sa vie cette imprudence. Devant l’inutilité, d’une part, et de l’autre, le danger de cette coutume, l’autorité civile intervint et interdit de sonner les cloches pendant l’orage.

Il existe encore quelques vestiges de cette croyance en la vertu protectrice des cloches. A Illiers (E.-et-L.), jusqu’en ces dernières années, du 1er mai au 1er septembre, on sonnait, chaque soir, pendant une demi-heure, la cloche dite des biens de la terre. Mais peut-être cette vieille coutume ne s’est-elle perpétuée, au milieu de l’indifférence religieuse de nos cultivateurs contemporains, que grâce à la piété intéressée du sacristain. Toute peine mérite salaire : or, le fait de prendre soin, chaque jour, des biens des paroissiens, mérirait une récompense. Ainsi pensait le sacristain qui, la moisson terminée, faisait une fructueuse tournée chez les cultivateurs, [p. 209] petits et grands, de la commune. Beaucerons et Percherons s’exécutaient de bonne grâce et rétribuaient, qui en nature, qui en monnaie, l’homme qui faisait chez eux « la pluie et le beau temps. »

Nous ne nous arrêterons pas à ces sorciers, noueurs d’aiguillettes, l’effroi des jeunes mariés. On trouvera, au chap. V, § 2 de la IIIe partie, (Tome II), les moyens employés autrefois pour conjurer ce maléfice.

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Les envoûteurs remontent au moyen-âge ; ils ont disparu dans nos contrées avant la fin du XVIIIe siècle. Ces sorciers représentaient, par une petite statue en cire, la personne à laquelle ils voulaient du mal. Cette image, bénie par un prêtre, était mutilée, ou piquée à l’endroit du cœur, ou fondue, suivant le genre de supplice que l’on désirait à son ennemi. Des formules superstitieuses, des invocations au diable complétaient le sortilège. [p. 210]

Les populations primitives de la Beauce se sont groupées sur les plateaux d’alluvion argileuse qui conserve parfaitement l’eau du ciel, afin d’avoir, sans travaux ni frais, des réservoirs naturels pour abreuver les bestiaux. Ces mares et les puits très profonds doivent suffire aux besoins de la population.

La recherche des sources a donc été, de tout temps, la grande préoccupation de ce pays altéré. Mais l’ignorance et la crédulité de nos ancêtres les ont toujours portés vers les moyens surnaturels ; aussi accordèrent-ils aux sourciers le pouvoir de découvrir les sources, les trésors et les choses cachées.

Un bâton, une verge, ou une baguette représentaient le symbole extérieur de leur pouvoir surnaturel. Le bois de coudrier passait pour avoir une réelle sympathie avec l’eau, l’or ct l’argent ; mais, plus tard, la baguette fut indifféremment en métal, en bois, en corne ou en ivoire. Ce qu’il fallait obtenir, c’était la dextérité, le tour de main afin de faire [p. 211] tourner la baguette pour lui faire signaler les sources, les trésors, les crimes, etc. Cette adresse tenta bientôt les sorciers qui se firent sourciers et exploitèrent largement les naïfs. Il arriva nécessairement que, sur l’indication des hydroscopes, des sources furent mises à jour, dont les sorciers ne soupçonnaient pas l’existence. Ces heureux résultats augmentèrent leur prestige qui dura jusqu’au début du XIXe siècle. [p. 212]

III. — Conjurations des sorts.

En dehors des sorciers dont la spécialité malfaisante était nettement déterminée, il en existait d’autres qui procuraient des avantages au moyen de sortilèges. Ceux-ci étaient consultés lorsqu’on voulait se débarrasser d’un ensorcellement : c’étaient les bons sorciers. Ils détruisaient, par des pratiquas à rebours, les maléfices des mauvais sorciers.

Un grand nombre de moyens étaient employés pour neutraliser les effets du sort. On atteignait fréquemment ce but en portant sur soi des talismans ou amulettes : un serpent empêchait d’avoir la vue charmée ; une tête de cerf-volant ou lucane, muni de ses cornes, ou quelques grains de sel, cousus dans l’habit, assuraient au conscrit un bon numéro ; des grains de sel au fond des baratte ou dans le fumier des étables, un os de taupe [p. 213] porté sous l’aisselle gauche, un des bas chausse à l’envers, le buis, la verveine, le trèfle à quatre feuilles suffisaient, non seulement à nous mettre à l’abri des sorts, mais encore à nous assurer le bonheur et l’accomplissement de tous nos désirs.

Si un méchant sorcier nous avait gratifié de la fièvre, le bon sorcier nous en délivrait en prononçant certaine formule magique à laquelle il mêlait notre nom. Pendant l’opération, il tenait à la main une baguette de coudre (coudrier), qu’il lançait ensuite par-dessus son épaule gauche.

Le fiévreux pouvait aussi employer le moyen suivant : recueillir les rognures de ses ongles, les déposer, la nuit, dans un trou pratiqué dans le tronc d’un jeune tremble. Le trou aussitôt rebouché, l’arbre prenait la fièvre du malade.

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Porter sur soi de la corde de pendu préservait des maléfices.

Lorsqu’une épidémie atteignait les animaux [p. 214] d’une écurie, d’une étable ou d’une bergerie, les ignorants n’en soupçonnaient pas la cause en dehors de la sorcellerie : un ennemi leur avait jeté un sort. Au lieu de chercher, par une hygiène bien comprise, à combattre le fléau, ils se contentaient, pour déjouer le sort, de prières, de neuvaines ; ou bien, dans plusieurs communes des environs de Chartres, ils faisaient tourner les chevaux, les vaches, les moutons autour d’un feu, fait de certains bois, afin de guérir leurs bêtes et de les préserver de tout autre maléfice pendant l’année.

Nos ancêtres, dans leur simplicité, ont fait appel à tous les moyens pour chasser les maléfices : ils ont usé de la nécromancie, de l’aéromancie, de l’hydromancie, de la géomancie, de la pyromancie, de la botanomancie, de la cristallomancie, de la chiromancie, etc., etc.

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Les sorciers, paraît-il, choisissaient, de préférence, les carrefours des routes pour danser et chanter. Ils pouvaient ainsi s’emparer d’un plus grand nombre de gens. Le clergé ordonna d’y élever des croix. Et [p. 215] comme les sorciers, suppôts du diable, ont horreur des croix, ils furent obligés d’aller faire leur sabbat dans les carrières ou dans les bois : la sécurité des chemins fut assurée.

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S’il était agréable de pouvoir conjurer les sorts, il ne l’était pas moins de faire souffrir les sorciers qui avaient jeté ces sorts. Pour obtenir ce résultat, on avait recours aux sorciers-envoûteurs, ou bien on prenait un cœur lie bœuf dans lequel on enfonçait des épingles, des clous ; et, tout en prononçant des paroles d’imprécation, on le mettait cuire, sans eau, dans un vase de terre neuf. L’odeur qui s’échappait de cette préparation magique attirait le sorcier qui venait, suppliant, demander sa grâce. Le cœur de bœuf, jeté à ses pieds, enlevait le sort.

Une peine plus sévère à infliger au sorcier consistait à faire dire une 1J1eSSe du Saint­ Esprit. Cette messe devait être dite par un prêtre-sorcier : elle était dite à. rebours et avait pour effet terrible de contraindre le sorcier [p. 216] qui avait jeté un sort à courir toutes les nuits le loup-garou.

Dans beaucoup d’histoires de sorciers, il est mention de prêtres se mêlant à leurs exercices nocturnes. Les curés, aux yeux des paysans, passaient pour avoir un pouvoir analogue à celui des sorciers. Ils possédaient le secret de barrer le feu et même de mettre fin aux incendies, surtout lorsqu’ils provenaient du feu du ciel. Barrer le feu, c’était au moyen de patenôtres secrètes, arrêter subitement les progrès de l’incendie.

IV. — Les Loups-Garous.

Le diable joue un grand rôle dans la sorcellerie, puisque les sorciers tiennent leur pouvoir d’un pacte conclu entre eux et lui. Cependant, s’il faut en croire la tradition, le diable n’est pas malin. Belzébuth, raconte-t-on, eut avec saint Martin une association passagère. Il s’agissait d’un champ de carottes et de blé qu’ils avaient labouré et ensemencé de compagnie, Dans le premier cas, le diable choisit la partie de la plante qui sort de terre : saint Martin eut la racine. Voyant qu’il avait été attrapé, il prit, dans le second, la racine de la plante : nouvelle déconvenue. Il s’en arracha les cheveux de rage, assure-t-on.

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On rapporte, sur le compte du diable, nombre de faits dans lesquels il montre plus de méchanceté que d’adresse, plus de bêtise que de finesse. Partout il est bafoué, trompé, [p. 218] pris au piège et même battu lorsqu’il opère en personne. Mais, lorsqu’il transforme en loups des sorciers ou des sorcières (ce sont les loups-garous), il jette l’épouvante dans les troupeaux et les populations.

Jusqu’au commencement du XIXe siècle, notre contrée était infestée de loups. Le nombre de leurs victimes fut considérable et grande la légitime terreur qu’ils inspiraient. Les paysans croyaient que les loups avaient des intelligences avec les sorciers et des accointances avec le diable. On appelait meneurs de loups les gens qui avaient le pouvoir de charmer ces bêtes sauvages et de faire dévorer les troupeaux de leurs ennemis par leurs dociles compagnons.

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Nos populations beauceronnes, croyaient fermement aux loups-garous. C’étaient des sorciers qui se changeaient en loups. Cette transformation, d’après la croyance populaire, était ou volontaire ou imposée par le diable ; mais, dans les deux cas, ils avaient [p. 219] les goûts et les mœurs des animaux auxquels ils ressemblaient. Les garous, en effet, ne se sont pas toujours changés en loups ; on les a vus quelquefois sous la forme de chats, de levrettes et même de vaches.

D’après la tradition percheronne, les loups-garous n’étaient autres que des criminels qui avaient échappé aux recherches de la justice ci vile et ecclésiastique, et contre les­ quels 011 avait lancé l’excommunication,

Dès que la terrible sentence était fulminée contre le condamné, le diable le transformait en loup-garou et il était condamné à courir le garou toutes les nuits. Ce supplice, qui durait sept ans, consistait à courir sans relâche à travers la plaine déserte, toujours poursuivi par l’aiguillon infernal.

Si le hasard mettait quelqu’un en présence d’un garou, il ne fallait pas lui adresser la parole, car le malheureux perdait alors le bénéfice du temps déjà écoulé et devait recommencer à nouveau ses sept années de courses folles.

Pour mettre fin au sort misérable du loup-garou, , il fallait pouvoir le saisir, le plonger [p. 220] un instant la tête dans l’ eau et le frapper sur la tête jusqu’à effusion du sang. La puissance de Satan s’échappait avec le sang, l’enchantement cessait et le garou reprenait la forme humaine.

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D’après une autre version, le loup-garou était un homme qui avait fait un pacte avec le diable, soit pour s’enrichir, soit pour se rendre invisible et nuire à ses ennemis, Pendant sept ans, il devait courir à travers la plaine. S’il mourait pendant ce temps, son âme devenait la propriété du diable. Dans le cas contraire, au bout du temps fixé, l’engagement était rompu, l’homme cessait d’être sous l’empire du diable .

V. — Histoires de Sorciers, de Démons et de Loups-Garous.

Les traditins beauceronnes et percheronnes rappelent un grand nombre d’histoires sur les sorciers et les loups-garous. Le diable y joue un rôle personnel ou occulte toujours malfaisant. Les récits de nos aïeux sont remplis d’apparitions merveilleuses ou effrayantes. La crédulité naïve du public, son ignorance des lois physiologiques et psychologiques, ont accrédité ces récits et les ont rendus populaires. Des faits bizarres sont rapportés, quelquefois difficiles à expliquer aujourd’hui ; c’est que le narrateur en a exagéré l’importance, dénaturé le sens en laissant chevaucher son imagination exaltée. Ou bien ce soi-disant conteur fidèle, visionnaire privilégié, n’est qu’un vil imposteur. [p. 222]

La plupart de ces histoires, plus chimériques que diaboliques, manquent d’originalité. On les retrouve, avec le même fonds, sous des formes à peine différentes, dans toutes nos provinces de France ; en voici quelques-unes, assez caractéristiques, prises parmi celles qui nous ont été racontées.

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Le sorcier de Faverolles.

Au XXe siècle (ceci se passait en février 1901), il existe un village, en Loir-et-Cher, où l’on croit encore aux sorciers. A Chavgny, hameau de la commune de Faverolles, un cultivateur, ayant son fils atteint de la tuberculose et dont l’état, malgré les soins du médecin, allait toujours en s’aggravant, fit venir, pour le soigner, un devin qui ne put l’empêcher de mourir.

Aussitôt arrivé, celui-ci s’écria :

— Je vois ce que c’est : un sorcier a jeté un sort à votre fils. Heureusement pour vous, j’ai le pouvoir de le conjurer. Seulement, [p. 223] ajouta-t-il, je prévois que le sorcier reviendra dans le village, vers le coucher du soleil, et, à la première personne qu’il rencontrera, jettera le même sort.

Voilà pourquoi, pendant plusieurs semaines à Chavigny, vers le coucher du soleil, vous n’auriez pas rencontré âme qui vive.

Toutes les portes étaient closes. On se barricadait chez soi, et si un étranger venait à circuler à cette heure fatidique, blotti craintivement derrière le rideau, on se chuchotait à l’oreille, bien bas : C’est le sorcier !

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La grange du Russay.

On raconte qu’au Russay, près de Senantes, se trouve une grange qui a servi de refuge aux sorciers ou au diable. Il y a, de temps immémorial, dans le mur nord de cette grange, un trou que nul n’a pu boucher et que personne, aujourd’hui encore, n’oserait essayer de boucher. [p. 224]

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La grange du d’Ymonville.

Il existe, à Ymonville (E.-et-L.), une grange dont la toiture ne put jamais être achevée.

Les ouvriers qui la construisirent laissèrent, pour une cause inconnue, deux chevrons à poser. Or ces ouvriers étaient des

famaçons (francs-maçons) — qui sont, dit-on, des sorciers, — ce qui fait que nul autre qu’eux ne peut achever leur ouvrage. Le propriétaire de la grange fit, à plusieurs reprises, poser les deux chevrons manquants ; mais toujours, dans la nuit suivante, le travail de réparation fut détruit. Si, dans ce village, vous demandez à voir cette grange, l’on vous répond qu’elle est située dans un autre bourg, si bien qu’on ne put jamais la voir.

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Fresnay-l’Evêque possède aussi une grange dont le toit est resté inachevé. Ici, c’est le [p. 225] diable qui, à la suite d’un pari, devait la bâtir entièrement en une nuit. Lorsque le coq chanta, il restait à boucher le trou… encore béant aujourd’hui.

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Le Sorcier de La Loupe.

De petits cultivateurs d’un village, près de La Loupe, voyaient successivement périr chevaux et vaches, sans que le vétérinaire pût déterminer la cause de la maladie. Ils consultèrent la rêveuse renommée des environs qui, prévoyant un sô (sort), les engagea à consulter sur-le-champ un homme très savant de Nogent-le-Rotrou, appelé le guérisseux. Celui-ci prévoit de grandes difficultés, fait verser 60 francs et demande quinze jours de répit pour conjurer le sort. Les quinze jours expirés, nouvelle visite, nouveau versement et rassurantes paroles de l’oracle qui ordonne aux braves et naïfs paysans de rentrer chez eux, de demander une neuvaine à leur curé sans lui en dire le motif d’acheter treize cierges. [p. 226]

Le dernier jour de la neuvaine, mettre une paire de souliers neufs a la porte du corridor pour que le sort s’en aille, donner la provende pour trois jours aux bêtes, faire un bon repas, allumer les cierges et se mettre au lit, trois jours durant, en gardant une diète et un silence absolus, sinon le sort ne partira pas. Les braves gens exécutèrent ponctuellement les recommandations du guérisseux. Inutile de dire qu’ils en furent pour leurs souliers neufs et le sorcier, pour six mois de prison.

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Le diable à Gaubert.

Une foule de faits, aussi étranges qu’effrayants, rapportés par le journal chartrain, l’Abeille, dans son numéro du 14 mars 1849, se sont passés chez M. Dolléans, meunier à Gaubert, commune de Guillonville (Eure-et-Loir). Ce meunier fut victime d’un vol de bottes de foin et d’un commencement d’incendie. Sa domestique, Adolphine Benoît, accusa de ces méfaits un voisin nommé V… [p. 227] qui, arrêté, fut bientôt, faute de preuves, mis en liberté. Depuis le jour de l’arrestation de V…, il se passa chez M. Dolléans des choses effrayantes : des coups étaient frappés sur les planchers, les portes s’ouvraient seules avec fracas, les serrures et les cadenas disparaissaient. Adolphine, surtout, était victime d’êtres invisibles. « Tantôt des cordes, des chandelles, des chiffes, des corbeilles à pain, des chopines pleines d’eau, et même de vieilles charognes, se trouvaient transportées sur son dos ou dans ses poches. Tantôt les ustensiles de cuisine, casseroles, poêlons, cuillers à pot, etc., venaient s’accrocher aux cordons de sa jupe ou de son tablier. D’autres fois, en entrant dans 1’écurie, les harnais des chevaux sautaient sur elle ct l’entortillaient, de telle façon qu’un secours lui était nécessaire pour s’en débarrasser. Un jour, les deux colliers des chevaux vinrent se placer sur ses épaules. Des sacs à farine s’abattaient sur elle et l’enveloppaient de la tête aux pieds… » Pendant plus d’un mois la pauvre fille fut en butte à toutes sortes, de vexations qu’on attribua au diable. [p. 228]

On supposa que V… était sorcier et que, pour venger son associé et punir sa dénonciatrice, il persécutait Adolphine.

Le curé de Cormainville fut appelé ; il fit l’exorcisme selon le rituel : le diable disparut, le moulin de Gaubert retrouva son calme habituel.

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La grotte du Mont-Chenu.

A la suite de circonstances un peu nuageuses, rapportées par la tradition sur le seigneur d’un château-fort situé près de Pézy (E.-et-L.), et en raison de son pacte avec le diable, chaque année, depuis la mort du châtelain, un prodige s’opérait dans les environs dudit château, au champtier du Mont-Chenu. Le prodige avait lieu le jour de Noël et seulement pendant qu’à la messe de minuit le curé de Pézy récitait la généalogie de Jésus-Christ. Voici en quoi il consistait : une crevasse énorme s’ouvrait, laissant apercevoir de longues galeries souterraines très [p. 229] bien éclairées ; le long des murailles, étaient rangés des coffres immenses renfermant, les plus proches, de la monnaie de billon ; successivement, les autres contenaient de l’argent, de l’or et, au fond, des pierreries et des diamants.

Aucune difficulté pour pénétrer dans les galeries : la pente était douce ; mais le laps de temps, pendant lequel les trésors étaient accessibles, était si court et la distance à franchir si grande qu’on n’osait s’aventurer. La terreur de l’emprisonnement dominait la cupidité. Surtout qu’on apercevait çà et là, gisant sur le sol, les squelettes des imprudents visiteurs qui avaient payé de leur vie leur amour des richesses.

On cite cependant quelques noms de personnes qui ont dû s ‘enrichir par ce moyen. Ce sont des gens du pays qui, nés de parents pauvres, sont devenus riches, très riches, parait-il, sans qu’on puisse savoir exactement comment ils ont acquis leur fortune présumée. On dit qu’ils sont allés puiser à pleines mains dans les coffres de la grotte,du Mont-Chenu. [p. 230]

Le trésor de l’étang de la fonte.

L’étang de la fonte, situé sur la commune de Montigny-le-Chartif (E.-et-L.), n’existe plus que de nom. Il n’en reste qu’un trou où viennent s’engouffrer avec fracas les eaux d’un étang voisin. Ce trou, autrefois légendaire, renferme un trésor ; mais, C0111111C tous les trésors, il est sous la garde du diable. Une porte en fer en masque l’entrée ; cette porte s’ouvre une fois l’an, pendant la messe de minuit ; monnaies de billon, d’argent et d’or sont rangées a une certaine distance de l’entrée du souterrain. En un mot, c’est l’histoire du trésor du Mont-Chenu et celle de tous les trésors enfouis sous les vieux castels, les tombelles, les gouffres, etc. Le temps est limité, la distance à franchir est assez grande, le diable garde l’entrée, les ambitieux seuls s’y laissent prendre.

La Tour de Montlandon, près La Loupe, renferme également, d’après les traditions, des trésors merveilleux. [p. 231]

Les sorciers de Dourdan.

Pour compléter ces histoires de trésors enfouis, nos rapporterons textuellement les avatars des Sorciers de Dourdan, signalés, en 1875, par l’Astrologue de la Beauce et du Perche :

« Vers I740, il courait par la Beauce d’étranges bruits. Dans les marchés, dans les cabarets, on se répétait à 1’oreille qu’il y avait à Dourdan des sorciers qui étaient en communication avec le diable et avaient le secret de lui faire donner ou découvrir des trésors.

Plus d’un paysan hochait la tête d’un air incrédule, mais rentrait chez lui fort préoccupé, et, sans eu rien dire à ses voisins, se décidait à faire le voyage de Dourdan, pour consulter Monsieur Jean-Baptiste Potin et ses deux ou trois acolytes. Cc n’était pas chose aisée d’obtenir de ces puissants personnages qu’ils se déterminassent à faire une évocation ou appel, et une femme de Chartres leur avait [p. 232] vainement offert 2,500 livres pour venir chez elle. Le rendez-vous était souvent fort loin : un nommé Henri Moutier, de Saint-Arnoult, avait dû aller jusque dans le parc de Versailles, conduisant sa charrette attelée de cinq chevaux et chargée de six poinçons vides destines à rapporter le trésor. En général les appels se faisaient aux environs de Dourdan, à minuit, dans quelque lieu écarté. C’était dans un champ de fèves, derrière la chapelle saint-Laurent; c’était encore dans la « cave de Bistelle » ou bien dans une cave de Rochefort ou de Bullion, ou dans un cabinet de l’auberge du sieur Musseau, à Rambouillet, chez qui le diable avait élu domicile. Il ne fallait pas un mince courage pour assister aux évocations, car, il s’y passait des choses effrayantes. A la clarté de six chandelles, et après avoir brûlé des parfums dont on était presque asphyxié, Potin faisait des cercles avec une baguette, puis il s’écriait par trois fois d’un ton de maître : « Astaroth, je te fais commandement de la part du grand Dieu vivant et de la main de gloire que tu aies à paraître devant moi ! » Et [p. 233] alors le diable se montrait sous la figure d’un ours, ou bien sous celle d’un homme vêtu de noir ou de blanc avec une mitre d’or, d’argent et de pierreries sur la tête, quelquefois seul, quelquefois accompagné d’une cinquantaine de diablotins. Astaroth était exigeant : il fallait faire un pacte de renonciation au baptême, se piquer le doigt avec une épingle et signer avec son sang. Le diable signait de son côté avec de l’encre sur un tapis brillant comme du feu. Alors il indiquait un jour pour livrer le trésor, se faisait payer son voyage, faisait sonner son argent dans des barils à harengs et disparaissait. Quelquefois Astaroth était méchant, mordait, égratignait et battait les assistants.

Il fallait aussi une patience éprouvée et une bourse déjà bien garnie pour tenter pareille aventure. Il était indispensable de se procurer un exemplaire du livre « des quatre princes, » paraphé du diable ; il fallait payer, en attendant minuit, le souper de la compagnie, payer les chandelles et les parfums, payer, après minuit, les quittances et les engagements, de Dourdan à Rochefort, de [p. 234] Rochefort à Rambouillet ou à Chartres, ou ailleurs, suivant le lieu indiqué pour la livraison du trésor. Le diable apportait une statue d’or, les assistants, ne pouvant la partager, demandaient de l’argent monnayé, et c’était à recommencer. Le plus difficile, dans certaines occasions, c’était de trouver un prêtre en habits sacerdotaux, qui voulût bien se charger des péchés de trente ans et saisir le diable avec une étole ou un cordon bénit, pour lui faire rendre des engagements ou des papiers de succession perdus. On n’avait pas d’autre ressource alors que d’aller chez le curé de Bullion, le sieur d’Enfert, qui ne refusait pas son service, mais qui le faisait singulièrement attendre.

Or, il arriva qu’au commencement de juin 1744, Martin Lorry, meunier à Sonchamp, fut un peu moins patient que les autres. Il s’agissait pour lui d’un trésor de vingt millions, caché dans un vieux château ; Astaroth le traînait de rendez-vous en rendez-vous, et l’appel définitif n’arrivait pas. Lorry en était déjà pour plus de mille livres de voyages du diable, de parfums, de régals à Potin et [p. 235] consorts chez Trouve, Barré, Guéret, cabaretiers de Dourdan, et chez tous les aubergistes de la contrée. Il causa un peu et reçut des confidences inquiétantes : Moutier, de Saint-Arnoult, avait aussi déboursé mille livres ; son voisin, Louis Caudron, le vigneron, avait payé tant de voyages qu’il en était réduit à coucher sur la paille, et Musseau, l’aubergiste, à se faire homme e de peine ; Jaudon, l’arpenteur de Rambouillet, avait donné douze cents livres et de plus sa fille en mariage à un des sorciers, pour le mettre dans ses intérêts ; Laroche de Saint-Arnoult avouait cent cinquante livres ; Lair de Bullion en avait déboursé six cents. — Personne n’avait rien reçu.

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L’abbé Buchère, curé de Sonchamp, reçut quelques doléances de son paroissien, il écrivit à M. Védye, lieutenant-général de Dourdan, et l’affaire prit une autre tournure. Les lieutenants-généraux ne croient pas aux sorciers. Une enquête fut faite. Lorry servit d’espion, et la cabale fut découverte. Les sorciers de Dourdan n’étaient que des escrocs ou des fous. Potin avait passé sa vie à jeter [p. 236] des sorts et à prétendre guérir de la colique, hommes et bêtes, avec des herbes ; il avait déjà fait un bon séjour à Bicêtre. Clespe, jardinier, lui servait de compère, plusieurs autres Dourdannais partageaient la recette comme complices. D’autres, d’abord dupes, étaient entrés dans la compagnie, et l’un d’eux s’était chargé de faire Astaroth. Un père Antonin, sous-prieur de l’abbaye de Clairefontaine, pauvre tête séduite par le cardinalat avait sacrifié pour cela son pécule de 700 livres et était devenu séducteur pour le regagner. Quant au sire d’Enfert, c’était un vieux fou qui recevait chez lui une foule de bergers et de vauriens, et était le scandale de sa paroisse et la désolation de ses supérieurs. — Les prétendus livres mystérieux, montres aux brayes gens, n’étaient simplement que des almanachs, et un grimoire à demi-brûlé fut repêché dans la rivière par des laveuses. Quand la chose fut ébruitée, il se trouva dans la contrée plus de trois cents témoins à charge. Les sommes reçues par les sorciers atteignaient un chiffre considérable, et l’on murmurait les noms de plus de vingt bourgeois des meilleures familles [p. 237] de Chartres qui attendaient encore des trésors.

Grande fut l’émotion de la population de Dourdan quand, sur un mandat d’amener de M. le lieutenant-général, les sorciers, escortés par la maréchaussée, firent leur entrée dans la grosse tour, et quand on vit pendant de longues journées, à la barre de l’auditoire, ces personnages redoutés répondre de leurs méfaits, tout comme des voleurs. C’est par des huées que Potin, Clespe et compagnie furent salués, le 22 août 1744, quand ils montèrent en charrette, pour faire le voyage de Bicêtre, avec le brigadier, porteur des lettres de cachet paraphées du roi. Ce qui n’empêcha pas, plus d’une bonne âme, de se signer en les voyant partir, et de saluer bien bas quand vint à passer, nombre d’années après, quelqu’un d’entre eux, sorti, à la prière d’une grande dame, de « l ‘hôpital général de la bonne ville de Paris ».

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Nogent-le- Rotrou maléficié.

Au milieu du XIXe siècle, une épidémie de choléra sévissant à Nogent-le-Rotrou, la municipalité, par mesure d’hygiène, ordonna d’arroser, chaque matin, le devant des maisons. (La source des Lambert, à cette époque, n’alimentait pas encore la ville.) Les paysans percherons se firent rares le jour du marché : ils prirent cette mesure d’hygiène pour un maléfice qui n’avait d’autre but que celui de vicier l’air et de répandre le choléra. Les nogentais, de leur côté, s’enfermaient chez eux aussitôt après l’arrosage, persuadés que les miasmes seraient absorbés par les campagnards en arrivant à la ville ; après quoi, ils pouvaient sortir sans crainte. [p. 239]

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Le loup-garou beauceron

Il y avait autrefois (on ne précise pas le siècle), dans une ferme de la Beauce, (les noms varient) un vacher qui découchait toutes les nuits. Maîtres et domestiques avaient remarqué ses absences, nocturnes, mais ils n’en parlaient qu’entre eux. A cette époque, un loup-garou parcourait la plaine ; il venait, chaque nuit, rôder autour de la ferme et agacer les chiens, en passant son museau par la chatière percée dans les grandes portes.

Intrigué des sorties régulières de son valet, le fermier voulut voir où il allait. Il se cacha à la sortie de la ferme, décidé à le suivre. Le vacher sortit peu après, gagna un hangar situe à cent mètres environ et retira de sous sa blouse un paquet enveloppé. C’était une large ceinture qu’il se mit autour du corps. Aussitôt il devint loup-garou et partit au galop à travers la campagne. [p. 240]

Le fermier rentra, non sans frayeur, en son logis ; néanmoins il reprit courage, et, s’armant d’un gros bâton ferré, il alla se placer à proximité de la chatière. A peine était-il à son poste que les chiens aboyèrent avec rage : la tête du loup-garou était à demi passée dans la chatière.

Le fermier frappa un coup de sa matraque ; le sang jaillit. Une voix dit aussitôt : « Tant mieux, je suis quitte ; j’en avais encore pour trois ans. »

Le lendemain, le fermier vit une cicatrice sur le front de son vacher qui, depuis lors, ne sortit plus la nuit.

 

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