Fabre. MONOMANIE DÉMONIAQUE (DÉMONOMANIE). Extrait de la « Bibliothèque du Médecin-Praticien, (Paris), tome neuvième, Maladies de l’encéphale, maladies mentales, maladies nerveuses, 1849, pp. 526-528.

Fabre. MONOMANIE DÉMONIAQUE (DÉMONOMANIE). Extrait de la « Bibliothèque du Médecin-Praticien ou résumé général de tous les ouvrages de clinique médicale et chirurgicale, de toutes les monographies, de tous les mémoires de médecine et de chirurgie pratiques, anciens et modernes, publiés en France et à l’étranger par une société de médecins sous a direction du docteur Fabre… », (Paris), tome neuvième, Maladies de l’encéphale, maladies mentales, maladies nerveuses, 1849, pp. 526-528.

 

Antoine François Hippolyte Fabre (1797-1854). Médecin et chroniqueur médical dans la Gazette des Hôpitaux civils et militaires.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les notes de bas de page ont été reportées enfin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 526, colonne 2]

ARTICLE XVI.

Monomanie démonomaniaque.
(Démonomanie).

La souffrance étant le partage de l’humanité, les idées tristes ont dû prédominer de tout temps. De la tristesse à la crainte, à l’effroi, il n’y a que des nuances. Ces sentiments inspirèrent, dès le premier âge, une sorte de mélancolie religieuse, dépendants des plus lugubres terreurs nées avec le monde. La mélancolie religieusefut, de toutes aliénations mentales, la plus générale et la plus répandue. L’ascétisme exagéré, qui n’est qu’une nuance de cette forme de l’aliénation, a été très bien décrit par M. Leuret dans ses Fragments psychologiques.

Lorsque le dogme des mauvais esprits, des anges déchus, des démons eut prévalu parmi les chrétiens, il remplaça les frayeurs causées par !es furies, les Euménides. Le moyen âge est rempli d’histoires de sorciers, de possédés, de démonomaniaques. [p. 527, colonne 1]

Cette forme de la folie est loin d’être aussi commune, mais si on !’observe rarement à Paris, elle est beaucoup plus fréquente dans les provinces. M. Marario en a cité plusieurs exemples dans les Annales médico-psychologique, et depuis plusieurs années nous en avons observé quelques cas dans certains établissements.

Esquirol avait proposé de faire deux divisions des individus que les idées religieuses ont rendus fous : dans la première (théomanie}, il rangeait les aliénés qui se croient Dieu, qui s’imaginent avoir des entretiens, des communications intimes avec le Saint-Esprit, les anges, les saints, qui prétendent être inspires, avoir reçu une mission du ciel pour convertir les hommes ; dans la seconde (cacodémonomanaque), il plaçait les infortunée qui se croient possédés du diable, ou qui craignent d’être damnés et dévoués aux feux de l’enfer.

Les causes de la démonomanie sont comme celles de la folie, morales et physiques. Une mauvaise éducation, le fanatisme religieux, la vie ascétique, de fausses idées sur la justice divine, la crainte exagérée du diable, de la damnation, de l’enfer, sont autant de causes plus ou moins éloignées de cette maladie.

Les causes individuelles et prochaines de la maladie sont les mêmes que celles de la mélancolie. Une vive commotion morale, une frayeur, la crainte d’avoir reçu un sort, un regard affecté ou menaçant, une prédication véhémente, la force de l’émotion, suffisent pour faire éclater l’accès. Le veuvage, le temps critique, les frictions sur le corps, des suppositoires préparés avec certaines substances, des breuvages composés de substances enivrantes ou narcotiques, telles sont les causes physique. L’hérédité est signalée parmi les causes de possession. L’âge le plus favorable à la possession quarante-cinq à cinquante ans. Les femmes y sont plus prédisposées. Le tempérament mélancolique et celui de la plupart des démonomaniaques ; une constitution nerveuse, une imagination facile à exalter, un caractère pusillanime, sont éminemment favorables à cette espèce de monomanie.

En examinant des symptômes que [p. 527, colonne 2] présentent les démonomaniaques, on voit qu’ils sont absolument semblables aux signes de possession indiqués par les auteurs.

L’accès éclate ordinairement tout à coup ; sa durée est plus ou moins longue, sa guérison très douteuse. La démonomanie se termine par la démence, la manie, les convulsions, ordinairement par la mort.

Les démonomaniaques sont maigres ; ils ont le teint jaune, hâlé, la physionomie inquiète, le regard soupçonneux, les traits de la face crispés. Ils ne dorment point, mangent peu, souvent en cachette ; ils sont constipés, marchent beaucoup ; sentent un feu intérieur qui les dévore ; il croient être entouré des feux de l’enfer qu’eux seuls aperçoivent ; ils se plaignent de leur sort en gémissant ; ils cherchent à faire du mal à ceux qui les entourent. Par moment, ils ont des accès de fureur.

Les démonomaniaques exhalent une odeur très forte. Les femmes sont sujets à 1000 accidents hystériques. Comme tous les mélancoliques, les démonomaniaques ont des hallucinations, des illusions, des sensations ; les uns croient être le diable ; les autres croient avoir le diable dans le corps qu’il les pince, les mord, les déchire, quelques-uns l’entendent parler ; ils conversent avec lui ; il leur conseille des crimes, des meurtres, des incendies ; il les provoque aux obscénités les plus révoltantes, aux blasphèmes les plus impies ; il menace, les frappes s’ils n’obéissent à ses ordres. Il en est de même désillusion de la vue, du toucher. Les uns se rendre au sabbat ont un balai entre les jambes ; les autres sont montés sur un âne, un bouc, un chien. Quelques femmes l’ont vu sous la forme d’un bon jeune homme.

Le marmottement continuel de quelques possédés ce retrouve chez les mélancoliques, surtout chez ceux qui sont tombés en démence. L’opiniâtreté qu’ils avaient dans leurs croyances appartient aussi à la mélancolie. Le sommeil dans lequel tombait quelques individus soumis à la question, étais la preuve la plus forte de possession. On ne savait point alors que l’excès de la douleur provoque un sommeil insurmontable. Les fauteurs de supplices des possédés recommandent  d’interroger [p. 528, colonne 1] ces infortunés dès qu’ils sont arrêtés, parce qu’ils confessent tout alors. Qui peut méconnaître ici !es effets d’une impression vive et forte ?

Quelques possédés ne pouvant supporter les maux qu’ils éprouvaient, menaçaient de se tuer, marchaient gaiement au supplice. Ce symptôme n’est-il pas commun a beaucoup de mélancoliques qui préfèrent mille fois la mort aux inquiétudes qui les tourmentent ?

Les possédés étaient pris de mouvements convulsifs, lorsque le début était très intense ; quelques-uns devenaient maniaques, enragés, et mouraient. Toutes les convulsions des démonomaniaques ne sont autre chose que !es symptômes nerveux auxquels sont exposés !es hystériques, les hypochondriaques, les épileptiques.

Dans son article Démonomanie, auquel nous avons emprunté tous les matériaux de cet article, Esquirol signale une variété de démonomanie dans laquelle les aliénés, frappés des terreurs de l’enfer, croient être damnés ; ce sont des personnes dont l’esprit est faible, timide, craintif (nous en avons vu de fort spirituelles et de très sensées) ; dont le cœur est droit et pur, dont les convictions sont profondes, qui croient avoir commis des fautes, des crimes. Ils sont désespérés, ils ne voient ni le diable ni l’enfer, mais ils redoutent la damnation, et sont convaincus qu’ils iront en enfer. Ils s’imposent des mortifications plus ou moins outrées, plus ou moins bizarres pour prévenir leur destinée.

Un caractère pusillanime, l’exagération, l’ignorance des vrais principes religieux, la lecture des livres propres à asservir l’esprit, le temps critique, la masturbation, les revers de fortune, sont les causes les plus fréquentes de cette variété qui n’est pas aussi rare que la démonomanie.

L’impulsion au meurtre et au suicide est très à redouter chez les individus qui craignent la damnation et l’enfer.

Le traitement de la démonomanie et de la monomanie homicide ne diffère point de celui de la mélancolie. Toutes ces formes tristes sont très heureusement influencées par la vie de famille. L’assistance des ministres de la religion a rarement été suivie de succès et très souvent elle a [p. 528, colonne 2] aggravé la maladie. Reil indique un grand nombre de moyens ; ils se réduisent tous à ce principe général : frapper vivement m’imagination des aliénés, pour les subjuguer et s’emparer ensuite de leur confiance et de leur esprit ; on combattra une passion par une passion. Le traitement pharmaceutique, ainsi que le régime, dépend de la connaissance des causes.

A la démonomanie se rapporte comme sous-variété la zoanthropie, qui fait croire au lypémaniaque qu’il est changé en bête.

Il est asses commun de rencontrer des aliénés qui se persuadent qu’on leur a jeté un sort qui cause toutes les douleurs qu’ils souffrent ; ils sont un objet d’horreur, disent-ils, et ils doivent s’éloigner du monde. Ce travers d’esprit se montre surtout dans !es campagnes.

La démonomanie est quelquefois épidémique ; comme toutes les maladies nerveuses, elle se propage par une sorte de contagion morale et par la force de l’imitation. Dans le XIVe siècle, le mal des andous, sorte de démonomanie, affligea la Hollande, la Belgique, l’Allemagne.

En 1552 ou 1554, ii y eut, à Rome, une épidémie de possédés qui s’étendit à 84 individus. L’histoire du moyen âge est remplie de faits semblables, dont plusieurs ont encore été observés à des époques très rapprochées de nous. (Esquirol, Maladies mentales, t. II, p. 482 ; Macario, Annales médico-psychologiques, 1846. Calmeil, De la folie, etc., ouv, cit.)

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