F. Nau. DÉMONS. Extrait du « Dictionnaire apologétique de la foi catholique », (Paris), Gabriel Beauchesne, 1922, tome 1, colonne 917 – colonne 928.

F. Nau. DÉMONS. Extrait du « Dictionnaire apologétique de la foi catholique : contenant les preuves de la vérité de la religion et les réponses aux objections tirées des sciences humaines », (Paris), Gabriel Beauchesne, 1922, tome 1, colonne 917 – colonne 928.

 

François Nau (1864-1931). Prêtre catholique, mathématicien, il s’est spécialisé dans l’étude de plusieurs langues orientales, dont le syriaque; qu’il enseignera  à l »École pratique des Hautes Études à partir de 1927. Il fut Doyen de l’École des Sciences. Parmi la publication de plus de 250 ouvrages non avons retenu :
— Documents pour l’étude de la Bible. Histoire et Sagesse d’Açikar l’Assyrien (fils d’Anaël, neveu de Tobie). Traduction des versions syriaques avec les principales différences des versions arabe, arménienne, grecque, néo-syriaque, slave et roumaine, 1909.
— Recueil de monographies. III. Les légendes syriaques d’Aaron de Saroug, de Maxime et Domèce, d’Abraham, maître de Barsôma, et de l’empereur Maurice. Texte syriaque édité et traduit, in: PO 5, 1910, 693-778. 804-807.
— Documents pour servir à l’histoire de l’Église nestorienne. La seconde partie de l’Histoire de Barçadbešabba `Arbaïa et controverse de Théodore de Mopsueste avec les Macédoniens. Textes syriaques édités et traduits, in: PO 9, 1913, 489-677.
— Documents pour servir à l’histoire de l’Église nestorienne. La première partie de l’Histoire de Barçadbešabba `Arbaïa. Texte syriaque édité et traduit, in : PO 23, 1932, 177-343 ;

[colonne 917]

DÉMONS. — Ce nom désigne, d’après l’usage, tous les esprits mauvais qui trompent et affligent les hommes, et, au sens strict, l’un quelconque des anges déchus, devenus les ennemis de Dieu et des hommes. Plus particulièrement le mot démon — comme diable, Satan, Lucifer — désigne le chef des mauvais anges. Nous traiterons dans la première partie (Histoire et traditions) des démons dans l’Écriture, dans les apocryphes et dans les littératures profanes, puis, dans la seconde partie (Théologie), nous exposerons l’enseignement dogmatique de l’Église, et ensuite le sentiment commun des théologiens sur les points controversés : chute, nombre, nature, punition, action des démons, relations avec les hommes.

I. Histoire et Traditions. — I. Les démons dans l’Écriture Sainte. — Dans le Pentateuque, le rôle des démons est laissé dans l’ombre, pour ne pas mettre les Juifs sur la voie du dualisme et de l’adoration des esprits mauvais : Dieu, qui interdisait même de faire des statues et des portraits (Exod., X, 4 ; Levit., XXVI, I ; Deut., v, 8, VII, 5, XXVI, 15), ne pouvait pas mettre en relief la personnalité du démon, à qui la crainte aurait fourni des adorateurs. Du moins, dès le commencement de la Genèse, nous trouvons, de manière suffisamment claire, le démon sous la figure du serpent tentateur, comme nous l’enseigne saint Jean, Apoc., XII, 9 ; XX, 2 ; c’est par son envie et par sa jalousie contre l’homme que la mort *st entrée dans le monde à la suite du péché, Sap., I ,24 ;Heb., II, 14.C’est de là— de la chute de l’homme causée par le démon sous la forme d’un serpent, et de la corruption de la nature humaine qui s’en est suivie — que découle la nécessité de la Rédemption [colonne 918] et, par suite, toute l’économie du judaïsme et du christianisme ; aussi trouve-t-on dans la Bible de fréquentes allusions à l’arbre de vie, Prov., III, 18, xi, 3o, XIII, 12, XV, 14; au chemin de vie, Prov., II, 19, V, 6, X, 17, XII, 28. Toute l’attente messianique, en sus du point de vue temporel, présuppose la chute de l’homme el la revanche à prendre sur le démon.

Nous retrouvons encore les démons dans les divers Baals, depuis Baal-Phégor, Num., XXV, 18, qui trompe les Moabites et cause la mort de nombreux Israélites, jusqu’à Baal-Zéboub, dieu d’Accaron, qui apparaît déjà dans l’Ancien Testament, IV Reg., 1, 2  (Septante), cf. JOSÈPHE, Antiq. Jud., IX, II, 1, mais surtout dans le Nouveau, Matth., X, 25, XII, 24 ; Marc, III, 22 ; Luc, XI, 15 ; Joan., VIII, 44. Nous les retrouvons encore dans Moloch, idole des fils d’Ammon, Levit., XX, 3 ; III Reg., XI, 5, etc. ; dans Chamos, dieu de Moab, Num., XXI, 29 ; Jud., XI, 24 ; VI Reg., XI, 17, 33, etc. ; dans Adramélech, IV Reg. XVII, 30 ; Aschérah et Astarté, III Reg., XI, 5, 33, XVIII, 19 ; IV Reg., XXIII, 4 ; Asima, IV Reg., XVII, 30 ; Dagon, Jud., XVI, 23 ; I Reg., V, 2 à 7 ; I Paral., X, 10 ; Melchom, IV Reg., XXIII, 13 ; I Paral., XX, 2 ; Nergel, IV Reg., XXXVII, 3o ; Nesroch, IV Reg., XIX, 37 ; Is., XXXVII, 38 ; Remmon, IV Reg., V, 18 ; enfin, plus tard, Atargatis, II Macch., XII, 26, et les dieux du monde grec et du monde romain. D’après l’Écriture, tous ces êtres qui portaient les hommes au mensonge, à l’erreur, à la débauche, à l’homicide, méritent d’être regardés comme des manifestations, presque comme des personnifications, de l’esprit mauvais, car à côté des textes qui montrent la vanité des idoles, on en trouve d’autres, dans la Vulgate, qui les identifient au démon : Deuter., XXXII, 17 :Immolaverunt daemoniis et non Deo, diis quos ignorabant ; Ps. XCV, 5 : Omnes dii gentium daemonia ; Baruch, IV, 9 : Exacerbastis enim eum qui fecit vos, Deum aeternum, immolantes daemoniis et non Deo ; I Cor., X, 1921 : Quae immolabant gentes, daemoniis immolabant et non Deo… Cf. Apoc,IX, 20 ; I Tim., IV, I ; Jac., III, 15.

Dans le livre de Job, le démon apparaît, pour ainsi dire, personnellement. Satan « l’adversaire », que l’on trouve aussi dans IParal., XXI, 1, et Zachar., III, 1 et 2, parcourt la terre, Job, I, 7, à la recherche d’une proie, I Pet., V, 8 ; il accuse Job de ne pratiquer la vertu que par intérêt, Job, I, 10, 11 ; II, 5 ; il est « l’accusateur », Apoc, XII, 10 ; il frappe Job dans ses biens et dans son corps, Job, I à II, dans la mesure où Dieu le lui permet, mais il ne peut triompher de la vertu de Job. Sous les formes poétiques de cet admirable livre, nous voyons du moins que le démon hait et jalouse les hommes, qu’il cherche à les porter au péché, mais qu’il ne peut les tenter sans la permission de Dieu, et n’a aucun pouvoir sur leur libre arbitre.

Dans le livre de Tobie, apparaît un démon homicide, Asmodée,Tob., III, 8, 24, 25, qui a pouvoir sur ceux qui s’abandonnent à leurs passions, ibid., VI, 17. Raphaël le relègue dans le désert, ibid., VIII, 3. On a rapproché à tort Asmodée de l’Aeshma védique, car la racine de ce mot est sémitique (hasmod : Celui qui perd ouqui détruit) et le rôle des deux démons est différent ; Aeshma en effet est le déva(mot syriaque : daïva, et iranien : daeva, divus, et même démon, δαίμων, cf. I, 3,rattaché parfois aux verbes δαίω, δαίομαι) de la violence ou de la colère. A plus forte raison est-il fantaisiste de vouloir, à l’occasion du seul Asmodée, ramener la démonologie juive à l’iranienne, car les livres pehlvis sont relativement récents et prêtent plutôt à l’hypothèse inverse ; de plus, même s’il y avait identité de nom (ce qui n’est pas), cette identité ne prouverait ni celle d’origine, ni celle de concept ; c’est ainsi que l’emploi du même mot « démon » [colonne 919] par Socrate et par nous, n’empêche pas notre concept d’être différent du sien (et même opposé) et de provenir d’ailleurs.

A la vérité, nous sommes loin du temps où la mentalité des Juifs les exposait à adorer tout esprit bon ou mauvais qu’on leur aurait décrit et toute figure qu’on leur aurait sculptée ; bien plus (au moins dès le troisième siècle avant notre ère), une secte puissante, celle des Saddueéens, niait l’immortalité de l’âme, la résurrection et la vie future, Matth., XXII, 23 ; Marc, XII, 18 ; Luc, XX, 27 ; JOSÈPHE, Ant. Jud., XVIII, I, 4 ; De bello jud., II, VIII, 14 ; elle niait aussi l’existence des anges et des esprits, Act., XXIII, 8 ; et les écrivains sacrés, loin de devoir voiler l’action des démons, devaient au contraire la mettre en relief, car elle était la meilleure réfutation — réfutation expérimentale — des Saddueéens. Le Nouveau Testament est donc rempli d’enseignements sur les démons, et nous a déjà servi à interpréter quelques passages moins clairs de l’Ancien; les démons ont une hiérarchie, Beelzébub est leur chef, Matth., XII, 24 ; Ils habitent dans les hommes en tant qu’esprits impurs et mauvais, Matth., XII, 43 ; Luc, VIII, 2 ; XI, 24 ; Eph., VI, 12 ; il y en a de plus mauvais les uns que les autres, Luc, XI, 26 ; ils causent des maladies, Luc, VIII, 2 ; XIII, 11 ; cf. I Cor., V, 5 ; ils luttent avec Michel et les bons anges, Apoc, XII, 7, 9 ; Satan, appelé aussi Bélial ou plutôt Béliar, II Cor., VI, 15, est la cause de tout mal et de toute méchanceté, Luc, X, 19 ; XIII, 16 ; XIII, 16 ; Act., V, 3 ; II Cor., XI, 3 ; Ephes., II, 2 ; l’ennemi du royaume de Dieu, Matth.. XIII, 39 ; Luc, X, 18 ; XXII, 3 ; le prince du monde, Joan., XII, 31 ; XIV , 30 ; XVI, 11 ; le tentateur des fidèles, I Cor., VII, 5 ; I Thess., III, 5 ; I Pet., V, 8, qui a été jusqu’à tenter Notre-Seigneur lui-même, Matth., IV. Le premier acte de Satan a été la tentation d’Eve, II Cor., XI, 3 ; cf. Apoc, XII, 9 ; il a l’empire de la mort, Hebr., II, 14. Satan et ses anges (les démons), Apoc., XII, 9 ; II Cor., XII, 7, avaient été créés bons, et ils sont tombés par leur propre faute, II Pet.,II, 4 ; Jud., 6 ; et. Joan., VIII, 44 ; maintenant ils règnent sur le monde des ténèbres, Eph., VI, 12 ; cf. Col., I, 13 ; leur chef est le prince des puissances de l’air, Eph., II, 2 ; ils sont réservés pour un terrible châtiment, II Pet., II, 4 ; Jud., 6 ; car le Christ est venu pour détruire le règne de Satan, I Joan., III, 8 ; durant sa vie il l’a déjà jugé, Joan., XII, 31 ; XVI, 11. En somme c’est surtout par des possessions que le démon se manifeste dans les évangiles; nous remettons à un autre article l’étude de ces phénomènes (voir POSSESSIONS).

2. Les démons dans les apocryphes. — C’est dans les apocryphes que nous trouvons le plus de détails sur les démons, détails souvent imaginaires, mais qui nous font connaître cependant les traditions populaires dans les milieux où les apocryphes ont été composés, et qui peuvent même parfois servir de commentaire autorisé aux livres canoniques, lorsque les traditions consignées sont assez anciennes et ont ensuite été adoptées par les Pères.

Dans le Livre d’Adam, nous trouvons un long commentaire de la chute de l’homme et de sa pénitence : après la sortie du Paradis, Adam va faire pénitence dans les eaux du Jourdain et Eve dans les eaux du Tigre ; celle-ci est encore une fois trompée par Satan, qui l’amène à abandonner sa pénitence. La haine de Satan provient de ce que l’homme est cause de sa chute : car, après la création, Dieu a présenté aux anges « son image et sa ressemblance », en leur commandant de l’adorer ; Satan et ses anges ne l’ont pas voulu parce qu’ils avaient été créés avant l’homme et qu’ils étaient de purs esprits, tandis que [colonne 920] l’homme était fait de poussière. Tel fut le péché des mauvais anges, péché d’orgueil, pour lequel ils ont été jetés du ciel sur la terre. C’est alors que Michel serait intervenu pour punir les rebelles. Cf. E. KAUTZSCH, Die Apocr. und Pseudepigraphen des Allen Testaments, Tubingue, 1900, T. II, p. 512-628. Le Livre d’Hénoch nous donne une classification des puissances célestes : les démons sont une partie des anges de l’une de ces classes : la classe des « veilleurs ». La cause de leur chute est toute différente de la donnée du livre d’Adam : c’est ici un péché de concupiscence, et non un péché d’orgueil : Deux cents des veilleurs, sous les ordres de Semyaza dans une tradition, ou d’Azazel dans une autre, se sont laissé séduire par la beauté des filles des hommes ; ils sont descendus sur le sommet de l’Hermon avec leur prince et leurs chefs de dizaines ; Hénoch connaît tous leurs noms. Puis ils ont pris des femmes el en ont eu des géants qui ont opprimé les hommes et se sont dévorés entre eux. Ils ont aussi commis la faute de révéler les secrets éternels à ces femmes et par elles à l’humanité, et de leur découvrir tout péché et toute injustice. C’est pourquoi les âmes des opprimés les ont accusés, et Dieu, malgré l’intervention d’Hénoch, les a condamnés à subir une double série de châtiments : les uns immédiats, la perte de leurs enfants et une étroite captivité loin du ciel; les autres à partir du dernier jugement : le supplice et les tourments de l’abîme de feu dans lequel ils seront définitivement jetés. En attendant l’éternelle damnation, leurs esprits peuvent prendre toutes sortesdeform.es pour aller tenter les hommes. Ces anges déchus sont comparés à des étoiles descendues des cieux pour se livrer à des relations coupables avec les génisses, c’est-à-dire les filles des hommes. Un des archanges fidèle les saisit, les lie et les jette d’abord dans un abîme de la terre ; puis, au jugement final, ces étoiles sont jetées dans un abîme de feu. Les géants issus de l’union coupable des veilleurs avec les filles des hommes ont été mis à mort, mais les esprits sortis de leur chair sont restés sur la terre. Ils y sont appelés esprits mauvais, et ils ne cessent de s’élever contre les enfants des hommes jusqu’au jour du grand jugement. En attendant, beaucoup d’hommes les adorent sous l’image des idoles, à l’instigation perfide des anges déchus, qui les portent à sacrifiera ces démons comme à des dieux. Il existe aussi des Satans qui accusent les hommes devant Dieu et sont chargés de tourmenter les hommes condamnés aux supplices éternels. Dans ce dernier rôle, ils portent le nom d’anges du châtiment ; ils préparent les instruments de Satan, fouet et chaînes de fer, pour les rois et les puissants de la terre. Les Satans sont distincts des anges déchus et des mauvais esprits sortis des corps des géants, car ils ne sont pas voués aux tourments de l’enfer comme les premiers ; ils peuvent se présenter dans le ciel devant le Seigneur, alors que les veilleurs déchus ne peuvent pas y monter, le livre d’Hénoch ne nous apprend pas leur origine; leur chef est Satan, le maître des instruments de torture destinés aux pécheurs ; il représente un pouvoir hostile à Dieu, mais il dépend néanmoins du Très-Haut, puisque ses subordonnés ne sont que les exécuteurs des sentences divines et qu’ils ne peuvent perdre les hommes qu’en les accusant devant le Créateur. Cf. F. MARTIN, Le Livre d’Hénoch, Paris, 1906, p. XXVIII-XXXI.

Dans ces spéculations, on reconnaît facilement un commentaire de Gen.,VI, 2 ; Is., XIV, 12, et Job. D’après la Genèse, « les fils de Dieu voyant que les filles des hommes étaient belles, se firent des épouses de celles qu’ils choisirent entre toutes ». La tradition qui voit dans « les fils de Dieu » non pas les descendants de [colonne 921] Seth, mais les anges, s’appuie sur Job, I, 6 ; II, I ;Ps., XXVIII, I ; LXXXIX, 7, à cette locution désigne les anges, et a été admise par JOSÈPHE, Ant. Jud., I, III, I, saint JUSTIN, II, Apol.,5 ; et aussi par ATHÉNAGORE, CLÉMENT d’Alexandrie, TERTULLIEN, S. IRÉNÉE, S. CYPRIEN, S. AMBROISE. D’autres Pères, S. JEAN CHRYSOSTOME, S. CYRILLE d’Alexandrie, THÉODORET, S. AUGUSTIN, De Civit. Dei, XV, 23, ne voient dans ce passage que les fils de Seth, et nient que les anges puissent s’unir aux filles des hommes ; S. Augustin rejette même explicitement le témoignage des apocryphes et du livre d’Hénoch. Nous avons relevé au long les traditions consignées dans ce livre célèbre, à cause de l’influence qu’elles ont eue sur la littérature ecclésiastique, et de l’autorité que leur communique la citation de S. Jude (14) qui écrit encore (5-6 et i3) : Jésus a réservé pour le jugement du grand jour, liés de chaînes éternelles, au sein des ténèbres, les anges qui n’ont pas conservé leur principauté, mais qui ont abandonné leur demeure… astres errants, auxquels d’épaisses ténèbres sont réservées pour l’éternité.

D’après le Livre des Jubilés, ce sont les anges envoyés par Dieu sur la terre qui prennent des femmes et engendrent des géants; Dieu les fait lier au profond de la terre et fait tuer leurs enfants, chap. V. Noé demande à Dieu d’envoyer tous les démons au lieu de la damnation, mais leur chef, Mastéma, obtient que la dixième partie puisse rester sur la terre et ceux-ci, sous les ordres de Satan, trompent et aveuglent les hommes (X). Cf. KAUTZSCH, loc. cit.,p. 31-119.

Dans l’Ascension d’Isaïe, le chef des démons s’appelle Béliar, comme dans S. Paul, ou encore Sammael et Satan ; ses anges portent les hommes au mal et se font adorer par eux. Cf. E. TISSERANT, Ascension d’Isaïe, p. 20-25. Dans les Testaments des douze patriarches, nous retrouvons Béliar, Dan, I, IV, V ; Aser, I ; c’est lui qui pousse Dan à tuer Joseph. Cf. KAUTZSCH, loc. cit., p. 483-484, 495.

D’autres apocryphes décrivent les démons et les supplices de l’enfer. Ils supposent en général que ces faits sont connus par ravissement ou révélation ; c’est le cas de « la Fidèle Sagesse » et de plusieurs apocalypses (voir l’article APOCRYPHES).

3. Les démons dans l’ancienne littérature profane. — La vérité sur l’existence et le rôle des démons s’est corrompue, dans les diverses littératures et les diverses religions, comme les hommes qui se la transmettaient ; mais, avec un peu d’attention, on peut la dégager des erreurs qui l’obscurcissent.

Dans la littérature grecque, on trouve qu’à l’origine le mot « démon » désigne un génie ou une divinité plutôt qu’un esprit mauvais : « nous combattrons enfin jusqu’à ce qu’un démon donne la victoire à l’un ou à l’autre », Iliade, VII, 291, 376, 396. « Le démon nous souffla un grand courage », Odyssée, IX, 381. Il en était encore de même au temps de Socrate. Mais, à toute époque, nous trouvons chez les Grecs des êtres qui répondent, au nom près, à nos démons : chez HOMÈRE, c’est d’abord la Terreur et la Panique qu’il personnifie, mais surtout la sombre Erinnys, Iliade, XIX, 87, et « la pernicieuse Até, la vieille fille de Zeus, qui nous aveugle tous. Ses pieds sont invisibles et ne touchent pas au sol ; elle marche sur la tête des hommes, les frappant de folie ; elle a même osé s’attaquer à un autre : Zeus lui-même a subi ses atteintes, lui que l’on dit le plus grand des hommes el des dieux », ibid., 91-96. Jupiter la saisit par les cheveux, jura qu’elle ne reviendrait plus jamais à l’Olympe ni au ciel étoile, et la jeta sur la terre, ibid., 126-131, où elle frappe les hommes d’aveuglement, ibid., IX, 507, et les prive de raison, ibid., XVI, 805. [colonne 922]

On peut voir dans la chute d’Até une réminiscence de la chute des mauvais anges : comme eux, ses méfaits sont cause qu’elle est précipitée des cieux et elle est l’ennemie des hommes.

Dans HÉSIODE, les êtres qui correspondent aux démons sont en rapport étroit avec les forces de la nature : c’est la Nuit qui enfante « l’odieux Destin, la noire Parque et la Mort… la Misère douloureuse… les Parques qui poursuivent les fautes… la Vengeance, les Disputes, la Peste », Théogonie, vers 211 à 227. Signalons encore cette vipère à moitié nymphe et à moitié serpent, « terrible et grande, rusée, carnassière, dans les cavernes delà terre divine où elle a un repaire bien loin, sous une pierre creuse, loin des dieux immortels et des hommes mortels », ibid., 295 à 302 ; c’est là qu’elle enfanta le chien de Géryon, Cerbère et l’Hydre. Le même ouvrage nous raconte la lutte qui eut lieu dans l’Olympe entre « les dieux Titans et tous ceux qui étaient nés de Saturne, et tous ceux que Jupiter amena de l’Erèbe souterrain à la lumière, terribles, puissants, aux forces immenses, qui ont tous cent mains pendues à leurs épaules », ibid., etc. Ces analogies, prises individuellement, peuvent paraître légères ; c’est leur nombre surtout qui leur donne de la force : car on trouve dans Hésiode l’état de grâce primitif : « auparavant vivait sur la terre une génération d’hommes exempte de maux et de pénibles labeurs, libre encore des maladies qui depuis ont apporté la mort », Œuvres et jours, 90 à 93 ; une femme apporta tous les maux sur la terre, l’espérance seule (de la Rédemption ?) resta pour consoler les humains ; Prométhée, puni pour avoir donné aux humains le feu du ciel, rappelle le serpent puni pour avoir donné aux hommes la science du bien et du mal qui devait (disait-il) les rendre semblables à Dieu ; le nom, Japet, du père de Prométhée, a encore conduit à voir une analogie entre celui-ci et Noé. En somme, nous trouvons dans Hésiode toute la Genèse, mais comme vue à travers un prisme qui aurait décomposé, dispersé, coloré les objets ; c’est dans ces conditions que nous trouvons chez lui la chute des anges (Titans), la chute de l’homme et des légions de démons ou d’êtres nuisibles. On peut même reconnaître, dans Prométhée, des traits d’Adam et du Rédempteur.

Dans la bibliothèque d’Assourbanipal (668-626) on a trouvé le récit d’une lutte dans les cieux, entre Tiamat et Mardouk. Le premier avec les monstres auxquels il a donné le jour est vaincu, de son corps est formé le monde, tandis que son armée est jetée en prison. L’enfer est hiérarchisé: en tête se trouvent le dieu Nergal et la déesse Ereskigal, analogues à Pluton et Proserpine. D’Ereskigal dépendent les maladies et la santé. On retrouve en enfer les monstres créés par Tiamat et vaincus avec lui ; à leur tête est Quingou « qui avait été exalté sur eux ». A côté d’eux se trouvent les Anounnakis qui ont lutté aussi pour Tiamat, depuis lors ils ont un double rôle : aux enfers ils jugent les morts et fixent les destinées et, sur terre, ils exécutent les châtiments envoyés par la divinité. Les dieux infernaux ont encore des messagers chargés de transmettre leurs ordres et d’exécuter leurs volontés, c’est ainsi qu’Ereskigal a pour messager Namtarou, le démon de la peste ; celui-ci avec d’autres monstres était encore chargé d’empêcher les morts de remonter sur la terre. Paul DHORME, Choix de textes religieux assyro-babyloniens, Paris, 1907.

Ces puissances infernales ne manquent pas d’analogies avec nos dénions. Cf. George SMITH, Chaldäische Genesis, nebsl Erlauterungen und fortgesetzten Forschungen von Friedrich Delitzsch, 8°, Leipzig, 1876 ; VIGOUROUX, La Bible et les découvertes modernes, Paris, 1896, I, 271. [colonne 923]

Nous devons ajouter cependant que chez les Assyriens on trouve une catégorie inattendue de démons formée des morts—nommés edimmu — qui n’ont pas reçu la sépulture ou qui ne reçoivent pas leurs offrandes funéraires. Ils forment une classe d’êtres spéciaux, les mauvais ulukku, qui voguent entre ciel et terre à la poursuite des vivants. On les rangeait en sept grandes catégories, qui se dédoublaient chacune en deux groupes, la méchanceté était leur essence, ils répandaient sur le monde les maladies elles fléaux, les magiciens cherchaient à les conjurer. Paul DHORME, Le divin dans la Religion assyro-babylonienne, dans Revue des sciences philos, et théol., T. lll (1909), p. 475.

Pour ne pas trop allonger cet article, nous ne poursuivrons pas l’histoire des démons dans les autres religions et les autres pays depuis les anciennes littératures jusqu’aux récits des missionnaires, ni dans les fantaisies de la magie et de la Kabbale, ni tout particulièrement chez les Pères et les théologiens, ni dans l’iconographie et la sculpture; il nous suffit d’avoir montré, par l’exemple de la Chaldée, que les Israélites à toute époque, ont été entourés de peuples qui craignaient et adoraient de nombreux démons, et, par l’exemple des plus anciens auteurs grecs, que les faits révélés ou traditionnels pourraient être suivis, malgré leurs déformations, dans les diverses littératures. Il est donc inexact que les Hébreux n’aient connu les démons qu’après la captivité : ils les ont connus de tout temps, c’est la révélation et les précautions prises par les écrivains sacrés dans la rédaction des événements, qui ont préservé les seuls Juifs, pendant très longtemps, de la crainte et du culte dégradant des démons.

II.Théologie. — I. DÉFINITIONS DE L’EGLISE.

I. Il y a des démons et ils ont été créés par Dieu, car Dieu a créé toutes choses, spirituelles et corporelles ; ils ont été créés bons et sont devenus mauvais par leur faute :

(Deus) sua omnipotent! virtute simul ab initio temporis utramque de nihilo condidit creaturam, spiritualem et corporalem, angelicam videlicet et mundanam… Diabolus enim et alii daemones a Deo quidem natura creati sunt boni, sed ipsi per se facti sunt mali. Cane. Lat.IV (1215], cap. I ; dans Denzinger, Enchiridion, 428 (355). Le concile du Vatican (1869-1870) a renouvelé la première partie de celte définition, Ibid., 1804, 1805 (1651-1652).

2. C’est le démon qui a porté l’homme au péché. — Adam, pour avoir transgressé l’ordre de Dieu, a perdu aussitôt la sainteté dans laquelle il avait été établi,, il a été captivé par le démon et sa faute a rejailli sur ses descendants :

Homo vero diaboli suggestione peccavit (Lateran. IV, Ibid., 428 (355) ). — Si quis non confitetur, primum hominem Adam, cum mandalum Dei in paradiso fuisset tranagressus, statim sanctitatem et justitiam, in qua constitutus fuerat,,amisisse, incurrisseque per offensam praevaricationis hujusm.odi iram et indignationem Dei atque ideo mortem, quam antea illi comminatus fuerat Deus, et cum morte captivitatem sub ejus potëstate, qui mortis deinde habuit iniperium, hoc est diaboli, totumque Adam per illam praevaricationis offensam secundum corpus et animam m deterius commutatum fuisse : anathema sit. — Si quis Adae praevaricationem sibi soli, et non ejus propagini asserit nocuisse… anathema sit (Conc. Trid., sess. V, Ibid., 788, 789 (670, 671)).

3. Les démons sont soumis à Dieu ; le diable est un ange déchu, il n’a rien créé, ni le tonnerre et la foudre, ni le corps humain et la chair ; il n’exerce pas un pouvoir discrétionnaire sur la nature. En effet, parmi les erreurs de Jean WICLEFF condamnées par le Concile de Constance, le 4 mai 1415, se trouve la proposition suivante : Deus débet obedire diabolo, Ibid., 586 (482). De plus au Concile de Braga, en 561, [colonne 924] les évêques espagnols ont porté les anathématismes suivants contre MANÈS et PRISCILLIEN :

(7) Si quis dicit, diabolum non fuisse prius bonum angelum a Deo faetum. nec Dei opifieium fuisse nnUirani ejus, sed dicit eum extenebris emersisse nec aliquem sui haberfr auctorem, sed ipsum esse principium atque substantiam. mali, sicut Manicbaeus et Priscillianus dixerunt, anathema sit. — (8) Si quis crédit, quia alïquantas in mundo creaturas diabolus fecerit et tonitrua et fulgura et tempestales et siccitates ipse diabolus sua auctoritale facial, sicut Priscillianus dixit, an. sit. — (12) Si quis plasmationem humain corporis diaboli dicit esse figmentum et conceptiones in uteris mutrum operibus dicit daemonum fîgui-ari, propter quod et resurrectionem Garnis non crédit, sicut Man. et Prise, dixerunt, an. sit. — (13) Si quis dicit crealionem universae carnis non opifieium Dei, sed malignorum esse ang-elorum, sicut Prise, dixit, an. sit. Ibid., 237, 238, 242, 243.

Un édit de l’empereur JUSTINIEN (Mansi, Concilia, IX, col. 488-534 ; Migne, P. G., T. LXXXVI, col. 945-993), qui fut souscrit par le pape, les patriarches et un certain nombre d’évêques, portait, contre Origène et ses sectateurs, dix anathèmes, Mansi, IX, 534, qui semblent avoir été repris par le concile de Constantinople de 553. Dans des réunions tenues avant le concile, on a condamné en effet les propositions suivantes des Origénistes : (2) Des âmes préexistantes, égales, lasses de contempler Dieu, se portent vers le mal, chacune selon son penchant et prennent des corps plus ou moins subtils. (4) Les démons sont celles de ces âmes qui ont atteint le plus haut degré de malice et qui ont été liées à des corps froids et ténébreux. (5) Un homme peut être changé en ange ou en démon, et un animal en démon ou en homme. (6) Il y a deux catégories de démons, dont l’une formée des âmes humaines et l’autre des meilleurs esprits déchus. (12) Les anges, les hommes, le démon, les mauvais esprits et l’âme du Christ elle-même seront réunis au Verbe dans le futur royaume de Dieu; Mansi, Concilia, T. IX, col. 396-400.

4. La peine des démons est éternelle. — Ceci résulte des canons portés en 543 contre les Origénistes :

(7) Si quis dicit aut sentit, Dominum Christum m futuro saeculo crucifixum iri pro daemonibus, sicut et pro hominibus, an. sit. — (9) Si quis dicit aut sentit, ad tempus esse daemonum et ixnpiorum hominum supplicium, ejusque fînem aliquando futurum, sive restitutionem et redintegrationem fore, daemonum aut impiorum hominum, an. sit. Enchiridion, 208, 211.

Les points définis sont donc relativement peu nombreux ; les théologiens ont toute liberté de discussion sur la nature et l’objet du péché des mauvais anges, la date de leur chute qui est cependant antérieure à la création de l’homme, leur nombre, leur rang, leur condition après leur chute et la nature de leur peine.

II. SENTIMENT COMMUN DES THÉOLOGIENS.

I. Chute des mauvais anges. — Les anges, créés bons en plusieurs classes, sont tombés par orgueil. Quant à l’objet du péché d’orgueil, les opinions diffèrent. S. THOMAS suppose que le démon a voulu être semblable à Dieu, en voulant parvenir de lui-même à sa béatitude naturelle et en détournant son désir de la béatitude surnaturelle qui provient de la grâce de Dieu ; ou, s’il désirait comme fin dernière cette ressemblance à Dieu qui est donnée par la grâce, il voulait l’obtenir par la force de sa nature et non du secours divin ; Ia, qu. 63, art. 3. Pour d’autres, Lucifer a pu désirer égaler Dieu, non d’un vouloir efficace, mais d’un simple désir de concupiscence; il a désiré son avantage, la béatitude, d’une façon immodérée et désordonnée. Il a poussé l’amour [colonne 925] de soi jusqu’à la haine de Dieu (SCOT). Pour d’autres, le démon a été jaloux des hommes : il a envié en particulier l’union hypostatique de la nature humaine avec le Verbe qu’il aurait désirée pour sa propre nature; il a pu envier aussi les dons de la grâce (SUAREZ). Il a pu pécher dès le premier instant de sa création (SCOT), parce que la volonté peut mal agir dès le premier instant ; pour S. THOMAS, il est impossible qu’un être libre soit mauvais tout de suite après sa création, car sa volonté doit désirer le vrai bien avant le bien apparent et la faute en remonterait à Dieu, de même que, si un homme est boiteux de naissance, la faute en remonte à ses parents, Ibid., art. 5 ; cependant ils ont péché aussitôt après leur création, parce qu’ils avaient été créés en état de grâce et qu’il leur aurait suffi d’un acte méritoire pour gagner la béatitude ; il faut donc qu’ils n’aient pas eu le temps de faire un seul acte méritoire, Ibid., art. 6. Pour SUAREZ, Lucifer a pu commettre plusieurs péchés : orgueil, arrogance, présomption, ambition, vaine gloire, envie, peut-être aussi impiété, blasphème et infidélité ; il n’a probablement pas péché contre la foi, De Angelis, VII, 15.

2. Nombre des révoltés. — Il fut très considérable, sans qu’on puisse le déterminer. On tient généralement que leur chef était le plus élevé de tous les esprits angéliques, ou du moins l’un des plus élevés ; selon SUAREZ, Lucifer était « de l’ordre très parfait des Séraphins », Ibid., VII, 16. Les révoltés appartiennent à tous les ordres et à tous les degrés (S. THOMAS, SUAREZ).

3.  Nature des démons après la chute. — La spiritualité des anges a été énoncée par le Concile de Latran (cf. supra), mais l’Église n’a pas défini ce qu’ils sont devenus après leur chute. L’opinion générale des théologiens est que les dénions sont restés des êtres spirituels, et il y aurait témérité à leur attribuer un corps, serait-il de nature aérienne, ignée, ou de matière plus subtile encore. CAJETAN est le dernier théologien de quelque valeur qui ait attribué aux démons un corps subtil formé, non d’air, mais d’une matière qui ne tombe pas sors nos sens, corps simple et incorruptible doué des puissances intellective et motrice et non de la puissance sensitive. L’intelligence des démons a été obscurcie par la soustraction des lumières surnaturelles provenant de la grâce ; mais les lumières naturelles de leur entendement sont demeurées entières. Ils peuvent encore connaître la vérité par révélation faite par les saints anges et par leur propre expérience. Cf. S. THOMAS, Ia, q. 64, I. — La volonté des démons est tellement obstinée dans le mal qu’ils ne peuvent faire aucun bien, ils sont toujours en état de péché actuel, la cause de leur obstination est plus probablement leur impuissance à s’abstenir du péché ou à bien agir de nouveau, SUAREZ, VIII, II.

4. Punition des démons. — Ils souffrent la peine du dam et la peine du feu. La première est l’éloignement de Dieu, la privation de la béatitude éternelle, c’est-à-dire de la vision béatifique et de tous les biens qui en découlent, que Dieu avait préparés pour ceux qui l’aiment; cette peine, qui est toute morale, est la plus forte. — Sur la peine du feu, voir ENFER.

5. Action des démons sur les hommes. — L’envie et la haine poussent les démons à tenter les hommes, cf. Gen., III ; Joan, XIII, 2, 27 (Judas) ; Act., V, 3 (Ananie) ; I Pet., V, 8. Nous avons déjà vu, par l’exemple de Job, que le démon ne peut pas tenter les hommes sans la permission de Dieu, ni au-dessus de leurs forces. Dieu permet les tentations parce qu’elles montrent l’excellence de la grâce qui permet [colonne 926] de les mépriser et de les vaincre, ou de se réhabiliter après la chute; elles maintiennent aussi les hommes dans l’humilité, la crainte et la conscience de leur faiblesse; enfin elles augmentent leur mérite, lorsqu’ils résistent.

Les maux dont les démons peuvent affliger les hommes ne sont souvent qu’une forme- particulière des tentations : ils font souffrir les hommes pour les faire tomber dans des péchés d’impatience, de blasphème, de colère, de découragement et de désespoir ; c’était là le but de la tentation de Job. Quelquefois aussi Dieu se serf delà méchanceté des démons; pour châtier les pécheurs : c’est à cette cause que l’ange Raphaël semble attribuer la mort des sept maris de Sara, Tobie, VI, 16 à 22. Par contre, les démons peuvent quelquefois procurer aux hommes des avantages matériels pour les mieux séduire ; ils ont en effet une intelligence et des forces plus étendues que celles de l’homme, ils connaissent les secrets de la nature bien mieux que lui, ils ne sont pas attachés à un lieu, ils peuvent donc produire des résultats surprenants, et certains hommes l’ont toujours compris ainsi, en ayant recours à eux.

6. Rapports des hommes avec les démons. — Il est certain a priori qu’il peut y avoir des pactes et des commerces entre les hommes et les démons ; il n’est pas nécessaire de supposer pour cela avec Cajetan que les démons sont matériels, du genre par exemple des fluides ; car Dieu et l’âme agissent bien sur la matière. Il est encore certain que bien des hommes ont cherché à établir un commerce avec le démon, et même ont cru avoir réussi à l’établir ; c’est ce dernier fait qui justifie, dans la plupart des cas, les juges laïques ou ecclésiastiques qui ont condamné des sorciers ou de prétendus sorciers : car, en dépit des interdictions formelles de l’Église, il se trouvait de nombreux hommes pour copier et transmettre des livres de prétendue magie, qui étaient censés mettre les démons à leur service pour faire mourir leur prochain ou pour contraindre à l’amour et à de mauvaises actions des personnes honnêtes qui s’y refusaient ; parfois même, pour donner plus de force à une soi-disant amulette, on ne craignait pas de verser le sang humain. Il est certain que tous ces hommes, quel que fût le résultat de leurs velléités, étaient coupables des fautes- et des crimes qu’ils avaient voulu commettre et pour l’exécution desquels ils n’avaient reculé devant aucune défense, aucun risque et aucun méfait. Quelquefois on se bornait à brûler les livres (voir Patrologie Orientale, T. Il, p. 57 à 75) ; lorsqu’on en arriva à brûler leurs possesseurs, ils l’avaient souvent mérité, parce qu’ils avaient voulu faire tout ce dont on les accusait. Nous reconnaissons que les innocents ont pu être poursuivis et même suppliciés, surtout sous la pression de l’opinion populaire, mais il en a été de même pour fous les délits ; il est même certain que l’intervention de la justice ecclésiastique dans les procès de sorcellerie donnait à l’accusé des garanties de charité, de justice et d’impartialité, qu’il pouvait ne pas rencontrer au même degré dans les procès purement civils près des juges séculiers. La justice ecclésiastique était la moins redoutée, témoin le proverbe : « il fait bon vivre sous la crosse » ; l’autorité infaillible de l’Église n’est d’ailleurs intervenue dans aucun procès de sorcellerie, les particuliers seuls — c’est-à-dire presque toujours les juges civils et les passions populaires — sont responsables des erreurs qui pourraient être démontrées.

De nos jours, tout chrétien doit être bien convaincu de l’action du démon dans le monde et sur les hommes; action attestée par l’Écriture, par les [colonne 927] décisions de l’Église, par l’institution des exorcistes, enfin par la prière que tous les prêtres, à la fin de la messe, adressent à saint Michel : « de rejeter dans l’enfer Satan et tous les esprits mauvais qui errent par le monde pour la perdition des âmes » ; mais, dans les cas particuliers, un fait ne doit être proclamé diabolique que s’il dépasse le pouvoir de tous les agents naturels, connus el inconnus, et si sa nature ou sa fin ne permet pas de l’attribuer à Dieu ou à ses anges. Dans les milieux matérialistes, le démon ne doit pas montrer son action. Il lui suffit en effet d’avoir amené des créatures intelligentes, faites à l’Image de Dieu, à proclamer elles-mêmes leur déchéance, à ne vouloir plus être qu’une collection d’animaux savants et à s’obstiner de choisir pour ancêtre un singe ridicule, borné et libidineux. Abstraction faite de ce prodige continu, l’action du démon ne doit pas pouvoir être constatée, sinon il contribuerait à amener ces égarés à reconnaître l’existence d’un monde des esprits. Il ne faut donc pas oublier que, si Dieu peut quelquefois, dans sa bonté, se manifester par des prodiges dans un monde matérialiste, le démon n’a pas coutume de le faire. Il ne faut pas se laisser duper par les charlatans ni par des phénomènes de névrose, de suggestion, ou de transmission de pensée. Ce sont là en somme les règles du Rituel romain pour les exorcistes :

In primis, ne facile credat aliquem a daemonio obsessum esse; sed nota babeat ea signa, quibus obsessus dignoscitur ab iis qui vel atra bile, vel morbo aliquo laborant. Signa autem obsidenlis daemonis sunt :gnotalingua loqui pluribus verbis, vel loquentem inlelligere: Dislantia et occulta palefacere : Vires supra aetalis seu condilionis naturam ostendere : et id genus alia, quae cum plurima concurrunt, majora sunt indicia.

Cette question sera d’ailleurs étudiée en détail, avec les diverses manifestations diaboliques consignées dans le Nouveau Testament ou observées depuis, à l’article : POSSESSION DIABOLIQUE

BIBLIOGRAPHIE. — Voir toutes les théologies au traité : De Deo creatore, et les traités particuliers consacrés par quelques théologiens aux anges et aux démons : Maldonat (traduit en français par François de la Borie, Paris, i6o5); Suarez, t. II, Paris, i856 (volume de 1130 pages) ; saint Thomas n’a traité qu’incidemment des démons, surtout dans le Commentaire sur les Sentences, II, dist. 3 à 7, et dans la Somme théologique, Prima, qu. 63 à 64 ; toutes les encyclopédies et tous les dictionnaires traitent cette question, chacun à son point de vue particulier ; des revues, comme l’Écho du merveilleuxen France et la Zeitschrift fur Religionspsychologieen Allemagne, étudient les phénomènes intermédiaires entre l’ordre matériel et l’ordre spirituel. Voir aussi : de Mirville, Des esprits et de leurs manifestations diverses, Paris, 1863-1868 ; Ribet, La mystique divine distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies humaines, 3 in-8°, Paris, 185 ; Boris Sidis, The Psychology of suggestion, New-York, 1898 ; et quelques traités de médecine sur les névroses et hystéries. On trouve enfin de nombreuses monographies, comme Lenormant, La magie chez les Chaldéens, Paris, 1874 ; K. Kiesewetter, Der Occultismus des Altertums, Leipzig, 1896 ; J. A. Hild, Étude sur les démons dans la littérature et la religion des Grecs, Paris, 1881 ; R. Fr. M. J. Lagrange, Études sur les religions sémitiques, 8°, Paris, 1905 ; G. Henke, The Gift of Tongues and related phenomena at the présent day, dans American Journal of Theology, avril 1909, p. 193-206 ; Persian Dualism, ibid., juillet 1904, p. 487-501 ; A. Lemonnyer, L’air comme[colonne 928] séjour d’anges, d’après Philon d’Alexandrie, dansRevue des sciences philosophiques et théologiques, avril 1907, p. 305-311 ; Witton Davies, Magic Divination and Demonology, Londres, 1898 ; S. Karppe, Étude sur les origines et la nature du Zohar, précédée d’une étude sur l’origine de la Kabbale, Paris, 1901 ; Campbell Thomson, Semitic Magic, its origins and development, 8°, Londres, 1908 ; M. Schwab, Vocabulaire de l’angélologie, d’après les manuscrits hébreux de la Bibliothèque Nationale, Paris1897 ; A. L. Williams, The cult of the Angels at Colossae, dans Journal of theological Studies, avril, 1909, p. 413-438 ; F. Farjenel, Les esprits en Chine, dans Journal Asiatique, sept.- oct. 1901, p. 21-29. Sur les idoles, les démons et les traditions chez les sauvages, voir les récits des missionnaires, en particulier dans les Annales de la propagation de la foi ; cf. J. Teilhard de Chardin, La Guinée supérieure et ses missions, Tours, 1889, p. 161-177 ; etc.

F. NAU.

LAISSER UN COMMENTAIRE