Extase. De l’état d’extase considérée comme une des causes des effets attribués au magnétisme animal [Partie 1]. Par Al. Bertrand. 1826.

 

A. Bertrand

A. Bertrand

A. Bertrand. Extase. De l’état d’extase considérée comme une des causes des effets attribués au magnétisme animal [Partie 1]Article parut dans « l’Encyclopédie Progressive », 8e Traité, Bequest et Conven Francis, 1826, 24, pp. 337-392. A été édité en tiré-à-part avec double pagination, celle de l’original et pp. 1 à 56.

Alexandre Jacques François Bertrand est né à Rennes le 25 avril 1795 et mort à Paris le 22 janvier 1831. Opposant lors de la Restauration il démissionne de l’Ecole Polytechnique. Il entreprend alors des études de médecine et soutient sa thèse, l’Examen de l’opinion généralement admise sur la manière dont nous recevons par la vue la connaissance des corps, en 181, travail jugé brillant et novateur. Deux ouvrages majeurs. Il sera un des grands zélateurs du magnétisme animal. Outre le texte que nous présentons ici, deux autres ouvrages dont a noter ;
— Traité du Somnambulisme et des différentes modifications qu’il présente. Paris, J.-G. Dentu, 1823. 1 vol. 13×21.5, 2 ffnch., IV p., 324 p.
— Philosophie du sommeil, considéré particulièrement sous le point de vue psychologique.] in « Le Globe », (Paris), volume 5, n°29, 9 juin 1827, pp. 150-153. [en ligne sur notre site]
— Du Magnétisme Animal en France, et des jugements qu’en ont portés les sociétés savantes, avec le exte des divers rapports faits en 1784 par les commissaires de l’Académie des sciences, ou la faculté et de la société royale de médecine, et de l’analyse des dernières séances de l’académie royale de médecine et du rapport de M. Husson. suivi de considérations sur l’apparition de l’Extase, dans les traitements magnétiques. Paris, J. B. Baillière, Libraire-éditeur, février 1826. 1 vol. in-8°, (XXIX-539 p.). – Réimpression avec une présentation par Serge Nicolas. Paris, Editions L’Harmattan, 2004. 1 vol.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article en français. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire des originaux.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 337]

EXTASE

DE L’ÉTAT D’EXTASE CONSIDÉRÉE COMME UNE DES CAUSE DES
EFFETS ATTRIBUÉS AU MAGNETISME ANIMAL. 

Sous le nom d’extase je désigne un état particulier qui n’est ni la veille, ni le sommeil, ni une maladie ; état naturel à l’homme en ce sens qu’on le voit constamment apparaître, toujours identique au fond, dans certaines circonstances données : ç’est pour moi le type de l’état des prophètes, des inspirés, des saints mystiques, des convulsionnaires, des possédés de tous les siècles et de tous les pays. L’extase est caractérisée par l’apparition de phénomènes physiologiques et psychologiques que nous nous attacherons à faire connaître (1).

L’extase chez tous les hommes dont je viens de parler est le résultat de l’exaltation morale portée à un haut degré, et cette exaltation est en effet la cause qui la produit le plus fréquemment; mais on observe aussi l’extase dans le cours de certaines maladies, dont on peut la considérer comme un symptôme ou comme une crise. Ces maladies sont en général toutes les affections nerveuses, [p. 338] convulsives, et spécialement l’hystérie et la catalepsie ; quelquefois enfin l’extase survient spontanément, sans cause connue, chez des individus qui paraissent d’ailleurs jouir d’une santé parfaite, et chez lesquels elle est alors le résultat d’une disposition nerveuse particulière. Il est très important de ne pas perdre de vue que par le nom d’extase je n’entends pas désigner seulement un état de ravissement porté au plus haut degré, accompagné pour l’ordinaire d’une perte apparente de connaissance et une l’abolition complète des sens, mais que, détournant ce mot de la signification, assez vague d’ailleurs, qu’on lui donne, je m’en sers pour désigner un état actuellement inconnu dans la science. Si c’est un tort que de n’avoir pas cherché une expression nouvelle pour désigner un pareil état, ce tort ne pourra du moins, après une semblable déclaration, donner lieu à aucune confusion. Au surplus, je n’ai pas eu le choix, et cette expression m a été imposée par une circonstance particulière. Un grand nombre de philosophes et de médecins, depuis le moyen âge jusqu’au commencement du 18e siècle, ont eu une connaissance plus ou moins exacte de l’extase, et l’ont désignée sous le nom que je lui rends aujourd’hui. Malheureusement cette connaissance fut toujours limitée chez eux, tant par le défaut de critique dans la discussion des faits, que par la tendance superstitieuse qui les portait à attribuer soit à Dieu, soit au diable, les phénomènes qui leur semblaient surnaturels. C’était cependant beaucoup que de reconnaître l’extase comme un état sui generis, désigné sous un nom particulier ; et, sous ce rapport, la science de l’homme a fait un pas rétrograde bien sensible à l’époque où on a retranché des cadres nosologiques une affection si importante, uniquement parce qu’elle se présentait avec des caractères qui répugnaient aux idées devenues dominantes. Une autre cause de l’oubli dans lequel les écrivains du I8e siècle ont laissé l’extase se trouve dans la [p. 339] nature des croyances auxquelles son apparition a été presque constamment associée ; je veux parler des possessions, de la sorcellerie, des inspirations, etc. Mais n’a-t-on pas lieu de s’étonner de ce qu’il a fallu que plus d’un siècle s’écoulât avant qu’on proc1ilmât dans la science cette vérité si simple, que, loin de rejeter les phénomènes de l’extase avec la croyance à toutes ces folies, c’est la connaissance de cet état important qui seule permet d’expliquer ce qu’il y a de vraiment incontestable dans leur histoire ?

Les phénomènes que présente l’extase étant les mêmes, quelle que soit d’ailleurs la cause qui la produit, nous nous attacherons spécialement ici à l’extase résultant de l’exaltation morale, parce que c’est la plus fréquente de toutes, parce que c’est elle surtout dont il est important de constater l’existence, enfin parce que c’est elle que nous avons encore sous nos yeux dans les traitemens magnétiques où elle se maintient depuis trente ans, désignée par les magnétiseurs sous te nom de somnambulisme.

La Transverbération de sainte Thérèse.

La Transverbération de sainte Thérèse.

De l’exaltation morale, cause de la production de l’extase.

L’influence puissante du moral sur le physique de l’homme a été de tout temps reconnue et signalée par les médecins observateurs, et l’attention la plus légère suffit pour nous la faire apercevoir. Quel moyen emprunté à l’art de guérir pourrait accélérer les battemens du cœur comme fait la colère, la crainte, l’attente d’un événement extraordinaire ? Avec quelle rapidité la honte, la pudeur, le désir, ne colorent-ils pas la peau du visage, en appelant et fixant le sang dans les capillaires sanguins qui s’y répandent ! Chez un grand nombre de personnes, les moindres émotions produisent une élévation instantanée de la température de tout le corps et une transpiration générale. L’influence subite de la frayeur sur les sécrétions alvines est bien connue, la colère exalte les forces au delà de leur type naturel, la peur les brise subitement. [p. 340] Cependant la physiologie et la médecine ne présentent aucune explication satisfaisante de ces phénomènes, et un temps assez long s’écoulera probablement encore, avant qu’il soit possible d’aborder une question qui demanderait pour être éclaircie des connaissances intimes sur la manière dont la vie se développe, s’entretient, s’altère ou se modifie.

Aussi nous bornerons-nous à faire remarquer la dépendance immédiate dans laquelle toutes nos fonctions se trouvent des mouvemens de l’âme : circulation, respiration, digestion, sécrétions, excrétions, caloricité, il n’en est pas une seule qui ne puisse être modifiée de la manière la plus sensible par l’influence des affections morales.

L’importance que peut avoir sur la marche des maladies, l’état moral de ceux qui en sont atteints, n’est pas moins évidente. Ne voyons-nous pas, en effet, les modifications les plus heureuses apportées dans le cours d’affections très graves par la joie, l’espérance, un changement de situation favorable ? Quel médecin observateur n’a pas journellement occasion de constater combien il lui est utile d’entretenir chez ses malades la confiance dans l’efficacité des soins qu’il leur donne et l’espoir d’une guérison prochaine ?

Cependant, relativement à l’influence des passions sur la marche des maladies, il y a déjà quelque chose de moins positif que dans les cas de simples émotions dont nous avons parlé d’abord, et il est ordinairement impossible d’assigner d’avance quel genre de modification sera le résultat de chaque impression morale. Tout ce qu’on sait à cet égard d’une manière générale, c’est que les passions douces ou gaies font du bien, que les passions tristes ne manquent guère de produire un effet contraire, et que toute impression morale trop vive et trop subite, de quelque nature qu’elle soit, peut devenir immédiatement funeste.

On peut cependant encore ériger en règle la proposition [p. 341] suivante : Une confiance entière dans l’efficacité d’un secours regardé comme puissant, accompagnée d’une certaine exaltation morale, constituent, surtout quand cette exaltation est un peu durable, les conditions les plus favorables d’une guérison rapide.

Or, jamais ces conditions ne se présentent à un plus haut degré que chez les malades qui, profondément imbus de croyances religieuses, invoquent avec foi le secours d’une puissance supérieure. De là, pour le médecin philosophe, l’explication de ce qu’il y a de réel dans les guérisons singulières opérées de tout temps par certains thaumaturges sur les malades qui s’adressent à eux avec confiance. Aussi est-ce surtout pendant la ferveur de zèle qui ne manque jamais de se manifester parmi les premiers sectateurs des nouvelles croyances, qu’on a occasion de remarquer ces miracles de guérisseurs, qui se reproduisent constamment à la naissance de toutes les sectes religieuses.

Tout le monde conviendra de ces vérités ; mais ce qui n’est pas aussi connu, c’est que des phénomènes physiologiques plus ou moins variés précèdent et accompagnent ordinairement ces guérisons miraculeuses. Parmi ces phénomènes, très sensiblement différens de ceux que produit, dans les cas ordinaires, cc qu’on appelle l’imagination, nous nous contenterons de signaler ici l’engourdissement des membres, l’appesantissement des paupières, une augmentation sensible de la température avec forte tendance à la transpiration.

Enfin, dans un grand nombre de cas, outre ces phénomènes généraux et les guérisons qu’ils accompagnent, l’exaltation morale donne naissance, même chez les enthousiastes qui jouissent d’une santé parfaite, à l’apparition d’un état particulier, l’extase, qui, plus constante que les guérisons elles-mêmes, a joué un rôle plus grand encore dans l’histoire des erreurs de l’esprit humain. [p. 342]

Ce qui donna toujours un haut degré d’importance à l’apparition de l’extase aux époques de vive exaltation morale, c’est qu’elle ne se borne pas à attaquer isolément certains individus plus fortement soumis que les autres aux causes qui lui donnent naissance, mais que chaque fois qu’elle se manifeste, elle devient contagieuse par imitation, pour toutes les personnes qui se trouvent dans les mêmes circonstances ; alors la plus simple prédisposition suffit pour la produire.

Que la propagation de toutes les nouvelles sectes religieuses ait été favorisée par l’apparition de certains phénomènes singuliers qu’on ne doit réellement attribuer qu’à l’exaltation morale de leurs sectateurs, c’est une vérité incontestable. Mais on est forcé d’avouer que nous sommes très éloignés de savoir d’une manière positive en quoi consistaient ces phénomènes, et de pouvoir faire la part de ce qu’il y a de réel, d’exagéré, ou de complétement faux, dans ce qu’en ont raconté les enthousiastes de chaque époque. On aurait lieu par conséquent d’être surpris du peu de tentatives faites pour éclairer un sujet aussi important, si on ne faisait attention que la difficulté de l’entreprise a dû rebuter dès l’abord les plus zélés.

Il n’est, en effet, pas une seule des épidémies d’extase, même parmi les plus récentes, parmi celles qui ont régné en France au milieu du 17e et du 18e siècle, qui nous ait été transmise par des hommes à la fois éclairés et témoins oculaires de sang-froid ; on peut citer pour exemples:

1° L’épidémie qui éclata vers 1632 à Loudun, et qu’on réussit à faire passer pour le résultat des maléfices du malheureux Urbain Grandier ;

2° Celle qui se manifesta dans les Cévennes, vers 1700, lors de la persécution qu’on y fit éprouver aux protestans après la révocation de l’édit de Nantes ;

3° Celle qui dura si longtemps à Paris parmi les [p. 343] jansénistes, qui s’est prolongée depuis l’année 1727 jusqu’au commencement de la révolution, et dont il subsiste peut-être encore quelques vestiges : une nouvelle persécution suffirait probablement pour la remettre en vigueur ;

4° L’épidémie qui survint en Allemagne, en 1770, sur les malades qui se rendaient de toutes les parties de l’Europe aux exorcismes de Gassner, curé de Ratisbonne.

Les témoins oculaires de ces épidémies sont ceux qui ont cru aux diables des religieuses de Loudun, au Saint-Esprit des protestans, à la vertu du diacre Pâris, ou au pouvoir surnaturel de Gassner ; et ceux-là se trompaient trop évidemment sur la cause des phénomènes, pour qu’on soit disposé à chercher la vérité dans leurs récits. Ainsi, d’un côté, des écrivains qui n’ont parlé que par conjectures de ce qu’ils n’ont pas vu ; de l’autre, des témoins auxquels on ne peut croire : voilà les seuls élémens qui semblent d’abord pouvoir servir de base à la solution d’une question si difficile. Faut-il s’étonner, après cela, si ceux qui auraient pu être tentés de s’en occuper ont désespéré de pouvoir l’éclaircir ?

Hâtons-nous cependant de le dire, celui que J’amour de la science déterminerait à aller exhumer, pour les soumettre à l’épreuve d’une critique sévère, les faits perdus pour ainsi dire dans les annales de la superstition et du fanatisme, ne tarderait pas à trouver des secours sur lesquels il ne pouvait compter. Il s’apercevrait bientôt qu’au milieu d’un fatras de prétendus miracles dont l’absurdité est palpable, ne manque jamais de se retrouver une série de phénomènes beaucoup moins merveilleux, et par cela même moins saillans au premier coup d’œil, qui le frapperaient cependant, tant par l’uniformité de l’aspect sous lequel ils se présentent, que par la nature plus sévère des témoignages qui en constatent la réalité. En poursuivant ses recherches, et passant d’une épidémie à l’autre, toujours les pièces originales à [p. 344] la main, il lui serait impossible de ne pas être frappé de la répétition des mêmes phénomènes, toujours placés en seconde ligne par les fanatiques, et pourtant toujours plus fréquens et mieux constatés que les faits absurdes. Une pareille considération suffirait déjà pour jeter quelque lumière sur la solution du problème, puisqu’il est très probable que cette constance des mêmes faits attestés à des époques différentes, et malgré la divergence la plus complète d’opinions, ne peut s’expliquer qu’en admettant que quelque chose de réel a pu y donner lieu. De cette induction à la connaissance d’un état particulier, dont les phénomènes en question seraient les caractères pathognomoniques, le passage se conçoit facilement.

Cependant nous· avouerons volontiers que pour celui qui se trouverait réduit au rôle de simple critique, pour celui à qui des observations personnelles, des expériences faites avec soin, et surtout l’habitude de voir l’homme sous une face toute nouvelle, n’auraient pas donné d’avance une connaissance pratique de· l’extase, les recherches les plus laborieuses n’offriraient qu’un moyen assez douteux d’arriver à un résultat satisfaisant.

C’est donc parce que j’ai vu, parce que j’ai observé, parce que j’ai produit bien des fois à volonté l’état d’extase, qu’il m’a été possible de le reconnaitre sous les formes variées qu’il est susceptible de présenter.

L’extase existe encore aujourd’hui.

L’extase existe encore en effet aujourd’hui, et se manifeste au milieu d’hommes qui, par la nature de leurs croyances et la vivacité de leur foi, forment un véritable contraste avec leurs contemporains. On s’aperçoit que je veux parler des partisans du magnétisme animal, et que c’est dans le somnambulisme, regardé par eux comme le résultat tout particulier d’un agent physique, que j’ai retrouvé l’état d’extase. [p. 345]

Qu’on ne soit pas étonné de nous voir prendre pour objet de nos études et de nos méditations des phénomènes voués depuis longtemps au dédain des savans ; car si les magnétiseurs sont exaltés dans leurs croyances, si l’imagination agit sur eux avec plus de force que la raison, ces conditions sont justement celles qui doivent se trouver réunies pour ta production de l’extase. Vouloir observer cet état parmi des hommes toujours maîtres d’eux-mêmes, pesant tout au poids de la raison et dans la balance de l’expérience, ce serait vouloir des choses contradictoires, ce serait demander l’impossible.

Arrêtons-nous donc un instant sur cette épidémie dont il est si important d’assigner les caractères, avant que des causes qui semblent devoir en provoquer la fin aient achevé de la faire disparaitre.

L’opinion qu’il y a quelque chose de réel dans les traitemens magnétiques, mais que l’exaltation morale, ou, pour parler comme on l’a fait jusqu’ici, l’imagination seule des malades produit les phénomènes qui s’y manifestent, cette opinion, dis-je, n’est pas nouvelle : elle a été avancée et prouvée jusqu’à l’évidence par les académiciens chargés, en 1784, de l’examen du magnétisme animal. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur le rapport fait par Bailly, au nom d’une commission dont Franklin et Lavoisier faisaient aussi partie : Les illustres commissaires, loin de nier les phénomènes, paraissent se plaire à exprimer à plusieurs reprises combien ils en ont été frappés : un nouveau point de vue de la nature humaine se découvrit à eux, et, s’ils ne firent malheureusement que l’entrevoir, il excita au moins toute leur admiration.

« Rien n’est plus étonnant, disent-ils, que le spectacle de ces traitemens. Quand on ne l’a point vu, on ne peut s’en faire une idée ; et en le voyant, on est également’ surpris et du repos profond d’une partie de ces malades et de l’agitation qui anime les autres, des accidens [p. 346] variés qui se répètent, des sympathies qui s’établissent. On voit des malades se chercher exclusivement, et, en se précipitant l’un vers l’autre, se sourire, se parler avec affection, et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis à celui qui magnétise ; ils ont beau être dans un assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire. On ne peut s’empêcher de reconnaitre à ces effets constans une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise, et dont celui qui magnétise semble être dépositaire. »

Ailleurs ils expriment la même pensée et peignent leur surprise avec plus de vivacité encore. Après avoir insisté de nouveau sur la simplicité des moyens, qui ne consistent qu’en des signes, des gestes presque nuls par eux-mêmes, ils ajoutent : « Cependant le traitement public fait reconnaître une grande puissance mise en action par ces moyens, tout faibles qu’ils sont. Un pareil spectacle semble nous transporter au temps et au règne de la féerie. Cet empire exercé sur un nombre d’individus, l’homme qui en dispose, la baguette qui lui sert d’instrument, tout ressemble en effet à l’enchantement de nos fables ; ce sont leurs récits mis en action. »

Franz-Anton Mesmer (1734-1815)

Franz-Anton Mesmer (1734-1815)

Tels étaient les effets produits par les partisans du magnétisme animal à l’époque où le mesmérisme fut jugé par l’Académie. Quant aux causes de ces effets singuliers, qu’on me permette de rapporter encore une fois les propres paroles de Bailly. « Ce que nous avons appris, dit-il, ou du moins ce qui nous a été confirmé d’une manière démonstrative et évidente par l’examen des procédés du magnétisme animal, c’est que l’homme peut agir sur l’homme à tous momens, et presque à volonté, en frappant son imagination ; c’est que les gestes et les signes les plus simples peuvent avoir les plus puissans effets ; c’est que l’action que l’homme a sur l’imagination peul être réduite en art et conduite par une [p. 347] méthode sur des sujets qui ont la foi. La recherche d’un agent qui n’existe pas sert donc à faire connaître une puissance réelle de l’homme. L’homme a le pouvoir d’agir sur son semblable, d’ébranler le système de ses nerfs, et de lui imprimer des convulsions. Mais cette action ne peut être regardée comme physique ; nous ne voyons pas qu’elle dépende d’un fluide communiqué : elle est entièrement morale ; c’est celle de l’imagination sur l’imagination, action presque toujours dangereuse, que l’on peut observer en philosophe, et qu’il n’est bon de reconnaître que pour en prévenir les effets. »

 

La justice exige que nous fassions remarquer que ce jugement dei dangers que peuvent entrainer les traitemens magnétiques ne porte que sur le magnétisme de 1784, sur les procédés au moyen desquels on l’administrait, et plus encore sur les effets qu’on en obtenait. « Cet art est funeste, dit ailleurs Bailly, qui trouble les fonctions de l’économie animale, pousse la nature à des écarts, et multiplie les victimes de ses déréglemens. » Mais les commissaires ne se dissimulent nullement les avantages qui peuvent résulter de l’influence de l’imagination mise enjeu par des procédés différens, alimentée de passions douces, loin d’un foyer d’affections convulsives, contagieuses par imitation. « Sans doute, disent-ils, l’imagination des malades influe souvent beaucoup dans la cure de leurs maladies : l’effet n’en est connu que par une expérience générale, et n’a point été déterminé par des expériences positives ; mais il ne semble pas qu’on en puisse douter. C’est un adage connu que la foi sauve en médecine ; cette foi est le produit de l’imagination : alors l’imagination n’agit que par des moyens doux ; c’est en répandant le calme dans les sens, en rétablissant l’ordre dans les fonctions, en ranimant tout par l’espérance. L’espérance est la vie de l’homme ; qui peut lui rendre l’une contribue à lui [p. 348] rendre l’autre. Mais lorsque l’imagination produit des convulsions, elle agit par des moyens violens (2). »

Le magnétisme, aujourd’hui, ne produit plus de convulsions ; el si quelques hommes, aux talens desquels je me plais d’ailleurs à rendre hommage, ont dans une occasion récente invoqué contre lui cet ancien grief, ils n’ont prouvé par là que l’ignorance où ils sont des traitemens modernes. Depuis dix ans, j’ai eu occasion de voir un grand nombre de malades atteints d’affections convulsives, se soumettre aux manipulations magnétiques; et loin qu’un seul d’entre eux ait jamais eu à s’en repentir, j’ai toujours été surpris de l’extrême facilité avec laquelle les magnétiseurs parviennent à calmer les accès les plus violens. La différence entre ce résultat et celui que produisait le magnétisme du temps de Mesmer, alors que les salles de traitement étaient appelées des enfers à convulsions, s’explique facilement. La conviction des magnétisés est tout dans le magnétisme. Mesmer regardait les convulsions comme des crises salutaires ; il montait l’imagination de ses malades dans le sens des convulsions, et il leur en donnait. Aujourd’hui les magnétiseurs, éclairés par la clameur publique, et surtout par le célèbre rapport, ayant reconnu l’abus des convulsions, ont gratifié leur fluide vital d’une vertu calmante, et il n’en a pas fallu davantage pour la lui donner. Ajoutons pourtant que le changement adopté dans les procédés, et surtout l’abandon des traitemens publics, ont exercé une grande influence sur ce résultat favorable.

Coup-d’œil sur l’histoire du magnétisme animal.

Mais, pour faire apprécier les causes de toutes les modifications que la théorie et les effets du magnétisme [p. 349] animal ont subies, j’éprouve la nécessité de jeter un coup d’œil rapide sur son histoire. Les considérations les plus sommaires suffiront .pour mettre en évidence et la fausseté de son existence comme agent particulier, et la réalité des faits importans qui ont donné lieu au maintien d’une croyance encore vivante de nos jours.

La contemplation des vertus singulières de l’aimant donne à plusieurs physiciens, vers le commencement du 16e siècle, l’idée d’une théorie erronée qui ne pouvait se soutenir qu’à la faveur de l’ignorance des lois de la saine physique, et qui disparut en effet à l’époque où celle-ci commença à faire des progrès. Cette théorie expliquait tout par des sympathies et des antipathies ; elle reposait sur l’hypothèse d’un fluide universel doué de propriétés si vastes et si peu définies que rien ne pouvait leur échapper ; le ciel et la terre, leurs mutuels rapports, les minéraux et les corps organisés, la santé et la maladie, la vie et la mort, tout y était compris, expliqué : c’était en un mot un de ces rêves gigantesques que les hommes commencent toujours par faire au premier regard qu’ils jettent sur la nature. Les inventeurs de ce système avaient dès l’abord désigné leur agent par le nom de magnétisme, dénomination qui rappelait la nature des phénomènes qui lui avaient donné naissance.

Cette théorie était déjà plongée dans l’oubli depuis plus d’un siècle, quand Mesmer, à qui on ne peut accorder d’autre mérite qu’une certaine audace d’esprit qui le portait à s’écarter des routes battues, se replie vers les idées de ses devanciers pour lesquelles il s’enthousiasme, et les donne, sans y rien changer, pas même le nom, comme le résultat de son propre génie. Il se dit possesseur du secret le plus précieux, et se présente aux malades comme un homme à qui la nature a livré le secret de ses plus mystérieuses opérations.

Ce fou, à qui on fait peut-être grâce eu ne le flétrissant pas du nom d’imposteur, produit cependant des [p. 350] effets étonnans ; et, chassé de sa patrie par des événemens capables de donner au moins des doutes sur son caractère moral, il arrive à Paris précédé d’une réputation qui devait nécessairement fixer sur lui l’attention publique. Aussi ce fut surtout dans cette ville qu’il acquit de la célébrité. Ses traitemens devinrent le rendez-vous de la plus brillante société ; mais pendant que dans le monde on ne parlait que de lui et de ses miracles, tout ce qu’il y avait d’hommes distingués dans les sciences ne traitaient ses prétentions qu’avec le plus profond mépris.

Enfin le gouvernement ne croit pas pouvoir rester plus long-temps étranger à la question qui occupe tous les esprits ; et pour éclairer le public sur l’objet de son engouement, il nomme une commission composée des hommes qui, par leurs talens et leur moralité, étaient les plus capables de fixer son opinion. Ces hommes, parmi lesquels se trouvaient, comme nous l’avons déjà dit, Bailly, Lavoisier, Franklin, portent sur le magnétisme un jugement qui sera toujours regardé, par ceux qui seront capables de l’apprécier, comme un modèle à suivre dans les circonstances semblables.

Le jugement de l’Académie des sciences et de la Faculté, auquel celui de la Société royale de médecine fut conforme en tout point, devait porter un coup mortel au magnétisme animal ; mais, au moment même où tous les effets obtenus jusque là allaient disparaître par le soin qu’on avait mis à détruire l’illusion qui leur donnait naissance, d’autres phénomènes, d’un ordre tout différent, viennent soutenir la vogue du magnétisme, et donner à son règne, qui devait être si près de finir, une durée illimitée. A l’étrange spectacle des crises convulsives, succèdent les merveilles du paisible somnambulisme, dont le nom même était inconnu dans les traitemens jugés par Bailly. La métamorphose a lieu partout en même temps, et il convient d’en assigner les causes. [p. 351]

A l’époque dont nous parlons, la vogue du mesmérisme était portée au plus haut degré. Parmi le grand nombre de malades qui journellement y avaient recours, plusieurs avaient éprouvé des effets très marqués, et dont ils étaient bien loin de supposer que la cause dût être cherchée en eux-mêmes. Cependant ces hommes voyaient nier obstinément la vérité de l’agent auquel ils se croyaient redevables du rétablissement de leur santé, de l’agent qu’ils regardaient comme l’instrument immédiat de tous les phénomènes de la nature, comme l’âme universelle du monde, et pour lequel leur enthousiasme était proportionné à l’importance qu’ils lui supposaient. Joignons à cela qu’ils furent bientôt persécutés avec passion. On voulut forcer chaque médecin, sous peine de radiation, de signer qu’il ne se déclarerait jamais, ni par sa pratique, ni par ses écrits, partisan de la nouvelle doctrine; et plusieurs firent le sacrifice de leur grade à ce qu’ils regardaient comme la vérité. Il faut lire les écrits du temps pour se faire une idée de l’effervescence qui régnait dans les esprits des deux côtés, mais surtout parmi les mesmériens, exaltés par l’injustice des mesures qu’on prenait contre eux.

Des hommes placés dans une pareille situation avaient toutes les conditions requises pour l’apparition de l’extase ; aussi ne tarda-t-elle pas à se manifester, et on vit survenir une épidémie en tout comparable à celles qui résultent des croyances religieuses.

L’existence de l’état d’extase n’étant pas connue, personne ne put alors s’apercevoir que son apparition, au moment de la plus grande exaltation des magnétiseurs, n’était réellement qu’une confirmation, et la confirmation la plus curieuse, du point de vue si bien développé par Bailly. Si, à cette époque, la vérité que je cherche à établir aujourd’hui avait été signalée, les savans et les médecins, au lieu de se placer, en niant tout, dans une position insoutenable, se seraient empressés de profiter [p. 352] de l’occasion qui se présentait pour éclairer la partie la plus curieuse de la science de l’homme, et le magnétisme animal serait depuis long-temps apprécié à sa juste valeur.

Portrait gravé de Jean Sylvain Bailly né le 15 septembre 1736 à Paris et mort guillotiné le 12 novembre 1793 à Paris, publié par Girardin en 1802.

Portrait gravé de Jean Sylvain Bailly né le 15 septembre 1736 à Paris et mort guillotiné le 12 novembre 1793 à Paris, publié par Girardin en 1802.

C’est au marquis de Puységur qu’on fait ordinairement honneur de l’apparition des premiers extatiques, ou, pour parler comme les magnétiseurs, des premiers somnambules observés dans les traitemens magnétiques. Le fait n’est pas exact; il suffit, pour s’en convaincre, de lire la lettre même dans laquelle ce magnétiseur célèbre rend compte à son frère de l’impression qu’a faite sur lui la vue de ces crisiaques endormis entre ses mains d’un sommeil merveilleux, sans convulsions ni douleur.

Où donc parurent les premiers extatiques ? Je n’ai pu me procurer aucune donnée positive sur ce sujet, qu’il serait pourtant assez curieux d’éclaircir. Ce qu’il y a de certain, du moins, c’est qu’à l’époque où M. de Puységur fit ses premières observations, l’extase était déjà assez fréquemment produite à Lyon, dans les traitemens d’un magnétiseur appelé Barberin, et chef d’une secte qui porta son nom. Sa méthode consistait à faire mettre ses malades en prière, avant de les soumettre à aucun procédé. Ce fut très probablement dans ces réunions mystiques que l’extase prit naissance, pour se répandre rapidement, par une véritable contagion d’imitation, dans tous les traitemens magnétiques de la France. La propagation en fut si rapide, qu’en moins de quelques mois on put citer plusieurs centaines d’extatiques.

Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin ou Cavaliere Bernini (1598-1680). - La Transverbération de sainte Thérèse [Détai] (1647-1652), Cette toile se trouve dans une chapelle latérale de l’église Santa Maria delle Vittoria de Rome.

Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin ou Cavaliere Bernini (1598-1680). – La Transverbération de sainte Thérèse [Détai] (1647-1652), Cette toile se trouve dans une chapelle latérale de l’église Santa Maria delle Vittoria de Rome.

Si les somnambules de Busancy ne peuvent être regardés comme les premiers extatiques de l’épidémie de 1784, on ne peut se refuser à reconnaître qu’ils exercèrent la plus grande influence sur le changement introduit, à cette époque, dans le mode d’administration du magnétisme. Parmi les paysans soumis au traitement de M. de Puységur, il y en eut un qui, fortement frappé de l’idée de la puissance de son seigneur, s’avisa de déclarer, en extase, que toute l’efficacité de ses traitemens avait pour [p. 353] principe immédiat sa volonté toute puissante. Qu’un pareil langage fût celui de la flatterie ou de la conviction, la déclaration faite par l’oracle endormi fut bientôt répétée par tous les autres. Dès lors, les baquets qui servaient à accumuler le fluide, les baguettes au moyen desquelles ou le dirigeait, les arbres même qui en augmentaient l’activité, tout cela perdit de son crédit. Le magnétiseur fut considéré comme la source vivante du précieux agent ; sa volonté passa pour en être l’unique régulatrice ; un mot, un geste, une pensée émanée de lui, furent regardés comme suffisans pour opérer des prodiges. Le magnétiseur se laissa ériger en divinité protectrice de ses malades; idolâtre de sa puissance imaginaire, il commanda des miracles, et se fit obéir.

Quel triomphe pour les magnétiseurs ! les voilà donc, ces hommes qu’on a voulu écraser sous le poids du dédain, possesseurs d’un pouvoir presque surnaturel ! Chaque prodige est un démenti éclatant donné à la vieille science ; ils ont enfin la clef des merveilles de la nature, tout leur deviendra possible.

Le magnétisme, appuyé ainsi sur les phénomènes les plus incroyables, se releva assez rapidement du coup qui lui avait été porté. On vit, au milieu d’une génération dont la mission paraissait-être de nier, se former un groupe de croyans qui, par la nature de leurs prétentions, rappelaient le souvenir des siècles les plus superstitieux. Cependant ce groupe se grossit journellement, et déjà commence à compter dans ses rangs des hommes qui présentent d’autres droits à la confiance du publie que leurs lettres de noblesse, quand la révolution vient arracher les partisans du magnétisme à leurs travaux, les disperse, et fait fuir enfin le somnambulisme de France avec les Sociétés de l’harmonie.

Cette dispersion semblait devoir être définitivement funeste au magnétisme animal, qui restait frappé de la défaveur qu’avait jetée sur lui dans le public la condamnation [p. 354] des Sociétés savantes. D’ailleurs, les faits sur lesquels il s’appuyait étaient, on ne saurait trop le répéter, en opposition complète avec la masse des idées dominantes, et plusieurs sont de telle nature, qu’on peut assurer que jamais personne ne les a adoptés sur parole ; je ne sais même si c’est trop s’avancer que de dire qu’il faut, à tout homme capable de réflexion, une certaine indépendance d’esprit pour se décider à les admettre publiquement, après les avoir bien vus.

Cependant, la révolution passée, le magnétisme et le somnambulisme son appui, reprennent peu à peu faveur. Chaque nouveau partisan suppose de nouveaux miracles, et le nombre des adeptes se grossit chaque jour. Remarquons qu’il ne s’agit pas ici d’une théorie, d’un système capable de séduire les esprits par une apparence de grandeur ; la croyance au fluide universel qui, toute dénuée de preuves qu’elle était, pouvait produire cet effet n’existe plus ; et la théorie la plus insignifiante l’a remplacée, ou plutôt l’immense majorité des magnétiseurs n’a plus de théorie. Ils voient des effets produits ; le plus simple est de les attribuer à un agent physique, et ils croient à cet agent. Cet agent, ils ne le voient pas : c’est donc un fluide invisible. De plus, c’est par le rapprochement de deux êtres vivans que les effets sont déterminés : l’agent sort donc d’un être vivant pour être communiqué à un autre. Ils ne vont pas plus loin : leur croyance est une croyance des faits ; leur théorie, l’expression la plus grossière de ces faits. Ils y tiennent ce pendant à cette théorie, et même quelques uns d’entre eux avec intolérance ; mais qu’on y regarde de près, et on verra que ce qui les rend si chatouilleux sur le fait de leur fluide, c’est que, trop attachés à des opinions reçues avec légèreté, ils croient que tout leur édifice va s’écrouler si on leur enlève la base étroite sur laquelle ils ont essayé de l’asseoir. Veut-on une preuve de ce que j’avance ? Qu’on voie combien s’arrangent facilement les [p. 355] magnétiseurs qui ne croient qu’à un fluide vital particulier, avec ceux qui tiennent encore ou qui reviennent à la théorie du fluide universel, avec ceux qui nient l’existence de tout fluide, pourvu qu’ils reconnaissent l’influence de la volonté du magnétiseur comme agissant à distance. Ceux même qui voudraient avoir recours aux intelligences célestes ne seront que doucement combattus. Les magnétiseurs ne poursuivent de leurs anathèmes que les écrivains qui veulent chercher la cause des phénomènes qu’ils produisent dans l’être même qui les éprouve ; et en y réfléchissant, cette conduite s’explique facilement de leur part. C’est en parlant d’imagination que Bailly a jadis foudroyé l’ancien magnétisme ; c’est en parlant d’imagination que les incrédules de nos jours se croient en droit de mépriser leurs expériences et de les vouer au ridicule : est-il étonnant qu’ils aient contracté pour ce mot une antipathie d’habitude qui les soulève contre quiconque ose seulement le prononcer à propos de leurs merveilles ? Il est vrai aussi que rien n’est plus vague et plus insignifiant que le mot imagination, susceptible d’une multitude d’acceptions mal déterminées, et qu’on ne saurait porter quelque lumière dans l’explication des phénomènes obtenus dans les traitemens magnétiques, qu’en faisant une analyse satisfaisante des impressions morales qui les produisent.

Telle est en résumé l’histoire du magnétisme animal, erreur déjà vieille de deux siècles, dont le sort fut d’être toujours vaincu et de reparaître toujours. C’est que, de même que tant d’autres chimères qui n’en différaient pas dans leur essence et qui ont eu tour à tour leurs martyrs et leurs miracles, il repose sur des phénomènes incontestables, sur des faits qui donneraient encore la vie à bien d’autres erreurs, si la philosophie, en les reconnaissant enfin, en les classant dans la science et en les expliquant, ne venait en étouffer dans leur germe toutes les fausses interprétations. Nous avons vu, [p. 356] en effet, le magnétisme, oublié depuis plus d’un siècle, renaître et acquérir une certaine vogue par des faits. Nous l’avons vu, démasqué, dépossédé de la théorie à laquelle on aurait pu attribuer ses séductions, subir la condamnation la plus solennelle dans le siècle le plus disposé à applaudir à sa défaite, et se relever cependant, à l’aide de nouveaux faits. Les événemens politiques, qui dispersent tous ses défenseurs et détournent l’opinion publique de son examen, l’exilent de France pendant dix ans; et pourtant, après cet intervalle, sans crédit parmi les savans, voué au ridicule jusque dans la classe la moins instruite, sans théorie, et n’ayant encore pour appui que des faits, il se propage peu à peu, gagne des partisans respectables, grandit, compte en Europe des milliers de prosélytes, et se présente enfin dans notre académie de médecine, réclamant avec assurance de nouveaux juges. Je le demande à tout homme qui voudra y réfléchir de bonne foi : une pareille marche n’offre-t-elle pas la preuve la plus frappante de la réalité de ces faits qui tant de fois ont soutenu, ont relevé une erreur attaquée par des armes et par des circonstances auxquelles d’ordinaire les erreurs ne résistent pas ?

Convulsionnaires de la Saint-Médard - Le diacre François de Pâris médium. (Sépia).

Convulsionnaires de la Saint-Médard – Le diacre François de Pâris médium. (Sépia).

Le somnambulisme magnétique est une variété de l’extase (31).

Quant à l’identité qui existe entre les somnambules [p. 357] magnétiques et les extatiques des époques précédentes, je crois l’avoir prouvée ailleurs jusqu’à l’évidence (4). Au surplus cette identité, quoique d’abord méconnue, ne pouvait manquer de se manifester par quelques ressemblances trop frappantes. Aussi ont-elles été signalées à différentes reprises, mais sans qu’on leur ait jamais accordé l’importance qu’elles méritaient, et sans qu’on ait songé à en déduire des conséquences scientifiques.

Le premier écrivain qu’on puisse nommer sous ce rapport est Devillers, auteur d’une brochure intitulée : Le Colosse aux pieds d’argile, publiée en 1784. Mais il s’arrêta presque uniquement à prouver que si les magnétiseurs citaient de nombreuses guérisons à l’appui de leur agent prétendu, on n’en avait pas jadis invoqué un moindre nombre en faveur de la réalité de l’influence du diacre Pâris sur les jansénistes ; d’où il conclut que l’imagination seule a bien pu produire ce qu’il y a de réel dans les unes et dans les autres. Quant à l’état d’extase, l’auteur ne le connaissait que d’une manière si vague, qu’il lui fut impossible de rien établir sur ce sujet ; il se borne à citer un seul fait des convulsionnaires de Saint-Médard, qui lui semble se rapprocher de ce qu’il avait entendu dire des somnambules.

La similitude que Devillers n’avait guère que pressentie frappa bien plus vivement un homme qu’on doit compter dans le petit nombre d’adversaires distingués, qui n’ont pas dédaigné d’entrer en lice avec les magnétiseurs. De Montègre, dans son article Convulsionnaire du Dictionnaire des Sciences médicales, signala un grand nombre de ressemblances entre les deux épidémies. Une partie de son travail est consacrée à ce parallèle, l’autre à donner le détail des prodigieux exemples d’invulnérabilité présentés par les convulsionnaires. Etonné du [p. 358] merveilleux de ces faits qui, soixante ans auparavant, avaient effrayé tout Paris, et de la nature des témoignages que Carré de Montgeron a pu réunir, Montègre paraît convaincu de leur réalité ; mais il engage à plusieurs reprises ses lecteurs à se bien garder de s’en laisser troubler, et se hâte de protester que, pour lui, il les a placés uniquement dans sa mémoire, sans jamais s’être avisé d’en tirer aucune conséquence. La preuve de l’espèce d’effroi que semblaient lui causer les phénomènes dont il avait entrevu la réalité, est consignée en cent endroits de ses écrits ; on dirait qu’il cherchait à se prémunir lui-même contre l’illusion de ces erreurs qu’on ne reconnaît plus dès qu’on s’ y est une fois abandonné : ce sont ses propres expressions. « Que ceux, dit-il ailleurs en parlant du somnambulisme, dont le cœur n’est pas ceint d’un triple acier, s’éloignent de ces scènes dangereuses ; car, de même qu’il est à craindre que des enfans, saisis à la vue d’un épileptique qui tombe et se débat en leur présence, soient eux-mêmes atteints de ce mal horrible, de même aussi on doit, à l’aspect de ces ébranlemens nerveux, de ces aliénations passagères, redouter les funestes effets de la contagion à laquelle on s’expose. »

Le peu que je viens de dire suffit pour montrer la disposition d’esprit qui a présidé aux discussions de Montègre avec les magnétiseurs. Adversaire passionné, il a voulu, avant tout, obtenir sur eux un triomphe. Prouver

Qu’ils étaient dans l’erreur sur la cause à laquelle ils attribuaient leurs phénomènes fut toujours sou unique affaire, sans qu’il ait jamais paru sentir le besoin de constater ce que pouvaient présenter de réellement curieux ces somnambules magnétiques dont il paraissait avoir peur, ou ces convulsionnaires qui leur ressemblaient si fort. Montègre n’a jamais consigné aucune observation de somnambulisme dont il eût été témoin oculaire. Il a vu pourtant des phénomènes, il en a produit lui-même, mais à une époque postérieure à la publication [p. 359] de ses écrits. Peut-être, s’il eût vécu, aurait-i1 modifié son point de vue, et reconnu l’importance de ces faits qui le troublaient, quoi qu’il en dit, et contre lesquels il se révoltait, tout en les admettant.

A côté de Montègre, vient naturellement se placer un adversaire moins passionné et plus érudit des magnétiseurs : M. Virey parut accepter la tâche de lui succéder. Mais ne se bornant plus à comparer les phénomènes obtenus par les magnétiseurs à ceux d’une seule épidémie, il employa toutes les ressources de son érudition à exhumer, d’une foule d’auteurs peu connus, des faits dont l’identité avec ceux que présentent les somnambules ne saurait être contestée Son but était aussi d’établir, par cette comparaison, que la réalité des faits magnétiques, quand même on l’admettrait, ne devrait en aucune manière être regardée comme une preuve de l’agent des magnétiseurs : vérité incontestable et bien faîte pour jeter un grand intérêt sur son travail, si l’auteur s’était attaché à indiquer au moins quels sont les phénomènes qu’il croit vrais, et quels sont ceux qu’on ne doit regarder que comme le résultat de l’illusion, si surtout la considération de l’identité de tant de faits et de témoignages l’avait conduit à la connaissance de l’état particulier d’extase et de ses caractères distinctifs. C’est ce qu’aurait fait sans doute M. Virey, s’il avait commencé par observer les phénomènes dont il voulait s’occuper et sur lesquels il devait être d’autant plus empressé de fixer son opinion par l’expérience, qu’il ne paraît pas révoquer en doute la réalité de ceux même qui sont de nature à exciter le plus l’incrédulité.

Malheureusement cette expérience indispensable, que n’ont eue ni Devillers, ni Montègre, ni Virey, n’est pas aussi facile à acquérir qu’on pourrait le croire. Une appréciation juste de phénomènes aussi compliqués que ceux de l’extase ne peut être le résultat que d’une observation longue.et soutenue. Assister sans préparation [p. 360] antérieure, et comme à un spectacle, à la magnétisation de quelques somnambules, est plutôt le moyen de se faire illusion que d’arriver à la vérité. Celui-là seul peut se flatter de pouvoir en approcher sans erreur qui, par une expérience souvent répétée, a pu se familiariser avec l’état d’extase, et qui s’est accoutumé à en saisir les caractères distinctifs au milieu des variétés qu’il – présente.

Aussi, relativement à l’épidémie actuelle, au milieu d’un siècle qui se vante d’être éminemment observateur, avons-nous occasion de faire cette remarque importante, qui s’applique également à toutes les épidémies antérieures, que les auteurs qui en ont écrit peuvent se partager en deux classes ; les uns qui en ont parlé seulement d’après leurs conjectures, sans s’être donné la peine de rien observer par eux-mêmes; et les autres qui, ayant vu, observé et expérimenté, n’ont pas su échapper à l’illusion sous l’influence de laquelle l’extase prend naissance de nos jours.

L’histoire de tous les temps prouve au reste jusqu’à l’évidence que des connaissances variées et un esprit distingué ne suffisent pas toujours pour garantir des erreurs les plus grossières ceux qui se trouvent transportés au milieu des merveilles que présente une épidémie d’extase. Le célèbre jurisconsulte Bodin croyait à la réalité du pouvoir surnaturel des sorciers; Carré de Montgeron et le chevalier Follard ne doutaient pas de la vertu miraculeuse du diacre Pâris ; et n’avons-nous pas vu tout récemment, dans une occasion solennelle, plusieurs des membres les plus respectables d’une académie distinguée faire publiquement l’aveu de leur penchant à adopter l’existence du fluide mystérieux qui n’a jamais été vu que par les extatiques de nos jours ?

La discussion que nous rappelons ici s’est prolongée pendant trois séances consécutives, et plus de la moitié des membres de l’Académie de médecine ont pris la [p. 361] parole dans la question de savoir s’il y avait lieu à examiner de nouveau le magnétisme animal. Le résultat de ce long débat a été de nature à étonner les plus incrédules.

Louis-Basile Carré de Montgeron (1686-1754). Convulsionnaire de la Saint-Médard. Planche. 13.

Louis-Basile Carré de Montgeron (1686-1754). Convulsionnaire de la Saint-Médard. Planche. 13.

Un tiers au moins des académiciens, encouragés par la circonstance, ont cessé de faire un mystère de leur conviction ou de leurs doutes, et se sont présentés comme ayant vu certains faits plus ou moins extraordinaires : témoignage vraiment imposant et d’autant plus fait pour entrainer la conviction, que ceux qui le donnaient, loin de se montrer empressés de le publier, n’avaient paru le laisser échapper qu’avec timidité. Une pareille considération ne pouvait manquer d’en trainer l’opinion de l’Académie, et l’examen du magnétisme animal a été décidé. Le travail de la commission nommée par l’Académie doit être commencé, et le résultat de ses recherches ne peut manquer d’avoir une influence sensible sur la marche de l’épidémie actuelle. Puissent les nouveaux commissaires suivre la route qui leur a été tracée par leurs illustres devanciers ! Bailly et ses collègues comprirent que, tout en faisant justice d’une cause imaginaire, ils ne pouvaient se dispenser de constater ce qu’il y avait de réel dans les effets qu’on lui attribuait. Par là seulement ils ont pu substituer à la chimère du fluide mesmérien, cette puissante influence du moral sur le physique, dont nous observons aujourd’hui des effets différens et bien plus curieux encore. Le travail de ces grands hommes sera compté au rang des titres qu’ils ont acquis à la reconnaissance de la postérité. Une semblable gloire attend ceux qui, placés dans les mêmes circonstances, sauront compléter leurs travaux, en mettant autant de soin à enrichir la science de la découverte d’un état méconnu aujourd’hui, qu’à repousser l’hypothèse erronée à laquelle il sert d’appui. Au surplus, on ne saurait trop le répéter, tant qu’un seul phénomène positif, nié par les savans, pourra être produit par les enthousiastes à l’appui de leur doctrine, le magnétisme vivra [p. 362] en dépit de toutes les condamnations de toutes les sociétés savantes.

Les considérations dans lesquelles nous sommes entrés nous paraissent suffisantes pour établir la réalité de l’extase et donner une idée de son importance. Ce serait ici le lieu de traiter en détail des facultés assez nombreuses dont l’ensemble sert à caractériser cet état ; mais une pareille exposition, qui se refuse évidemment à toute analyse, ne peut trouver ici sa place : l’occasion s’en présentera d’ailleurs à l’article Somnambulisme, lorsque, nous occupant de la seule variété de l’extase qui puisse être en ce moment soumise a nos observations, nous pourrons l’examiner avec détail ; en attendant, je suis forcé de renvoyer ceux qui seraient curieux d’en prendre une idée à mon dernier ouvrage (5) sur l’extase, où on en trouvera une monographie aussi complète que le comporte l’étal actuel de nos connaissances sur ce sujet.

Aujourd’hui je me bornerai à parler d’un des phénomènes les plus communs de l’extase, phénomène qui domine tellement cet état, qu’il se manifeste presque à chacune des notions qui arrivent à la connaissance de l’extatique.

NOTES

(1) Il est très important que le lecteur ne perde pas de vue que le traité que je donne ici, résumé des connaissances que j’ai pu acquérir sur une branche encore neuve de la science de l’homme, ne peut contenir les développemens qui seraient nécessaires dans un ouvrage plus étendu. Ceux qui désireront ces développemens pourront consulter la Dissertation sur l’extase qui forme la seconde partie de mon ouvrage intitulé Du Magnétisme animal en France, 1 vo1. in-8°, chez Baillière, libraire, rue de l’École de Médecine, et mon Traité du Somnambulisme. Encyclopédie progressive, Be Traité. 1826. 23.

(2) Ces divers passages sont extraits, soit du rapport même des commissaires, soit d’une analyse de ce rapport, lue par Bailly à une séance de l’Académie des Sciences.

(3) Les partisans de l’existence d’un fluide, ou agent particulier, auquel on devrait rattacher la production des phénomènes qui s’observent dans les traitemens magnétiques, pourront sans doute objecter qu’avoir indiqué l’exaltation morale qui règne parmi les magnétiseurs comme une cause capable de produire l’extase, ce n’est pas avoir démontré que l’agent magnétique lui-même est incapable de produire un pareil résultat. La réponse à cette objection et l’examen des preuves directes apportées par les magnétiseurs en faveur de l’existence de leur agent, trouveront naturellement leur place dans l’article Magnétisme animal.

(4) Du Magnétisme animal en France.

(5) Du Magnétisme animal en France.

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3 commentaires pour “Extase. De l’état d’extase considérée comme une des causes des effets attribués au magnétisme animal [Partie 1]. Par Al. Bertrand. 1826.”

  1. MamahLe mardi 25 août 2015 à 20 h 05 min

    I can already tell that’s gonna be super heufllp.

  2. AlmlLe jeudi 9 mars 2017 à 12 h 08 min

    Très intéressant, merci.

  3. AlmlLe jeudi 9 mars 2017 à 12 h 10 min

    Dans la danse, soufi ou autre, c’est une partie intégrante.