Exécution d’une sorcière dans la forêt de Mormal. Par Ernest Matthieu. 1908.

MATTHIEUEXECUTION0004 - 1Ernest Matthieu. Exécution d’une sorcière dans la forêt de Mormal. Article parut dans le « Bulletin de la Société d’Etudes de la Province de Cambrai », (Lille), tome XII, 1908, pp. 28-30. [Observation inédite.]

Ernest Matthieu (1851-    ). Inscrit au barreau de Mons, il exercera aussi la fonction de juge suppléant à la justice de paix d’Enghien (1885-1893). 

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article en français. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire des originaux.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 28]

Exécution d’une sorcière dans la forêt de Mormal. – M. Ern. MATTHIEU, membre associé, communique le document suivant :

Le compte du grand baillage des bois de Hainaut de 1609 à 1612 contient plusieurs articles de dépenses au sujet d’une sorcière habitant à Preux-au-bois, qui fut condamnée à la peine capitale et [p. 29∏ exécutée par cette juridiction, sur les poursuites de Lucas Vandervliet, lieutenant de la franche forêt de Mormal. Nous lui empruntons les détails suivants :

« Comme le bruit couroit aux estocquiz que Jenne Cordon, femme à Jacques du Wez, sergent de ladite forest, résident audit quartier sur la juridiction d’icelle, seroit entâchée du crime de sortilège, ledit sieur lieutenant s’estoit transporté à Preux ou Bois le VIIe janvier 1611 et au lendemain ouy bon nombre de tesmoins en scachants à parler et rethourné le IXe d’iceluy mois, quy sont trois jours à l’advenant de syx livres tournois par jour…. XVIII, I. »

A l’examen du compte, ce salaire fut trouvé exagéré et la chambre des comptes alloua seulement 9 l. 12 s. au lieutenant. Les salaires du greffier Antoine du Casteau et de l’huissier furent également réduits.

« Laquelle information faite et achevée fut mise en conseil par devant plusieurs frans marchands ausquels avoit semblé qu’il apparissoit suffisanment de plusieurs cas du moins que ladite Jenne Cardon en seroit suspecte, si comme d’avoir fait faillir la buée et causé la vermine en la maison et aux enfants Nicolas Laoust, de la mort du filz Jean Brunois et de l’enfant Jean Debonnaire, comme pareillement de Paul Dunid et d’aulcuns bestiaulx, et partant conclu de procéder à son apprehention, pour laquelle consulte a été payé comprins mise par escrit…. VII, I, x s. t. »

Sorcières sur le bûcher.

Sorcières sur le bûcher.

Deux sergents, Antoine du Casteau et Innocent Guyo, procédèrent à l’arrestation de l’accusée à trois lieues du Quesnoy et l’amenèrent en cette ville sur une charrette « de tant qu’elle estoit femme fort pesante et graisse. »

Le 13 janvier 1611, Jenne Cardon fut interroge et répondit par une dénégation, mais le 14 et le 15, elle confessa « d’avoir en vision de quelque esprit quy s’estoit evanouy faisant le signe de la croix. »

« Suyvant ce, ledit procès fut porté à Mons (à la cour de Hainaut) et mis en délibération de conseil, ayant d’advis porté que lesdites impositions estoient sy circonstantiées que vraysemblablement elle auroit commis les cas dont les tesmoins ont dépose, attendu qu’après les menasses les événements étranges sont quant et quant ensuyvyz oultre ladite vision, et partant y avoit très juste cause la mettre à peine de corps, la razant premièrement, pour lequel advis a esté payé, comprins mise par escrit…. VII, I, x s. t. »

A la suite de cet avis, en présence de Nicolas le Franc, officier des hautes œuvres à Valenciennes, le « XIXe dudit mois, ladite Jenne Cardon fut premièrement admonestée de dire la vérité, et pour ses dénégations fut razée, liée à la corde et bendée par ledit officier que lors requit d’estre relascée, sy qu’elle a esté et lors assize sur un [p. 30] banc, ayant confessé que, après la perte de ses beastaulx à Quiévrain que une sorcière nommée Haimon avoit fait mourir, l’ennemy s’apparu à elle en disant : « attendez j’y voy, quy premettoit la recompenser. Et après avoir renoncé à cresme et baptesme et luy donné son âme, l’avoir cognue charnellement ayant sa nature froide et depuis esté aux danses tous les VIII ou XV, l’ayant jours marqué de sa marcque en forme de piste du liepvre, sy qu’a esté veu oculairement ; de plus at déclaré les formalitez quy s’observent aud danses tant pour le banquer, adoration copulation que réception de la poudre dont elle confessoit en avoir mis au cuvier de la buée Nicolas Laoust pour faire faillir la buée, aussy fait emplir ses enfants de vermine, aussy d’avoir fait mourir Pierre Brunois, à raison de la querelle qu’elle avoit eu contre son père, pareillement la fille Jean Debonnaire et quelques besteaulx, mesme d’avoir abusé de la Ste Hostie qu’elle delivroit à un crapeau ou aultre beste en son grenier, icy ausd. Lieutenant et francs marchans présents ausd. Interrogatz,…. IIII, I, XVI s. »

La coupable ayant réitéré ses aveux le lendemain matin et vers 2 heures après-midi, la cause fut mise en délibération entre plusieurs personnes notables de la ville du Quesnoy, frans marchans de lad. Forest, lesquels avoient trouvé ledit procès suffisamment instruyt pour y prendre conclusion finalle telle que la condamner au dernier supplice par le feu, l’estranglant premièrement et vu l’évidence palpable de la culpabilité, ces juges trouvèrent inutile de prendre un nouvel avis à Mons.

Antonio Gallonio (1556)1605)  - Première planche du Traité des instruments de martyre..., gravée par Antonio Tempesta (1591).

Antonio Gallonio (1556)1605) – Première planche du Traité des instruments de martyre…, gravée par Antonio Tempesta (1591).

L’exécution de Jenne Cardon eut lieu le lendemain 21 janvier, par le bourreau de Valenciennes ; Nicolas Le Franc, sur la chaussée de la forêt « lez le quesne Cuplet, » le greffier lui ayant lu la sentence sur le lieu de l’exécution. Le bourreau reçu 34 l. 10 s. ; deux religieux de l’ordre de Saint-François, récollets, l’assistèrent et touchèrent pour ce motif 70 sous ; le lieutenant de la forêt et des francs marchands s’y trouvèrent à cheval, puis dînèrent ensemble, ce qui leur valut une somme de 12 livres.

En relevant dans ces comptes les détails curieux de cette procédure, nous avons eu en vue de fournir une contribution inédite aux annales de la sorcellerie. Bornons-nos à faire ressortir ici l’intervention de cette juridiction des francs marchands de la forêt de Mormal dont les origines et les attributions mériteraient une étude spéciale.

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