Essai de classification étiologique des névroses. César Tournier. 1900.

TOURNIERPSYCHONEVROSES0001César Tournier. Essai de classification étiologique des névroses. Article parut dans la revue « Archives d’anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique », (Lyon et Paris), tome quinzième, 1900, pp. 28-39.

Claude-Louis César Tournier est né à Aromas dans le Jura le 24 juin 1866 et est mort en 1929. Il fait ses études de médecine à Lyon ou il soutient sa thèse en 1892. Un des tous premiers lecteurs français de Sigmund Freud.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – L’images a été rajoutée par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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Essai de classification étiologique des névroses (1).
Par Claude Tournier.
ancien chef de clinique médicale de m’Université de Lyon.

 

Depuis plusieurs années j’ai recherché avec persévérance, et souvent avec insistance, les causes des manifestations nerveuses qui se sont présentées à mon observation.

D’autre part, j’ai lu le plus que j’ai pu d’autobiographies offrant des caractères d’entière sincérité, tout particulièrement des vies de saintes et de saints.

Le rôle considérable de la vie sexuelle m’est apparu avec précision.

Ce côté étiologique peut-être trop grandi, en tout cas fréquemment mal interprété, par les neurologues des siècles passés, puis nié mal à propos, a été l’objet des travaux très remarquables de M. Sigm Freund [sic] (de Vienne) dont j’ai eu connaissance en 1895 (in Revue neurologique). Sans partager toutes les opinions de M. Freund [sic] je dois à ses travaux beaucoup ainsi qu’à ses méthodes des recherches. J’ai depuis interrogé plus attentivement, lorsque possible, sur la vie sexuelle dès l’enfance.

Il est vraiment curieux que les recherches de M. Freund, d’une si haute importance pathogénique et thérapeutique, soient laissées, en France tout au moins, presque, pour ne pas dire tout à fait sans approbation comme sans critique.

Cette note n’envisage que les névroses à proprement parler, les névroses du groupe hystérie et neurasthénie des auteurs; je laisse donc de côté pour le moment des affections telles que l’épilepsie, le goître exophtalmique et aussi les psycho-névroses et les psychoses dans l’étiologie desquelles l’hérédité intervient plus certainement. [p. 29]

Dans le développement des névroses je suis très loin de nier les influences héréditaires. Mais je crois que ces influences ne sont pas telles qu’on se les figure d’ordinaire.

Une névrose n’engendre pas une névrose, pas plus une névrose de même espèce qu’une névrose parente.

Les modifications héréditaires sont indéniables mais encore faut-il se rappeler que l’ovule ou le spermatozoïde ne transmettent pas facilement les caractères acquis du générateur. Un groupe tout entier de biologistes, les néo-darwiniens après Weissmann nient cette hérédité et les partisans de la théorie biochimique de l’hérédité en général, Wilhem Roux et Delage, ne lui font pas la part bien grande

Beaucoup plus acceptées, et pour les névroses en particulier beaucoup plus acceptables, sont les modifications qui proviennent d’actions variées du milieu extérieur sur l’œuf, depuis qu’il est œuf jusqu’à son développement comme organisme.

Sans vouloir ici, et la tâche serait vraiment difficile, essayer de faire la part qui revient à la transmission héréditaire de névrose acquise des parents et aux influences exercées sur l’embryon, le fœtus et l’enfant dans la modalité physiologique du système nerveux de l’individu, j’insiste sur le rôle important, d’après ce que j’ai cru observer, de la bonne ou mauvaise nutrition chez l’enfant.

Laissant de côté toute discussion au sujet de la dégénérescence et des dégénérés, je constate que, chez les nerveux que j’ai observés, j’ai trouvé fréquemment mais pas toujours un état un peu particulier du système nerveux apparu dès l’enfance ou plus tard constituant une indiscutable prédisposition, je qualifie cet état de nervosisme, de fond nerveux commun en lui donnant comme caractère l’instabilité mentale, les réactions trop intenses par l’apport à l’excitation. Tantôt il y a prédominance de l’excitabilité motrice, tantôt de la sensibilité. Les individus sont dans un cas des impulsifs, des violents, dans l’autre des sensitifs, des émotifs. L’observation de ces types est facile surtout chez les jeunes enfants. Chez l’adulte le type se complique et il y aurait avantage à tenir compte de la sexualité à appétits faibles, modérés ou considérables.

A ce point de vue, je signale, mais, à titre de simple indication [p. 30] car les faits que j’ai notés sont encore trop peu nombreux, que le développement exagéré de la fonction sexuelle m’a paru chez les parents être un des caractères acquis susceptibles d’influencer la modalité nerveuse des descendants.

Acceptant le nervosisme comme le terrain sur lequel se développe facilement mais non exclusivement et surtout non fatalement les névroses, j’ai depuis plusieurs années vu mes observations entrer sans tiraillement dans trois groupes qui sont :

Hystérie ; 


Névrose anxieuse avec obsessions et phobies ;

Neurasthénie.

Ces trois modalités existant d’ailleurs souvent associées à deux ou à trois sur le même sujet.

En schématisant l’étiologie on peut écrire :

Hystérie = névrose en rapport avec l’instinct de conservation ;

Névrose anxieuse et d’obsession = névrose en rapport avec l’instinct sexuel ;

Neurasthénie = névrose en rapport avec la vie sociale.

Le rapport s’établissant en règle générale par une atteinte, une agression, une diminution, une contrainte de la fonction.

1. Hystérie. 
— Il faut ranger sous ce nom la série de manifestations et de stigmates dont Charcot et son école ont écrit la symptomatologie. La définition en tant que processus psychique qu’en a donnée Pierre Janet est très acceptable, ce processus se réduisant en somme à une désagrégation mentale à un empiètement des actes inconscients sur les actes conscients, à la formation d’idées parasites qui se manifestent ou se réalisent sous l’aspect de troubles physiques sans subir le contrôle de la conscience.

Cet empiètement de l’inconscient s’est réalisé, dans les cas que j’ai observés, toujours par un choc moral déterminant, en dernière analyse, une crainte pour la vie, de l’organisme tout entier ordinairement parfois d’une partie seulement. Ce retour vers l’inconscient apparaît primitivement comme une réaction [p. 31] défensive (exemple : l’anesthésie à la douleur), les actes du ressort de l’instinct protégeant exclusivement la vie cellulaire sans souci de la vie psychique.

Les exemples abondent, cités par tous les auteurs, d’hystérie née par des traumatismes, surtout par incendie, accident de chemin de fer et de mine, parce que tels accidents sont réputés dangereux; d’hystérie ainsi développée chez des individus sans tare antérieure.

Dans les cas non traumatiques j’ai trouvé avec une fréquence spéciale comme cause le spectacle d’une mort. Presque la moitié des faits d’hystérie que j’ai relevés ont été produits par la vue de la mort, principalement d’une mort dramatique suscitant de l’effroi.

Un certain nombre de cas ont pris naissance par la vision de crises hystériques ou épileptiques. L’influence très réelle de l’imitation est précédée de la peur.

Une maladie qui éveille la crainte de mort agit de même et bien peu de maladies ne sont pas susceptibles d’effrayer.

Je n’ai pas d’observation me permettant d’attribuer un rôle direct, à l’exemple de tous les anciens auteurs, à la continence ou aux excès sexuels.

Par contre, j’ai noté leur action indirecte. La continence comme je le dirai plus loin, en suscitait des obsessions et des phobies, crée des préoccupations au sujet de la santé mentale, et une lecture, une conversation peuvent éveiller brusquement l’idée d’une maladie, surtout de la folie, d’où un choc, d’où une crainte.

L’acte sexuel se termine par ce que l’on a pu appeler une courte épilepsie, par essentiellement, mais à des degrés divers, un retour temporaire à ou vers l’inconscient et parfois, aboutit à une sorte de défaillance, de là l’association de la volupté à la mort chantée par les poètes, De là, la possibilité de l’apparition de l’idée de mort à l’occasion de l’acte sexuel avec d’autant plus d’intensité chez certains que l’idée du péché, de la damnation s’y joint et que le cerveau subit à ce moment la tendance au dédoublement, à l’envahissement de l’inconscient.

L’onanisme a une influence de même espèce, peut-être plus puissante encore en raison de la terreur inspirée pour cet acte par la lecture de certains livres ou les paroles du confesseur. [p. 32]

Les attentats sexuels sont fréquemment, chez la fillette surtout, l’origine de l’hystérie mais d’après les cas que je connais par le mécanisme de la terreur très nettement.

Jusqu’à démonstration par les faits d’une erreur de ma part, sans nier cette cause, je ne puis croire avec Freund que l’hystérie naît toujours d’un événement émotionnant de la vie sexuelle.

Je ne puis pas davantage d’après ce que j’ai vu confirmer la loi étiologique de Freund, à savoir que la cause spécifique de l’hystérie est « une expérience précoce de rapports sexuels avec irritation véritable des parties génitales, suite d’abus sexuel pratiqué par une autre personne et la période de la vie qui renferme cet événement funeste est la première jeunesse, les années jusqu’à l’âge de dix-huit ans, avant que l’enfant soit arrivé à la maturité sexuelle ».

Je me propose de continuer des recherches dans ce sens pour chaque cas mais la netteté des hystéries d’origine traumatique ne me permet pas dès maintenant d’accepter la loi de Freund comme générale. Cette loi rentrerait d’ailleurs très nettement dans la loi étiologique du traumatisme.

II. Névrose anxieuse avec obsessions et phobies. 
— Cette modalité nerveuse d’une très grande fréquence, n’ayant pas place dans les livres classiques, comme entité demande à être présentée en quelques mots.

La caractéristique de celle névrose est en somme cet envahissement du champ de la conscience par des idées fixes, qui, toutes perçues, s’imposent comme des parasites à l’agrégat d’images et de sensations qui constituent le moi conscient. Celui-ci lutte pour s’en débarrasser et l’individu éprouve d’une part de l’irritabilité et d’autre part un malaise très spécial qu’exprime le terme anxiété.

Il se réalise un état émotif particulier; les idées fixes s’accompagnent de perceptions sensitives. Parfois les idées fixes (phobies-obsessions) sont peu distinctes, même non précisées dans la conscience. Il existe alors cependant une sorte de non-satisfaction de l’être tout entier, de sentiment vague de douleur, une inquiétude.

Les obsessions ou les phobies lorsqu’elles existent avec [p. 33] prédominance sont des plus variées, car les unes et les autres demandent pour se préciser nettement une cause occasionnelle (ainsi une lésion de l’oreille réalisera l’agoraphobie).

La maladie est cependant toujours constituée par ces éléments et très semblable à elle-même. Elle procède par poussées (accès d’angoisse très variés, idées noires, accès de larmes, accès de colère, idées de suicide, etc.), s’accompagne souvent de manifestations vaso-motrices (pseudo-angine de poitrine par vasoconstriction périphérique, boulimie, etc.).

Cette névrose existe souvent isolée, non associée et diffère très nettement de la neurasthénie.

C’est un mal par excès d’influx nerveux si j’osais cette expression de valeur purement verbale. Il n’ y a pas dépression nerveuse mais idées parasites affluant de l’inconscient, mais irritabilité, besoin de dépense. Un accès d’angoisse peut s’écouler dans un accès de sanglots, dans des crispations, par des cris, par des mouvements. Le petit accès d’angoisse c’est l’état d’énervement vrai, suivant l’expression féminine.

La cause de cette excitation du système nerveux provient exclusivement dans les cas nombreux que j’ai observés de la non-satisfaction du sens sexuel éveillé, de la non-satisfaction de l’une ou de toutes ses modalités, sensations physiques, amour sentimental, amour des enfants.

J’insiste sur le terme éveillé. La chasteté sans névrose anxieuse n’est pas absolument impossible quoique fort difficile, à en juger, par les états anxieux qu’ont traversés la plupart des saintes. Elle nécessite pour exister sans souffrance le non-éveil du sens sexuel, occurrence rare même chez les jeunes filles à partir d’un certain âge. Toute cause susceptible d’éveiller les sens ou le sentiment réalise les conditions de manifestation de la névrose anxieuse, si réveil n’est pas suivi d’un fonctionnement normal, de la satisfaction.

La période des fiançailles si elle se prolonge est pour beaucoup de jeunes filles l’occasion de perturbation nerveuse et on peut bien ajouter aussi pour un certain nombre de jeunes gens précédemment chastes ou soumis à une continence pré-matrimoniale.

A juste titre Freund a insisté — comme condition étiologique [p. 34] — sur la surexcitation du sens sexuel physique sans satisfaction. Ainsi s’explique la fréquence de cette névrose chez les jeunes mariées qui ne trouvent pas dans l’acte sexuel le plaisir final, normal; chez certains individus qui pratiquant et surtout subissant le coïtus reservatus n’ont pas (il serait faux de généraliser) de jouissance sexuelle et complète.

Le coïtus reservatus au sujet duquel les médecins de l’école de Vienne ont beaucoup écrit est certainement une cause fréquente de névrose anxieuse. Son influence doit se comprendre surtout dans ce sens : beaucoup de jeunes femmes sont terrifiées par l’idée d’une grossesse possible. Pendant l’acte sexuel, elles gardent des préoccupations, des craintes; le plaisir, — retour vers l’inconscient — ne vient pas.

Le mari ne redoute pas moins la grossesse. Pendant un acte instinctif il doit tenir son esprit éveillé. La détente nerveuse est faussée, Assez fréquemment aussi la crainte des enfants est telle chez les conjoints que même le coïtus reservatus est pratiqué rarement, que les besoins ne sont pas satisfaits.

Le sens sexuel physique peut s’hypertrophier, l’onanisme précoce ou les excès sexuels entrent ainsi en jeu, et ce sens avoir des besoins considérables. La névrose anxieuse est loin d’être rare dans le monde de la prostitution pour ces raisons.

Les veuves ou les veufs sont frappés habituellement, on le conçoit aisément. Chez un assez grand nombre de femmes, le sens sexuel physique ne s’assoupit pas à la ménopause, subit même une surexcitation passagère. De là des exemples fréquents de névrose anxieuse chez des femmes âgées, les satisfactions sexuelles devenant pour elles rares.

Un fait intéressant, qui dès l’abord m’avait embarrassé lorsque je l’ai rencontré, c’est la névrose chez les hommes impuissants, névrose très nette dans cinq ou six cas que renferment mes notes. L’explication en est, je crois, dans la sécrétion interne du testicule. Sous l’influence de ce produit le système nerveux subit celte sorte de tension à laquelle normalement met fin le spasme voluptueux. D’ailleurs l’explication persisterait s’il s’agissait d’une tension par un réflexe parti de la zone génitale, puisque la sécrétion du sperme n’est pas supprimée.

Les jeunes gens restent difficilement continents dans les [p. 35] villes en raison des causes incessantes d’excitation sexuelle qu’ils frôlent dans la rue, au théâtre et partout.

Une variété étiologique importante est la suivante; beaucoup de jeunes gens à l’esprit cultivé se font des joies de l’amour un tableau très flatteur. Leurs premières relations sexuelles ayant lieu le plus souvent avec des prostituées ou avec des femmes de culture littéraire faible, il en résulte souvent un désenchantement profond. Le chant d’amour qui aurait détendu leur sentimentalité surexcitée par des 1ectures n’a pas été chanté.

Souvent dès lors, pour un temps, le jeune homme se condamne quoique très éveillé sexuellement à la chasteté, d’où la névrose d’angoisse d’origine physique.

Mais cette névrose se réalise aussi chez lui par besoin sentimental non satisfait, par aspiration vers l’amour du cœur.

Ce qui est parfois pour le jeune homme, est fréquent pour la jeune femme qui, d’une éducation plus sentimentale d’ordinaire que son mari, souffre vivement dans la non-satisfaction de ce besoin d’idéal, d’adoration. C’est une des causes les plus communes que je connaisse, d’autant plus qu’ultérieurement l’amour sentimental s’en va et que l’initiation voluptueuse ne se fait pas.

Je tiens donc cette cause d’ordre sentimental pour très réelle contrairement à M. Freund qui rapporte tout au besoin physique.

Elle entre en jeu très efficacement lorsque naît l’amour, L’amour non partagé, l’amour trahi, l’amour contrarié chez le tout jeune homme, aussi bien d’ailleurs que chez la jeune fille, et plus peut-être encore chez l’homme plus âgé et chez la femme au sens sexuel physique éveillé est une source féconde d’états anxieux. Les romanciers ont donné surtout de cette variété de névrose anxieuse des descriptions souvent très exactes.

Quant au besoin de la maternité, il ne s’éveille d’ordinaire qu’après la naissance des enfants, ou chez la femme, après l’âge de la coquetterie. Il devient une source d’angoisses surtout après la mort d’enfants ou dans certaines conditions d’âge et de situation, Dans quelques cas cependant je l’ai vu causer un véritable état d’angoisse chez de jeunes femmes.

S. Freund décrit à côté de la névrose anxieuse une névrose [p. 36] d’obsession qui relèverait d’une cause spécifique analogue à celle de l’hystérie avec cette différence qu’il s’agit d’un événement sexuel de l’enfance qui a fait plaisir (agression de petit garçon, participation de petite fille). Les idées obsédantes ne seraient pas « autre chose que des reproches que le sujet s’adresse à cause de cette jouissance sexuelle anticipée, mais des reproches défigurés par un travail psychique inconscient de transformation et de substitution ».

Cette explication est ingénieuse et mérite d’être vérifiée, je n’ai pas de faits suffisamment nombreux pour prendre parti pour ou contre.

Quant à l’influence de la vie sexuelle dès l’enfance, je lui attribue une importance en ce sens qu’elle hypertrophie le sens sexuel et augmente les besoins, en rend la satisfaction plus difficile.

L’influence des reproches que peut s’adresser le sujet me parait surtout intervenir dans l’étiologie de la neurasthénie.

III. Neurasthénie. 
— Dépouillée des états d’anxiété, comme les nomme M. Bouveret, donc de la névrose d’angoisse, la neurasthénie garde une homogénéité plus grande. C’est l’état de dépression nerveuse avec les stigmates classiques : céphalée, asthénie neuro-musculaire, insomnie, rachialgie, dyspepsie, par atonie gastro-intestinale.

C’est ainsi que S. Freund la comprend et c’est d’après cette définition que mes observations sont classées.

Freund ne reconnaît à cet état qu’une étiologie spécifique: l’onanisme immodéré ou les pollutions spontanées.

Les cas que j’ai observés, à moins que j’ai été étrangement trompé, ne reconnaissent pas cette étiologie univoque et lorsque celle-ci est à invoquer c’est par voie détournée.

Le mécanisme d’action des causes de neurasthénie m’a paru se réduire en dernière analyse toujours à l’idée persistante d’une atteinte à l’instinct de sociabilité, d’une diminution de la vie sociale de l’individu.

J’insiste sur l’expression idée de diminution. Il ne faut pas en effet identifier les états de dépression organique avec la neurasthénie. Un convalescent, un malade atteint d’affection chronique, [p. 37] un dyspeptique offrant des signes d’hypotension artérielle notable, comme je l’ai écrit à propos du catarrhe gastrique, ne sont pas des neurasthéniques, mais des affaiblis. Ils deviennent des neurasthéniques lorsque l’idée fixe de leur dépression vitale, s’implantant dans leur cerveau, déprime les processus psychiques à la façon des idées fixes hystériques qui déterminent des paralysies.

Cette idée fixe d’incapacité sociale paraît se réaliser en partie tout au moins dans le conscient, contrairement aux idées fixes hystériques.

La rumination de l’idée qui précède l’établissement du syndrome est conscience chez le neurasthénique. Le raisonnement est d’ordinaire faux, mais il est un raisonnement conscient.

Aussi le neurasthénique, comme l’ont observé tous les médecins, parcourt les cabinets médicaux à la recherche de discussion de son idée, de réfutation. La réfutation reste un des procédés thérapeutiques, alors que chez l’hystérique il faut, si je puis m’exprimer ainsi, pénétrer dans l’inconscient pour y implanter des idées contraires à l’idée fixe (suggestion avec hypnose, suggestion avec état de demi-conscience).

L‘idée fixe neurasthénique, qui réalise en somme un syndrome très comparable aux états de dépression organique véritable, peut s’installer assez rapidement, après des traumatismes variés, non cependant dans les cas que j’ai observés avec la brusquerie des idées inconscientes hystériques.

L’idée de l’inaptitude à la vie sociale naît plus fréquemment d’un raisonnement faux ou d’une croyance fausse. Je pourrais en multiplier les exemples. Un des plus typiques est fourni par les jeunes gens qui à la suite d’une blennorrhagie et surtout de la syphilis se considèrent comme des individus auxquels tout avenir familial ou même social est fermé. Les jeunes filles qui se croient atteintes d’une tare physique (dans une de mes observations psoriasis, dans une autre hymen qu’un amant n’avait pu briser) font de la dépression nerveuse.

Toute maladie, mal interprétée dans ses conséquences, est une cause possible; les troubles gastriques sont une de celles qui interviennent le plus fréquemment, après cependant les affections génitales et les manifestations pseudo-cardiaques. [p. 38]

L’onanisme conduit à la neurasthénie, à mon avis, par ce mécanisme de conséquences mal interprétées. J’ai pu saisir chez certains tous les fils du raisonnement qui avait abouti à l’idée fixe, ces fils étant empruntés à Tissot, à Lallemand ou à quelque livre de Garnier.

Pour bien comprendre la formation de la neurasthénie, il est indispensable d’avoir lu les livres de médecine populaire où le public a puisé les éléments de son raisonnement, et de connaître les aphorismes médicaux des « bonnes femmes ».

Il serait bon aussi de connaître les menaces que le prêtre suspend sur la tête du pécheur onaniste ou même normalement sexuel.

L’impuissance, cela va de soi, détermine à coup sûr de la neurasthénie en même temps que de la névrose d’angoisse.

Un autre groupe de causes étiologiques de haute importance, comme l’a bien vu M. Bouveret, comprend toutes les passions déprimantes, en particulier la mort des enfants, les pertes d’argent, les revers de fortune, les préoccupations d’argent, les insuccès à des examens, les déceptions d’ambition politique.

J’ai à peine besoin de faire remarquer que ces conditions sont, plus directement que toutes autres, des créatrices de l’idée de diminution de l’aptitude à la vie sociale.

Il faut ajouter que la diminution réelle de la participation à la vie sociale ou familiale, l’atteinte portée aux manifestations affectives, peut sans doute agir directement. Le jeu d’une fonction ne cesse pas sans déterminer des perturbations. Peut-être dans ces cas un syndrome un peu spécial est-il réalisé, comparable en certains points à la névrose anxieuse, résultant comme celle-ci d’une non-utilisation d’incitations qui normalement doivent se résoudre en manifestations diverses (d’amour, d’amitié).

Je n’ai pas de documents me permettant de donner une affirmation positive à ce sujet. Le cas le plus fréquemment observé dans cet ordre de faits, mort d’un enfant, rentrant à mon avis partiellement dans la névrose d’angoisse.

 ∴

Mon but n’étant pas aujourd’hui de faire une revue des causes étiologiques si variées qui peuvent mettre en mouvement [p. 39] les mécanismes pathogéniques que j’ai indiqués, j’arrête ici cette énumération.

J’ajoute, et j’insiste sur ce point, que l’hystérie, la névrose anxieuse et la neurasthénie s’associent fréquemment. La première et la seconde surtout sont souvent l’origine de la troisième.

Ultérieurement je donnerai à cette étude les développements qu’elle comporte avec le long historique qui en est une des parties importantes. C’est une prétention un peu vaine que de croire formuler des opinions que personne n’a entrevu avant soi.

Volontairement aujourd’hui je me suis borné à étudier trois grandes modalités nerveuses.

Un point important passé sous silence, mais que je reprendrai plus tard, est l’étude des psychoses qui voisinent avec les névroses, Il y a probablement lieu, je n’ai encore pas d’opinion définitive, de décrire une hystérie-psychose, une psychose anxieuse, une neurasthénie-psychose différant des névroses de même nom par le terrain héréditaire et surtout par la précocité du début.

Ces recherches étiologiques, est-il besoin de le dire, prennent en thérapeutique une place de premier ordre. Dans un grand nombre de cas le traitement indiqué par la pathogénie et l’étiologie a donné à ces conceptions une éclatante confirmation.

Malheureusement si le médecin peut d’ordinaire indiquer les conditions de la guérison, il n’est pas toujours au pouvoir des malades de se les créer.

 NOTE

(1) Ce travail n’étant qu’un aperçu préliminaire, je n’ai pas donné d’indication bibliographiques ni discuté les théories qui ont cours, ni surtout fait une énumération de toutes les causes étiologiques particulières.

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