Ernest Dupré & L. Trepsat. La technique de la méthode psychoanalytique dans les états anxieux. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), quinzième année, 1920, pp. 169-184.

DUPRECHARPENTIER0002Ernest Dupré  & L.  Trepsat. La technique de la méthode psychoanalytique dans les états anxieux. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), quinzième année, 1920, pp. 169-184.

Ferdinand-Pierre-Louis-Ernest Dupré (1862-1921). Médecin et aliéniste, élève de Chauffard, de Landouzy et de Brouardel, il fut très influencé par Auguste Motet, directeur de la maison de santé de Charonne. C’est en 1905 qu’il propose le terme de mythomanie pour désigner la tendance volontaire et consciente de l’altération de la vérité. Il défend les théories des « constitutions », en reprenant et donnant suite à celles de Augustin Morel et Valentin Magnan. Parallèlement il développe une théorie des Phobis imaginatives et des délites d’imagination Celles-ci seront publiées par son élève, Benjamin Logre, en 1925, sous le titre : Pathologie de l’imagination et de l’émotivité. Préface de Mr Paul Bourget… suivie d’une notice biographique par le Dr. Achalme.. Paris, Editions Payot, 1925. 1 vol. Dans la « Bibliothèque scientifique ».
Dupré publia surtout sous forme d’articles dans de nombreuses revues.

TREPSAT0001Charles-Louis Trepsat (1879-1929). Docteur en médecine  de la Faculté de Paris en 1905 il exerce toute sa carrière à la maison de santé de Rueil-Malmaison, une polyclinique sélecte et réputée spécialisée dans le traitement des affections du système nerveux et des troubles de la nutrition. De très nombreuses personnalités y séjournent en tant que pensionnaire de maison de repos(Paul Deschanel, Paul Valéry, Georges Feydeau, Pierre Louÿs, Georges Halévy, Maurice Ravel…). Il est une un des tout premiers aliénistes à porter un intérêt à la psychanalyse. Bien avant la guerre découvre les travaux de Freud et utilise dès 1914 certains principes comme la méthode d’association libre sur le rêve. Quelques travaux :
− Dessins et écrits d’un dément précoce. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), septième année, deuxième semestre, 1913, pp. 541-544, 3pl. ht. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original mais avons rectifié plusieurs fautes de syntaxe.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 169]

La technique de la méthode psycho analytique
dans les états anxieux.

Par E. Dupré et L. Trepsat.

Lorsqu’on se trouve en face d’un malade anxieux (et tout particulièrement d’un hypocondriaque ou d’un obsédé conscient et lucide), on ne laisse pas d’être étonné tout d’abord de la puérilité et de la monotonie de son discours, et ensuite de la résistance que le patient oppose à toute tentative d’argumentation logique de ces idées morbides. Le plus souvent cependant, le malade que l’on interroge est un être intelligent et doué de bon sens pour tout ce qui ne touche pas à sa maladie. Aussi, devant cette contradiction évidente, l’observateur ne peut-il s’empêcher de penser que les idées fixes ne sont peut-être que la manifestation extérieure de quelques phénomènes plus profonds et voilés, complètement ignoré du malade lui-même. L’idée obsédante ne serait ainsi, en d’autres termes, que le symbole apparent d’un processus intellectuel refoulé jadis dans l’inconscient et actuellement sans rapport avec les phénomènes de la conscience claire. Tel est, comme on le sait, la théorie de Freud (1).

Or si on cherche par les procédés d’examens habituels à soulever le voile qui recouvre le substratum morbide, on se heurte aussitôt à des obstacles insurmontables. Le malade, en effet, s’attache avec la plus grande énergie à l’expression symbolique, mais fausse, qu’il fournit de son anxiété, car il trouve dans cette expression même une sorte d’atténuation de ses paroxysmes douloureux. [p. 170]

Convient-il cependant, comme beaucoup d’auteurs le prétendent, de se limiter à l’observation directe du malade, quelque incomplète qu’elle soit, sous prétexte qu’en creusant plus avant on risque de tomber dans des erreurs grossières et de se laisser aller à des interprétations hasardeuses ? À cette question, il nous semble que seul, puisse répondre l’expérience.

De fait, c’est sans idées doctrinales préconçues, et sans attacher notamment une valeur absolue aux différents dogmes de psychoanalyse que, depuis plusieurs années, nous essayons, à l’aide de la technique particulière aux psychoanalystes, de chercher les processus refoulés chez les anxieux. L’objet de ce travail est de montrer simplement comment il convient d’appliquer cette méthode. Il nous a semblé, en effet, qu’elle n’avait pas été jusqu’ici complètement exposée dans les travaux français qui traitent de cette importante question.

Voici, parmi plusieurs exemples typiques, l’observation d’une jeune femme obsédée, chez laquelle l’examen direct ne fournissait que les indications pathogéniques incomplètes et fausses de son état maladif. Au contraire, dès les premières applications de cette nouvelle méthode de recherche, la malade a pu nous donner, surtout les chocs émotifs éprouvés antérieurement par elle, les détails les plus inattendus et les plus suggestifs. (2)

*
*   *

Elise est une jeune femme de 29 ans, mariée il y a 18 mois, qui présente, depuis son mariage, des pseudos-hallucination conscientes accompagnées d’anxiété. Elle a la « vision » d’un Christ blond avec une barbe carrée qui la regardait fixement. Elle l’aperçoit dans les couloirs, ou dans un coin sombre de sa chambre, le plus souvent près des rideaux, surtout quand vient la nuit. Cette apparition semble lui donner des ordres : « ne travaille pas, ne lit pas, n’accepte pas les caresses de ton mari, ne lui en demande point, etc.… » Elle reçoit ainsi, a ces moments, des ordres contraires à ses désirs. Elle en éprouve de l’anxiété accompagnée d’angoisse. Une certaine détente ce produit quand elle a pu constater que l’apparition est illusoire, en allant secouer les rideaux ou en revenant sur ses pas pour examiner le coin obscur du couloir où elle a cru apercevoir la vision. Mais elle ne peut enfreindre les ordres absurdes qu’elle a reçus et la vie conjugale et même sociale est devenue ainsi peu à peu impossible. [p. 171]

En poursuivant l’interrogatoire direct de la malade, on apprend, sans étonnement, qu’elle a été autrefois scrupuleuse, depuis sa première communion jusqu’à l’âge de la puberté, à seize ans. De seize à dix-neuf ans, elle a été calme, non obsédé, très gaie et heureuse. À dix-neuf ans, elle éprouve un grand chagrin à la suite du décès de son grand-père maternel et une rechute se produit : jusqu’à l’époque de son mariage, elle a été obsédée par des « taches ». Elle croyait voir partout, et notamment sur ses mains, des taches rouges provenant du sang de Jésus-Christ et elle ne cessait de se laver les mains.

Tel est le récit obtenu par le procédé habituel, récit bien banal, que l’interrogatoire le plus serré ne pourrait enrichir que de quelques détails sans grand intérêt.

Elise nous raconte sa vie avec précision et sincérité, sans lacune, sans soupirs, sans hésitations, jusqu’au moment où nous lui demandons si elle est heureuse avec son mari, et, notamment, si le caractère de ce dernier s’accorde avec le sien. Elle met alors une chaleur extraordinaire à affirmer qu’elle a épousé le meilleur des hommes, le plus intelligent, la perle des maris. Mais, en disant cela, elle rougit, agite ses mains qui deviennent moites, et le pouls s’était accéléré. Elle refoule évidemment sous nos yeux, des pensées et des tendances auxquelles elle ne peut s’adapter, puisqu’elle présente des symptômes d’une émotion intense. C’est donc que sans surprise que nous apprenons aussitôt ce qui suit : « Je devrais me considérer comme la plus heureuse des femmes et pourtant mes obsessions ont pris un tour bien singulier. Chaque fois que je suis auprès de mon mari, je m’imagine que mes obsessions me défendent d’accepter ou de demander ses caresses. » Mais déjà l’émotion se calme, et la malade s’étend, avec tranquillité et une certaine indifférence, sur le détail de ses obsessions à la fois mystiques, érotiques et superstitieuses.

Dans cette première partie de l’examen, le médecin s’aperçoit donc le plus souvent, s’il y prête attention, de la capacité que possède le patient de refouler, d’oublier les pensées et les désirs peu acceptables par sa conscience. Les images passent dans son subconscient ou son inconscient avec une facilité extrême, et, sur ce fond de profonde émotivité, l’activité psychique prend aussitôt un caractère plus automatique.

Le moment est à présent, d’appliquer la technique spéciale qui consiste à faire faire à la malade des associations en chaîne libre sur le contenu manifeste de ses rêves. Nous avions recommandé à Élise de chercher à se rappeler ses rêves de la nuit, et pour faciliter ce souvenir, de ne pas bouger à son réveil, de ne pas ouvrir les yeux, jusqu’à ce que le rêve ou les rêves de la nuit soient devenus bien présents à sa conscience. À ce moment, elle n’aurait qu’à noter sur une feuille de papier quelques épisodes de ses rêves, pour qu’ils ne soient pas oubliés plus tard.

Voici le premier rêve qu’Élise nous raconte :

« Dans un magasin, à Rochefort, j’achetais des bottes, et je ne [p. 172] ni la peinture, ni la bonne qualité du cuir, ni la couleur que je désirais. Oh ! Pardon, auparavant, je n’avais plus découvrir ni la rue, ni le magasin de chaussures, que je connais pourtant très bien. Enfin, j’arrive devant la boutique, mais pas moyen d’ouvrir la porte, aussi étais-je très malheureuse. J’ai fini cependant par entrer dans le magasin et je n’ai de trouver de chaussures à mon goût, comme je le disais en commençant. C’est en essayant une paire de bottes jaunes, horrible, que je me suis éveillée. »

Il convient maintenant de faire faire à la malade un petit exercice psychologique sur son rêve : cette association en chaîne libre. Prions-la puisqu’il est couché, 2 septembre paisiblement, de détourner à demi la tête pour n’être pas gêné par notre regard, de ne faire aucun geste, de penser à la boutique du cordonnier, aux horribles bottes, et de nous dire tout ce qui lui vient à l’esprit, comme si nous n’étions pas présents et comme si elle se laissait aller à une rêverie passive. Elle ne doit rien rejeter, ne rien refouler, et elle va nous promettre de ne rien nous cacher :

« Bottes – Pré Catalan, auto ou je conduisais mon fiancé – j’aurais voulu mon petit frère auprès de moi – voyage en Normandie, bottes, mon mari, Rouen où sont mes parents, magasin du rêve, c’est celui où je l’ai acheté mes souliers blancs pour mon mariage. Églises, belle architecture, les vitraux d’impressionnent, les cérémonies religieuses me donnent tant d’émotions. Un opéra m’a fait beaucoup de mal, c’est Parsifal – musique, livret de cet opéra, le calice, les taches rouges. »

C’est le premier est sur lequel élise fête des associations enchaîne, elle n’a pas trop mal subi l’épreuve ; il n’y a cependant pas encore assez d’automatisme et de passivité dans son récit. Elle n’a pas dit toutes les images qui se sont présentées à son esprit, puisqu’elle a plusieurs fois hésité et soupiré. Il y a eu d’assez longues pauses pendant lesquels les images devraient sans doute appeler à la conscience, car ses mains tremblaient et ses joues s’empourpraient subitement. Nous avons cependant recueilli un complexe important : la chaussure qui n’était pas de son goût, il a bien rappelé le soulier blanc de la nouvelle mariée et, de plus, votre attention est éveillée du côté du jeune frère et d’un voyage en Normandie.

Dans la séance suivante, la méthode des associations-réactions a été employée en recherchant la trace de ce que les Yung [sic] appellent « complexe-signe ».

Cette méthode présente de nombreux avantages : elle est d’une application simple, ne demande pas un temps considérable et n’exige aucun appareil spécial. Elle permet à un débutant de découvrir quelques complexes rapidement et sans trop de peine. D’autre part, au cours de l’épreuve à laquelle on le soumet, le [p. 173] patient un peu d’efforts à dépenser : aussi ne s’en montre-t-il ni ému, ni troublé : il s’intéresse même vaguement à ce qu’on lui demande : tous ces avantages permettent de faire de ce procédé une large application.

On invite simplement le malade à dire le premier mot qui lui vient à l’esprit, en réponse au mot inducteur qui est prononcé devant lui. Après un essai très court, de deux ou trois exemples, la plupart des malades sont capables de pratiquer cet exercice très simple.

Comme appareil, il suffit d’un chronomètre enregistrant le cinquième de seconde. Les mots inducteurs employés dans l’expérience ne doivent pas être inférieur en nombre à une centaine, et leur choix n’est pas indifférent : il convient de prendre les mots les plus courants de la vie journalière, les plus intelligibles, en évitant les termes trop longs, polysyllabiques : il est préférable de choisir des mots d’une ou de deux syllabes au plus. On peut intercaler un certain nombre de mots inducteurs à valeur « critiques », particulièrement des mots qui ont plusieurs significations et qui, vraisemblablement, événements des complexes communs.

La technique qui consiste à recueillir les associations d’idées et facile acquérir. Il faut un peu plus que l’habitude, pour apprendre à observer et à interpréter les détails variés qui accompagnent la réponse du patient, tels que : accents divers, lapsus, interjections, gestes involontaires, signe d’émotion, rougeurs, etc., qui sont souvent de la plus grande utilité pour éclairer les résultats de l’expérience.

Il est utile, quand on a terminé un exercice sur une cinquantaine de mots, de reprendre chaque mot inducteur, en demandant aux malades de chercher à se rappeler et de reproduire la réponse qu’il a déjà donnée. Les reproductions nulles ou inexactes sont en général l’indice deux constellations affectives sous-jacentes.

Comme on le verra aisément, les quelque 20 minutes consacrées à ce petit exercice nous éclaire sur l’état mental d’Élise beaucoup plus qu’un long interrogatoire. Et, remarque de la plus haute importance, grâce à la spontanéité des associations, les confidences se sont faites d’elles-mêmes, sans que la malade s’en émeuve, et, en quelque sorte, sans qu’elle le sache. [p. 174-175]

 

Mots inducteurs Temps 1/5 seconde Réponses aux mots inducteurs Reproduction de la réponse
Chien 9 boule de neige Mur, neige (nulle)
Main 10 montre (nulle)
Friser 20 (émotion) Vérassin (peintre de chevaux) (nulle)
Vivre 20 (émotion) mourir (exacte)
Front 15 roc (nulle)
Mince 12 rouge (nulle)
Note 10 plan (nulle)
Enfant 11 cheveux (pauvre)
Etoile 8 amour (exacte)
Bloc 15 (émotion) mastic écrire
Voiture 16 (émotion) cocher (exacte)
Château 10 frein automobile
Père 10 mortel (émotion) exacte
Sang 7 brousse (nulle)
Arbre 10 feuille (exacte)
Neige 8 nuit (exacte)
Epingle 7 aiguille (exacte)
Eau 17 (émotion vive) docteur (exacte)
Sac 15 (émotion vive) aimer (émotion) voyage
Rail 20 (émotion vive) palpiter (nulle)
Tasse 12 chinoise (exacte)
Glace 18 (émotion) style (exacte)
Piano 13 Beethoven (exacte)
Siège 10 luxe bergère
Toit 10 maison (exacte)
Train 10 (émotion) accident (exacte)
Malle 12 voyage aimer
Sauter 15 lac gazon
Rire 12 soldat pleurer
Grève 12 ouvrier usine
Griffer 11 chat aimer
Griller 15 pomme (exacte)
Grignoter 15 cheveu (exacte)
Promenade 12 arbre gazon
Pauvre 15 (émotion) enfant (exacte)
Coup de fusil 10 chasse (exacte)
Encrier 8 écrire écrire
Marcher 22 (émotion) gazon enfant
La mer 11 voile (exacte)
Les bras 20 (émotion) vert Amour, rayons vers
La Rampe 10 escalier (exacte)
La rue 10 (émotion) moustache (nulle)
Musique 15 (émotion) Wagner (exacte)
La lune 9 larme (exacte)
Porte-plume 11 papier amour
La moustache 11 rire (nulle)
Le dos 18 (émotion) homme (exacte)
Tabouret 12 bergère (nulle)
Herbe 18 (émotion) ver-luisant (nulle)
Grimper 17 (émotion) vermoulu amour
Sentir 14 (vive émotion) aimer délicieux
Frotter 15 (vive émotion) délicieux (exacte)
Vivre 8 frère (nulle)
Parler 11 Rome (nulle)
Montre 14 (émotion) aiguille (exacte)
Chêne 14 Bail (peintre) arbre
Doux 8 Henner (nulle)
Boire 17 vitrail vert

On retrouve, dans le tableau ci-dessus, de multiples anomalies, et les mots inducteurs ont fait naître de nombreux mouvements émotifs. Il s’agissait là de complexes sous-jacents, que les mots adducteurs on fait paraître au seuil de la conscience. Les temps de relations ne sont pas prolongés en général. Beaucoup de réactions sont dépourvus de sens apparent ; en voici une liste :

Grignoter cheveux Vivre frère Boire vitrail
Bras verts Mince rouge Château frein
Père mortel Eau docteur Sac aime
Rail palpiter Sauter lac Rire soldat

Dans la seconde partie de l’exercice, au moment où nous avons demandé à la malade de reproduire le mot réaction, cette reproduction a été souvent inexact ; et, détail intéressant, l’amour joue ici un plus grand rôle car la première lettre. L’amour est associé, en effet, à des images très disparates, telle que griffée, les bras, porte-plume, [p. 176] grimper, malle. C’est donc que nos mots inducteurs on fait surgir des profondeurs du souvenir, de nombreuses images douées dans ma tête puissante.

Nous n’avons maintenant qu’à demander à Élise quelques renseignements sur les associations d’idées peu usuelles et sur celles qui étaient accompagnées d’émotion vive. Elle ne se fait pas prier pour les données, et nous vous en notons ici quelques détails, qui montrent bien la nature caractéristique de ce genre d’investigation. « Sac » a été associé à « aimer » et à « voyage », en souvenir d’un « voyage que la malade fit, en 1914, pour se rendre auprès d’un ami très cher, pour qui elle est une vraie passion ». (Sac de voyage pour aimer.) C’est le voyage de Normandie, des associations du premier rêve. Rien d’étonnant à ce que aussitôt, dans l’association suivante, le « rail » la face « palpiter » et que la « malle » lui rappelle : le « voyage » en question, et « aimer ». Un peu plus loin, « griffer » qui a donné « chat » à la première épreuve ne manquera pas de donner « aimer » au moment de la reproduction, par la malade et pleine de souvenirs de son « voyage » ou les deux amis s’amusèrent à « folâtrer ensemble et probablement à ce driver, à ce grignoter les cheveux » (?).

« Père » à donner « mortel » sans émotion, comme un réflexe ; mais au moment de la reproduction, nous avons un soupir, un tremblement de tout le corps, la malade répète « mortel » et ajoute : « le plus douloureux de mes souvenirs d’enfance remonte bien loin, autant j’étais toute petite ; mon père était l’amant de notre gouvernante ; j’étais très malheureuse ; souvent, je n’endormais pas de toute la nuit et je pleurais de les avoir ensemble. »

« Vivre » a été associé au mot « frère », sans retard ni émotion. La reproduction est nulle ; nous sommes obligés de la lire nous-mêmes. Élise soupire alors, nous regarde, et, en tremblant un peu, avoue : « Mon frère, j’aime la vie à cause de mon frère. »

Voici enfin, à titre de citations moins importantes, un exemple d’associations extrinsèque, avec un intermédiaire fourni à la reproduction. « Château » donne « freins », puis « automobile ». C’est un château où elle allait voir parfois son ami, en automobile ; et le chauffeur disait qu’il « fallait de bons freins pour éviter les accidents ».

Les obsessions actuelles de la malade qui occupe toutes ces journées, au point que, dans son foyer, la vie était devenue impossible, nom donné que deux associations : 1° « eau, docteur ». Il y a quelques mois, par phobie des parcelles de style sur les mains, elle avait la manie de se les laver toute la journée. Un docteur, consulter à cette occasion, lui avait fait suivre un traitement morale par rééducation de la volonté.

2° « Boire, vitrail, vers. » Elle voyait des tâches vertes dans son verre, après avoir été impressionnée à l’église par la couleur des vitraux, etc. [p. 177]

Ainsi en une courte visite, Élise nous a fait, sur son état d’âme actuelle, les confidences les plus utiles ; et, déjà, elle a une tendance à s’occuper beaucoup plus de ces complexes affectifs, à les regarder en face, à essayer, en un mot, de se connaître. Elle s’intéresse à cette cure « amusante » et les obsessions s’estompent. On voit aussi que la découverte de ces constellations : frère, père, ami de 1914, constituera un point de départ utile pour nos recherches ultérieur.

À la visite suivante, nous avons analysé un rêve :

« J’étais avec vous, et je vous faisais visiter la maison de mes parents quand ils habitaient à Rochefort. Je vous montrais chaque pièce en détail. Nous nous sommes arrêtés dans la salle à manger, que mon père avait arrangée en galerie de tableaux. Vous regardiez chaque tableau un à un. Il y avait, au-dessous des tableaux, une très large corniche en incrustation de nacre. Et je vous disais : « c’est mon père qui a fait faire ce travail. » Voilà, c’est tout. En réalité, la corniche n’a jamais existé que dans mon rêve, tandis que la galerie de tableaux et bien réel : elle est très belle et très admirée. »

Voici les associations en chaîne libres en partant des incrustations de nacre du rêve :

« Incrustation… Arabe, petit-fils d’un d’Abd-el-Kader, ville d’Alger. Mon père dépensé beaucoup, inutilement, ce fut le chagrin de notre famille. Vitraux de l’église de Rochefort, où j’ai fait ma première communion (émotion). L’harmonium me donnait tant d’angoisse quand je l’écoutais !… (soupir). Rosiers dans un jardin, où nous allions jouer, ma sœur et moi, quand nous étions petites…, notre gouvernante, horreur, enfants des ouvriers pauvres que ma mère allait visiter avec nous, danger du biberon à tube malsain.

« Mon père avait… (Émotion, arrête) des bijoux. Il achetait à sa maîtresse les mêmes bijoux que ceux de ma mère. Collier de diamants : le seul bijou que la maîtresse de mon père n’est pas reçut de lui. Mon mariage. Mon père. Notre gouvernante dans notre maison… Toujours avec papa… au piano, maman jouait si tristement. »

Le rêve des « incrustations de nacre » est un rêve de souvenirs de la seconde enfance, à complexes affectifs très puissants. Il ne se relie à la vie sociale actuelle de la malade par un lien étroit et facile à définir. La malade montre à son médecin tout sa maison (son inconscient) ; et on examine, un par un, tous les tableaux (chacun des nombreux chocs émotifs refoulés depuis l’enfance). Tel était en effet notre recommandation de la veille. Le rêve réalise ainsi un désir actuel de la balade. Aussi le sommeil a-t-il été très calme, « très doux », et n’a-t-il pas été suivi de réveil brusque.

L’incrustation de nacre en corniche, « c’est son père qui la fait faire » ; c’est-à-dire, voilà un nouveau complexe à montrer aux médecins. En fait, voici ce qu’on apprend : ce père était un prodigue, qui dépensait [p. 178] follement et couvrait sa maîtresse de bijoux. La maîtresse, c’est la gouvernante des enfants, qui vivait sous le même toit que la femme légitime. À cette époque, Élise avait neuf ans. Sa chambre était contiguë à celle de sa mère ; elle pleurait tout le temps elle-même, dans son lit, et se retenait de dormir jusqu’à ce que le père ait quitté sa maîtresse et fut rentré dans la chambre de sa femme.

Élise savait tout ce qui se passait à la maison. Une petite camarade lui avait expliqué la vie de son père et la nature de ses relations avec le gouvernement. Élise était, dès cette époque, très sensuelle, s’imaginant d’une manière fantastique la conduite paternelle. Et, pendant qu’elle pleurait dans son lit, elle avait pris de « mauvaises habitudes » d’onanisme.

Par une recherche de sensualité et raffinée, il lui est arrivé d’effectuer une dizaine de roses dans son lit, et elle se couchait dessus après avoir enlevé sa chemise voilà l’origine possible de l’obsession des taches rouges.

Nous avons bien ainsi quelques-uns les principaux éléments du drame intérieur qu’elle a vécu jusqu’à sa première communion. Elle adorait ce père, qu’elle ne pouvait cependant plus estimer, puisqu’il se construisait mal il faisait pleurer sa maman. On lui répétait cependant que c’était pêché de ne pas honorer son père, et qu’une enfant n’a pas le droit de juger ses parents. Et c’est la gouvernante qui lui donnait de tels conseils.

Dans le trouble sensuel et douloureux où la mettait les faits, nocturne de son père, elle démêlée confusément qu’elle n’était pas tout à fait responsable de ses « mauvaises pensées » et de ses « mauvaises habitudes » ; aussi, dans les confessions qui précédèrent sa première communion, elle n’avoua pas toutes ses fautes « contre la pureté », car il lui aurait fallu aussi accuser son père. Sa confession générale fut donc un aveu si vague de ses fautes, que, dès le lendemain la première communion, elle crut qu’elle avait commis un sacrilège et qu’elle était damnée, irrémédiablement. Elle devint, dès ce moment, une obsédée scrupuleuse jusqu’à l’âge de la puberté, à seize ans. Pendant que son père était absent de la chambre conjugale, la nuit, elle recommençait les mêmes prières pendant des heures entières, craignant toujours d’avoir eu des distractions, d’ordre érotique forcément.

Elle ressentait les plus vives émotions quand elle entendait la musique religieuse, déplacement des tristes mélodies que sa mère jouait au piano, « quand on attendait papa ».

Telles sont les explications qui sont données à Elise. Elle en est si vivement frappée qu’elle répète à plusieurs reprises : « vous ne savez pas à quel point vous pouvez avoir raison. C’est tout à fait cela. »

L’analyse du rêve des « incrustations de nacre » nous avons donc mis en présence d’un « complexe circonscrit » de la seconde enfance. La petite [p. 179] émotive constitutionnelle qui était Élise, se trouver devant un problème psychologique insoluble pour sa logique d’enfant. L’éducation religieuse intense que reçoivent les enfants, comme préparation à leur première communion, s’est heurtée chez elle à une réalité pénible et inacceptable. L’assimilation des tendances n’a pu avoir lieu. Les chocs émotifs, mais refoulés ont ébranlé tout son équilibre. Elle n’a pu sortir de l’impasse. Les affects inemployés de ce complexe se sont extériorisés, centrifugés, sous la forme d’obsessions scrupuleuses.

Il faudra, lors des prochaines visites à la malade, essayer de faire ressortir les divers complexes inconscients, dont les symptômes actuels représentent l’expression symbolique. Mais on voit déjà que, jusqu’ici, on s’est fort peu intéressé aux troubles morbides proprement dits. Il n’en a presque pas été question dans nos conversations. Cependant, grâce à l’isolement, au changement d’atmosphère et de cadres, au repos complet, une médication calmante, une grande amélioration est déjà acquise.

Quelques jours après, nous avons à faire l’analyse du rêve « les Lutins ». « Je voyais des lutins hauts comme ma main, blancs comme neige, qui volait sous le plafond de ma chambre, en faisant mille contorsions gracieuses de leur corps, et en esquissant dans l’air des sortes de danses harmonieuses, à la manière des moucherons, mais plus lente. »

Ce rêve donne à la malade les associations suivantes : « Lutins, neige, sports d’hiver… Mon grand-père, très malade, par un jour de neige, mon petit frère, notre gouvernante… horreur. La Charente à Rochefort, accident qui m’a beaucoup effrayée : une femme était en train de se noyer. Quelques jours après, j’ai vu une autre femme atrocement blessée, transportée dans une automobile. Voyant l’auto venir de loin, je croyais que c’était un masque de carnaval. Quand j’ai vu la femme de près, j’ai été très effrayée. (C’est curieux, je n’avais pas encore pensé à vous dire cela.) C’était du temps de la comète de Halley… J’étais si angoissée ! Je me suis confessée, j’ai communié, je crois, mais à la fin du monde ; toute ma maladie est revenue après cette comète. C’est aussi à ce moment qu’est mort mon grand-père. »

Ces associations nous permettent de voir plus clair dans l’histoire clinique de la malade, et jettent un jour plus vif sur l’évolution des symptômes dans la période qui va de seize à dix-neuf ans. La disparition des premières obsessions scrupuleuses coïncida avec deux événements importants : le renvoi de la gouvernante-maîtresse de la maison paternelle, et, quelque temps après, la naissance du petit frère. Pendant deux ans, Élise crut que cette gouvernante avait quitté la ville ; elle qui pensait de moins en moins. Sa maison était plus gaie, et elle ne cessait de répéter à sa sœur : « comme je suis heureuse ! Je ne sais pas pourquoi je suis si heureuse. » [p. 180]

l’obsession des taches rouges et des parcelles d’hostie coïncida avec les événements suivants : la mort du grand-père, l’apparition de la comète, le spectacle des deux accidents ; la noyade et la femme transportée en auto, « dont le visage et les vêtements étaient tout maculés de sang ». En même temps, elle souffrait de deux scrupules : elle avait regardé un jour longuement une femme enceinte, et ce n’était reproché. Depuis ce moment, elle s’imaginait en voir partout, et se sentait constamment obligée de détourner son regard. Sur le vitrail d’un music-hall, elle avait vu la représentation d’une femme nue. Son scrupule l’empêcha désormais de traverser la place où il se trouve. Quand elle sortait seule, ce qui était rare, rien n’était plus facile, mais l’angoisse était grande quand elle ne réussissait pas à faire faire à sa compagne un détour. Elle devait alors fermer les yeux en passant près du vitrail.

En réalité, tous les chocs émotifs : la femme noyée, la femme ensanglantée, la femme enceinte, la ramener, sont à rapprocher d’une découverte plus importante encore, faites par la malade à cette même époque.

Un matin elle rencontra par hasard, dans la rue, la gouvernante, l’ancienne maîtresse de son père, qu’elle croyait à l’étranger. Le choc fut sans doute très rude, quoique Élise ne se rappelle aujourd’hui que vaguement cet incident. Elle a pris en même temps que cette gouvernante avait été installée, par les soins de son père, dans la ville même. À partir de ce moment, Élise il est qu’une crainte, c’est que sa mère ne vienne à apprendre la vérité ; et, dans ses sorties avec elle, dans les rues, elle ne pensait à cette rencontre possible. Peu à peu, cette crainte légitime avait diminué ; car la gouvernante savait se cacher, et Élise s’était assurée à son sujet. Mais alors la préoccupation subite un déplacement sur les femmes enceintes et la femme nue du vitrage. Rappelons-nous encore que ce fut l’époque de la naissance du jeune frère et aussi par conséquent la grossesse de sa mère, l’époque des soins maternels. De là le soupçon que la gouvernante ne soit enceinte à son tour, le reproche scrupuleux de regarder les femmes enceintes et les femmes nues, etc.… « À l’âge de dix-neuf ans, nous dit Élise, je me faisais encore décidé extrêmement fausses sur les rapports sexuels, et sur l’accouchement, et j’avais une curiosité extrême de connaître le secret de tout cela. »

Le deuxième accès obsédant semble donc en partie bien expliquée grâce à ces données, et la malade d’ailleurs se rend un compte beaucoup plus nette que nous-mêmes les refoulements d’affects si nombreux de cette époque et des causes mêmes du retour de son état obsédant.

Il reste cependant à savoir pourquoi, dans les associations du rêve « les Lutins », Élise nous a, dès les premiers mots, parler du grand-père : « Lutins, neige, sports d’hiver… mon grand-père très malade un jour de [p. 181] neige, petit frère, la nourrice, notre gouvernante, horreur… Et pourquoi la fin des associations est encore marquée par le souvenir tenace de ce grand-père. Nous apprenons alors que le grand-père d’Élise est mort quand elle avait dix-neuf ans, justement un peu avant l’apparition de la comète de Halley, et toutes les autres émotions que nous avons indiquées. C’était un grand-père très bon, très juste, qui adorait ses petits-enfants et jouait souvent avec eux. Élise semble avoir pour sa mémoire une grande vénération.

Il était fort logique de supposer que les complexes refoulés de la première enfance étaient associés au grand-père ; et notre esprit était largement dirigé de ce côté, quand un rêve parut confirmer ces prévisions ; c’est le rêve des « Vieux jardiniers ». Voici le rêve, bien banal d’apparence.

Dans une propriété inconnue, mais qui, dans mon rêve, appartenait à ma grand-mère, veuve à ce moment, je me promenais avec grand-mère et la femme du jardinier, une vieille femme. Celle-ci nous faisait les honneurs du jardin et nous montrait des fleurs sous les châssis. Il fallait à ce moment remonter une pente très raide recouverte de gazon. J’avais de la peine à avancer, la vieille femme aussi. J’étais en colère contre grand-mère, car je venais d’avoir avec elle une discussion qui m’avait laissé un mauvais souvenir. Elle voulait renvoyer ce vieux ménage de jardinier et je désirais qu’elle les conservât. J’avais essayé d’imposer ma volonté, j’étais émue, j’avais le cœur gros, je ne pouvais plus marcher. Je me suis réveillée. »

Rappelons que les rêves sont toujours des réalisations de désir. Ne pourrait-on pas interpréter celui-ci par le désir de la malade de se substituer au grand-père ? Mais méfions-nous de nos interprétations, et voyons les associations fournies par l’horreur :

« Grand-mère, mes cousines, ma première communion, harmonium, images de piété avec des paillettes d’or, apothéose des petites représentations de Saint-Antoine, effets de lumière, boucles d’oreilles… Maman qui chantait, mon grand-père… atelier de papa… Une lanterne magique avec projections représentant un bonhomme avec des yeux effrayants, une rosace qui avançait et reculait, qui avançait pour m’avaler, toute petite… mon grand-père… matinée où il est mort… couleur du ciel… odeur de l’encens, litanies, vitraux, confessions, l’ami de 1914, fleurs, jardin, valise, auto, petit âne, mon frère…

En y regardant de près, on voit dans ces associations une surdétermination du motif principal de la rêverie, avec précision des détails dans un deuxième exposé. Cette surdétermination ressemble à celle d’un rêve à deux temps, en ce sens que les images très différentes amènent le sujet au même point. On constate en outre que, chaque fois, des images à complexe caché sont associées au grand-père.

Voici le premier stade : « harmonium, images de piété, paillettes [p. 182] d’or, apothéoses, effets de lumière… mon grand-père. « et le second stade suit aussitôt : « le bonhomme aux yeux effrayants, la rosace… mon grand-père. »

Quelques jours après, nous avions acquis une certitude encore plus grande. Un autre rêve, que nous ne reproduisons pas pour ne pas allonger cet exposé, donnait, en effet, les mêmes associations, mais plus précise encore. Inutile de dire qu’entre les deux visites, aucune allusion n’avait été faite à notre hypothèse.

« Atelier de mon père, tableaux, vitraux, grand-père assis dans un fauteuil, nous regardons les projections, je suis sur ses genoux… Plaisir, angoisse… Etc. »

Cette fois, nous demandons à Élise quelques éclaircissements au sujet de ces projections qui reviennent constamment des profondeurs du souvenir jusqu’à sa conscience : « Quand j’étais toute petite, dit-elle, j’avais alors quatre ou cinq ans, je ne sais au juste, mon grand-père s’amusait beaucoup à me donner comme récompense, dans l’atelier de papa, une séance de projection avec la lanterne magique ? Sur l’écran, je voyais une rosace qui s’avançait et reculait, puis s’avançait encore jusqu’à me toucher, me prendre, m’engloutir, je tremblais de tous mes membres. De même, je me souviens de la projection d’un bonhomme horrible aux yeux effrayants.

« Grand-père me prenait sur ses genoux, j’étais tellement heureuse !… il me caressait, m’embrassait quand il voyait que j’avais peur, je me sentais protégé par lui. Pourtant je me rappelle encore ma terreur effrayante et mes cris, et par contraste, les caresses de grand-père, j’en avais une jouissance… Faite d’un mélange de crainte, d’angoisse et d’un sentiment de sécurité. C’est à tel point que je demandais constamment la lanterne magique pour éprouver à la fois ma terreur, et le plaisir d’être caressé dans cette terreur. »

« Grand-père était un homme juste et bon, manifestant une grande autorité sur grand-mère et sur ses enfants, parfois un peu emporté ; on le disait violent ; mais il ne fut jamais avec moi. J’ai eu tant de mal à sa mort je suis retombé malade… »

Nous disons alors à l’église en souriant : « mais il semble bien que vous avez épousé votre grand-père !… Votre vœu de petites filles c’est réalisé, voyez, c’est le portrait de votre mari que vous faites en ce moment. – C’est curieux dite-elle, j’ai répété souvent à mon mari : « tu me rappelles grand-père, tu es tout à fait comme lui. » Il a en effet ses qualités et ses défauts. »

Il faut expliquer à Élise que ces tendances actuelles sont en effet très superposables à ces tendances infantiles. Elle continue, par une sorte de réminiscences, des « fantaisies » infantiles du type masochiste, à désirer toujours dans ses rapports avec son mari l’ancien contraste de terreur, d’angoisse et de plaisir. Actuellement, c’est l’obsession hallucinatoire [p. 183] qui lui donne l’angoisse, autrefois c’était la lanterne magique. Toute sa vie affective et émotive et d’ailleurs faite de ce contraste, et nous pouvons lui ordonner de nombreux exemples très actuels.

Un. Plus important qui la frappe vivement, c’est que les défauts qu’il achète le plus chez son mari, ce sont les dépôts cours n’attribuait jadis à son grand-père, défauts dont elle n’avait d’ailleurs jamais voulu reconnaître l’existence chez ce dernier. Elle en arrive ainsi à comprendre peu à peu qu’elle refoule hors de sa conscience les émotions trop vives reçues par elle du fait des dépôts en question et que les obsessions sont d’autant plus marquées qu’elle a eu des motifs d’être agacée par son mari. Concentrons, motif se traduit par un accès de colère violente (ce qui est fréquent), tout se passe dans le domaine de la conscience et la crise dure peu. L’obsession ne se produit que quand l’émotion a été refoulée il est impossible malheureusement de préciser davantage ici tous ces points délicats.

Nous avons donc, jusqu’à présent, après deux mois seulement de traitement, jalonné, en quelque sorte, la vie émotive Élise et mis à nu une partie de ses complexes refoulés. Nous avons même retrouvé un de ces complexes parentaux si importants pour l’existence future des émotifs constitutionnels, puisqu’ils sont ignorés du sujet, rejeté dans l’oubli et doué d’un affect extrêmement puissant.

Le départ inopiné de la malade ne nous a pas permis de continuer cette cure ; mais l’amélioration est déjà extrêmement sensible au bout de deux mois seulement de traitement.

Élise et revenez nous voir quatre mois plus tard, elle a pu reprendre la vie conjugale, elle sera seule envie, les visions ont presque disparu, elle n’a presque jamais d’angoisse en présence de son mari et surtout elle ne fait presque jamais de scène à sa grand-mère, qui vit avec elle depuis qu’elle est mariée. Cette grand-mère et la veuve du grand-père à la lanterne magique, celle qui, dans un rêve d’église, voulait renvoyer « les vieux jardiniers ». Il est facile de deviner tous les complexes affectifs enfouis que sa présence faisait constamment émerger avant que la malade n’en connaisse et n’en « réalise » la vraie signification.

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Du point de vue de la psychoanalyse proprement dite, nous aurions pu donner une observation plus probante et plus complexe que celle-ci (3). Si nous avons de voir choisir le corps d’Élise, c’est [p. 284] simplement lorsqu’il réalisait mieux notre dessein, de faire un exposé assez détaillé de cette méthode spéciale d’investigation.

Il importe tout d’abord de ne pas se laisser rebuter à l’avance par tout ce que cette doctrine et cette technique paraissent comporter d’inattendu, de superficiel et même d’invraisemblable. Il convient d’utiliser ces procédés sans arrière-pensée et sans idée préconçue, pour être à même de les apprécier. En effet, comme le M. Maeder (4) « l’impression de réalité et de jeunesse s’acquiert en face du malade, lorsque le théâtre de la vie intérieure ce dresse sous les yeux de l’analyste. Il faut essayer soi-même pour comprendre et juger. »

NOTES

(1) Au sujet de la théorie générale du refoulement psychique, on peut se reporter à l’exposé que l’un de nous a donné dans un article tout récent. : Du traitement des états anxieux par la méthode psychoanalytique. (L’encéphale, janvier 1920). [bientôt sur notre site]

(2) Cette observation est extraite d’un travail que nous devons faire paraître sous le titre : Le Refoulement psychique chez les émotifs constitutionnels.

(3) le lecteur a pu se rendre compte, en effet, que faute de temps, plusieurs complexes affectifs n’ont pas été complètement analysés, malgré leur importance probable : par exemple « l’ami de 1914 » et « le petit frère ». – De plus il ne s’est pas produit dans cette cure de « transfert sur la personne du médecin ».

(4) A. Maeder. Sur le mouvement psycho-analytique. (Année psychologique, 1911, p. 417. [en ligne sur notre site]

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