Edouard Claparède. Sur la psychanalyse. Le Disque Vert. 1924.

CLAPAREDEPSYCHANALYSE0001Edouard Claparède. Sur la psychanalyse. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, p. 99.

Edouard Caparède (1873-1940). Médecin, neurologue et psychologue suisse. Spécialiste de ma mémoire et de la psychologie de l’enfant. Ami et élève de Téodore Flournoy, il fonde avec lui les Archives de psychologie, en 1901. Dès 1904 il est nommé directeur du laboratoire de psychologie de la faculté des sciences de Genève, où il occupera la chaire e psychologie jusqu’à sa mort. Quelques publications :
— Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale. 1900. Réédition : Genève, Kundig, 1915.
— L’Association des idées. Paris, Octave Doin, 1903. 1 vol.
— Sur la fonction du rêve. Article parut dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), tome LXXXI, janvier à juin 1916, pp. 298-299. [en ligne sur notre site]
— Freud et la psychanalyse. Genève, 1920. 1 vol.
— L’Éducation fonctionnelle (1931).

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. — Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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SUR LA PSYCHANALYSE.

Que penser de la psychanalyse ? Le moment n’est pas venu de porter sur elle un jugement définitif. A quoi servent ces jugements hâtifs, dont on peut assurer qu’ils seront passibles de révision ? Que 1’on songe à la théorie de l’évolution, aux emballements comme aux résistances qu’elle a suscités il y a soixante ans, et à l’idée plus juste que nous pouvons nous en faire aujourd’hui, grâce aux progrès des travaux relatifs à l’hérédité. Que l’on songe encore au problème des localisations cérébrales, dont l’aspect a tant changé depuis quelques années… Tout nous incite à être prudents quant aux pronostics relatifs à la valeur d’une théorie scientifique.

Il ne faut pas oublier que la psychanalyse n’est pas un mystère sorti tout fait de l’imagination de quelque philosophe. C’est l’observation de l’esprit humain, normal ou morbide, qui a conduit Freud, ainsi que ses disciples, au système qu’ils nous proposent aujourd’hui. Cette observation, poursuivie avec une patience, avec une persévérance autrement plus grandes que celles dont psychologues ou cliniciens avaient coutume d’user jusque-là, a mis Freud en face de toute une série de faits nouveaux, ou tout au moins qui n’avaient jamais été considérés avec attention : ainsi la répugnance de la conscience pour les représentations pénibles, et leur persistance dynamique dans le subconscient ; le rapport entre les rêves et certains désirs de l’individu ; la possibilité de reconnaître dans des rêves paraissant abracadabrants des préoccupations du sujet [p. 26] notablement déguisées ; la différence entre la pensée du rêve et la pensée logique, et l’analogie entre cette pensée « autistique » et celle qui a présidé à la formation des mythes d’une part, de divers délires de l’autre ; la sublimation ; l’importance du rôle de la sexualité, etc.

Or la psychologie courante n’offrait à Freud aucun moyen d’interpréter et d’expliquer tous ces phénomènes, qu’il était même impossible, le plus souvent, de faire rentrer dans ses cadres. Le médecin viennois a donc été obligé de bâtir un certain nombre de notions nouvelles qui lui permissent de coordonner le résultat de ses observations, et c’est ainsi qu’a pris naissance une discipline autonome, hors cadre de la psychologie officielle, si l’on peut dire, la psychanalyse. Cette psychanalyse, on peut la critiquer dans le détail — on peut notamment discuter la théorie de la libido sous sa forme classique — mais on ne saurait lui refuser le mérite d’avoir stimulé et orienté les recherches dans une foule de domaines de l’activité mentale, et de s’être montrée d’une étonnante fécondité.

Il serait donc injuste de reprocher à Freud de ne pas s’être efforcé de mettre ses nouveaux concepts et ses hypothèses en harmonie avec les concepts et les théories de la physiologie et de la psychologie. A supposer que cela fût possible dès maintenant, il avait mieux à faire : doué d’un sens véritablement génial de l’analyse psychologique, il a pensé, avec raison, qu’il devait donner tout son temps à l’observation, en laissant à d’autres le soin de préciser et d’épurer les notions auxquelles il avait eu recours.

Ostwald subdivise, on le sait, les savants en deux groupes, les « romantiques » qui sont les découvreurs, caractérisés par une production prompte et abondante d’idées, passant continuellement d’un problème à un autre et allant toujours de l’avant, et les « classiques », dont l’aptitude consiste surtout à produire des œuvres de longue haleine et logiquement enchaînées. Freud appartient assurément au type romantique, et c’est à d’autres qu’incombera la tâche de reprendre ses théories pour les rattacher à ce que nous enseignent les sciences biologiques et psychologiques, pour former un vaste système dont la perfection logique soit inattaquable.

Dr Ed. CLAPARÈDE
Professeur de Psychologie
à la Faculté des Sciences de Genève.

ANDRÉ GIDE (Incidences) :
« Je songe qu’en psychologie il n’y a pas de sentiments simples et que bien des découvertes dans le cœur de l’homme restent à faire. »

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