Edmond Richier. Onéirologie ou dissertation sur les songes, considérés dans l’état de maladie. Présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Paris, le 15 février 1816, pour obtenir le grade de Docteur en médecine… A Pais, de l’imprimerie de Didot jeune, 1816. 1 vol. in-4°, 26 p.

Edmond Richier. Onéirologie ou dissertation sur les songes, considérés dans l’état de maladie. Présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Paris, le 15 février 1816, pour obtenir le grade de Docteur en médecine… A Pais, de l’imprimerie de Didot jeune, 1816. 1 vol. in-4°, 26 p.

 

Une des principales thèse sur le rêve du début du XIXe siècle, qui annonce les nouvelles orientations de ces études.

Edmond Richier. Ex-Chirugien aux armées – Chirurgien à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce.

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ONÉIROLOGIE (1)
ou
DISSERTATION
SUR LES SONGES,
CONSIDÉRÉS DANS L’ÉTAT DE MALDIE.

On peut, je crois, définir ainsi les songes : l’exercice d’une ou de plusieurs facultés de l’entendement durant le sommeil. En effet, le rêve n’est que le résultat des fonctions intellectuelles ; il ne peut exister sans elles. Ainsi, la mémoire seule exerce-t-elle son empire, il n’y aura qu’une légère réminiscence des objets qui nous auront frappés pendant la veille, à moins qu’ils n’aient produit une impression très-forte (2). Si à cette faculté se joint l’imagination, il y aura à la fois souvenir d’images passées et création d’autres, qui seront plus ou moins disparates, suivant le mode d’association des idées.

Le sommeil, qui, au premier aspect, paraît être le repos parfait de toutes les fonctions de la vie animale, le calme bienfaisant et l’oubli de toutes nos affections, n’est cependant pas toujours suivi [p. 6] de cette interruption des facultés de l’entendement ; et Ovide, qui fait couler le fleuve d’oubli autour du palais du Sommeil, n’a pu joindre à tout ce que son idée a de séduisant le charme d’une vérité constante. Quelquefois le cerveau ne partage pas ce repos apparent, et plusieurs de ses fonctions exercent leur empire avec plus ou moins d’énergie, en nous rappelant nos peines et nos plaisirs ; d’où il résulte des états mixtes entre le sommeil et la veille qui se rapprochent le plus de l’un ou de l’autre, suivant le nombre et le degré d’action des facultés intellectuelles. Toutes les fois que la locomotion n’est point influencée par la volonté, les phénomènes qui résultent des autres fonctions cérébrales se nomment songes ; alors l’imagination, la mémoire, le jugement, etc., conservant seuls de l’activité, combinent les idées, les associent, et enfantent des objets quelquefois vraisemblables ou bien des images fantastiques, des monstres effrayans, des bizarreries les plus extravagantes.

Parce que les songes présentent si souvent des illusions trompeuses, il semble que les anciens aient craint de les étudier, ou que, dédaignant des résultats d’une imagination exaltée, ils n’aient point voulu fixer leur attention sur un objet si vague dans son caractère. En remontant vers l’origine de la science, on ne voit personne qui se soit spécialement occupé des songes et des signes qu’ils peuvent fournir dans les maladies. Cependant Hippocrate a parlé de leur importance en médecine, ainsi que Galien, dans ses Commentaires des œuvres de l’illustre vieillard de Cos. Aristote, en reconnaissant la nécessité de les observer, n’a rien ajouté à ce qu’avaient dit les auteurs précédens. Plus postérieurement, Boerhaave, Baglivi, Fernel, Prosper-Alpin, Grunner et tous les séméiologistes célèbres, n’ont presque rien dit au sujet des songes ; ce n’est que de nos jours que l’on a su les apprécier et reconnaître leur utilité comme signes dans les maladies.

C’est par suite des connaissances acquises et des progrès d’une médecine éclairée que l’on a reconnu l’indispensable besoin [p. 7] d’observer tous les phénomènes d’une affection pour que, rien m’échappe à nos idées. Celui qui refuse d’entrer dans des détails aussi nombreux doit manquer son but ; il ne voit point la maladie, telle qu’elle est ; il ne l’aperçoit qu’à travers un voile qui lui dérobe son véritable siège ; il ne marche qu’en tremblant, ou, s’il cesse d’hésiter, il se livre à la témérité la plus criminelle, en compromettant et la vie du malade et la tranquillité de sa conscience.

Combien de fois n’arrive-t-il pas de voir une affection se présenter avec tant d’irrégularité dans son cours, qu’il faut toute la sagacité d’un médecin sage et expérimenté pour ne point commettre de funestes erreurs ! Tantôt il n’existe qu’un trouble léger dans une fonction indépendante même de l’organe affecté ; tantôt ce sont des symptômes nombreux qui se développent avec une confusion extraordinaire, et qui semblent annoncer une altération générale des systèmes. C’est alors qu’il faut observer les phénomènes qui se succèdent, les rapprocher, en former un tableau que l’on compare sans cesse à celui que présente le malade, et qu’enfin on parvient à reconnaître, au milieu de tant de difficultés, le vrai caractère de la maladie.

Les songes ont été divisés d’après la nature des circonstances qui les déterminent, et on en a formé quatre classes. La première comprend ceux qui résultent de la réaction du cerveau sur lui-même, et dont la cause est ignorée ; ainsi les songes qui ont une relation plus ou moins grande avec les actions antérieures forment cette classe.

Souvent il arrive qu’on rêve de ce qui faisait le sujet de nos travaux, de sorte que la mémoire, vivement frappée, nous en retrace l’image durant notre sommeil. L’habitude de recevoir telle ou telle impression pendant la veille fait que fréquemment, cette même impression se continue jusques dans le sommeil, et produit alors des songes relatifs à la sensation. Je me rappelle, et tout le monde est à même de faire cette remarque, que, quand j’avais passé un certain temps dans une voiture, il me semblait encore, étant [p. 8] endormi, éprouver les mêmes ballottemens que ceux que j’essuyais dans mon voyage. Le vainqueur couronné d’une double branche de laurier contemple avec joie le prix de son triomphe. L’assassin, sans cesse poursuivi par l’image de sa victime, la revoit encore cherchant à se soustraire à ses coups, et tombant enfin sous sa main meurtrière. Le père de famille croit encore recevoir les tendres caresses de son épouse et de ses enfans, et leur rendre de douces consolations ; tandis que l’amant, brûlant des feux les plus ardens, revoit l’objet de ses plus chères affections.

Les sensations extérieures qui, durant le sommeil, sont transmises et perçues d’autant mieux que rien de ce qui nous entoure ne peut nous distraire, déterminent les songes de la deuxième classe. Ainsi une position pénible fera naître l’idée d’un danger ou d’un espace difficile à franchir ; une simple piqûre de puce ou d’une plume donnera la sensation d’un coup d’épée ou de toute autre blessure semblable. Ce phénomène n’a point échappé à Descartes, puisqu’il a dit que la piqûre d’une puce fait naître l’idée qu’on est au milieu des combattans. Il m’est arrivé, ayant une égratignure à l’un des doigts, de rêver que j’avais les mains écorchées, par la douleur que je ressentais, qui n’était pas assez forte pour causer mon réveil, mais qui suffisait cependant pour exciter mon imagination à exagérer une sensation peu douloureuse. Les personnes qui ont des crampes durant leur sommeil rêvent quelquefois qu’elles ont une jambe, une cuisse ou tout autre membre amputé.

La troisième classe se compose de songes qui résultent de l’association des idées. On peut retirer de grandes données de cette espèce de rêves ; mais il ne faut pas confondre leur origine, parce que, étant toujours consécutifs à l’une des trois autres classes, ils peuvent naître ou des sensations externes ou des sensations internes : ce n’est que dans cette dernière circonstance qu’ils ont de l’importance et qu’ils peuvent être considérés avec fruit.

L’influence qu’exercent les fonctions internes, particulièrement [p. 9] la digestion, la circulation, la respiration et la génération sur l’organe de la pensée, produit des songes de la quatrième classe. Cette dernière est précisément celle qui mérite le plus d’attention, et dont le médecin peut retirer des signes qui bien souvent le mettent à même de préciser son jugement dans certaines maladies où ce n’est que d’après la multiplicité des symptômes que l’on peut en caractériser le genre et l’espèce. L’importance de ces songes est d’autant plus réelle qu’ils sont généralement en rapport avec la sensation intérieure, et qu’il est reconnu que le trouble d’une fonction de l’économie porte, dans le sommeil, une influence plus ou moins grande sur l’organe de la pensée et provoque l’exercice de ses facultés, d’où résultent les songes.

En observant les songes dans les maladies de même nature, on voit qu’ils conservent assez généralement le même caractère. Etant produits par les mêmes causes, ils doivent nécessairement se présenter sous des formes semblables ; mais comme il arrive que la même maladie est rarement identique dans les différens sujets, soit à cause du sexe, de l’âge, du tempérament, etc., il existe par conséquent une légère diversité dans les songes comme dans les autres symptômes. Il faut donc savoir apprécier l’état actuel du malade, et ne pas prendre le change dans une affection parce qu’elle offrira d’autres phénomènes que l’on n’aura point remarqués chez tel ou tel sujet.

D’après les observations rapportées dans le cours de cette dissertation, on verra que les songes peuvent servir ou à prévoir l’explosion d’une maladie, ou à caractériser son existence conjointement avec les autres symptômes ; de sorte qu’ils deviennent signes prognostiques et diagnostiques. Il faut cependant conserver beaucoup de réserve pour prononcer sur la nature d’une lésion d’après l’examen des songes ; il serait hasardeux d’agir, si un concours de symptômes plus certains ne venait se joindre à eux , d’autant plus qu’ils n’indiquent pas constamment l’existence de l’affection qu’ils semblent annoncer : tel est le cas rapporté par Galien , d’un [p. 10] phthisique qui fut victime d’une saignée parce qu’il avait rêvé qu’il nageait dans son sang.

Dans les fièvres inflammatoires, et, en général, dans les lésions actives du système sanguin, les songes sont fréquens et conservent un caractère particulier. Le sang, qui est porté avec force et abondance vers les organes, y détermine une excitation plus grande ; les fonctions sont plus actives, et le cerveau, qui partage cette excitation, exerce ses fonctions avec plus d’énergie. L’imagination du malade lui représente plus particulièrement des feux, des incendies, des objets ensanglantés qui le frappent et qui l’agitent. Haller, dans un paroxysme de fièvre intermittente, voyait en songe un royaume de feu que des flammes éclairaient sur l’horizon.

L’affection générale du système sanguin n’est pas nécessaire pour donner lieu à des songes de cette nature ; un anévrisme du cœur ou des gros vaisseaux peut les occasionner. « Dans les anévrismes du cœur, dit M. Corvisart (Traité des maladies du cœur), le sommeil est interrompu plusieurs fois pendant la nuit par des rêves effrayans qui produisent des réveils en sursaut. » Mais il se joint alors une autre sensation, c’est celle d’une gêne, d’un danger inévitable ; la crainte est quelquefois si grande, qu’elle réveille le malade brusquement et le plonge dans un abattement qui se continue souvent long temps après le réveil. Dans l’ouvrage du même auteur (obs. 15, pag. 79), on trouve l’exemple d’un anévrisme affectant l’une des oreillettes, ou le malade était sans cesse obsédé de rêves fatigans. La vingtième observation, (page 101) d’un anévrisme passif du ventricule droit présente les mêmes phénomènes.

J’ai recueilli l’observation d’un malade atteint d’un anévrisme de l’aorte, à la clinique interne de l’Hôtel-Dieu, et je fus à même d’observer les songes qui ne cessaient de troubler son sommeil ; tantôt il croyait être sur le bord d’un précipice dans lequel il tombait, puis se retrouvait ensuite dans des lieux tristes et sombres ; tantôt il gravissait avec peine une montagne escarpée et se précipitait aussitôt [p. 11] dans un fleuve de sang ; enfin ce malheureux, en butte à tout ce que l’imagination peut créer d’effrayant et de hideux, succomba dans les tourmens de la crainte et du désespoir.

Dans les affections du système gastrique et biliaire, les songes se présentent sous d’autres formes ; ce ne sont plus que des fantômes, des spectres hideux, des combats qui viennent assaillir le malade. Telle est l’influence de ces lésions sur le cerveau, qu’il n’est pas rare de l’observer dans les fièvres gastriques.

M. Cognasse-Desjardins rapporte, dans un Essai sur les songes, [en ligne sur notre site] l’observation d’un malade qui était depuis plusieurs jours réveillé par des songes déterminés par un embarras gastrique. Il ressentait un poids sur la région épigastrique, qu’il comparaît à une enclume ou à une maison. L’administration d’un émétique fit disparaître les songes et l’embarras qui les avait produits.

Les fièvres muqueuses ou adéno-méningées paraissent ne point influencer aussi fréquemment le cerveau ; cependant on rencontre encore quelquefois de ces cas où les songes existent, et on a remarqué que, dans le cours des fièvres intermittentes, s’ils produisaient des frayeurs au malade, des anxiétés, une extrême agitation, la maladie était de longue durée ; les rêves laborieux, dans une fièvre continue, supposent toujours une irritation quelconque.

Les fièvres adynamiques et ataxiques portent, en général, tellement de trouble dans les fonctions intellectuelles, qu’alors elles n’exercent plus leur empire qu’avec un désordre extrême, d’où naît le délire. On conçoit facilement que les songes ne peuvent être comptés pour quelque chose, puisque ce dérangement des facultés est tel, que, dans le cours de la maladie, s’il se passe un instant de sommeil, il n’est pas franc ; le malade se trouve dans un état qui ne permet pas de le considérer comme un véritable sommeil, et d’ailleurs l’entendement ne partage nullement ce calme apparent, le délire persiste souvent malgré l’assoupissement.

Si, dans les fièvres précédentes, on ne peut retirer de signes bien [p. 12] essentiels, à plus forte raison doit-on peu y prétendre dans la fièvre adéno-nerveuse ou pestilentielle. Le trouble qui règne étant bien plus grand, et les résultats plus prompts, et surtout plus funestes, il serait superflu de vouloir consulter les songes dans ces maladies, d’ailleurs suffisamment caractérisées par les autres symptômes qui se développent, et je pense qu’ici, comme dans bien des cas, il ne faut pas se laisser entraîner à la folle prétention de vouloir faire concourir ce qui n’existe pas à l’explication d’une lésion.

Examine-t-on les songes dans les phlegmasies aiguës, on voit qu’ils conservent, à quelques légères nuances près, le caractère que l’on observe dans ceux des fièvres inflammatoires, et s’ils offrent quelques différences, il est probable que cela ne tient qu’à la localité de la lésion et au genre d’organe affecté. En effet, l’excitation étant plus bornée, elle ne doit point déterminer l’afflux du sang vers le cerveau, et y produire cette plénitude que l’on remarque dans les fièvres angioténiques ; la nature de l’organe enflammé doit entrer aussi pour beaucoup en considération ; car tel est le rapport qui existe entre certaines parties et le cerveau, que les unes ne peuvent être lésées sans que l’autre n’éprouve un dérangement plus ou moins considérable dans ses fonctions.

Depuis les phlegmasies cutanées jusqu’à celles des organes, on remarque assez constamment la même série de songes, dont la modification est subordonnée toutefois à l’intensité de l’inflammation, à l’âge, au sexe, au tempérament, etc. Tout le temps que l’irritation n’est pas suffisante pour amener le délire, les songes peuvent en être le résultat.

Il n’est pas rare d’observer dans les varioles, des songes qui annoncent pour ainsi dire la terminaison de la maladie. Lorsqu’elle veut se terminer par une évacuation critique, telle qu’une hémorrhagie, les malades rêvent de sang, de feu, etc., d’eau chaude, de bains, si c’est par des sueurs. On conçoit que, dans ces cas, un pareil signe devient très-important, puisqu’il met à même de seconder la  nature et de prévenir ce qui pourrait l’entraver. [p. 13]

Dans les phlegmasies des organes on retrouve encore les mêmes phénomènes. J’ai recueilli au Val-de-Grace, sous les yeux de M. le professeur Broussais, l’observation d’un homme atteint d’une irritation des systèmes gastrique, pulmonaire et circulatoire, déterminée par les vapeurs qui résultent de la préparation du tabac. Cet homme, après avoir éprouvé une fièvre continue vers le mois de juillet 1815, et qu’on fit cesser par l’emploi des émétiques, se livra de nouveau à ses travaux, qui consistaient à râper du tabac. Au bout de trois semaines environ, il fut repris par la fièvre, et le malade, inquiet sur son état, vint réclamer des secours à l’hôpital militaire du Val-de-Grace, où il entra le 21 septembre suivant. On reconnut un engorgement sensible du foie, une oppression dont l’intensité variait, des palpitations et une fréquence extrême du pouls. Ce sujet, d’ailleurs bien constitué, fut longtemps en proie dans son sommeil, à des songes pénibles. Des fantômes, des morts, des spectres hideux s’offraient sans cesse à ses regards, et le persécutaient continuellement ; il se trouvait en butte à des dangers, à des périls menaçans ; quelquefois il franchissait des espaces difficiles, des lieux sombres, pour se soustraire aux images effrayantes qui ne le quittaient plus ; puis il ressentait une gêne, un poids énorme sur la poitrine, dont il ne pouvait se débarrasser : ainsi, lorsque, fatigué, par une longue insomnie, il cherchait à retrouver le calme dans un sommeil réparateur, il oubliait un instant sa douleur réelle pour retomber dans le trouble et l’effroi.

Par suite d’un traitement approprié, on obtint un mieux marqué pendant quelque temps ; les nuits devinrent tranquilles, mais cet état fut de peu de durée ; les jambes s’infiltrèrent, l’abdomen se gonfla, et on y reconnut l’existence d’un épanchement séreux ; l’oppression revint de nouveau, le pouls, qui avait été ralenti par l’emploi de la digitale, reprit sa première fréquence ; enfin il survint une infiltration de toutes les extrémités inférieures, une insomnie presque continuelle qui lui ôtait toute espèce de repos ; et si parfois il s’assoupissait, les mêmes rêves revenaient l’agiter. [p. 14] De jour en jour l’état empira, l’oppression devint extrême, et le malade succomba au bout de cinq mois de la maladie.

L’ouverture du cadavre fit voir la partie inférieure d’un des lobes du poumon droit enflammée, avec exsudation d’une substance gélatineuse, une péricardite des plus considérable, avec désorganisation et épaississement du péricarde ; le cœur paraissait sain ; le foie était plus volumineux, granuleux et engorgé ; un liquide séreux remplissait la cavité abdominale ; l’estomac était dans son état naturel, à l’exception d’une légère phlogose vers le pylore.

Dans cette observation d’ailleurs si intéressante, on voit que l’affection essentielle était la péricardite, et que l’irritation de l’appareil biliaire et pulmonaire n’a pu être suffisante pour causer la mort de cet homme ; mais on observe aussi que, dans le cours de sa maladie, les rêves offraient la même complication dans leur nature. Ne pourrait-on pas, sans trop d’exagération, les séparer, en former deux classes, et rendre à chacune des lésions ceux qui leur, étaient propres ? Ainsi les phantômes, les spectres, les morts, etc., appartiennent plus particulièrement à l’affection du foie ; et les dangers, les espaces difficiles à franchir, les poids qu’il ressentait sur la poitrine, à celle du poumon et du péricarde.

Il paraît cependant que les songes qui représentent les phantômes et autres objets semblables ne sont pas précisément le résultat exclusif de la lésion du système biliaire ; mais bien de celle des viscères abdominaux, puisqu’on les observe dans les phlegmasies du bas-ventre. Il est encore à remarquer que c’est notamment dans les phlegmasies chroniques que les songes conservent ce caractère ; dans les inflammations aiguës, ils se rapprochent davantage de ceux des fièvres inflammatoires. J’observe dans ce moment au Val-de-Grace un malade atteint d’une phlegmasie chronique du mésentère et du tissu cellulaire environnant qui confirme ce que je viens de dire ; il dort peu, et s’il le fait, il ne [p. 15] voit plus que des phantômes, des corps hideux se présenter sous mille formes différentes ; ces objets le frappent tellement, que quelquefois il se réveille en sursaut. L’estomac cependant a fait jusl qu’alors ses fonctions ; et sitôt qu’il satisfait son appétit , la douleur du ventre augmente et ne diminue qu’avec la diète.

Les hémorrhagies actives sont quelquefois précédées par des songes qui annoncent l’excitation et la plénitude du système sanguin. Galien parle d’un homme qui, ayant rêvé être plongé dans une fosse remplie de sang, et dont il ne pouvait sortir, fut saigné avec beaucoup de succès par les médecins, qui présumèrent une plénitude des vaisseaux sanguins. Qui pourrait affirmer que, si la saignée eût été différée, il ne serait point survenu une hémorrhagie ? Le même auteur rapporte qu’il prédisit dans une autre circonstance une hémorrhagie chez un malade qui avait vu en songe un serpent enflammé ramper sur son lit.

Dans les lésions organiques, et surtout dans celles du cœur, des poumons, etc., les songes sont plus fréquens et d’une nature qui ne permet pas de s’y méprendre et de les confondre avec ceux qui résultent, par exemple, d’une lésion des viscères abdominaux ; l’hydropéricarde cependant fournit des rêves à peu près semblables, parce qu’alors le centre de la circulation est plus ou moins gêné, ainsi que les poumons, dont les fonctions sont altérées. L’affection de ces derniers donne parfois naissance à des songes pénibles ; le malade est en butte à des dangers menaçans ; il ressent sur la poitrine un poids dont il ne peut supporter la présence ; il veut vainement s’en débarrasser, la crainte le persécute, et il ne retrouve la sûreté de son existence que dans un réveil subit.

Les songes qui surviennent dans les hydropisies présentent un autre caractère, qui se dément rarement : les hydropiques semblent voir des lacs , des fontaines, des marais ; ils croient même entendre les flots se briser sur le rivage. « Ne voit-on pas, dit un auteur moderne (Calabre, Dissertation sur l’influence des passions dans les maladies nerveuses), l’imagination de l’hydropique errer [p. 16] au bord des fontaines et des ruisseaux, et se perdre dans les ondes, tandis que tous les objets sont en feu, et toutes les couleurs de pourpre pour l’homme pléthorique qu’une fièvre inflammatoire a frappé ? » Les hydropéricardes font naître l’idée d’un poids qui pèse sur la poitrine, et menace d’étouffer le malade. M. Corvisart en rapporte (ouvrage cité, page 45) une observation dans laquelle le malade se réveillait fréquemment en sursaut par des rêves fatigans. Dans les hydrothorax, on observe plus particulièrement que dans les autres épanchemens séreux ces songes qui représentent à l’imagination du malade le bruit des ondulations dont la sensation est assez en rapport avec le mouvement que le liquide exécute pendant l’inspiration et l’expiration. J’ai observé à l’Hôtel-Dieu un malade atteint d’une hydropisie de poitrine, chez lequel les songes de cette nature étaient très-prononcés. Les nuits se passaient dans une extrême agitation, et presque tous les jours, la même série d’idées se présentait à l’imagination de cet homme, qui mourut peu de temps après la formation de la collection séreuse. Trousset rapporte (Mémoire sur l’hydrothorax, Montpellier 1806) une observation d’hydrothorax où les songes produisaient des réveils en sursaut, tant ils inquiétaient le malade.

Les songes, ainsi que l’observe judicieusement M. le professeur Richerand (Nosographie chirurgicale, tom. 4, pag. 194), peuvent donc fournir d’excellentes données séméiologiques dans ces maladies, et devenir très-importans à consulter.

Il existe d’autres affections multipliées qui peuvent déterminer des songes. On trouve dans une relation historique et médicale des accidens causés par un loup enragé, dans la ville de Bar-sur-Ornain, par M. Champion, plusieurs observations d’hommes morts enragés, où les rêves étaient très-pénibles, et retraçaient à l’imagination des hydrophobes les objets les plus sinistres. Dans une de ces observations, les premiers symptômes de la rage se déclarèrent par des rêves effrayans, et le lendemain, d’autres signes [p. 17] précurseurs ne tardèrent pas à annoncer l’hydrophobie et la mort du sujet, qui survint quelques jours après.

Une fracture, une blessure, un ulcère, produisent quelquefois des songes. J’ai été témoin d’un cas assez extraordinaire dans la campagne de Russie, lorsqu’après la bataille de Smolinsk je fus chargé de donner des soins aux officiers blessés du quarante-sixième régiment, dans lequel je servais. M. Beuvard, chef de bataillon, homme fort et vigoureux, qui avait eu la cuisse gauche traversée d’un coup de feu, rêvait, dans son sommeil, au combat qui venait d’avoir lieu, et comme, dans les différens mouvemens qu’il faisait, croyant encore commander une charge, l’appareil se dérangea, le songe changea aussitôt de nature. Il croyait qu’un chirurgien pratiquait de profondes incisions dans sa cuisse, et les cris qu’il fit le réveillèrent, ainsi que tous les officiers couchés dans le même appartement. Il se plaignit que sa blessure lui causait de grandes douleurs ; je levai l’appareil, et crus m’apercevoir que la cause de son rêve n’était autre chose que le tiraillement des plaies occasionné par le déplacement de la bande.

L’excitation existante dans les organes de la génération détermine des songes connus sous le nom d’érotiques, lesquels deviennent nuisibles en ce que , représentant sans cesse des objets susceptibles d’augmenter cette même excitation, ils provoquent l’évacuation de la liqueur prolifique ; ou bien ces songes peuvent déterminer cette disposition vicieuse des organes génitaux ; et alors, au lieu d’en être le résultat, ils en sont la cause. Il est donc évident qu’ils deviennent état maladif, et que, dans cette circonstance, les moyens à employer diffèrent. Ainsi on doit s’occuper d’éloigner tout ce qui peut frapper l’imagination, l’exciter à rendre des images libidineuses, et la distraire par des objets capables de ramener le calme et la tranquillité. Au contraire, lorsque les songes sont produits par l’état maladif des organes générateurs, il faut chercher à diminuer l’excitation locale, et les rêves cesseront avec le retour à la santé. [p. 18]

Après avoir examiné les songes déterminés à la suite d’une maladie actuellement existante, jetons un instant nos regards sur ceux qui annoncent pour ainsi dire l’irruption de ces mêmes maladies , et nous verrons que très-souvent il serait avantageux de suivre les indications qu’ils nous présentent ? Le cas arrivé à Conrad Gesner, médecin suisse, et rapporté par Camérarius, n’offre-t-il pas la plus funeste et la plus étonnante vérité. Ce médecin fut victime d’un anthrax au côté gauche de la poitrine, qu’il prédit lui-même d’après un rêve dans lequel il crut avoir été mordu par un serpent. Arnauld de Villeneuve, ayant rêvé qu’il avait été mordu au pied, fut pris, le jour suivant, d’un ulcère cancéreux au même endroit de la prétendue morsure. Manget (Bibl. medico-pract., tome 2 , pag. 1066) cite l’observation d’un homme qui, ayant rêvé recevoir un coup de pierre dont la douleur le réveilla, fit aussitôt apporter de la lumière, et vit une contusion considérable sur la poitrine, qui menaça pendant plusieurs jours d’une dégénérescence gangréneuse. Un malade de Galien rêvait fréquemment qu’il avait une de ses jambes transformée en pierre ; le membre finit par devenir paralytique peu de temps après.

Il est hors de doute que parfois les songes deviennent des indices certains d’une maladie prête à se déclarer ; mais ils ne sont toujours que le résultat d’un commencement d’irritation qui porte sur le cerveau une action plus ou moins grande, suivant son degré d’intensité. C’est ainsi que l’on peut présumer des suites fâcheuses lorsque l’imagination du malade lui représente différentes couleurs ou odeurs dont la sensation est déterminée par l’état actuel du sujet ; les songes qui retracent des couleurs rouges font craindre quelques inflammations ou une pléthore sanguine ; les odeurs infectes, une fièvre adynamique ; le désir des alimens, un besoin de manger, une excitation dans l’appareil digestif, etc. Ne voit-on pas un exemple de ce dernier phénomène dans l’histoire du baron de Trenck, lorsque, étant livré aux tourmens que cause un cachot affreux, et privé des alimens nécessaires à sa subsistance, il se rappelait en songe [p. 19] les bonnes tables de Berlin : sa mémoire lui en retraçait les mets exquis, tandis que son imagination en exagérait encore tout le prix, et lui faisait regretter des jours coulés au sein de l’abondance. Haller rapporte qu’un marin lui racontait que, dans ses voyages, où souvent il était privé d’alimens, il rêvait aux tables délicieuses et aux mets choisis qu’il avait précédemment savourés.

Mais, en accordant quelque valeur à ces songes, gardons-nous bien de tomber dans la folle erreur d’interpréter tout ce que notre imagination enfante. Peut-on ajouter foi à des conséquences que le merveilleux se plaît toujours à tirer des bizarreries de l’entendement humain ? qu’en rêvant de feu cela dénote l’excès de la bile jaune ; que les brouillards épais, la fumée indiquent l’atrabile ; la pluie, la neige, le vent, etc., annoncent une surabondance de phlegme ? Serait-il raisonnable de penser, avec quelques anciens, que voir en songe la lune, les étoiles, le soleil, est un signe de l’affection des cavités splanchniques, de la périphérie et des parties moyennes ?

En général, on doit considérer comme d’un bon présage les rêves gais, qui donnent pour ainsi dire un spectacle agréable à l’âme ; au contraire, il est à craindre pour les jours de celui qui est sans cesse obsédé par des rêves fatigans, des images tristes et funestes, qui, en tourmentant son moral, épuisent ses forces physiques. On peut présumer un trouble dans les fonctions lorsque le malade est agité par des rêves dans les premiers momens de son sommeil ; et s’ils sont pénibles, ils annoncent une solution difficile de la maladie.

Il est encore à remarquer que les songes diffèrent par rapport aux âges ; et les rêves d’un enfant ne sont pas semblables à ceux d’un adulte ni d’un vieillard. Quoique Aristote, Pline, Dioscoride , et après eux Scaliger, aient fortement discuté pour savoir si les enfans avaient des songes, il est hors de doute que cet âge n’en est point exempt ; mais les facultés intellectuelles n’étant point arrivées à leur degré de perfection, et les impressions n’étant point aussi multipliées que dans un âge plus avancé, il est croyable que [p. 20] les rêves doivent être moins variés, et surtout moins pénibles ; aussi a-t-on remarqué que les rêves des enfans en bonne santé sont toujours agréables. Qui pourrait d’ailleurs procurer des songes effrayans dans un être étranger encore aux passions, ignorant les calamités auxquelles l’homme est exposé, n’ayant enfin jamais connu les désirs funestes de la vengeance et du crime ? Une conscience pure, des plaisirs innocens et continuels, l’oubli du passé, l’insousciance sur le présent et l’indifférence sur l’avenir, peuvent-ils déterminer des songes inquiétans qui agitent si souvent l’homme fait ? Écoutons Berquin exprimer avec tant de grâce ce bel instant de la vie :

Heureux enfant, que je t’envie
Ton innocence et ton bonheur !
Ah ! garde bien toute ta vie
La paix qui règne dans ton cœur.

Tu dors ; mille songes volages,
Amis paisibles du sommeil,
Te peignent de douces images
Jusqu’au moment de ton réveil.

Il existe également de la différence entre les songes par rapport aux tempéramens, et on pourrait, jusqu’à un certain point, comme le dit M. Double (Mémoire sur les songes, Journal général de Médecine, tome 27 [en ligne sur notre site], assigner une série particulière à chaque tempérament ; ainsi les rêves gais, les danses, la musique, les chants, les rixes, les disputes, les feux brillans, appartiennent au sanguin. Le mélancolique ne rêve que phantômes, spectres, tombeaux, morts, souterrains, antres, etc. Les marécages, l’eau, le sentiment d’un poids pesant dont il ne peut se débarrasser, sont le propre du tempérament phlegmatique. Le bilieux, méditant toujours des catastrophes, ne rêve qu’assassinats, combats, incendies, ambition, gloire, etc.

Quoi qu’il en soit de tout ce qui vient d’être dit, il faut, dans l’appréciation des songes, avoir égard aux circonstances qui [p. 21] accompagnent cet état. On doit s’informer si le malade a trop bu ou trop mangé, et si la digestion a été laborieuse ; s’il était occupé de quelques affaires importantes ; s’il n’a pas sujet d’éprouver de la peine ou de la joie ; si quelques mauvaises nouvelles ne lui sont point arrivées ; enfin remonter à tout ce qui pourrait avoir influé sur le cerveau au point de troubler le sommeil.

Je ne puis terminer sans parler des songes surnaturels qui ont jadis exercé le jugement de plusieurs hommes célèbres, et qui, dépouillés de toute superstition, peuvent offrir quelque intérêt. Mais remarquons qu’ici comme ailleurs, chaque fois qu’on s’écarte d’une saine raison, on tombe nécessairement dans les excès, et les plus grands abus naissent alors d’une extravagante conception. Ne voit-on pas, malgré les secours vraiment réels que l’on peut retirer de l’examen des urines, une foule d’exagérations dictées par le charlatanisme et l’ignorance les plus coupables ?

La médecine a aussi ses songes surnaturels, et il est hors de doute qu’ils annoncent, jusqu’à un certain point, ce qui doit arriver. Comment expliquera-t-on ces rêves étonnans par lesquels un malade présage sa propre mort, la perte d’un parent, d’un ami même absent ? Comment réfuter des faits les plus certains, lorsqu’il prédit une maladie plus ou moins éloignée, avec ses symptômes, ses douleurs et les remèdes qui doivent le guérir ? Cependant rien n’est plus vrai, plus exact que ces phénomènes ; mais, si l’on veut rejeter tout le merveilleux dont on s’entoure, et qu’on étudie scrupuleusement les circonstances qui accompagnent les songes, on verra que ces derniers se rattachent toujours ou à une imagination frappée, ou à quelques lésions latentes, et que, si le malade explique quelquefois l’avenir, cela tient autant au hasard qu’à toute autre chose.

« Comme les phénomènes des sensations s’accomplissent par l’entremise d’un agent inconnu, dit M. le professeur Richerand (Nouveaux Elémens de Physiologie, tom. 1, pag. 212), et qu’analogues à ceux de l’électricité et du magnétisme, ils ne paraissent point [p. 22] obéir aux loix ordinaires du mouvement de la matière, ils ont fourni le champ le plus vaste aux vaines suppositions de l’ignorance et du charlatanisme : c’est pour les expliquer qu’ont été imaginées les théories les plus nombreuses et les plus folles. »

Il paraît que l’art d’expliquer les songes, ou l’onéirocritie, remonte à des temps fort reculés, puisque Artémidore, qui vivait vers le commencement du deuxième siècle, a donné un Traité des songes, et qu’il s’est servi d’auteurs bien plus anciens pour composer son ouvrage.

Parmi les songes les plus célèbres on compte ceux d’Enée, de Didon, d’Ariane, de Pharaon, d’Hérode, etc. Plusieurs de ces rêves ont été décrits par les poètes, et embellis par le charme d’une imagination brillante. Croyant que ces rêves étaient envoyés par les dieux, les anciens les appelèrent divins ; et leur croyance était telle, qu’ils se seraient fait un crime de ne pas suivre leurs utiles conseils. Les magistrats spartiates couchaient dans le temple de Pasiphaé, pour connaître en songe ce qui devenait nécessaire au bien public. Trophonius, Hercule, Mopsus, Faunus, Amphiaraüs, Sérapis, et beaucoup d’autres habitaient des temples, et rendaient leurs oracles en songes.

Selon les poètes, les songes sont les enfans du Sommeil ; ils habitent le palais de leur souverain, et sont aussi nombreux que les épis dans les plaines, les feuilles dans les forêts, et les grains de sable sur le bord de la mer. Il y en a trois, Morphée, Phobétor, et Phantase, qui n’habitent que les palais des rois et des grands. Lucien nous a donné une très-belle description poétique d’une île des songes dont le Sommeil est le roi, et la Nuit la divinité.

Parmi les songes dramatiques, le mieux décrit est sans contredit celui de Racine, dans Athalie, qui commence par ces vers :

Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge ;
Je l’évite partout, partout il me poursuit, etc. [p. 23]

Les sauvages de l’Amérique septentrionale célèbrent une fête des songes, ou le renversement de cervelle : elle consiste en une sorte de bacchanale, qui dure environ quinze jours, pendant lesquels ils se livrent aux plus grandes extravagances.

Les Hurons ne se contentent pas d’attendre que leurs songes se réalisent ; pour en être plus certains, ils s’empressent de les accomplir eux-mêmes. Ils sont tellement superstitieux, qu’ils croiraient attirer la vengeance céleste sur leurs peuplades, s’ils ne suivaient pas tout ce qu’une imagination exaltée leur suggère.

Telle est la nature de l’homme, que son amour du merveilleux, son insatiable curiosité, le portent constamment dans l’avenir, et lui font commettre les erreurs les plus folles. Cependant il faut espérer que la civilisation, qui a dissipé déjà tant de préjugés dans certains pays, achèvera de rendre le reste au grand jour, et saura élever l’homme au-dessus de ces tristes puérilités qui l’occupent sans cesse.

Somnambulisme.

Il est un autre phénomène qui a lieu pendant le sommeil par l’association de la voix et de la locomotion aux autres facultés de l’entendement. Cet état tient plus de la veille, et il en résulte des actions, qui fort souvent conservent la même précision que si l’on était éveillé ; et comme le dit Bichat (Recherches physiologiques sur la vie et la mort, p. 57), « ce n’est autre chose qu’une portion de la vie animale échappée à l’engourdissement où l’autre portion est plongée. » Ce phénomène s’appelle somnambulisme, et n’est réellement différent des songes que par le concours d’un plus grand nombre de facultés mises en exercice.

Les sens ne cèdent point tous en même temps au sommeil ; ils s’émoussent peu à peu et successivement. La vue est quelquefois suspendue, tandis que l’ouïe reçoit les impressions des sons. Ainsi il peut donc arriver qu’un organe, résistant par quelque cause que ce soit au sommeil, continue de remplir ses usages indépendamment [p. 24] des sens, et porte l’homme à exécuter des mouvemens, si c’est la locomotion, à parler, si c’est la voix, etc. C’est par cette même raison que, dans certains cas, on entretient une conversation avec la personne endormie, et qu’on lui arrache ses plus secrètes pensées. Durant le cours de mes premières études médicales, je fus fréquemment somnambule, et les témoins de mes actions nocturnes me révélaient bien souvent ce que je leur cachais soigneusement ; j’étais surpris, à mon réveil, d’entendre quelqu’un de mes amis me raconter ce que je croyais ignoré de tous. Je ne puis m’empêcher de rapporter un fait qui m’est arrivé à l’âge de quatorze à quinze ans environ. Etant endormi, je me levai promptement sans m’habiller ; je descendis d’un premier avec la précaution d’ouvrir toutes les portes, et vins réveiller ma mère, en la priant de me donner à boire. Prévenue de ce que je me levais quelquefois en dormant, elle me répondit, sans s’effrayer, qu’elle allait satisfaire mon désir ; elle descendit du lit, me présenta la valeur d’un grand verre d’eau très-froide, que je bus avec une sorte de plaisir : je me plaignis de la froideur du liquide ; mais cela ne m’éveilla pas, car ma mère me reconduisit jusque dans mon lit, sans que j’en eusse conservé le moindre souvenir.

Ces actions pendant le sommeil supposent toujours une excitation quelconque qui influe sur l’organe de la pensée, et le porte à réagir plus ou moins énergiquement sur les autres organes. Ces accès de somnambulisme qui m’ont quitté depuis quelque temps, ne me prenaient que quand j’étais fortement occupé de quelque chose, et c’est surtout dans la fougue d’un premier sentiment d’amour que je fus plus sujet au somnambulisme.

Il me serait facile de citer un grand nombre d’exemples de somnambulisme rapportés par des hommes dignes de foi ; plusieurs auteurs qui ont traité ce sujet n’ont pas manqué de donner des observations fort curieuses. On lit dans le Dictionnaire encyclopédique diverses histoires très-intéressantes, et entre autres celle d’un jeune ecclésiastique qui composait des sermons pendant [p. 25] son sommeil. Les éphémérides des curieux de la nature en contiennent également de très-étonnantes ; mais il est inutile de rapporter ici une foule de ces observations qui ne serviraient qu’à multiplier les citations, sans ajouter à l’importance dont elles sont susceptibles ; je dis importance, car, je suis convaincu qu’elles peuvent devenir quelquefois utiles pour reconnaître l’existence et la nature d’une affection.

Je regrette de n’avoir pu m’occuper plus longuement d’un sujet qui mérite beaucoup d’attention ; des circonstances imprévues m’en ayant ôté la facilité, il m’a été impossible de m’y livrer selon mon intention. Ce n’est donc plus que sur l’extrême indulgence de mes célèbres examinateurs que je puis fonder toutes mes espérances.

Qu’il me soit permis de remercier ceux qui m’ont guidés dans mes études médicales, et particulièrement M. Jacquier, docteur médecin, mon parent ; il me donna les premiers principes d’un art qu’il exerce avec distinction ; puisse-t-il retrouver ici le gage de la plus vive reconnaissance !

Notes

(1) όνειρο, songe; ομιλία, discours.

(2) Personne n’ignore qu’une grande impression en ébranlant fortement l’organe la pensée y détermine une action telle, que ses facultés se mettent en exercice avec une énergie considérable.

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