E. Rolland. Une épidémie démoniaque en 1878 [Verzegnis en Italie]. Article paru dans « La Revue Scientifique de ka France et de l’Etranger, revue des cours scientifiques ». (Paris), troisième série, tome V, tome XXXI, 3ème année, 1er semestre, janvier à juillet 1883, pp. 339-340.

rOLLANDVeRZEGNIS0002E. Rolland. Une épidémie démoniaque en 1878 [Verzegnis en Italie]. Article paru dans « La Revue Scientifique de la France et de l’Etranger, revue des cours scientifiques ». (Paris), troisième série, tome V, tome XXXI, 3ème année, 1er semestre, janvier à juillet 1883, pp. 339-340.

Sur la dernière épidémie démoniaque d’importance reconnue; après celle de Morzine en France

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 339 – colonne 1]

PSYCHOLOGIE

Une épidémie démoniaque en 1878.

Sous ce titre la Revue scientifique (1) a publié une analyse d’une relation très étendue due à MM. Franzolini et Chiap sur la première épidémie de maladies nerveuses de ce siècle observée en Italie, à Verzegnis (Frioul).

Au moment où fut publiée cette relation (1879), l’épidémie n’était pas encore complètement éteinte ; aussi M. Franzolini promettait-il, en terminant, de faire connaître les phases ultérieures de l’épidémie et son extinction définitive. Il vient de tenir sa promesse et de publier avec son savant confrère [p. 339 – colonne 2] Chiap la Relation finale de l’épidémie (2) que nous allons analyser rapidement.

La relation de MM. Franzolini et Chiap se terminait avec la dernière visite qu’ils firent à Verzegnis les 26 et 27 février 1879. Dans cette visite ils constatèrent une amélioration notable ; mais ayant encore observé quelques signes de nervosisme latent, ils ne crurent pas ne devoir conseiller la suppression d’aucune des mesures employées, mais au contraire de les maintenir toutes et d’envoyer en permanence à Verzegnis un médecin fort, instruit, convaincu et autoritaire.

Il fut donc immédiatement décidé que le médecin de Tolmezzo, le docteur de Gleria, serait seul chargé du service sanitaire de la commune, et qu’il y fixerait son domicile. Ce médecin distingué fut muni d’instructions spéciales et fut tout particulièrement chargé de surveiller attentivement les malades déjà connus ; de noter avec soin les nouveaux cas qui pourraient se présenter, en portant spécialement son attention sur les cas de la forme névropathique déjà observée ;  d’empêcher que ces malades assistassent aux offices ; d’isoler avec le plus grand soin les malades dans leurs familles respectives, et de faire retourner dans leur pays toutes les personnes étrangères qui présenteraient des symptômes d’hystéro-démonopathie.

M. de Gleria devait surtout veiller à ce qu’il ne fût fait aucune solennité religieuse ; les exercices religieux devaient se borner à la pratique ordinaire et quotidienne du culte. En octobre 1879 devait avoir lieu le baptême d’une nouvelle cloche à Verzegnis, et l’on devait, à cette occasion, administrer la confirmation ; mais le préfet obtint de l’autorité archiépiscopale du lieu que la première cérémonie n’eût pas lieu et que l’on confirmât dans une commune voisine.

Le commissaire du district de Tolmezzo et les carabiniers furent chargés de faire de fréquentes visites à Verzegnis, de se tenir à la disposition de M. de Gleria et d’obéir à toute réquisition de ce dernier.

Ces mesures appliquées dans toute leur rigueur produisirent le meilleur effet en quelques jours. En effet, à la date du 22 août 1879 le commissaire de Tolmezzo écrivait à la préfecture que tous les malades atteints d’hystéro-démonopathie et soignés à l’hôpital d’Udine étaient guéris, et qu’aucun cas nouveau, aucun désordre, ne s’étaient produits dans cette commune.

Cependant un courant contraire régnait vaguement encore dans le pays ; certains écrits, certaines affiches anonymes, certaines inscriptions rédigés dans un style plus ou moins mystique et hiéroglyphique, apparaissaient de temps en temps sur les murs et tournaient en ridicule les processions consacrées et les solennités du culte.

Au même moment un autre fâcheux contre-temps menaça d’interrompre, de détruire même les progrès immenses obtenus sur l’épidémie : ce fâcheux contre-temps fut la [p. 340, colonne 1] visite à Verzegriis d’un certain baron D***, colonel en retraite, et spirite passionné.

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Ce baron, venu directement de Turin, avait la ferme conviction de trouver dans cette épidémie de Verzegnis du spiritisme de la plus belle eau. Il arriva à Verzegnis le 18 septembre 1879 et s’adressa au docteur de Gleria, qui, plus que personne, à cause de sa situation, aurait dû être d’une extrême prudence. Un fait bien certain, c’est que les habitants de Verzegnis n’auraient su trouver aucune différence entre leurs idées sur les influences diaboliques et les interprétations spirites de D***, l’épidémie se serait alors renforcée à toute vapeur. Mais le préfet d’Udine, informé par Franzolini des intentions du baron D***, enjoignît au commissaire d’avoir l’œil sur le dangereux visiteur. Heureusement pour les habitants de Verzegnis, une attaque de sciatique empêcha D*** de rester assez longtemps et le força de partir subitement, non sans colère, pour Turin.

Le 8 octobre 1879, M. de Gleria, dans une remarquable relation, déclarait que les premières malades se trouvaient bien et présentaient seulement quelques attaques passagères d’hystérie, que toutes s’occupaient des soins journaliers de leur ménage, et que, ni dans leurs familles respectives, ni dans le pays, aucune autre personne n’avait présenté le moindre symptôme de la maladie. Il ajoutait cependant que deux jeunes enfants de Chiaicis, une petite fille de huit ans, l’autre de onze, avaient présenté quelques symptômes d’hystérie, mais que ces cas n’étaient nullement alarmants ; que du reste, ces enfants avaient été isolées, et promptement, avec l’assentiment de leurs parents. Le docteur de Gleria observait encore que les malades ne voulaient prendre aucun médicament.

De son côté, le commissaire ajoutait dans son rapport que, par le fait de la mauvaise saison qui allait commencer, l’on pouvait craindre une recrudescence du mal ; les montagnards, en effet, sont comme claustrés tout l’hiver et réduits à demeurer toute la journée dans leurs maisons ; là ils ne font que s’entretenir de choses religieuses, surtout de sorcellerie et de diablerie. Aussi le commissaire se proposait-il de faire redoubler la surveillance.

Un mois après, le nouveau commissaire de Tolmezzo, le chevalier Angelini, fit presque incognito une apparition à Verzegnis et choisit pour cela un jour de fête. Il constata, lui aussi, que la maladie avait presque disparu et que les rares accès que l’on pouvait encore noter laissaient les familles des malades et leur entourage assez indifférents ; que du reste, ccs accès étaient complètement dépouillés de leur couleur pathologico-sociale. Le commissaire déplorait cependant, dans son rapport, la longueur des offices auxquels il assista et la façon de catéchiser dans les familles employée par les prêtres, spécialement par le chapelain de Chiaicis dont MM. Franzolini et Chiap avaient demandé le changement avec autant d’insistance que d’inutilité, et par un ex-prêtre de Sappada retiré dans sa famille à Verzegnis. — Le commissaire constatait encore que les deux nouvelles malades étaient précisément sœurs des premières malades et des plus gravement atteintes, et pensait, d’accord avec le [p. 340, colonne 21] médecin, que, vu leur jeune âge, la contagion par imitation leur avait communiqué la maladie. Les deux jeunes enfants, quoiqu’ils présentassent des symptômes assez légers, furent transportés dans une autre commune voisine chez des proches parents.

Depuis ce dernier rapport, les cartons officiels de l’épidémie de Verzegnis ne furent plus continués ; aussi bien il n’y avait plus là matière à rapports.

En effet, des informations les plus précises prises par MM. Franzolini et Chiap, même dans ces derniers jours, il ressortit que, depuis trois années, aucun cas de la forme hysléro -démonopathique ne s’est produit dans le pays. Qu’il y ait des personnes à Verzegnis qui croient aux influences surnaturelles des phénomènes observée, ces médecins ne le nient point et admettent même que c’est la conviction intime de la plupart de ces paysans ; mais ces croyances isolées, personnelles, et quelques cas sporadiques d’hystérie ne constituent point une épidémie d’hystéro-démonopathie.

Quant aux malades soignées à l’hôpital d’Udine, l’une mourut quelques mois après son retour à Verzegnis de phtisie pulmonaire ; une autre — Lucie Chialina — se maria, n’eut plus, depuis son mariage, d’accès d’hystérie et mourut de la fièvre puerpérale après une heureuse délivrance ; toutes les autres sont encore en vie et en parfaite santé, y compris la fameuse Margherita Vidusson de Chiaicis

(3) qui, depuis son départ d’Udine, n’habite plus la commune de Verzegnis, mais qui donne de temps en temps de ses nouvelles.

M. Franzolini et Chiap, en terminant, sont heureux d’annoncer au public médical que grâce aux mesures prises l’épidémie d’hystéro-démonopathie est complètement et définitivement éteinte après avoir duré un peu plus d’un an.

Comme ces savants l’écrivaient il y a quatre ans, Verzegnis reste un pays d’hystériques et de superstitieux ; mais le bâton de la science a frappé juste, il a sauvé ce qui pouvait être sauvé.

Nous ne saurions terminer cette analyse sans adresser publiquement à MM. Franzolini et Chiap et à M. Perusini, médecin directeur de l’hôpital civil d’Udine, nos remerciements pour l’empressement et l’amabilité qu’ils ont mis à nous fournir les renseignements que nous leur avions demandés.

M. Rolland.

NOTES

(1) Voir Revue scientifique du 10 avril 1880, n° 41, p. 973.

(2) Relazione finale sulla epidemia di istero-demnopatice in Verzegnis,

Udine, 22 janvier 1883. 6 p. [nute de histoiredelafolie.fr : Relazione sull’epidemia di istero-demonopatie in Verzegnis studiata dai dottori Giuseppe Chiap e Fernando Franzolini membri ordinari del consiglio sanitario provinciale del Friuli. – Reggio Emilia : tip. st. Calvesini e figlio, 1879. – 1 v.]

(3) Margherita Vidusson fut la première atteinte en janvier 1878 ; ses accès furent très violents.

 

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