Du traitement des insensés dans l’hôpital de Bethléem de Londres , traduit de l’anglois (de Thomas Bowen), suivi d’observations sur les insensés de Bicêtre et de la Salpêtrière, par M. l’abbé Robin. 1787.

BOWENINSENSES0001Thomas Bowen. Du traitement des insensés dans l’hôpital de Bethléem de Londres , traduit de l’anglois (de Thomas Bowen), suivi d’observations sur les insensés de Bicêtre et de la Salpêtrière, par M. l’abbé Robin. A Amsterdam, et se trouve à Paris, Chez Lesclapart, 1787. 1 vol. in-8°,
[B. n. F. : 8-TE66-152.]

Traduction de l’ouvrage anglais : An Historical Account of the Origin, Progress and Present State of Bethléem Hospital, founded by Henry the Eight, for the cure of lunatics. London, for the Governors, 1783.

M. L’abbé de Soulavie a rapporté cette brochure d’Angleterre, et la remise à M. l’abbé Robin, qui a joint à sa traduction l’exposé de la situation des hôpitaux de Bicêtre et de la Salpêtrière. L’auteur anglais et M. Bowen. Il assure que l’hôpital de Bethléem, fondée par Henri VIII, et agrandi depuis par divers bienfaiteurs, est un monument illustre dans la charité britannique, soit que l’on considère la décente magnificence de l’édifice et la distribution commode de l’intérieur, soit que l’on ait à son égard au soulagement des infortunés, et qu’il n’y a point dans l’univers qu’il puisse lui être comparé. Puisse l’exemple des Anglais déterminés promptement dans les hôpitaux de Bicêtre et de la Salpêtrière une réforme que l’honneur de la nation et l’amour de l’humanité réclament également.

Il est difficile de présenter au public un sujet plus digne de fixer son attention. La comparaison du Traitement des Insensés de Londres, avec ceux de Paris, liste fera sentir ce que ces malheureux ont droit d’attendre de son humanité. C’est M. L’abbé Soulavie qui m’a communiqué le morceau que je traduis ici ; attirer en Angleterre pour des Observations d’Histoire naturelle, il a encore porté ses regards sur des sujets plus intéressans, que probablement il publiera.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé, autant que faire se peut, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé certaines typographies comme »f » pour s ».
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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HISTOIRE

De l’origine, des progrès & de l’état actuel
de l’Hôpital de Bethléem, fondée par
Henri VIII, en faveur des Insensés,
& agrandis par les soins de plusieurs Bienfaiteurs.

Par Thomas Bowen.

Ces anciennes fondations, établies dans la Cité de Londres par la munificence de nos Monarques en faveur des pauvres malades, ont toujours été considérées comme un objet digne des secours publics.

Le soin des pauvres Insensés est d’autant plus important, quand les négligents, il peut en résulter les plus grands [p. 2] malheurs ; ainsi, la Société ne pas trop s’intéressait à l’entretien des établissements qui leur sont destinés. L’histoire de l’Hôpital de Bethléem sera donc à ce titre accueilli favorablement.

Cet Hôpital doit son nom & et son origine à la piété d’un Citoyen de Londres. En 1247, vers la trente-neuvième année du règne de Henri III, un particulier nommé Simon, qui avait été Shérif,  entraîné par les préjugés de son siècle, désirable être le fondateur d’une Maison religieuse ; en conséquence, il donna, par un acte qui existe encore, toutes ces terres situées dans la paroisse de Saint-Botolph. Le Prieur, les Chanoines, les Frères & Sœurs à l’entretien desquels il avoit pourvu, furent distingués par une étoile sur leur manteau, &  furent spécialement instituées pour recevoir &  entretenir l’Evêque de Sainte-Marie de Bethléem, ainsi que les Chanoines & les [p. 3] Frères de cette Mère-Eglise, lors de leur arrivée en Angleterre.

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Elle a été le plus de primitif de cette fondation, bien éloignée de celui qui lui a été substitué à l’époque où la révolution du Protestantisme à changer les idées.

L’établissement de cette Maison ne remonte donc à guère plus de deux cents ans. Lorsque les anciens Partisans des superstitions Romaines (1) furent chassés de leurs anciennes retraites, Henri VIII s’en empara vers 1547. Il accorda l’Hôpital de Bethléem, avec tous ses revenus, au Maire &  aux Citoyens de Londres ; depuis ce tems, l’Hôpital fut destiné pour la guérison des Foux.

Il est probable que la cité de Londres trouva alors de grandes difficultés dans le choix d’un lieu propre à recevoir [p. 4] ceux qui sont affligés de la plus déplorable des maladies Point la situation retirée de l’Hôpital de Bethléem & sa proximité de la ville, parurent le rendre favorable à cet objet. Aussi nous trouvons, par des renseignements authentiques, que dans l’année 1523, Étienne Gennings, Marchand Tailleurs, donna quarante pounds (2) pour l’usage Hôpital, &  que le Maire &  la Communauté avoient  fait quelques emprunts pour le même sujet, peu de tems avant d’obtenir leur privilège de la municipalité royale. On ignore le revenu qui y fut alors attaché : il est certain qu’il fut insuffisant pour les maux auxquels on vouloit remédier ; car cinq ans après, des Lettres Patentes furent obtenues par Jean Vitehead,  Procureur de l’Hôpital de Bethléem, afin de solliciter les dons dans les [p. 5] contrées de Lincoln, de Cambridge, dans la cité de Londres, &  en d’autres lieux.

Ces établissements n’offroient dans son enfance d’autre ressource au malheureux que le logement & les remèdes. Leurs proches, s’ils en avoient la faculté, ou leur paroisse, étoient obligés de contribuer aller secourir. Une succession de tems heureux il fit ajouter de nouvelles constructions & suppléer et à l’existence des malades. Plusieurs améliorations sur le fruit du zèle particulier & public.

On ne parlera pas des donations antérieures à l’année 1632 : elles ne furent pas considérables pendant quelque tems ; mais l’utilité évidente de cet établissement, &  les inconvéniens peut-être qu’éprouvoit le Public, excita bientôt à pourvoir à la sûreté de ses infortunés qui, sans le secours du Ciel, pourrait être aussi dangereux à la Société. [p. 6]

Ainsi, le zèle des Ctoyens se manifesta non seulement par d’abondantes charités, mais encore par la tension &  la capacité que d’autres à cet objet ; &  les cœurs qui aiment à se livrer aux délicieuses  sensations de bienveillance, ne peuvent les sentir plus vivement qu’envoyant par combien de bienfaiteurs inconnus l’Hôpital de Bethléem les secours. Des charités privées, n’encourage peut-être point autant que les bienfaits publics ; mais elles sont d’un grand poids en faveur de l’institution qu’elles favorisent. Ceux qui cachent leurs bonnes actions, ne peuvent avoir que des motifs purs ; c’est le mérite de l’objet qu’ils sont seulement en vue ; cela pèse mûrement avant de donner leur aumône, & et ils se méprennent rarement dans leur application.

Environ l’an 1644, on prit en considération d’élargir l’Hôpital ; mais [p. 7] l’emplacement était trop resserré pour y établir un Hospice commode à ceux de l’un & de l’autre sexe qui avait besoin d’y trouver un asyle ; &  probablement les troubles de ce tems empêchèrent d’effectuer ce projet.

Lorsque la paix & la tranquillité intérieure eurent été rétablie, &  et que l’Angleterre se fut remise des violentes convulsions qui l’avoient tourmentées, on porte à de nouveaux ces regards sur ce qui intéressoit l’ordre civil,&  on pensa sérieusement à bâtir un nouvel Hôpital.

Cette grande entreprise fut commencée en Avril 1675. Le Lord Maire, les Aldermans & le Conseil de la Cité de Londres, accordèrent au Gouverneur de l’hôpital une grande portion de terrein près des murs de Londres. La promptitude avec laquelle cet édifice inachevé, excite notre admiration : une inscription, placé au-dessus de la principale entrée, semble annoncer [p. 8]  qu’il fut fini en Juillet de l’année suivante, tant fut actif le zèle qui fit élever ce monument important. La générosité des contribuans fut égale à leur attention, car elle se leva à 17 000 l. (3), et l’on peut assurer  que jamais dépenses & peines ne furent mieux employées. L’Hôpital de Bethléem est un monument illustre de la charité britannique ; &  soit que nous considérions la magnificence décente de cet édifice, la distribution commode de l’intérieur, où le soulagement qu’il procure aux infortunés à qui il serre, nous pouvons assurer qu’il ne peut être comparé à aucun de l’univers (4). [p. 9]

Après la construction de cet édifice, on se flatta encore de pourvoir à ce qui étoient atteint d’une folie incurable & dangereuse pour le Public ; mais la grande affluence des Insensés, qui arrivoient à cet Hôpital de toutes les parties du Royaume, frustrera de cette spectative, & fit jugées que dans tous les temps il n’y auroit qu’un bien petit nombre de logemens à donner : on crut donc encore nécessaire de l’agrandir. On ouvrit une souscription particulière pour cet objet ; &  en 1734, [p. 10] deux ailes furent ajoutées au principal corps. Cette augmentation mit les Gouverneurs en état de répondre à une partie des demandes du Public, & il y a maintenant une centaine de Foux incurables, cinquante de chaque sexe, qui jouissent de tous les avantages que comportent leur déplorable situation.

Le nombre de malades supposés capables de guérison, monte communément à cent soixante-dix ; & il a été reconnu, par un calcul exact, que deux sur trois étoient rétablis dans leur bon sens. Un pareil degré de perfection, a rendu encore plus précieuse cette noble institution.

Toutes les âmes sensibles éprouvent un plaisir bien pur en réfléchissant que le poids des misères humaines est allégé par les secours d’un Hospice amical,  oùn ne peut pas souhaiter que les avantages acquerent plus d’étendu.

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Gravure représentant l’intérieur de l’Höpîtal de Bethléem de Londres.

Il est un objet important à désirer, [p. 11] c’est que plusieurs Insensés, dont le mal ne laisse plus d’espoir de guérison, puisse continuer à trouver des secours dans ces murs, & et à ne pas devenir pour leurs proches un fardeau trop pesant. Le nombre des incurables que l’Hôpital peut contenir présentement est si petit, en comparaison de ce qui attendent leur tour pour être admis ! La liste de ceux qui sont inscrits, doit s’élever au moins à deux cents (5) ; & comme la longévité est fréquente chez les Insensés, il arrive communément que les aspirants sont obligés d’attendre six ou sept ans, après leur sortie de l’Hôpital, avant de pouvoir y être reçu de nouveau ; durant cet intervalle, ils [p. 12] deviennent à la charge de leurs proches ou de leur paroisse. Comme leur entretien & leur garde excède de beaucoup les dépenses & les soins nécessaires pour les autres Pauvres, il faut que des parens honnêtes & sensibles soient exposés à avoir sans cesse sous leurs yeux un spectacle aussi révoltant, & a éprouvé l’humiliation de recourir aux charités de leur paroisse ; indépendamment des événemens malheureux auxquels ils sont exposés, dont les exemples sont trop affreux pour être rapportés ici (6).

Les malheurs qui résultent du manquement de ressources pour un si grand nombre de malades, ont engagé plusieurs bienfaiteurs à faire des tentatives pour l’augmentation de l’Hôpital. Plusieurs un effets ont destiné leurs [p. 13] bienfaits spécialement en faveur des incurables, & il faut espérer que d’autres voudront bien compléter leurs louables intentions. Le bon ordre & l’humanité demande que cette branche de charité ait, dans une si grande ville, un établissement plus considérable, outre que c’est un grand degré de générosité d’assister ceux qui ne peuvent jamais de venir utiles à la société & qui sont si loin de les en récompenser, qu’ils ne peuvent pas même sentir la moindre reconnoissance pour leurs bienfaiteurs.

Le régime de l’économie de l’Hôpital est inspecté par un comité de quarante-deux gouverneurs ; sept d’entre eux, avec le Trésorier, le Médecin & les autres Officiers, ça semble chaque samedi pour recevoir les malades & réglés les autres objets qui concernent l’aisance, le bien-être, & les avantages d’une famille si étendue ; & comme ce Comité est ouvert à chaque Gouverneur, [p. 14] Ils retirent tout avantage qui peut résulter de la prudence & les lumières de personnes différentes dans la manière de vivre ; Citoyens respectables, engagés dans les affaires ou retirés, Médecins ou un prétendants par leur fortune, que les loisirs & la bienveillance porte à prendre ces soins.

Aussi-tôt qu’un fou est admis, il est confié à l’Econome, qui, sous la direction du Médecin, prescrit le traitement & le degré de garde qui lui est nécessaire dans sa loge.

Les corridors sont spacieux & aërrés (7), & la disposition de chaque logement est faite pour un seul de ces malheureux. Il règne en même tems un ordre, une décence & une propreté [p. 15] remarquables dans toute la maison ; & quoique ces différens spectacles de folie peuvent infliger les armes sensibles au malheur de l’humanité, ils sont adoucis par la vue des soins & des égards avec lesquels on n’y traite les malades.

Il est rare de voir les secours de la Médecine administrée avec plus de zèle & d’humanité (8). Les provisions de l’Hôpital, les légumes, le lait, la bièrre, &c. y font excellens (9), ils sont [p. 16] soigneusement inspectés par l’Econome qui est résident, & fréquemment examinées par les Membres du Comité.

Mais l’explication du plan de régime établi dans cette Maison nombreuse, ne déplaira point sûrement à ceux qui ne traitent pas de puérils ou de peu intéressans les détails qui tendent à alléger les infirmités humaines. Le déjeuner coordonne constamment aux malades pendant toute l’année, et du gruau, avec du pain, du beurre & du sel. Ils ont de la viande trois jours de la semaine à dîner : le bœuf et pour le Dimanche, le mouton pour le Mardi, & le vent pour le Jeudi, ce dernier seulement depuis la Notre-Dame jusqu’à la Saint-Michel ; pendant la saison de l’hiver, le cochon & le mouton lui sont substitués. Ils ont aussi une quantité [p . 17] suffisante de brouillon. On donnera encore de tems en tems à chaque galerie (10) un supplément en rôti sur les économies de la totalité. La quantité de viande et pour chaque individu de huit onces, outre les légumes & une chopine de petite bièrre. Les jours où ils n’ont pas de viande,  qu’on nomme le jour banyan, ils ont du riz ou une soupe au lait, avec du beurre & du fromage. On leur donne constamment pour souper du pain & du fromage, avec une chopine de petites bièrres ;&  12 de chaque galerie ont à leur tour d’humeur si le préfère.

Les cellules sont visitées chaque matin par les Domestiques, qui font leur rapport à l’Apothicaire (11), lequel va faire sa ronde à huit heures pour les inspecter eux-mêmes, & pour donner les ordres nécessaires. Les visites du [p. 18] Médecin se font trois jours de la semaine ; il y a des jours fixés pour les opérations médicales, & le froid ou le chaud est employé dans les cas où il est jugé nécessaire.

Chaque malade a le degré de liberté qui peut de le pas exposé ni être contraire à la sûreté générale. Dans l’hiver, ils ont des chambres avec des feux (12), où tous les convalescens sont réunies ; dans l’été, il se promène dans les cours, & de tems en tems ils s’amusent entr’eux à différens divertissemens, qui contribue à les dissiper & à calmer l’agitation de leurs esprits.

Autrefois, l’Hôpital tiroit annuellement au moins 400 £ de revenus, par les visites d’une vaine curiosité attiroient dans ces régions infortunées ; mais cette liberté, quoique avantageuse pour les fonds de charité fut regardée [p. 19] Comme contraire à ses grandes vues, par ce qu’elle tendoit à troubler la tranquillité des malades. Il fut donc décidé en 1770, de ne plus exposer cette maison au regards publics, & maintenant elle est à peine ouverte aux Etrangers, à moins qu’il n’y soit introduit par un ordre particulier ; les proches des malades ni aucun accès limité. A l’admission d’un Fou,

On délivre un billet qui autorise le porteur à venir à l’hôpital à Lundi ou un Mercredi, depuis dix heures jusqu’à midi.

Il ne peut pas y avoir d’inconvénient de contredire ici les bruits injurieux, adopté sur-tout par cette classe du peuple si enclin à porter préjudice aux institutions charitables : on a prétendu que les malades de l’Hôpital étaient battus & traités durement, sur-tout lorsqu’il s’agissoit de leur faire subir les opérations nécessaires à leur état. Ces [p. 20] discours sont absolument faux ; nul Domestique n’est assez téméraire pour abuser de l’autorité qui lui est confiée, & il lui est strictement défendu de frapper dans aucun cas, excepté pour se défendre. Il est notoire que les Membres de cette famille sont traités avec toute la douceur que permet leur situation. Si l’humanité & les intentions reconnues des Officiers de cette Maison n’en étoient pas une preuve suffisante, l’inspection des Gouverneurs qui a différens tems s quand il est renvoyé par le comité,service au Comité, démontreroit la fausseté de ses soupçons. En un mot, la nourriture est fortifiante, le traitement doux & capable d’aider l’efficacité des remèdes ; tellement que les malades qui ont été traités & qui connoissent parfaitement le régime de la Maison, ont déclaré que s’il plaisoit jamais à Dieu de les visiter en leur renvoyant cette maladie, il voudroit être admis de nouveau dans cet hôpital. [p. 21]

L’admission d’un malade exige peu de difficultés ; il est premièrement nécessaire de savoir les cas où la prudence de l’Hôpital ceux refusent de les recevoir ; ces cas sont peu nombreux, & cette circonspection sera sans doute approuvée. Les Imbéciles, les Paralytiques, les Epileptiques & ceux qui commencent à être affoibli par l’âge, & de longue maladie, sont exclus : on suppose que cela peuvent facilement être secouru par leurs proches & leurs paroisses (13). Il est spécialement reconnu que personne n’est considérée comme incapable d’admission pour avoir été [p. 22] renvoyé d’un autre Hôpital de Foux sans être guéri. Quand les parents d’un Insensé ont prouvé qu’il mérite d’être un objet de cette charité, & que la demande & les certificats sont revêtus des formalités usitées, il faut alors se faire présenter par un des Gouverneurs. L’Hôpital exige aussi que sur l’admission, deux gardiens puisse s’engager à prendre le malade quand il est renvoyé par le Comité, & à payer la dépense des habits & de la sépulture dans le cas de mort.  Si le malade est envoyé par sa paroisse ou par d’autres personnes publique, on paie la somme de trois pounds  quatre schillins pour le lit ;  mais s’il est placé par ses parents, l’Hôpital, attentifs à les alléger de ce fardeau, réduit la somme à deux pounds cinq schillings et six fois (14),  bien [p. 23] entendu  aussi qu’il sera habillé ; & dans le manquement d’un pareil secours, l’Hôpital pourvoit à ses vêtements au plus bas prix possible, & les cautions pour remettre ses avances (15). [p. 24]

Il y a pas de tems limité pour garder un malade dans l’hôpital,  dont le traitement est commencé.  Ce traitement dur généralement une année ; quelquefois il est rappelé à la raison en peu de moi. Seuls les points au Gouverneur à en juger quant à l’insensé rétablie doit être renvoyée de l’hôpital. Au tems de ce renvoi,  il est interrogé sur le traitement qu’il a reçu ; & s’il avait des motifs de plainte, il est requis de les déclarer : il est aussi invité à s’adresser dans les circonstances au Médecins de la maison, qui lui donne des avis & des remèdes pour prévenir les rechutes ; & s’il paroît dans un état de détresse, le Trésorier & le Médecin ont le pouvoir de l’aider d’un peu d’argent à son départ.

Qu’il est heureux pour cet individu, pour ses proches, pour la Société, que la divine Providence est ainsi pourvu à son rétablissement !  Les souhaits des armes bienfaisantes sont satisfaits ; [p. 25]  mais les succès de cet établissement sont encore loin d’être complet ! Combien nous déplorons la position des Foux incurable, perdant les secours auquel ils avoient été accoutumés, & tombant à la charge de leurs infortunés parents (16) ! les espérances de son retour à cet asyle ne sont pas, il est vrai, tout à fait perdues ; mais la perspective en est trop éloignée pour le consoler de son état présent ; il faut qu’il s’écoule un grand laps de tems avant qu’il puisse être admis de nouveaux, il faut, dans ces longs intervalles, que ces malheureux ne soit. Exposé  à se nuire & au Public.  La moindre dépense annuelle dans les maisons où ils sont entretenus par les paroisses, excellent 20 pounds (17). Les [p. 26] personnes censées pouvant juger de l’économie qui devient nécessaire pour des parents dans la fortune et bornée, calculeront facilement le pouvoir & l’effet d’un tel  fardeau, & sortiront combien il est cruel de lutter entre la nécessité & la pitié, entre les infections les plus cheres de la Nature & le produit d’une honnête industrie, que de trop grands efforts rendent ensuite insuffisante & contraignent d’accepter ces mêmes secours pour eux-mêmes, qu’ils auroient rougi de demander pour le plus cher parent.

Combien  ne seroit pas glorieuse une entreprise qui aurait pour but d’augmenter l’étendue de cet établissement de charité en faveur des Foux incurables !  La raison bienfaisante qui orne si particulièrement le nom anglais, fait espérer que ce grand ouvrage ne demeurera pas incomplet.

F I N

[p.27]

On ne peut voir sans attendrissement le Peuple britannique porter ses regards paternels sur la portion la plus malheureuse de ses Sujets,  pourvoir avec le temps de générosité & de zèle à leur soulagement & à leurs besoins, les surveiller avec tant de sollicitude & de  vigilance.  D’autres Nations ont bien su ouvrir également des asiles au sein affirme & aux infortunés ;  mais le manque de lumière,  la cupidité & la négligence en en fait des refuges de l’oisiveté, y ont multiplié les maux & la misère au lieu de les diminuer & de les alléger, ont hâté le cours de la vie des hommes au lieu de la prolonger : ainsi, loin d’être utiles à l’humanité, ils en sont devenus le fléau ; loin d’honorer leur pays, ils en ont été l’opprobre.  Lorsqu’on a mis en question si les hospices publics étoient utile aux Gouvernement et aux individus, sans doute la vue de ces innombrables [p.28] abus avoit fait naître ces doutes ; pour les dissiper, il auroit suffi de s’arrêter sur les touchans tableaux que nous présente l’Angleterre, & de nous montrer la possibilité d’en offrir de semblables chez les autres Nations : alors qui pourroit douter que les Hôpitaux ne devinssent avantageux & honorables au Peuple, aux Particuliers & à l’humanité ?  Si l’Angleterre de cet exemple mémorable, il faut chercher d’abord la cause dans son gouvernement, qui dévoile au grand jour ses administrations, qui permet à chaque Citoyen d’indiquer ses vues sur elles,  dans censurer en tout tems la gestion, la police & même les Membres, qui laisse de plus au malheureux qui les habite le droit de faire entendre leur plainte aux Administrateurs, au représentans de la Patrie, & à la nation entière.  Cette  comptabilité publique  des fonds & de la discipline, entretient [p. 29] l’attention de tout le Peuple, tient les Gérans sans cesse en activité sur la crainte des dénonciations.  Une autre cause non moins puissante, et l’idée que cette Nation ce fait de la dignité de l’homme :  chez elle, semaine. L’opinion exclusive de quelques Ecrivains isolés ou de quelque classe particulièresde Citoyens ; elle se manifeste dans les campagnes comme dans les villes ; elle vit influent sur la législation & sur les mœurs, & peut-être même est-ce elle seule qui lui donne ce caractère d’énergie & d’élévation qui la distingue, qui contribue à la rendre plus réfléchi & plus méditative (18). [p.30]

Nos Voyageurs, au lieu d’observer ce Peuple sous ses grands rapports, [p. 31] vont dans leur seule capitale et voir des hommes & des malheurs qui ressemble à ceux des autres pays ; ils courent à leurs spectacles & à leurs courses, s’occupent de leurs modes bizarres &  de leurs Arts futiles, & oublie ces monuments imposants qui caractérise leur bienfaisance & leur lumière ; si leurs regards les rencontres, c’est pour en admirer la majestueuse ordonnance, & non pour entrer dans ses détails si intéressans aux âmes sensibles, si utiles pour les malheureux.  Le grand nombre de nos Littérateurs ne s’empressent également de transporter dans notre langue que les productions éphémères et légère, & nous laissent [p. 32] et ignorer celles qui pourroient étendre nos connaissances sur l’Agriculture & sur les Arts & les Sciences relatives au bonheur & à la conservation des hommes (19).

L’ouvrage dont je publie dans ce moment la traduction, peu étendu il est vrai, mais si important par le sujet, connu plus tôt, auroit peut-être fait naître des lumières qui auroient contribué à nous éclairer sur le régime de nos Hôpitaux, à nous faire sentir la nécessité des réformes :  ainsi le sort d’une multitude de malheureux auroit été adouci, & les jours d’un grand nombre auroient pu être prolongée.

La France l’emporte sur toutes les [p. 33]  Nation, par le nombre de Retraites qu’elle a élevées en faveur des infirmes & du malheureux : dans les tems les plus reculés, elles se montrent occupée de ce soin : on voit nos Rois ajoutés de siècles en siècle de nouveaux bienfaits à des biens ; les grands Vassaux & les Riches consacrer à cet objet les plus belles portions de leur patrimoine ; le Gouvernement à contribution jusqu’au plaisir que le désœuvrement & le luxe des grandes Villes ont forcé de tant multiplier,&  jusqu’à cette maison de prêt public, que le trop grand faste des un, & la trop grande détresse des autres, ont rendu trop nécessaires.  Par un heureux hasard, à mesure que le luxe & les charges publiques ont multiplié les malheureux, des sources plus abondantes ont coulé en leur faveur. Il est difficile de sçavoir si c’est dans la même proportion :  l’état de nos hôpitaux ne [p. 34] porte voir à le faire croire. Leur ancienneté, leurs étendues progressives, la complication de leur régime, qui ont introduit peu à peu des abus, & et les ont fortifiés ; on s’est familiarisé avec eux : on les a crus indestructibles, & inséparables de la constitution de ces maisons. Ces dangereux préjugés ont fait naître de nouveaux désordres ; les dénonciations de quelques Ecrivains courageux, ont à peine suffi pour tirer la Nation de sa stupeur. L’époque semble enfin arrivée où elle tourne des regards attendris sur ces régions infortunées : Et que ne doit-on pas en espérer, quand on voit un Ministre, en se montrant si zélé pour l’embellissement de la première Ville du monde, l’est encore plus pour ce qui peut rendre un soulagement des malheureux ?

C’est dans de telles circonstances, qu’il seroit intéressant d’exposer au [p. 35] grand jour l’état actuel de nos Hôpitaux, l’histoire de leur origine, de leur progrès, le régime surtout qu’elles ont suivi dans les différentes époques de leur révolutions, le nombre des individus qu’elles ont reçu chaque année, ceux qui sont sortis & qui y sont, instruiroient & offririant des comparaisons, qui ramèneroient sans doute aux sources du mal, qui indiqueroient une partie des moyens de l’arrêter. Ce que nous allons présenter, n’est qu’un coin de l’attendrissant tableau que nous désirons voir exécuter. Peut-être même vaudroit-il mieux que chaque objet fut ainsi traité séparément, & qu’on n’en rapprochât ce que les Etrangers offrent de mieux dans ces différents genres. Les moyens d’opérer la révolution, deviendroient plus sûrs & plus faciles (20), & les erreurs [p. 36] seroient moins dangereuses que dans un plan plus étendu.

XIR287091 View of Hopital La Salpetriere, transport of prostitutes, Paris, engraved by Duparc, after a drawing by Savard, c.1790 (engraving) (b/w photo) by French School, (18th century); Bibliotheque Nationale, Paris, France; (add. info.: originally a gunpowder factory; prison for prostitutes; place for the poor, the insane and epileptics; psychiatric center; designed by architect Liberal Bruant (c.1635-97); porte Saint Bernard); Giraudon; French, out of copyright

XIR287091 View of Hopital La Salpetriere, transport of prostitutes, Paris, engraved by Duparc, after a drawing by Savard, c.1790 (engraving) (b/w photo) by French School, (18th century); Bibliotheque Nationale, Paris, France; (add. info.: originally a gunpowder factory; prison for prostitutes; place for the poor, the insane and epileptics; psychiatric center; designed by architect Liberal Bruant (c.1635-97); porte Saint Bernard); Giraudon; French, out of copyright

La Pitié, Bicêtre, & la Salpêtrière, forment ce que l’on appelle l’Hôpital Général ; ces trois Maisons sont gérées par les mêmes Administrateurs ; leurs revenus sont pris généralement sur les mêmes fonds. On porte à plus de douze mille âmes les malheureux & les infirmes qu’elles renferment. Si le nombre suppose une grande puissance pour soutenir ainsi pesant fardeau, il montre aussi combien il existe dans ce grand Empire d’infortunés. On reçoit dans ses Maisons des enfants depuis l’âge de deux ans jusqu’à douze, nés à Paris & dans ses environs. A Bicêtre, on n’admet que les hommes : la Salpêtrière et la destinée pour les femmes. Les pauvres qui s’y présentent, doivent être [p. 37] parvenus au moins à 60 ans : on reçoit quantité d’infirmes beaucoup au-dessous de cette page, nés aussi dans la banlieue de Paris, ou domiciliés depuis deux ans. Ces deux Maisons ont aussi respectivement des départements pour le traitement des Maladies Vénériennes, pour la punition des vagabonds, des femmes de mauvaise vie, de ceux qui ont été flétris par la Justice, par la Police, & pour garder ce que le Gouvernement ou des parens croient soustraire à la Société. Il y a d’autres départements pour les infirmes, les épileptiques, enfin pour les insensés. Leur régime est le même dans l’une & l’autre maison : ainsi en exposant celui de l’une, nous ferons connoître celui de l’autre.

Il existe actuellement à la Salpêtrière (15 Juillet 1787), 511 insensés, & 147 épileptiques congrès pour l’ordinaire dans la classe des insensés, leur accès étend le plus souvent [p. 38]  accompagné de longs momens de démence. Il faut comprendre sur ce nombre, près de 50 personnes employées à leur service. On donne à ces malades une livre & demie de pain par jour, de couleur un peu bise, mais assez bons au goût. Leurs mères sont pour les Lundis & les Vendredis, des pois, des lentilles ou des fèves ; pour les Mercredis, une once de fromage ; et pour les Samedis une ronce de beurre. Le Dimanche, le Mardi & le Jeudi, ils ont un quart de viande crue, réduite cuite à deux onces. On leur apporte cette viande froide, coupée par morceaux dans des corbeilles, & je ne crois pas qu’on la leur serve jamais chaud. Les vieillards qui ont atteint 70 ans, ont un quart de vin de plus. Tous les deux ans on habille ces malade d’un vêtement de bure ;  ils ont une paire de bas tous les ans ; on ne leur donne à l’entrée de l’hyver, par ce que quand [p. 39] elle est usée, il s’en passent toute l’année.  On m’a assuré qu’on changeoit fréquemment de linge ceux dont l’état le permettoit.  Les Loges où ils habitent,  sont au nombre de deux cens ; elles ont six pieds quarrés en hauteur comme en largeur : on a scellé aux deux côtés de la porte des planches dans le mur pour y servir de lit.  On donne à ceux qui payent pension une loge pour deux ; les plus furieux ne peuvent être davantage : plusieurs mêmes sont, je crois, seul. Ainsi le reste des Loges, réparti entre les autres insensés, et très bornés.  Il faut qu’elles soient occupées au moins par quatre. On s’imagine difficilement combien un espace si étroit, doit être gênant pour des malheureux que leur dérangement rend si inquiet & si turbulent.  L’agitation d’un seul et trouble le repos des autres ; ce repos si nécessaire à tous les êtres, les sur-tout pour ceux dont [p. 40]  le sens est si souvent en incandescence. Il serait difficile & même impossible aux personnes les plus calmes, les mieux portantes, de trouver, ainsi pressées, étouffées, un seul instant de sommeil. Les Malades sont donc privés d’un des plus pressans besoins, la plus chère consolation des malheureux. Que n’est ce pas en y ajoutant les souffrances de la mal-propreté ? Ils n’ont pour se coucher qu’un peu de Paris devenus bientôt sales, & où la vermine les tourmentes ; jusqu’au rat viennent ronger leurs habits pendant leur sommeil, les marbres, & leur disputer le peu de pain qu’on leur donne. Ces détails révoltans ne sont malheureusement pas exagérés ; je ne les articule que d’après la vue & des témoignages irréprochables. L’on m’a assuré que l’administration paye annuellement, six cent livres à un Marchand de mort-aux-rats. Si la cupidité rend ce[p.41] malheureux insensible aux maux qu’il fait souffrir, comment  l’Econome ou les Chefs chargés de le surveiller, se rendent-ils coupable d’une négligence si funeste ? Ce qui déchirent leurs habits en sont tout à fait privés ; & parmi eux plusieurs payent des pensions considérables, relativement à ces Maisons. Ils n’ont pour se couvrir que des haillons ou une mauvaise couverture en lambeaux. D’autres offrent une nudité aussi révoltante à l’humanité que contraires à la décence. On observe qu’ils déchirent ce qu’on leur donne ; mais n’est-il pas possible de les faire tels qu’ils ne puissent les endommager ? L’ordre l’offre point ces tableaux dégoûtans & humilians ; on n’y voit pas non plus ces malheureux enchaînés d’une manière aussi barbare ; leurs traitements plus réguliers & plus doux, les soins plus actifs, ne rendent point les malades aussi dangereux, & ne [p. 42] fait pas employer la violence aussi légèrement.

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On ne doit point s’étonner que les insensés dont les traits & le teint sont ordinairement animés, plutôt sanguins que bilieux, ayent cependant dans ces Maisons un maire languissant, soient jaunes & livides, & que leur corps y soit couvert de galle. Tant de malpropreté, un si petit espace où l’air se corrompt partant de causes, doivent faire regarder comme étonnant qu’ils puissent même y vivre quelques années. En effet, plusieurs de ces malheureux ont conçu une telle horreur pour l’éloge où on les entasse si humainement, qui le préfèrent d’être exposés en dehors sur des planches abritées seulement par un auvent. Là, plusieurs rangées de files, enveloppés seulement d’une mauvaise couverture, enchaînés, accroupis sur ce lit de douleur, bravent jour & nuit pendant des années [p. 43] les intempéries de toutes les saisons. Le soleil les y brûle, les gelées, les neiges, les frimats les y frappent & les y éprouvent tour à tour : ceux qui ne sont point enchaînés, qui ont la liberté de se promener, sont presqu’aussi à plaindre : ne pouvant se tenir dans leur loge, ils sont forcés de rester aussi exposés pendant le jour à la dureté des tems : leur cour étroite & serrée, qui dans les Etés répercute par les pavés & par les murs les rayons du Soleil, est changée en fournaise ; ils y soupirent en vain après un peu d’ombre ; dardés de toutes parts par les feux du Soleil & dévorés par un maire brûlant, ils sont consumés intérieurement et extérieurement. Des cloches énormes s’élèvent sur leur peau havrée & gercée, & leur sang allumés augmentent leur démence, hâte bientôt la mort devenue un bien pour eux. Ceux d’une constitution délicate, périssent ordinairement en peu de moi. Le sort des [p.44] insensés et de vivre ordinairement long-temps (21),  par ce que leur szng souvent agité,  souvent en mouvement, empêche la stagnation & l’augmentation des humeurs, & prévient ses funestes effets. Dans ces Maisons peu parviennent à un âge ordinaire : sur cinq cent onze, à la Salpêtrière, il s’en trouve à peine dix de soixante ans.

On est construit, il est vrai, dans ce moment, cinq cent loges, bientôt elles seront insuffisantes, & feront renaître les mêmes calamités ; car outre que le nombre des Folles réuni à celui des Epileptiques, s’élève déjà à plus six cent, il sera encore promptement augmenté, par ce que moins de malaise en fera d’abord périr un moins grand nombre, & que d’ailleurs l’espoir d’être mieux en attirera d’autres. [p. 45]

Si l’emplacement des maisons de Bicêtre et de la Salpêtrière et trop resserrée pour donner une étendue convenable à ses infortunés, si le solde des environs de la Capitale est un trop grand prix, & si nous craignons d’employés en faveur de tant de malheureux une partie de ces dépenses destinées à ces Etablissements somptueux pour le luxe des Arts & les agrémens de l’oisiveté, éloignons de ces vleux un spectacle qui troubleroit notre sérénité ; cherchons quelques chétives contrées, quelques solitudes dont nous ne puissions plus être interrompus par leur gémissemens : choisissant-leur quelques-unes de ces maisons Religieuses presqu’abandonnées, & devenues inutiles : destinées autrefois à servir d’asyle à l’humanité souffrante ou dépourvue de secours, elles seront ainsi rendues à leurs premières institutions. L’existence de ces malades y sera moins onéreuse [p. 46] en y trouvant des aliments moins chers & cependant plus fains, leur conformation vivifiera des lieux que de trop riches possesseurs épuisent en versant dans le séjour corrupteur des villes les trésors qu’ils en tirent : plus d’aisance, & le choix des moyens sages, & économiques, ne demanderont qu’une bien foible augmentation, facile à suppléer par la bienfaisance des Citoyens. Le grand nombre qu’un bon traitement contribueroit à guérir (22), deviendroit un allégement qui tourneroit à l’avantage des autres. Leur logement d’ailleurs n’est pas susceptible de grandes dépenses, & leur traitement est également simple & peu dispendieux. D’abord il leur faut la tranquillité & l’air : leur imagination étan souvent plus affectée que leur corps même, & ayant [p 47] toujours une grande influence sur lui, il faut la distraire doucement, éloigner d’elle tout ce qui pourroit la frapper d’une manière  trop vive, & l’émouvoir désagréablement. L’écrit, le tumulte & la contrariété semblent autant de causes qui doivent provoquer ces égaremens. Des objets trop variés & trop changeans, des couleurs mêmes trop vives, paroissent, en agissant trop fortement sur les sens, l’entraîner aussi trop loin ; ainsi je croirois qu’il faudroit les placer dans un lieu écarté dont la vue un peu bornée ne les exposeroit pas, en leur offrant trop d’objets, à réveiller en eux des idées chères ou désastreuses. Un air également tempéré, plutôt humide que trop sec & trop vif, contribueroit encore en calmant leur sens, à rendre cette imagination moins animée & moins errante. Je voudrois donc qu’attenant leurs cellules il y eût un enclos [p. 48] spacieux, ou en se promenant, des arbres leur offriroient un ombrage salutaire ; des gazons les inviteroient à s’y reposer. Leurs promenades paisibles les disposeroient à recevoir les émanations bienfaisantes des végétaux si propres à tempérer l’effervescence du sang, & à tranquilliser l’âme. Les teintes douces de verd qui de toutes les couleurs fatiguent & irritent le moins l’organe de la vue, & que la Nature semble avoir préféré dans cette intention, aideroit encore à les tranquilliser. Il faudroit choisir avec un égal de soins l’exposition de leur demeure ; celle du Nord ne recevant jamais les impressions du soleil, et sans doute trop froide & trop dure ; elle semble généralement trop affecter le genre nerveux si irritable dans presque tous les insensés. Celle du Levant qui dès le matin éprouve les bénignes influences de l’Astre du jour, qui n’en ressent pas les effets trop [p. 49] ardemment ni trop long-temps, est préférable à toutes.

La propreté devient aussi indispensable ; elle prévient les maladies de la peau, facilite la transpiration, contribue autant que les bains à donner au nerfs leur ton & leur accord. Souvent leur dissonance est la seule cause de l’aliénation de l’esprit. Quand il n’auroient pour lit que de  la paille, qu’elle fut au moins fraîche & souvent changée ; quand il ne porteroient que des habits de bure la plus grossière, qu’ils fusssent souvent lavés ; & que les personnes destinées à les approcher évitassent autant qu’il seroit possible de les animer par des propos durs & des contrariétés.

L’Hôpital de Londres qui a senti combien les visites des Etrangers troubloient leur tranquillité, s’est décidé à les interdire, malgré ce qu’elles j’ajoutoient à leur soulagement. Tous ceux qui ont été dans les Maisons de Bicêtre [p. 50] et de la Salpêtrière, s’y seront aperçus aussi combien leur présence contribuoit à augmenter la démence & la fureur de plusieurs malades.

Les alimens qui influent tant sur le moral des meilleures constitutions, qui provoquent la gaieté ou la diminuent, qui réveillent l’imagination ou l’assoupissent, qui en agissant d’une manière prompte et momentanée, modifient notre organisation, prépare pour l’avenir nos dispositions à telles vertus, à telles qualités, nos inclinations à tels défauts & a tels vices, agissent encore d’une manière plus prompte & plus puissante sur les foux, par les effets rapides qu’ils opèrent sur leur sang plus animé & plus fluide & sur leurs nerfs plus sensibles. C’est au gens de l’Art, éclairés par l’étude, & plus encore par les observations, à le prescrire selon les lieux, les saisons & les sujets.

En général les bains & les saignées sont les moyens employés avec le plus [p. 51] d’efficacité ; mais ils auront peu d’effet, & seront nuls ou même contraires, s’ils ne sont accompagnés des moyens physiques & moraux que nouveaux donc d’indiquer. Les malades de Bicêtre & de la Salpêtrière qu’on transporte à l’Hôtel-Dieu, sont loin d’y trouver ce que nous y demandons ; aussi malgré la sagacité de ce qui président à leur traitement, le plus grand nombre y périt, d’autres en reviennent plus aliénés : très-peu y trouvent leur guérison, résultat bien différent de celui de  Londres, & bien humiliant pour notre Nation. Que de pères de famille enlevés ainsi à leurs épouses & à leur foibles d’enfants ! Que de cultivateurs, d’artisans, que de citoyens perdus pour la Patrie ! A Londres, ceux qui n’ont pu être parfaitement guéris, éprouvent des traitements qui tempèrent leur folie, qui prolongent leurs momens de raison ; tandis que parmi nous tous contribuent à épuiser leurs corps et à[p. 52] les aliéner de plus en plus. Hélas ! Cette raison, pure émanation de la Divinité, sans qui nous devenons le plus abjecte des Êtres, qui nous élève au-dessus de tout ce que nous connoissons ici, qui nous transporte dans l’avenir & le passé, jusque dans les régions infinies des possibles, est-elle donc assez peu à nos yeux, pour que nous dédaignont d’arrêter & de fixer plus long-temps sur nos frères ces fugitifs rayons ? Nous nous glorifions d’apprendre aux sourds à suppléer à l’ouïe, aux muets à la voix, aux aveugles à la vue : à ! Il est encore plus glorieux & plus utile de rendre aux infections de la nature, aux devoirs de la raison, celui qui ne connoît plus de parens, d’amis, de citoyens, qui n’a de faculté que pour porter le désastre surtout ce qui l’environne, pour attenter jusques sur lui-même !

Il est encore un autre moyen que je crois aussi nécessaire à leur parfait rétablissement ; [p. 53] c’est l’occupation dont la Nature a fait un besoin à tous les hommes. Elle punit ceux qui la négligent, par une foule de mots inconnus au reste des mortels ; des douleurs lentes & sourdes, les sombres vapeurs, l’ennui, qui flétrit tout ce qui l’entoure, deviennent son lugubre cortège. Il faut donc chercher à dissiper les insensés par des travaux proportionnés à leur état & à leurs facultés. Une application raisonnable détournera leur intention d’objets dont le souvenir peut leur être nuisible, préviendra les affections nerveuses, contribuera à rendre la circulation du sang plus égale. Soit qu’on les employe à quelques Manufactures, par aux service usuel de la Maison, ou à différentes opérations de l’agriculture, ils soulageront ainsi l’Hospice du fardeau de leur entretien & de leur existence. On pourroit les encourager au travail, en accordant à ce qui en seroient [p. 54] susceptibles, quelques douceurs particulières, une liberté plus étendue, & des distinctions flatteuses.

La Musique, qui est plus d’une fois à rappeler des Mortels des portes du tombeau, qui sait charmer les sombres soucis, assoupir les douleurs les plus vives, porter l’émotion dans la plus insensible, pourroit aussi contribuer à dissiper la mélancolie apathique des insensés, réprimer leur frénésie, rétablir l’ordre & l’harmonie dans leur organe ; comme autrefois, les touchants accords du jeune David calmoient les féroces transports de l’ingrat Saül.  Tandis qu’à si grand frais,  elle fait résonner ces Temples consacrés aux jeux & aux plaisirs, ces palais qu’habitent l’oisiveté & la mollesse, ne viendra-t-elle pas avec des modes plus simples & mois somptueux dans le séjour de la douleur & des larmes, suspendre ou adoucir les mots de tante infortunée ! Sans doute la bienfaisante Nature [p. 55]  ne créa point et art puissant pour nous rendre plus sensible aux charmes de la volupté : ce fut pour réparer les malheurs de nos foiblesses, de nos infirmités, de nos erreurs & de nos excès.

On a vu combien le traitement des foux, diffère en Angleterre de celui de nos Hôpitaux, & les malheurs qui en résultent. Les moyens que j’indique pour concourir à leur rétablissement ou à leur soulagement, sont loin de ce qu’une étude approfondie pourroit apprendre. L’art de guérir les foux, est encore dans l’enfance, & pour le posséder, il faudroit étendre ses recherches au-delà même des bornes de la Médecine ; il faudroit étudier le moral des malades, souvent plus encore que la physique, les suivre dans la marche de leurs idées & de leurs raisonnements, distinguer les instans & les occasions où cette chaîne intellectuelle se rompt, reconnoître quel sentiment trop vifs vient y jeter [p. 56]  le désordre, savoir se rapprocher de leurs opinions, de leurs goûts & de leur fantaisies, en paroissant toujours cédé & subjuguer leur volonté ; maîtriser leurs sentimens, leurs idées & leurs réflexions,  comme à peu près le souple courtisan inspire, dirige, & gouverne le maître, qui  croit ne décider du sort des hommes que d’après lui. C’est cet art inconnu qui ramèneroit insensiblement le Maniaque à entendre des idées & des raisonnements qui le troubloient & et l’égaroient, à voir & se rappeler des objets qui l’irritaoient & qui l’effrayoient ; tandis que, de son côté, la Médecine seroit occupée à découvrir dans son organisation physique, les parties lésées, & les rétablir dans leur ordre & leur intégrité.

F I N.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Nous prions nos Lecteurs de faire attention que c’est un Protestant qui parle, dont nous sommes très éloignés d’adopter ici les idées.
  • Le pound vaut environ vingt-trois livres.
  • Environ 400 000 liv.
  • le dessin est d’après celui du château des Thuileries. Louis XIV, dit-on, fut si offensé que son palais eut servi de modèle à un Hôpital,  qu’en revanche il fit servir le plan du palais de Saint-James  à un objet d’une nature bien inférieure.
    Les figures des deux Foux placés sur la porte de l’Hôpital, sont de Gibber  père du comédien. « Mon père, Caïus-Gabriel Gbber, dit celui-ci, étoit natif de Holstein ; Il vint en Angleterre quelque tems avant le rétablissement de Charles II, pour suivre la profession de Sculpteur.  Les bas-reliefs du pied d’estal de la grande colonne, située dans la grande Cité, & les deux figures des deux Foux, le Délire &  la Mélancolie, placé sur le portail de l’Hôpital de Bethléem, ne sont pas des monumens au-dessous de la réputation d’un habile artiste ». Apologie de Gibbert, par lui-même.
    C’est une tradition que la figure du Fou mélancolique est le portrait d’Olivier Cromwel. Note de l’auteur.
  • Quand un malade, après une épreuve suffisante, est jugée incurable, il est renvoyé de l’Hôpital ; si on juge sa folie dangereuse pour lui & pour les autres, son nom est inscrit sur un registre, pour être reçu à son tour parmi les incurables de la maison, lorsqu’il se trouvera une place vacante. Note de l’Auteur.
  • Il y a maintenant l’Hôpital deux [sic} Foux qui ont commis des meurtres d’une nature horrible. Note de l’Auteur.
  • La longueur de chaque corridor ou galeries et de 321 pieds ; la largeur, de 16 pieds 2 pouces ; & la hauteur de 13 pieds ; il y a 175 cellules ; chacune d’elles ont 12 pieds 6 pouces, & 8 pieds de hauteur. Note de l’Auteur.
  • Le médecin de l’Hôpital et le docteur Monro, & le chirurgien est M. Richard Bowther. Trop souvent l’Histoire sourit ces feuillets de noms qui ont été l’opprobre de l’humanité ; ce sont ceux qui l’honorent par leur bienfaisance qu’elle devroit surtout recueillir. Note de l’Auteur.
  • Depuis peu, le Comité a alloué d’autres légumes & une meilleure espèce de petite bièrre. Cette libéralité a produit généralement les meilleurs effets sur la santé des malades, & les Médecins pour observer qu’il n’avait pas été autant infligé du scorbut (*) & autre maladies. (*) Le séjour de la mère rend le scorbut assez fréquent en Angleterre ; il est moins en France dans l’intérieur du Royaume ; mais nos Provinces maritimes, & sur-tout la Bretagne, en sont beaucoup plus affectées. Note de l’Auteur.
  • Il y en a cinq.
  • Jean Gozna.
  • Pour prévenir les malheurs, ils sont défendus par de larges gardes-feux de faire.
  • Le peuple des campagnes jouées en Angleterre d’une aisance qui ne ressemble guère à la situation des Paysans de la plupart des Royaumes de l’Europe ; ainsi ils sont plus à même de procurer des soulagemens à leurs parens infirmes : il trouve encore avec plus de facilité des secours dans leur paroisse, par ce que la différence des sectes contribue à inspirer plus d’attachement aux communions pour leurs membres respectifs. Note de l’Auteur.
  • Quand un Incurable est tout à fait établie dans la maison, ses parents ou sa paroisse paient par semaine à l’hôpital une demi-couronne (ce qui fait un peu plus de 50fols.) Note de l’Auteur.
  • Ce cas est spécialement malheureux quand le malade, comme il arrive souvent, et renvoyer à Londres d’une province éloignée. Note de l’Auteur.
  • Près de 10 louis.
  • Vers la fin 2781, je revins de l’Amérique septentrionale sur un vaisseau parlementaire qui ramenoit des Prisonniers anglais faits au siège de York-Town : notre destination étoit pour Plymouth ; mais les Prisonniers, la plupart Matelots, plus nombreux que l’équipage Français, se rendirent maîtres du vaisseau, le dirigèrent vers le nord de l’Écosse, afin de n’être point exposé à être pressés en arrivant. Nous débarqua à l’île d’Isla, peuplée d’environ cinq ou six mille habitans,&  si aride, qu’il n’y croit pas même d’arbustes.  Ont mis à terre deux hommes qui venoient de mourir ; cette vue fit fuir les habitans, que notre arrivée avait attirés :  les deux canards restèrent sur la grève une partie du jour. M. Campbell, capitaine d’un régiment écossais, dit un jeune Lieutenant : Laisserons-nous ainsi nos frères sans sépulture ?  Et des mois à remplir envers eux ce dernier devoir. En même-tems qu’il se charge des corps, traverse Beaumore, capitale de l’île, pour les porter au cimetière, situer au-delà.
    Les Matelots, à leur arrivée, sans par des paquebots, de sorte qu’il n’y avoit plus d’espoir de passer sur le continent d’Angleterre avant quinze jours.  Quatre Soldats Anglais, invalides, ne pouvant jusqu’à ce tems se rendre à Édimbourg, se trouvèrent sans ressources :  les plus aisées de l’île les logèrent, pourvurent à tout ce qui leur était nécessaire pendant leur séjour & pour leur voyage.  On proposa de donner un bal à quelques Officiers Français qui étoient arrivés sur le même parlementaire :  Comment, dit un des habitants, pourrions-nous nous livrer à la joie, lorsque nous avons les frères dans l’affliction ?  Il vouloit parler des quatre Soldats.  Cette réflexion du poins de contradicteurs ;  on ne donna pas de balle aux Français,  qui ne furent pas accueillis avec moins d’égards. J’ai cru reconnoître le même caractère national dans l’espace de plus de deux cents lieux que j’ai fait en Angleterre :  l’indifférence se fait sentir aux approches de Londres et sur les routes qui conduisent aux ports où l’on s’embarque pour le continent.
  • Aucun peuple n’a plus raisonné sur l’agriculture. Chez eux, ce n’est point comme ailleurs une science systématique ; la théorie est fondée sur de longues observations. Le cours général des Anglais pour la campagne, les  porte à y résider long-tems, & par conséquent à s’éclairer davantage par l’expérience.
  • Les Papiers publics viennent d’annoncer le Gouvernement avait envoyé des personnes instruites en Angleterre & en Hollande, pour examiner la constitution de leurs Hôpitaux.
  • Voilier plus pour l’Histoire de l’Hôpital de Bethléem.
  • Nous venons de voir l’Histoire de l’Hôpital de Londres, nous annoncer que deux sur trois étaient guéris.

 

 

 

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